La Couronne de Cuivre

Il avait vu juste. Terriblement juste.
-Je comprends ce que vous ressentez. Je le comprends d'autant mieux que s'il vous avait fait du mal, à toi et à Jehan, je l'aurais tué de mes mains. J'avais prévenu Guéric. Mais...
Il chercha ses mots.
-Mais il semble qu'il ait été possédé. Tu sais, il y a bien des sorts pour contraindre les gens à faire ce dont ils n'ont pas envie. Et bien des êtres sont capables de les lancer. Philibert n'avait-il pas dit ressentir... une présence ? Alors, oui, son corps à commis des choses atroces. Mais son esprit n'y est peut-être pour rien. Le punir, dans ces conditions, ne serait-ce pas... injuste ?
Il grimaça.
-Je pense... Je pense que, d'entre tous, tu es le mieux à même de comprendre cela, Victor. Tu me connais. Tu sais ce que j'ai fait. Et alors même que je n'étais pas possédé. alors que j'avais simplement la mince excuse de la folie... Toi et Galathée avez accepté de me laisser une chance.

L'argument sembla toucher l'enfant qui grimaça et demeura silencieux quelques secondes.
" Mais comment sait-on qu'il ne va pas recommencer ? C'est un Mélandien. Il est... voué aux dieux méchants. Même s'il a été poussé par une entité... Où est-elle, désormais, cette entité ? Peut-être ment-il... Peut-être est-ce juste une excuse pour se laisser aller à ses penchants... Personne ne lui fera plus confiance, tu le sais ! Fred dit que Ruyven a failli le tuer !"

-Je sais. Et je me vois mal expliquer aux autres ce que je viens de t'expliquer. En revanche... Non, il ne ment pas. Martin a pu l'observer, quand on l'a capturé. Et il a vu le changement qui s'est produit quand on lui a passé l'amulette au cou.
Il désigna celle que portait l'enfant.
-C'est le pipeau qui nous les a données. Et s'il l'a fait, ce n'est pas pour rien. Philibert est revenu à lui dès qu'il a porté la sienne. Cela, on pourrait l'expliquer aux autres. Ce qui ne règlera pas totalement le problème de la confiance, évidemment. Même pour moi : il est hors de question que je le laisse seul avec toi. Amulettes ou pas.

" Alors j'imagine qu'il vaut aussi bien que Griselda." fit-il. " Les autorités luméniennes décideront de son sort lorsqu'elles arriveront."
Il haussa les épaules.
" Je peux essayer de convaincre Fred et George de ce genre de choses. Seulement si vous promettez que vous ne le détacherez pas et qu'il restera prisonnier jusqu'au bout."

-Même si nous sommes attaqués, si une épée de plus ferait la différence ? demanda-t-il. Même si nous avons des tâches à accomplir pour lesquelles des bras supplémentaires seraient cruciaux ? Nous sommes si peu, Victor. Une poignée. Et tout le monde... tout le monde ne sera pas forcément en état de nous aider. Je n'ai pas envie de le libérer, je n'ai pas envie de devoir perdre une énergie précieuse à le surveiller. Mais... Je préfère parer à toutes les éventualités.

" Il est aveugle, quelle épée veux-tu qu'il tienne ?" grommela Victor. " A moins que tu ne comptes gaspiller un air de pipeau pour lui venir en aide ?"
Il secoua la tête.
" Un groupe soudé, uni, constitué de peu de personnes, vaut mieux qu'un groupe élargi où règne la méfiance." dit-il avec une gravité peu adaptée à son âge. " Mais si tu veux t'en servir comme d'un baudet, ma foi..."

-Je ne sais pas, je n'ai encore rien imaginé. Et c'est Guéric qui décidera, en dernier recours : c'est lui le chef. Simplement... je sais que, dans certaines situations, chacun peut être amené à accomplir des miracles. Et que... la mansuétude d'autrui, le pardon peuvent métamorphoser même le plus endurci des criminels, peuvent l'amener à se surpasser. Pas toujours, évidemment. Mais ça arrive.

Victor sembla à moitié convaincu.
" Et bien... Moi non plus, je ne suis pas le chef. Je ne peux pas non plus faire de promesses. J'essaierai de tempérer les plus... décidés... J'essaierai."
Fred, George et Jehan regardaient dans sa direction, suspicieux.
" Je vais y retourner." dit-il.
Puis il s'éloigna et regagna le groupe des plus jeunes.

Avec un soupir, ne doutant pas, cependant, que Victor ferait son mieux, l'elfe se mit en quête de Guéric : il y avait encore beaucoup de choses à discuter, beaucoup de rôles à distribuer...
Tant à faire. Et si peu de temps. Car, oui, les pirates ne tarderaient plus à explorer les cavernes. A moins, bien sûr, qu'ils ne soient pas venus pour le trésor.
Il en doutait.

Guéric l'attendait à table, toujours devant sa carte. Il lui servit un verre de vin, poussa une assiette de fruits secs dans sa direction, puis soupira.
" Bon. Nous devons prendre une série de décisions. Pour l'instant, plus personne ne surveille la grotte des pirates. Et nous ne construisons plus de bateau. Il y a cette histoire de trésor, mais nous n'avons aucune certitude quant aux tunnels qui y mènent... et l'imminence d'une invasion, de surcroît. Je dois dire que le fait qu'ils ne soient pas encore descendus me donne la mauvaise impression qu'ils ont peut-être commencé par explorer le nord de l'île... et je me pose des questions sur les pièges que nous avons disséminés dans les couloirs... Ils nous trahissent autant qu'ils nous protègent. Et je ne sais pas par où commencer. J'ai toujours été un exécutant, jamais un commanditaire. Quel est ton avis ?"

Il fit la moue.
-En commanditaire, je ne suis pas certain d'avoir été d'une efficacité flagrante, et si j'ai jamais "réussi" certaines choses, c'est simplement parce que j'étais bien conseillé. En la circonstance, vraiment, je n'ai pas d'idée particulière... Continuer à surveiller les pirates me semble néanmoins essentiel, pour être fixé sur leurs intentions. Explorer les tunnels aussi, en espérant que nous trouvions l'entrée de la grotte du dragon : je suis peut-être trop optimiste, mais je crois que nous devons impérativement jeter un œil au trésor avant que les pirates ne s'en chargent. Au pire, on pourrait descendre du balcon sur lequel les enfants et moi nous sommes tenus, en installant des cordes... Quant au bateau... C'est notre seul moyen de repli. Il faudrait recommencer les travaux. Ou utiliser le pipeau, et prier pour qu'il nous en fournisse un.

" Très bien. Ça nous fait : construire une barque ou nous en procurer une, surveiller les pirates, explorer la caverne du dragon... et les couloirs alentours. Deux personnes suffisent pour faire le guet. Pour l'embarcation, ça va dépendre de ton pipeau... Pour le dragon... J'imagine qu'il faudra être trois minimum... En comptant que si nous voulons conserver un roulement au guet, certains doivent se reposer... Et j'ai l'impression qu'il y a certaines équipes à éviter si nous voulons conserver un semblant d'harmonie."
Il soupira.
" Je me demande si je ne ferais pas mieux de supprimer le Mélandien, vraiment. Ses perspectives sont limitées, de toute façon. Et il nous encombre."

-J'ai discuté avec Victor. Les autres seraient pour qu'on le supprime, oui. Mais... Il va essayer de voir s'il ne peut pas les convaincre d'accepter de le laisser en vie, pour peu qu'il soit attaché. Je fais peut-être preuve de sensiblerie, mais s'il n'est pas responsable... Enfin bref. On verra ce qu'ils en disent. Peut-être que si on en le tue pas, on pourra l'utiliser plus tard. Peut-être aura-t-il à cœur de faire ses preuves. Il voulait vraiment nous aider, avant. Je l'ai vu travailler sur le plan de l'embarcation. Je crois qu'il était heureux de pouvoir contribuer à notre survie.

" Je ne dis pas. Mais s'il sème la zizanie par sa simple présence... Enfin. Nous aviserons. Si nous le gardons ici, sous la garde de Goran, par exemple, et que les autres sont au loin... Ils penseront à autre chose."
Il hésita.
" Bon. Comment diviser le groupe ? J'imagine qu'on va commencer par cette cérémonie pour Elerinna. Puis on pourra se mettre en route..."

-Oui...
Il repoussa son assiette désormais vide, et termina son vin.
-Pour la répartition, je ne sais pas vraiment... Les jumeaux devront sans doute être mis avec quelqu'un en qui ils ont confiance et a qui ils obéiront. Pour les explorations, Martin est comme toujours incontournable. Pour le guet... Il faut des personnes qui ne s'endormiront pas et sauront regagner le camp pour nous prévenir si, d'aventure, elles surprennent une discussion importante, ou des mouvements suspects. Au niveau du bateau... On verra qui est prêt à aller dans cette salle.

" Tu es meilleur juge de caractère que je ne le suis." murmura-t-il. " Bellyra devrait pouvoir faire le guet... avec l'un des jumeaux. Peut-être le même que hier. Ruyven et l'autre jumeau n'ont pas vu la grotte... mais ils ne savent pas jouer de pipeau. Les gamins retrouveront leur dragon. Martin sera de la fête. Hum. Mais qui va dormir, dans ce cas ? Nos effectifs sont limités. En fait, ce que nous devrions faire, c'est... déménager ce campement dans la zone où tout se trouve. Cela fait une longue trotte et il y a beaucoup de matériel, mais... le pipeau pourrait nous offrir un nouveau refuge... et nous n'aurions pas à nous déplacer sans cesse, des heures, pour atteindre l'endroit où tout se passe."

-Mais dans le même temps, nous nous rapprocherions dangereusement des pirates. Et des zones qu'ils sont susceptibles d'explorer...
Il tambourina des doigts sur la table de pierre.
-La grotte où les garçons et moi avons campé était vraiment bien située. Et pour y accéder, il fallait soit emprunter le boyau où on ne peut passer qu'en rampant et en se tortillant, soit, depuis la salle du trésor, escalader la roche jusqu'au balcon. Si nous nous installions là, nous pourrions tenir le siège très longtemps... Mais on peut sans doute trouver encore mieux. Et le pipeau peut faire preuve d'une imagination sans limites, j'en suis certain.

" Si notre idée est de conserver une porte de sortie, la grotte marine me parait plus indiquée que la caverne juste voisine du trésor qu'ils convoitent... Non, peut-être devrions-nous, dans un premier temps, simplement éviter les aller-retours inutiles en emportant de quoi camper, le cas échéant. Un peu de nourriture, des couvertures, quelque chose comme ça. De toute façon, nous devons gérer Griselda, le Mélandien... Nous ne sommes pas aussi mobiles que nous pourrions le rêver."
Il soupira.
" Bon. Où veux-tu aller ?"

Il haussa les épaules.
-Peu importe. Il faudra que je passe par la grotte marine pour tester le pipeau, déjà. Ah, et tous ceux qui y rentreront devront impérativement porter les médaillons. Je ne sais pas si la chose qui a envoûté Philibert y réside, mais ne prenons aucun risque. Pour le reste, tout me va. Ah, et... Je sais, ce n'est sans doute pas très opportun, ni très pragmatique, mais... Je serai plus tranquille, compte tenu de ce qui s'est passé, si je n'étais pas trop éloigné des gosses.

" Très bien, il ne nous reste plus qu'à attendre que tout ce beau monde se réveille." fit le halfelin. " Tu iras à la grotte avec Ruyven et George. Je te précèderai avec les gosses et Martin jusqu'au dragon, et tu nous y rejoindras. Je pense que vous ne pouvez pas vous passer de moi à cet égard : les chances que le trésor soit piégé par endroits sont très élevées et ce serait dommage de finir carbonisés alors que jusqu'ici, les pirates ne nous ont pas trouvés."

-Oh oui, ce serait dommage... Mais le mieux serait d'éviter les pièges et de les laisser en place pour nos amis pirates : on ne va pas leur mâcher le travail, tout de même, et s'ils peuvent périr par grappes entières pendant l'opération, ce serait pour nous pain béni !
Il sourit.
-Et, qui sait ? D'ici peu, nous disposerons peut-être d'un navire et d'armes puissantes ! Je sais, tu préfère le réalisme, mais... Envisager de bonnes choses pour l'avenir, sans pour autant négliger les dangers qui se dressent sur notre route, ce n'est pas mauvais en soi.

Guéric leva les yeux au ciel mais ne se départit pas d'un léger sourire.
" Bon, je vais me préparer puis je les secouerai..."
Il soupira.
" Cela dit, vu que les gamins n'ont pas dormi, eux, nous ne sommes pas prêts de partir. Les jours, les nuits... Nous ferions sans doute mieux d'attendre l'aube. La vraie. Puis d'essayer de respecter un minimum le rythme des journées... Je ne sais pas. Tout le monde est décalé. Au moment où Bellyra et Ruyven seront prêts à se mettre en mouvement, George et Fred auront envie de piquer un petit roupillon. La discipline, voilà ce qui nous manque. Si seulement Constance était là... Ou Gauthier. Je suis certain que ce genre de... foutoir ne leur arriverait pas."

-Les garçons ont dormi, tu sais... Avant mon arrivée, déjà. Au moins Jehan, en tout cas. Et après... Nous nous sommes couchés en même temps. Je ne sais si leur sommeil à duré longtemps, mais... Enfin voilà, ils ont dormi. Je te rejoins néanmoins pour la discipline : il faudra que nous nous organisions mieux, que nous fixions des quarts, peut-être. Comme sur un navire. Mais là, tu t'y connais bien mieux que moi.

" Que tu crois. Il est différent d'obéir aux ordres d'une dragonne en laquelle tu as parfaite confiance et de faire équipe avec trois personnes qui sont comme des frères, que de diriger une bande de bras cassés, qui veulent s'étriper, forniquer ou gambader dans les tunnels."
Il secoua la tête.
" Je vais réveiller ce pauvre Martin."

Et le pauvre Martin manifesta, pour une fois, sa mauvaise humeur, accusant le halfelin de l'avoir forcé à se coucher, tout ça pour le réveiller à peine une heure plus tard. Mais il s'habilla quand même rapidement, puis alla réveiller Bellyra et Ruyven pour leur faire part des projets immédiats : l'ensevelissement d'Elerinna. Il fut décidé qu'elle serait recouverte d'un tumulus de pierres, dans la grotte voisine. Il leur fallut donc rassembler de quoi et tout le monde fut mis à contribution pour ce grand ramassage, à l'exception de Griselda et Philibert. Une fois un nombre impressionnant de cailloux rassemblés, Martin et Guéric s'isolèrent un moment pour emballer le cadavre dans une couverture propre. Ensuite, une petite cérémonie fut improvisée. Les courtisans prirent la parole, ainsi que Goran. Les autres assistèrent. Apparemment, Elerinna avait prié Lliira, la déesse de la joie, de son vivant, aussi lui adressèrent-ils quelques mots, même si aucun d'entre eux ne paraissait réellement pieux. Tous louèrent la bonne nature de la courtisane, sa bienveillance et son humour, sa subtilité, Bellyra évoqua les rêves de marin amoureux qu'avait toujours eu la jeune humaine, lui souhaita de rencontrer son promis dans l'au-delà, des larmes dans les yeux et la voix. Ruyven intervint avec une colère à peine muselée, maudissant à demi-mots le destin qui ravissait les plus méritants pour laisser survivre la lie. Goran rendit hommage à la manière dont elle était restée digne en dépit de la profession qu'elle exerçait. Martin honora ce qu'elle avait été, insistant sur l'importance de garder ce qu'elle avait été, pas comment elle avait fini. Puis ce fut terminé. Chacun fut invité à venir empiler sa pierre, puis ses pierres, jusqu'à ce que le corps soit complètement enseveli. Fred et George étaient silencieux mais manifestement révoltés. Les enfants étaient très impressionnés, et tristes. Guéric demeura recueilli mais attentif.

C'est peut-être seulement à cet instant précis, lorsque la dernière pierre fut déposée sur le tumulus, que le barde réalisa vraiment qu'Elerinna était morte.
Jusqu'ici, il n'avait pas réellement eu le temps de réfléchir à la chose, d'abord occupé à rechercher les enfants, puis à les ramener, à discuter stratégie... Et même s'il avait vu le cadavre de la courtisane, il était trop préoccupé par ceux qu'il risquait de découvrir pour s'y attarder.
Maintenant, il réalisait.
Leur perte était immense. Sans exagération. La jeune femme avait été, depuis le départ, celle qui maintenait leur groupe soudé, qui apaisait les tensions, qui allait vers les plus fragiles ou les plus affectés. Elle avait défendu le Mélandien, l'avait aidé. Elle était venu le voir, lui, lorsque le poids de ses fautes l'avait terrassé. Elle avait occupé les garçons, aussi...
Et, auparavant, alors que rien de tout ce drame ne s'était encore joué, c'était la seule, spontanément, à être venu le trouver, tandis qu'il s'ennuyait ferme dans la salle commune de l'auberge.
Et voici qu'elle n'était plus là. Tuée non pas par l'ennemi, mais par l'un des leurs, pris de folie. Ou possédée.
La chose lui apparut dans toute son horreur.
Oui, il y avait de quoi maudire le destin...
Il avait la gorge nouée. Il fit effort pour se ressaisir, pourtant. Il s'en voulait de ne pas avoir essayé de la ramener grâce au pipeau, tout en sachant que les chances étaient quasiment inexistantes. Et puis, ils avaient cruellement besoin des "Demoiselles" pour mener à bien leurs diverses tâches. Le bateau, surtout.
Il fallait d'abord penser aux vivants. S'il se tiraient d'affaire - quand ils se tireraient d'affaire -, il essayerait le pipeau. S'il pouvait ramener les trépassés, il le ferait, quelques jours n'y changeraient rien.

Guéric, raisonnable, finit par pousser les gens à partir. Bellyra et Ruyven s'attardèrent les derniers, Martin convainquit Guéric de les laisser en paix, et le reste du groupe se rassembla dans la salle voisine pour écouter les directives du halfelin. Goran fut, comme prévu, préposé à la garde de leur caverne. Cela l'arrangeait bien car il ne se sentait pas encore vraiment d'attaque. Fred ne se montra pas franchement ravi de retourner faire le guet, mais il ne se plaignit pas. Quand Bellyra le rejoignit, elle lui tapota l'épaule et lui murmura quelque chose qui amena un sourire bienvenu sur ses lèvres. Ruyven et George étaient sceptiques d'avoir à construire la barque sans aide extérieure, mais Victor leur dit que le plan se trouvait peut-être encore quelque part. La mention du trésor amena son lot de questions : tout le monde n'était pas encore au courant. Mais Guéric repoussa les grandes interrogations à plus tard pour envoyer tout le monde à son paquetage. Le départ était imminent.

Le barde bourra son sac du matériel habituel : quelques vêtements de rechange - qui pourraient servir à lui comme à d'autres -, des couvertures, de la corde, une lampe, une outre d'eau et quelques provisions. Puis il récupéra son épée, à tout hasard, et veilla à ce que Ruyven et George portent les si précieux médaillons : il n'était pas question que le drame se reproduise, que l'être aux pouvoirs d'envoûtement se manifeste à nouveau.
Quand tout fût prêt, il rejoignit Guéric.
-Que dirais-tu si nous nous chargions, chacun, de quelques planches et de quelques outils supplémentaires ? Si le pipeau ne nous offre pas un navire, il faudra bien le construire. Et ce qui est entreposé là-bas est encore beaucoup trop insuffisant. De plus, comme nous partons nombreux, et comme notre itinéraire restera le même jusqu'au boyau menant à la grotte marine... Ce serait l'occasion rêvée.

Guéric acquiesça.
" Cela ne va pas nous faciliter la tâche, ni nous rendre plus rapides, mais nous n'en sommes plus là." fit-il. " Très bien..."
Il se tourna vers le groupe qui terminait ses préparatifs.
" On embarque du bois pour le bateau. Que chacun se charge de ce qu'il estime dans ses cordes. Vous commencez à connaître les boyaux donc, si certaines choses doivent être sciées, faites-le avant le départ. Ne lésinez pas sur les couvertures et les provisions, certains d'entre nous seront peut-être amenés à rester à l'est plus longtemps que prévu."
Il y eut un murmure d'assentiment parmi les rescapés, et ils se mirent à l'ouvrage. Il ne restait malheureusement pas des tonnes de bois. Sans fournitures de l'extérieur et sans pipeau, ils seraient contraints de construire un bateau de petite taille. Mais certains des dons de l'instrument, comme les lits de camp qui étaient restés dans la grotte, pourraient également s'avérer de précieux matériaux.
Une fois parée, la colonne s'avança vers la nuit, saluant Goran et la tranquille quiétude de la caverne douillette.

Les adieux à Elerinna avaient eu un effet certain sur l'elfe : outre la tristesse propre à ce genre de cérémonie, outre la conscience aiguë de la perte subie, l'espèce d'euphorie qui l'habitait depuis les retrouvailles avec les enfants s'était étiolée, déchirée. Il savait son soulagement factice, lié à la conclusion heureuse d'un incident qui n'aurait jamais dû être. Leur situation n'était en rien changée, était toujours aussi précaire, désespérée. Les pirates allaient sous peu se lancer dans l'exploration des galeries. Avaient peut-être, déjà, trouvé le groupe de Valaellyn...
Cette seule idée lui arrachait des frissons.
Il fit néanmoins en sorte de se concentrer sur l'instant présent et ceux qui l'entouraient. Il y avait des tâches à accomplir, cruciales, décisives. Il fallait qu'il se consacre tout entier à celles-ci, qu'il ne se préoccupe, pour l'heure, que des choses à sa portée.

Un peu moins de deux heures plus tard, ils parvinrent au pied du boyau humide qui menait à la grotte marine. Ce fut le lieu de leur séparation : tandis que le gros du groupe continuait sa route, Ruyven, George et Taliesin devaient rallier des lieux marqués par le sceau du désastre. Ni le courtisan, ni le Luménien ne s'y étaient rendus auparavant, et il revint donc au barde d'ouvrir la route. Les deux hommes qui l'accompagnaient étaient relativement athlétiques, aussi se hissèrent-ils à sa suite sans réelle difficulté. Il avait été convenu que les autres abandonneraient leurs fournitures dans le couloir et que les deux charpentiers improvisés feraient quelques aller-retours pour tout ramener. Un silence recueilli régna cependant lorsqu'ils entrèrent dans la caverne marine. Elle n'avait pas changé depuis la visite nocturne que Taliesin en avait faite des heures plus tôt. L'aube ne tarderait pas à poindre, mais le ciel était encore gris sombre, tel qu'on le devinait au travers de l'arche, au loin. George se dirigea vers le bord de l'eau. Ruyven alla fureter près des affaires empilées à la va-vite dans un coin.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Mersant

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 7.

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