La Couronne de Cuivre

" Bien sûr que non, dit Hubert avec un sourire. Je me disais juste que je les avais peu vus... Mais je réalise que c'est sans doute simplement parce que je ne les ai pas identifiés comme tels... J'imagine quand même qu'il doit rester un semblant d'organisation militaire... Es-tu un de leurs officiers ? Ou bien gardent-ils leurs distances ?"
Albérich laissait son regard courir d'eux, écoutant d'une oreille distraite ces questions martiales. C'était un domaine qu'il n'avait jamais aimé, même s'il avait fait de gros efforts, à Luménis, pour essayer d'en comprendre les tenants et aboutissants. Cela n'avait jamais suffi à Maelwedd, qui l'avait toujours considéré comme un jeune imbécile parfaitement inconscient des enjeux. Et la suite lui avait donné raison. Sans plus de responsabilités dans le domaine, il était trop heureux de pouvoir laisser la curiosité de ces choses à Hubert, même s'il réalisait que sa sécurité, et donc sa tranquillité d'esprit, dépendaient en grande partie de ces soldats, mercenaires, des épées et des boucliers, des arcs, des rôdeurs, de cet entraînement du petit matin. Il y avait là un paradoxe... ou pas vraiment. Les Sharites lui avaient appris qu'on n'est jamais assez puissant face à l'ombre et il ne parvenait pas à l'oublier.

-Oui, en théorie, et je suis censé les superviser l'après-midi, tandis que Mathias, l'ancien chef des gardes du sieur d'Argencourt, s'acquitte de cette tâche le matin. Mais pour l'instnt, il n'y a vraiment pas grand chose à faire... Cela changera dans les marais, évidemment, puis dans la cité. Oh, et rien d'étonnant à ce que vous n'ayez pas repéré les soldats : hormis quand ils sont de faction autour du camp, et il n'y en a jamais beaucoup à la fois, ils sont en civil.

Hubert acquiesça avec le sourire.
" Je viendrai une fois jeter un oeil quand vous vous entraînez. Ça ne peut qu'être intéressant."
Il se tourna vers Albérich.
" Bon, et bien je suppose que nous pouvons retourner à nos activités jusqu'à l'heure de l'assemblée. Je vais essayer de remettre la main sur l'armure que j'ai abandonnée sur le terrain hier... J'espère qu'elle est restée plus ou moins en un seul tas.
— Je vais aller jeter un oeil du côté de la tente de Marthe, dit le Luménien. Je ne suis pas certain que j'étais en congé, moi..."

-Vous devriez plutôt aller voir Robert. Il s'est occupé du rangement et du démontage, hier. Il a forcément remarqué votre armure et, le connaissant, il aura eu à cœur de la mettre à l'abri, dit Edgar avant qu'ils ne se séparent.

***

L'ancien clerc trouva la juge assise derrière son bureau. Cependant, elle ne devait pas s'y trouver depuis longtemps, car elle était encore en train de dérouler des parchemins.
-Bonjour, Albérich,fit-elle en le voyant. J'espère que vous avez passé une bonne nuit. Et qu'Hubert n'est pas trop en colère...

" Désolée d'arriver si tardivement, dit le Luménien en s'installant sur une chaise. J'ai stupidement cru que... bref... Heu. Hubert ? Je ne pense pas qu'il soit en colère. Je crois qu'il est un peu... troublé, plutôt. Mais ça va lui passer. C'est une bonne nature et il n'est pas rancunier. Je pense qu'il aimera autant qu'on n'y fasse plus référence."
Il fouina sur le bureau pour retrouver ses notes et le texte qu'il était en train de compulser.
" Sommes-nous sur le départ ?" demanda-t-il alors.

-Officiellement, il faut attendre l'assemblée de ce soir pour le dire car, dans l'absolu, des membres pourraient demander l'organisation d'un nouveau vote solennel afin de déterminer si, oui ou non, nous devons partir. Toutefois, puisque les nouvelles rapportées par les éclaireurs sont globalement conformes à nos attentes, je pense que personne ne fera une telle demande et que nous discuterons surtout des derniers préparatifs. Pour le reste, comme nous nous tenions prêts, comme il n'y a pas grand chose à faire hormis plier bagage, je crois probable que nous nous mettions en route après-demain.
Elle lui sourit.
-Pour parler franc, dans de telles conditions, personne n'aura vraiment la tête à travailler, et si vous désirez prendre un peu de temps pour vous, il ne faut pas hésiter. D'autant que notre tâche ne revêt aucun caractère urgent.

Albérich sourit et hésita. Il aurait pu lui expliquer que le travail lui changerait les idées, qu'il sentait une angoisse coutumière l'envahir, qu'il n'était pas certain de parvenir à partager l'enthousiasme du groupe, qu'il avait peur, simplement, d'aller dans les Landes, de quitter la civilisation, de se livrer à la merci des armes de leurs soldats. Mais il ne voulait pas retrouver la réputation de grand blessé qu'il se trimballait depuis Luménis. C'était une lutte, cependant, et il baissait les yeux sur ce qu'il était en train de faire.
" Dans ce cas, je vais peut-être juste prendre mes notes... et si je m'en sens l'envie... Je verrai ce qu'il en sort."
Il se tourna vers la juge.
" Mais j'imagine que nous serons tous réquisitionnés pour l'empaquetage..."

-Nous demandons effectivement à tout le monde de participer, mais cela peut se concrétiser de bien des manières et, là encore, nous essayons d'utiliser au mieux les compétences de chacun. Vous verrez, cela va beaucoup plus vite qu'on ne le croirait de prime abord : a force de monter et de démonter ce camp, nous commençons a avoir l'habitude et à être vraiment efficaces. Ce village de toile disparaîtra donc en quelques heures seulement.

" Je peux imaginer que vous ayez désormais une certaine expertise. Mais ne vous en faites pas, je ne compte pas tenter de resquiller... Je n'ai peut-être pas de goût pour les armes, mais j'ai fait les moissons et les vendanges dans la Vallée du Nirvana avant d'arriver à Solarcis, je ne suis pas seulement un intellectuel poussiéreux de Luménis." dit-il avec le sourire.
Il rassembla ses notes et essaya de les arranger en un tas plus ou moins transportable.
" Je vous souhaite la bonne journée, Marthe. A plus tard..."

-Je n'ai jamais pensé que vous étiez un resquilleur ou un intellectuel poussiéreux de Luménis, répondit-elle doucement.En fait, je songeais à ce que j'avais moi-même éprouvé quand, ayant rejoint la communauté alors même qu'elle était sensiblement moins grande qu'aujourd'hui, a sonné pour la première fois l'heure du départ. Je me suis dit que les préparatifs seraient interminables... ce qui n'a pas été le cas. Et je crois avoir eu une réaction qui s'apparentait à la votre, dans la mesure où j'ai tenu à prouver que, quoique je sois juge, une juge, de surcroît, je ne rechignais pas à me retrousser le manche lorsque le besoin s'en faisait sentir. Bon, je m'en suis tirée avec des courbatures, j'ai frôlé le tour de reins, mais l'on ne m'a plus tout à fait regardée de la même manière, après cela.
Elle grimaça.
-Peut-être était-ce une erreur de ma part, d'ailleurs. Peut-être ne m'aurait-on pas imposé les entraînements, si je n'avais pas agi ainsi. Enfin, ce qui est fait est fait !
Elle sourit à nouveau.
-Passez une bonne journée, Albérich.

Il la salua et s'éclipsa à l'extérieur, en n'ayant qu'une idée relativement vague de l'endroit où il allait se rendre et la manière dont il allait réussir à s'occuper l'esprit sans être envahi par de nouvelles angoisses. L'aura du paladin l'aurait certainement rasséréné un rien, mais il imaginait mal aller se glisser sans raison dans l'ombre d'Hubert, qui ne manquerait pas de s'étonner, voir de se moquer, de sa présence. Il décida donc d'aller lire sur la plage, espérant trouver un peu d'apaisement dans le roulement des vagues et le cri des mouettes.

***

De son côté, Hubert avait suivi les conseils d'Edgar et s'était mis en quête de Robert en ralliant sa tente. Il se sentait un peu honteux de ne pas avoir offert ses services pour démonter et ranger la lice après le tournoi, mais était conscient que ses regrets n'étaient plus que des excuses piteuses. Il faudrait qu'il se montre plus diligent la prochaine fois.

Le chevalier et son écuyer, qu'il avait aperçus un peu plus tôt sur la place, n'avaient pas tardé à regagner leurs pénates et à reprendre là où ils l'avaient laissée leur activité matinal, à savoir nettoyer l'armure que Robert avait portée la veille. Le travail n'était encore guère avancé, signe que, peut-être, on s'était accordé ici aussi une grasse matinée.
-Ah, Hubert, Content de vous voir ! J'espère que vous avez passé une bonne nuit.
L'homme se leva pour lui serrer la main. Alban se mit également debout, s'inclina, murmura quelques salutations guère audibles puis, son teint s'empourprant, il se détourna. Manifestement, pour le garçon, l'heure n'était plus à la colère mais à l'embarras.

Hubert serra la main du chevalier puis sourit au gamin, sans essayer de forcer le contact, cependant.
" Bien, merci, dit-il. Je ne vous ai pas assez remercié pour le combat que nous avons livré hier soir. Vous avez bien failli me corriger de la plus sévère des façons, mais vous m'avez aussi permis de reprendre confiance en moi-même. Je vous en suis redevable. J'espère que vous accepterez de vous entraîner de temps en temps avec moi, à nouveau, dans un cadre plus amical et moins protocolaire."

-Volontiers : vous êtes l'une des plus fines lames qu'il m'ait été donné de croiser, et je ne pourrais donc rêver meilleur partenaire d'entraînement. Quant à notre duel d'hier, c'est moi qui vous suis redevable : vous m'avez poussé à me battre comme je ne l'avais plus fait depuis bien longtemps. Certes, être piqué au vif pour une histoire de lances brisées, c'est assez... puéril, pour le moins, mais je crois que j'avais besoin d'être un peu secoué pour puiser dans mes ressources et retrouver mon niveau de jadis. Ce qui était fondamental, vu le voyage que nous nous apprêtons à faire. Je ne peux donc que vous remercier à mon tour.

" C'était avec un réel plaisir." dit le paladin.
Il ne put s'empêcher de sourire.
" Mais je retiendrai que vous êtes sanguin !" ajouta-t-il, mutin.
Son regard tomba sur l'armure que le chevalier et son écuyer étaient en train de nettoyer.
" Edgar m'a appris que vous aviez passé une partie de la nuit à ranger la lice. Je suis très honteux de ne pas vous avoir aidé... Je crains d'avoir eu l'esprit occupé par d'autres... tracas..."
Il grimaça une seconde.
" Mais il m'a dit que vous pourriez, en conséquence, avoir une idée de l'endroit où je pourrais retrouver mon harnois, que j'ai abandonné derrière moi..."

-Vous savez, ça n'a guère pris de temps : quand nous nous sommes croisés, sur la plage, c'était déjà terminé. A force d'être sans cesse sur les routes, de monter, de démonter, nous avons gagné en efficacité... Pour votre harnois, je me suis permis de le ramener ici. Il est juste sur votre droite.
De fait, l'armure se trouvait dans un coin de la tente, disposée avec soin.
Disposée avec soin et... rutilante de propreté.

Hubert resta stupéfait.
" Ah misère, vous l'avez nettoyé pour moi... souffla-t-il. Vous n'auriez pas dû, je ne méritais pas un tel égard..."
Il s'approcha d'un pas et se pencha.
" Je crois qu'il n'a jamais été aussi propre, pas même du temps des inspections hebdomadaires à la commanderie..."

-Comme nous n'avions rien parié avant le combat, comme c'était une impardonnable entorse à la tradition, j'ai vu là un bon moyen de remédier à ce manquement, répondit Robert. Non, en réalité, c'est surtout que des armures dans des états tels que l'étaient les nôtres, ça ne s'était pas présenté, ces derniers mois. J'ai donc pensé qu'il s'agissait d'une excellente occasion pour apprendre à Alban comment procéder en pareil cas et pour lui permettre de s'exercer sur deux armures différentes.

Hubert se tourna vers le chevalier, puis vers l'écuyer.
" Et bien, je vous remercie tous les deux pour ce superbe travail. C'est à peine si je vais oser le porter, maintenant..."
Il refit face à son harnois et en effleura le plastron, presque timidement. Il était sincèrement touché par le geste.
" Puis-je vous être utile d'une manière ou d'une autre ? Je peux peut-être vous aider avec cette seconde armure, à moins que je ne puisse faire autre chose pour vous rendre service... J'étais censé cavaler derrière trois cents gosses déchaînés, et ils se sont subitement tous évaporés dans l'air, alors..."

-Ah oui, c'est vrai.. Je suis sincèrement désolé pour cette histoire, Hubert. Je n'ose même pas imaginer à quel point cela a dû assombrir votre soirée. Je vous assure que j'ai tout fait pour m'opposer à cette plaisanterie, mais il est des interlocuteurs avec lesquels essayer de sortir victorieux lors d'un débat est purement impossible. Pour moi, en tout cas.
Il soupira.
-Sinon, concernant votre armure, ce n'est vraiment rien. Il s'agissait réellement d'une opportunité à ne pas manquer. Bon, évidemment, si vous vous ennuyez, vous êtes le bienvenu. Mais vous pouvez aussi profiter de cette journée, rattraper quelques-unes des heures de détente qu'on vous a gâché, hier soir...

" Je crois que malheureusement, la fête est finie... dit le paladin avec un léger sourire. Je vais vous aider."
Il s'approcha de l'armure au sol et s'accroupit. Il leva ensuite les yeux sur Alban.
" Ce qui me fait penser que je ne t'ai pas félicité pour ta victoire d'hier soir, Alban. C'était un superbe duel que vous avez livré, Ruth et toi. Tu es déjà très doué, j'ai été très impressionné. J'espère qu'Agnès ne t'a pas complètement privé de réjouissances..."

Le gamin redevint derechef cramoisi et baissa obstinément les yeux sur les pièces du harnois qu'il s'était remis à nettoyer. Mais il finit malgré tout par répondre, d'une toute petite voix :
-Si, j'ai dû aller tout de suite au lit. Mais dame Agnès avait raison, j'avais besoin de me reposer. Et si j'avais pas fait l'idiot, si j'avais accepté votre magie, on en serait pas arrivés là, donc je peux m'en prendre qu'à moi.
Il soupira.
-Et pour le duel... Merci, messire. Mais j'ai gagné juste parce que Ruth a pas assez fait attention après sa dernière attaque. Si elle avait pensé à se défendre, je l'aurais pas désarmée, et c'est elle qui m'aurait battu...

Hubert sourit.
" Je suis désolé d'avoir précipité la fin de ta soirée... Mais nous aurons sûrement d'autres occasions de nous rattraper et de faire la fête."
Il finit par s'asseoir sur le col et saisit un morceau de l'armure qui n'avait pas encore été nettoyé.
" Et tu ne dois pas minimiser tes prouesses d'hier... Si Ruth avait été clairement inférieure à toi, il n'y aurait nulle gloire à l'avoir vaincue. Vous étiez bien assortis, votre affrontement était passionnant, et au final, le meilleur l'a remporté. Certes, elle a commis une erreur sur sa dernière attaque, mais tu l'as vue et parfaitement exploitée, en dépit de la fatigue qui devait déjà être la vôtre. Tu as l'oeil, la détermination, l'énergie, la technique... C'était un beau combat. Et, honnêtement, Alban, c'est rare que des écuyers offrent un spectacle de cette qualité. Souvent, ce sont des escarmouches où on perçoit la réflexion intense derrière chaque coup, le calcul du mouvement, du placement, le manque d'expérience en somme, cela donne lieu à des pantomimes hachées, presque artificielles. Ruth et toi étiez complètement dans votre duel, naturels, concentrés et efficaces. De vrais chevaliers en devenir."

-Je sais pas s'il y en a beaucoup, des filles chevaliers, souffla-t-il. Mais des filles paladins, ça, je sais que oui. Et je suis sûr que Ruth elle serait un super écuyer. En plus, comme ça, elle pourrait plus utiliser sa botte secrète, l'honneur lui l'interdirait... Franchement, j'ai eu peur qu'elle l'utilise, hier. Heureusement qu'elle l'a pas fait. J'y ai déjà eu droit une fois, et ça m'a suffi pour toute une vie.

Hubert ne put s'empêcher de rire.
" Ça je peux imaginer... Mais c'est une botte secrète qu'elle ne pourra de toute façon plus utiliser dès qu'elle aura affaire à des adversaires en armure. C'est quand même une des premières zones que l'on protège."
Quant au devenir de la gamine, il préférait ne pas s'avancer. Il n'y aurait pas de commanderie dans leur ville nouvelle avant longtemps, et Ruth serait alors trop âgée pour se lancer dans une telle carrière. Le mieux qu'elle puisse espérer était de devenir une guerrière de bon niveau, et il n'y avait nulle honte à ça. Il hésitait toujours à parler à Robert d'un éventuel arrangement la concernant, mais il estimait qu'il lui faudrait approcher le chevalier en l'absence d'Alban. Si Robert venait à refuser qu'il la prenne sous son aile, il ne voulait pas que l'écuyer en soit témoin, sans doute pour protéger l'intimité de la gamine.

-Vivement que j'aie une armure, alors, répondit-il. En tout cas, merci pour ce que vous avez dit pour le combat, c'était très gentil. Et... heu... Je vous présente mes excuse pour mon attitude stupide d'hier. Être mauvais perdant, c'est pas du tout chevaleresque. J'ai encore des tas de chose à apprendre, mais... Je ferai de gros efforts.
Robert, qui s'était bien gardé d'intervenir dans la discussion, gratifia l'enfant d'un sourire satisfait et non dépourvu d'un brin de fierté.

" Ne t'en fais pas, Alban. Même s'il est important d'accepter la défaite, il serait étrange de n'en ressentir nul regret. C'est lui qui nous mène à nous perfectionner et à nous dépasser ensuite. Je sais que si j'avais perdu, hier, j'aurais été de très mauvaise humeur pendant bien plus longtemps que toi, ou ton digne maître."
Il sourit à Robert.
" Mais j'accepte donc tes excuses."

-Merci, murmura le gamin.
Le silence s'installa quelques minutes, comme ils s'occupaient du harnois, puis Robert prit la parole.
-Alban ? Pourrais-tu aller voir si Frida est prête pour la réunion ? Nous devons préparer l'assemblée de ce soir...
Le garçon bondit sur ses pieds.
-Tout de suite. Mais... votre armure ?
-Ne t'inquiète pas, nous n'y toucherons pas en ton absence.
L'instant suivant, les deux hommes étaient seuls.

Comme ils avaient promis de ne plus toucher au harnois, Hubert se redressa un moment, et sauta sur l'occasion que venait de lui offrir le chevalier.
" Robert, je voudrais profiter de l'absence d'Alban pour vous parler de Ruth, dit-il sans circonvolutions. Je n'avais pas l'intention de prendre d'écuyer. Comme vous le savez, je ne me suis engagé que pour le trajet jusqu'à la cité, avec l'option, peut-être, de changer d'avis ensuite. Mais j'ai un engagement pré-existant envers Albérich, et je le suivrai s'il décide de ne pas s'établir dans la communauté. En cela, je ne peux pas me permettre de lier la vie d'une autre personne à la mienne. Je ne sais pas de quoi sera fait demain."
Il croisa les bras.
" De plus, je n'ai jamais eu d'écuyer à l'ancienne. Les règles étaient différentes à la commanderie. Je ne suis pas certain de pouvoir supporter qu'un enfant me suive partout, observant mes moindres faits et gestes comme s'ils étaient l'exemple à suivre en toute occasion... Je ne suis pas de noble extraction, vous le savez aussi."
Il sourit.
" Cependant, je voudrais pouvoir aider Ruth, s'il vous semble que cela peut s'organiser sans enfreindre les principes d'égalité entre les membres de la communauté. Je pense que je pourrais prendre un peu de temps, chaque jour, pour l'entraîner en tête à tête, et puis la former dans d'autres registres... armes, armures... un peu comme un écuyer, je suppose... lui apprendre à tempérer ses élans, aussi. J'ai eu l'impression d'avoir une certaine autorité sur elle, peut-être plus que d'autres... Je ne sais pas bien. Je ne sais pas non plus ce que vous en pensez."

-Je pense que c'est une excellente idée,répondit simplement Robert. Cette petite est très douée, et si on l'aide à canaliser son énergie et son tempérament enflammé, elle pourrait faire des merveilles. Alors pourquoi la priver d'une telle opportunité ? Offrir une chance à chacun, en tenant compte de son potentiel et non de ses origines, est l'un des buts de notre communauté, après tout. Et ce que vous proposez ne me semble en rien contraire au principe d'égalité. Nous sommes tous encouragés à partager nos connaissances avec la jeune génération. Pour l'heure, cela se fait de manière très traditionnelle : les artisans prennent des apprentis et les chevaliers des écuyers - cette dernière pratique pouvant, pour le coup, apparaître comme un privilège inégalitaire. Mais il y a à coup sûr des formes nouvelles a inventer, et il se peut que d'autres vous emboîtent le pas, que les instructeurs ou les soldats, par exemple, décident de donner des cours particuliers à des enfants qui manifestent des aptitudes particulières... Bref, je ne peux que vous encourager dans votre projet, Hubert.

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