La Couronne de Cuivre

L'inconnu se décida enfin à tourner la tête.
-Vous indiquer où trouver votre monture était déjà un engagement trop important.
Il soupira.
-Sans doute ne devrais-je pas m'impliquer aussi peu que ce soit là-dedans, mais vu que j'ai commencé... Et ce que je sais, je n'ai pas cherché à le savoir. Mais la forêt a des yeux, des oreilles... Enfin, bref : les animaux ne sont pas morts de maladie, vous le savez. Mais empoisonnés, ce que vous savez aussi. Quant à l'identité et aux motifs de l'empoisonneur... ça saute aux yeux, non ?

« J’avais commencé à entrevoir ces choses, oui. Vous me les confirmez. »
Elle soupira, jeta un coup d’œil vers le nord. Le vent soufflait doucement dans les ramures jaunies des grands arbres, la forêt respirait la quiétude, une étrange quiétude compte tenu des circonstances. Puis elle reposa les yeux sur son interlocuteur. Il lui était familier, sans qu’elle puisse se l’expliquer. Elle était pourtant persuadée de ne l’avoir jamais vu. Puis soudain, elle reconnut ses traits, elle les avait vu deux jours plutôt, sur un autre visage.
« Vous ressemblez à votre frère. » lâcha-t-elle simplement. « A vos neveux, aussi. »

L'homme, pour le coup, en demeura bouche-bée. Puis, revenant de sa surprise, il se renfrogna et secoua la tête.
-Je savais que je n'aurais rien dû vous dire. Ne pas vous adresser la parole. Je me suis dit que cela ne porterait pas à conséquence, et pourtant, voilà que déjà ressurgissent les fantômes. Quel bel idiot je fais...
Il jeta un regard aux sous-bois, comme s'il mourrait d'envie de s'y fondre, de disparaître entre troncs et branches basses, puis, soupirant, il reporta son attention sur Galathée.
-Vous êtes qui, pour lui ? Sa nouvelle femme ? Une amie ? J'ai du mal à croire qu'il parlerait de moi à une inconnue. Et encore plus de mal à croire que les dieux soient assez vaches pour que la première personne à qui je parle depuis des mois soit une de ses proches...

« Je suis désolée, ça m’a échappé. Et je ne suis rien de tout ça. J’ai passé la nuit chez lui… par hasard. Et il a parlé de vous brièvement, sans doute parce que nous partageons la même profession. Il avait l’air de regretter votre silence. »
Galathée hésita une seconde. L’inconnu semblait désireux de ne pas être replongé dans un passé familial douloureux. En même temps…
« Toutes leurs bêtes sont mortes. » fit-elle simplement.

-Ah...fit-il simplement.
Il soupira de nouveau, grimaça, perdit son regard dans le lointain.
-Alors ils sont déjà allés à Eaux-Vives. M'étonnerait pas qu'ils poussent jusqu'à Hautépine. Plus ambitieux que je ne l'aurais cru, malheureusement...
Il passa une main pensive dans son épaisse barbe.
-Comment Guilhem prendt-il la chose ? Et les petits ?

Elle soupira.
« Je ne sais pas ce que savent les petits. Ils savent, sans doute. Votre frère… est calme. Mais il ne se fait pas d’illusions. Les enfants sont nombreux et sans les vaches… Il parlait de les placer. Je n’ai pas vraiment creusé la question… Je pense qu’il espère encore que quelque chose… quelqu’un… va infléchir le destin… conjurer le mauvais sort. Mais vu ce que vous venez de me confirmer… Je ne vois pas bien comment. »

L'homme sourit, sinistre.
-IL n'y a absolument rien à faire, sinon ne pas se mêler de ces choses là. Montcerf est malin, très malin, et il dispose d'amis, de beaucoup d'amis. Il appauvrit la région pour mieux l'asservir, et rien ni personne n'y pourra rien changer. Tous les villages se rangeront sous sa bannière de leur plein gré, même s'il aura fallu... forcer les choses. C'est inéluctable. Guilhem ferait mieux de filer... ou de déjà commencer à rechercher des gens, loin d'ici, pour s'occuper de ses mômes. Vous devriez en prendre un ou deux : il a dû en faire de braves tâcherons bien obéissants...
IL jeta un coup d'œil au ciel.
-Bon, j'imagine que vous n'allez pas me laisser filer sans me poser d'autres questions. Mais si vous voulez revoir votre jument, il faut se mettre en route maintenant.

Il avait raison et elle jura intérieurement. Pourvu que Tempérance soit toujours dans les parages…
« Je n’ai pas trouvé vos neveux particulièrement serviles. » fit-elle en lui emboîtant le pas. « Pourquoi ce seigneur Moncerf tient-il tellement à étendre son domaine ? Ne dépend-il d’aucune juridiction supérieure ? De la ville la plus proche ? »
Sans doute Valaellyn et Gérold pourraient-ils répondre à cette question... Les villages de la région s'étaient organisés pour les foirails, peut-être avaient-ils une manière de gérer ce type de problème également...

L'homme haussa les épaules.
-Une juridiction à laquelle se référer ? Et pourquoi donc ? Y a-t-il des preuves ? Avez vous décelé le poison dont il se servait ? Avez vous des témoins oculaires ? Non, Montcerf est trop malin pour se laisser prendre aussi facilement. Et les villages renoncent tous à leur franchise de leur plein gré, pour avoir sa protection. Que redire à cela devant une cour de justice ? De plus, sa famille est ancienne, respectée dans la région, apparentée à bien d'autres... Des preuves ne suffiraient pas dans bien des cas, sauf si vous étiez décidée à porter la chose directement à Luménis ! Mais ils doivent avoir bien d'autres chats à fouetter...
Sur son épaule, l'écureuil se tenait tranquille, comme somnolent. Pourtant, sous ses paupières à demi closes, ses petits yeux scrutaient les alentours, s'attachant régulièrement sur la jeune femme.
-Quant à ses motivations... Il veut redonner à sa famille le lustre d'antan. Autrefois, les Montcerf régnaient sans partage sur toute la région, au-delà même de Hautépine. Et puis, au fil du temps, les bourg ont acheté leur indépendance... A bas prix, souvent. Les comtes étaient riches et plutôt bienveillants.Or, depuis, le trésor familial a fondu... Le château était à l'abandon depuis la mort du père de l'actuel seigneur, lequel était allé s'amuser à Luménis. Il en est revenu il y a quelques mois... Plein de morgue, de rancoeur, et d'ambition.

« Je demandais ça comme ça, ne vous emportez pas. » fit-elle, contournant le tronc énorme d’un chêne penché.
Elle sourit à l’écureuil qui la scrutait de ses yeux noirs.
« S’il n’y a rien à faire, il n’y a rien à faire. Peut-être ce seigneur Moncerf n’est-il pas si dangereux… »
Quitter un tyran pour un autre. Décidément. Il se plaignait de dieux vaches, il pouvait parler.
« Et s’il l’est… J’imagine que les gens finiront par s’en rendre compte. »
Rentrer à Hautépine devenait urgent.

Il soupira.
-Je ne m'emporte pas. Pardonnez-moi, je n'ai jamais été doué pour les relations humaines. C'est pourquoi je przafère me consacrer aux animaux. C'est plus franc, plus simple... Enfin, vous connaissez ça aussi.
Il se passa une main nerveuse dans la barbe.
-Les gens ne pourront rien faire, vous savez. Ce sont des paysans, des éleveurs, des artisans, pas des soldats. Et ils ont des gosses. Un sacré fil à la patte, les gosses, un sacré moyen de pression, aussi. Montcerf... Je le connais peu. Il m'a chassé du château peu après son arrivée. J'étais plus garde forestier que garde chasse, et lui avait son maître piqueux... Il m'a fait l'effet d'être un homme décidé et prêt à tout pour parvenir à ses fins. Et la clique qu'il a ramenée de Luménis est pire encore... Il tiendra la région d'une main de fer : il recrute chaque jour de nouveaux soldats pour cela. Et les gens se pressent pour s'engager : promesse de solde, de sécurité pour la famille... Personne ne bougera le petit doigt, et ceux qui le feront seront massacrés... Et de bon droit, puisque Montcerf n'aura officiellement rien imposé. Ce sont les morféens qui massacrent les bêtes ! Pas lui, non ! Les habitants le croient... ou font mine de le croire. Il vaut mieux parfois se mentir que de voir une vérité trop sinistre en face.

« Combien sont-ils à l’heure actuelle ? Vous avez une idée ? » demanda Galathée, par acquis de conscience.
Elle ne voyait pas très bien ce qu’elle pouvait bien proposer que le rôdeur n’ait déjà envisagé. Mais il semblait sombre et démoralisé, bien moins indifférent qu’il ne l’avait prétendu au départ.

-Combien ils sont à l'heure actuelle ? Aucune idée, répondit-il. Quand Montcerf est rentré de Lumenis, il avait une vingtaine de spadassins avec lui. Sans compter le type en robe de mage. Une fameuse bande, vous auriez plutôt dit des brigands qu'une suite seigneuriale. Comme s'ils étaient partis en quatrième vitesse... Mais bref, revêtez tout cela d'armure brillantes, de soiries et de fourures, et il n'y paraît plus... Pour le reste, il a tout de suite commencé à renforcer la garde du château, puis celle de la ville, et il recrute à tour de bras avec l'argent des taxes qu'il a instituées... Cent ? Cent cinquante hommes ? Peut-être plus, encore, je n'en ai pas la moindre idée : ça cavale jour et nuit par tout le pays, c'est tout ce que je peux dire.

La jeune femme haussa les sourcils à la mention des cent cinquante hommes d’armes, imaginant Anselme le paysan et sa fourche leur faisant face.
« Bon… Dans ce cas, il ne nous reste plus qu’à aller l’assassiner dans son lit, j’imagine. » fit Galathée, ironique.
Ils traversèrent le lit d’un ruisseau asséché, remontèrent le long d’une butte terreuse, puis s’enfoncèrent à nouveau dans un sous-bois touffu où mûrissaient des myrtilles de bonne taille.

L'homme demeura silencieux tandis qu'ils progressaient. Bientôt, entre les troncs serrés, ils apperçurent un petit chemin sinueux.
-Elle ne doit pas être très loin. murmura l'ancien garde-chasse.
Il sortit à découvert en compagnie de la rôdeuse, firent quelques pas... puis aperçurent effectivement la jument, paisiblement occupée à brouter l'herbe rase bordant le sentier...
-Vous voilà rendue... fit l'homme. Hum... Assassiner Montcerf... J'imagine que cela démangera fortement certaines personnes, mais ce ne serait pas une solution : lâchée, sa meute serait plus dangereuse encore. Non, la seule solution serait d'amasser des preuves flagrantes... Et d'aller les présenter aux plus hautes autorités. Mais cela demanderait du temps, beaucoup d'efforts et ne serait pas sans risques.

Tempérance leva la tête et renâcla, saluant sa cavalière, qui se glissa jusqu’à elle et l’examina sous toutes ses coutures. La jument n’avait rien, et rien de ce qui ne se trouvait dans les fontes n’avait disparu. Rencontrer ces gardes mal embouchés avait finalement été une chance.
« Mais vous avez déjà une partie de ses preuves, non ? » demanda alors la rôdeuse. « Vous semblez bien renseigné pour quelqu’un qui a tout appris par hasard… »

-Ces affaires ne me concernent pas...répondit l'homme après un court silence. Et quand bien même me concerneraient-elles, mes mots n'auraient pas grand poids. Que vaut la parole d'un humble face à celle d'un seigneur ? Le poids d'une bourse vide face à celui des écus ? Ce que je sais vient en partie du temps que j'ai passé au château, en partie des observations fortuites d'animaux. Mais de preuve tangible, je n'en ai pas le moindre début. Les hommes du comte prennent bien soin d'effacer toute trace... et d'éliminer tout témoin.

Galathée se hissa en selle.
« Très bien. Je comprends. On ne peut pas être de tous les combats » dit-elle, sincère.
Elle rassembla ses rênes, flatta l’épaule de la jument.
« Je vais rapporter vos paroles à Hautépine, nous verrons ce qu’ils décident… Merci pour votre aide, de toute façon. Et si vous le voulez bien, je donnerai de vos nouvelles à votre frère. »

Il grimaça.
-Je ne peux vous en empêcher, de toute manière, finit-il par grommeler. Précisez juste que vous faites ça de votre propre chef, que je n'ai rien demandé, moi. Il ne faudrait pas qu'il se fasse des idées, qu'il croie que quoi que ce soit à changé.
Il porta son regard sur le chemin, derrière la rôdeuse.
-Vous feriez mieux de couper par les sentes forestières, je pense. Vous n'allez pas tarder à être recherchée par les hommes du comte, m'est avis... Continuez par cette voie, tout droit vers l'est. D'ici une demi lieu, vous verrez une piste filant plein sud... Vous n'y croiserez personne d'autre que des hardes de chevreuils, normalement.
Il s'interrompit, hésita, puis se lança.
-Et dites à Guilhem de filer avec sa tribu se mettre à l'abri, où que ce soit. Il n'est pas du genre à se laisser faire, mais il ne fait pas le poids face à ce qui va arriver.

« Je lui dirai. » fit-elle.
Galathée vit volter sa monture.
« Bon vent à vous. »
Puis d’un claquement de langue, elle mit Tempérance au petit galop et elles filèrent dans les taillis. Comme l’avait dit le rôdeur, elles cheminèrent vers l’est dans une sente encaissée entre les arbres, avant d’atteindre une piste plus large qui descendait vers le Sud. Au bout d’une heure et après avoir croisé deux hardes de chevreuils, Galathée finit par encocher une flèche dans son arc. Un jeune daguet curieux en fit les frais lors de leur troisième rencontre avec les habitants des bois et la jeune femme chargea l’animal sur la croupe de la jument, avant de repartir. En fin d’après-midi, elle aperçut les fumées blanches d’Eaux-Vives et elle regagna un territoire plus champêtre, constellé de champs et de prés entre les taches de bois. Elle approcha la ferme des Merlu par des chemins de traverse, et finit par gagner leur cour, lorgnant les alentours. Mais ils avaient perdu toutes leurs bêtes, les hommes de Montcerf n’avaient aucune raison de revenir.

Trois des fils Merlu jouaient tranquillement devant la maison. Ils ne manifestèrent aucune surprise en voyant la rôdeuse débarquer. Ils la saluèrent poliment et, tandis que le plus âgé amenait son cheval à l'écurie, l'un des autre alla quérir leur père, à l'intérieur. Lequel ne tarda pas à apparaître. Il avait les traits fatigués mais adressa un sourire chaleureux à la jeune femme.
-Nous vous attendions ! fit-il. Votre chouette est arrivée il y a quelques heures, avec un message. Elle dort tranquillement dans notre grange, à présent. Il semblerait qu'elle la trouve à son goût.

Galathée haussa les sourcils. Plume semblait anticiper ses déplacements avec une certaine finesse.
« Je dois vous parler. » fit-elle. « Mais je vais d’abord lire mon courrier… »
La jeune femme fila vers la grange et réveilla la chouette qui paressait sur une poutre. Cette dernière vint se poser sur son épaule et s’ébouriffa.
« Je te revaudrai ça… » murmura la rôdeuse en caressant l’oiseau.
Elle prit ensuite le parchemin et retourna à la lumière pour le décrypter.

L'écriture différait beaucoup de celle de Taliesin. Petite, véritable série de pattes de mouches, elle tremblait légèrement, comme si la main de l'auteur n'était guère sûre... ou bien fatiguée;

Chère Galathée.

Les nouvelles dont vous nous faites part sont rien moins que réjouissantes... et corroborent nos craintes. Notre vieux mouton se porte toujours comme un charme, et aucun animal n'est mort dans les environs depuis la fin de la foire. Par contre, nous avons entendu parler de ces rumeurs touchant aux Morféens. Les gens commencent à s'inquiéter, se demandent quoi faire... Pour l'heure, cependant, le bourg et ses alentours ont été épargnés. Puisse-t-il en être longtemps ainsi.
Soyez prudente et revenez nous voir dès que vous le pourez. Sans doute les éléments dont vous disposez nous permettront-ils de prendre des mesures. Si tant est que des mesures puissent enrayer ce qui se prépare.

A très bientôt

Gérold

La jeune femme releva les yeux sur Guillem, qui attendait non loin. Elle hésita une seconde. Ce qu’elle avait à lui révéler ne pourrait que le plonger dans une affliction plus grande. Qu’est-ce qu’un homme comme lui, avec autant de jeunes enfants, pouvait bien espérer des perspectives sinistres qui s’amoncelaient à l’horizon. En même temps, elle ne croyait pas au mensonge.
« Je suis montée jusqu’à Montcerf. » dit-elle finalement. « J’ai vu votre frère, aussi. Et les nouvelles sont mauvaises. »

L'homme acquiesça doucement, puis jeta un regard à ses fils qui, s'ils semblaient absorbés dans leurs jeux, pouvaient néanmoins les entendre.
-Venez, dit-il. Allons parler à l'écart, si vous le voulez bien.
Il conduisit la jeune femme dans un petit verger situé à l'arrière du logis. Après s'être assuré qu'aucun de ses enfants ne se trouvait dans les parages, il se tourna vers elle.
-Nous avons entendu parler de morts ... A Bourg-Cabanes. A la butte aux Cailles. Les choses en sont-elles arrivées si loin ? Et qu'est-ce que Mathieu a avoir là-dedans ?

« Lui, rien. Sauf qu’il sait ce qu’il se passe et qu’il a pu confirmer mes craintes. C’est le seigneur de Montcerf qui est derrière les meurtres et les massacres, et ce poison qui a emporté vos bêtes. Il n’y a pas de Morféens dans les bois. Simplement une menace qui vise à ramener les bourgs francs dans le giron d’un seigneur avide… Il entend amener les villages à le supplier pour sa protection, à se soumettre volontairement. »
Elle soupira.
« Votre frère n’a pas de réelles preuves, moi non plus. Je dois rentrer à Hautépine pour exposer la situation aux autorités. De là, j’imagine qu’ils aviseront… Quant à vous… Mathieu vous conseille de mettre vos enfants en sécurité, hors de la sphère d’influence de Montcerf. Je ne sais pas vous en dire plus. Je ne sais pas ce que vaut ce seigneur. Mais vu les méthodes qu’il emploie, il ne promet pas vraiment… »

Le fermier accusa le coup sans presque broncher, même si un voile fugace passa dans son regard clair. Il se détourna, observa la maison, les terres environnantes, et secoua la tête.
-Il va réussir son coup, murmura-t-il. Certains, au village, réclament déjà qu'on envoie des émissaires à Montcerf pour quémander une garnison... Ils sont peu, encore, mais il suffira d'un drape pour précipiter les choses. Et sans preuves, nous ne pouvons rien contrecarrer.
Il se frotta le menton dans un geste étonnamment similaire aux signes de nervosité qu'avait eu son frère, puis soupira de nouveau.
-Quant à mettre les petits à l'abri... Où donc ? Si je me souviens bien, les terres des Montcerf s'étendaient autrefois de Hautépine au sud à Grandpré, au nord... Je ne connais personne au-delà... Quant à partir avec eux... Impossible. D'une part, nous n'aurions pas de quoi subsister. D'autre part, je doute que Montcerf laisse les gens commencer à s'enfuir... Des terres sans personne à exploiter, cela ne lui servirait à rien.

« Ne désespérez pas encore. Tenez vous coi, ne laissez pas vos enfants traîner, et ne vous opposez pas à ce rapprochement. Quand l’infamie de Montcerf sera exposée, il sera temps de reprendre votre liberté. D’ici là, jouer son jeu est l’option la moins dangereuse. »
Elle jeta un coup d’œil au dehors.
« Je vais laisser Tempérance se reposer quelques heures, puis je partirai. Plus vite je serai à Hautépine, plus vite nous pourrons aviser d’une solution. »
Spontanément, elle posa la main sur l’avant bras du fermier.
« Ne vous laissez pas aller. Rien n’est joué. »

Le fermier s'arracha un sourire triste.
-Peut-être avez vous raison... J'imagine que si Lumenis a su se libérer de son tyran, nous pourrons nous débarrasser de ce nobliau., à la longue.... N'empêche, je rechigne à courber l'échine face à ses manigances. J'essaie d'élever mes gosses dans le respect du bien et de la liberté. Je n'ai pas envie de leur donner l'exemple d'une soumission silencieuse face à la vilénie... Mais que faire d'autre sans les mettre en danger ?
Il grimaça.
-Mais pardonnez-moi de vous ennuyer avec mes doutes. Vous avez bien d'autres soucis, et c'est déjà fort généreux à vous de m'avoir prévenu... Et puisque votre monture doit se reposer, cela vous laisse le temps d'en faire de même et de partager notre repas.
Il la conduisit à l'intérieur du logis ou les enfants se mettaient déjà en devoir de dresser la table. Ils se montrèrent aussi animés que de coutume lors du souper mais leur père, s'il s'efforçait de garder bonne figure, n'en paraissait pas moins ébranlé.
Galathée remarqua que la fratrie n'était pas au complet, autour de la table. Manquaient la jeune fille et le fils aîné de Guilhem. Toutefois, la rôdeuse vit reparaître la première, essoufflée, alors que le repas touchait à son terme.
-Des soldats sur la route... haleta-t-elle. Ils se dirigent par ici au grand galop.

Galathée pâlit et se leva.
« Il ne faut pas qu’ils me trouvent ici… Combien sont-ils ? A quelle distance ? » demanda-t-elle à la jeune fille.
« Ils n’ont peut-être pas de mauvaises intentions, mais on est jamais trop prudent… »

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