La Couronne de Cuivre

Désireux de ne pas perdre de temps, d'être fixé au plus vite, mal à l'aise cependant à l'idée de jouer, en ce lieu de sinistre mémoire, un air grivois, Taliesin gagna le bord de l'eau. Il resta un moment à l'observer, se demandant si la créature qui avait rendu Philibert fou s'y tenait tapie, guettant une nouvelle opportunité de frapper. Mais ils étaient protégés par les médaillons... Il fallait juste espérer qu'ils les protégeraient de tout ses pouvoirs.
Tirant l'instrument de sa poche, il essaya de concentrer ses pensées, de visualiser le navire qui leur permettrait de s'enfuir de Mersant, d'échapper aux pirates. Il se doutait que cela ne servirait à rien, que le pipeau restait seul juge de ce qu'il leur offrait. Il n'empêche : il ne perdait rien à essayer.
Enfin, après une dernière hésitation, il joua le morceau.

Le petit air s'égrena dans la salle froide, puis fut repris en écho sur les parois de la grotte. Même lorsqu'il en eut terminé, eut été aveuglé par le bref éclair lumineux, Taliesin eut encore l'impression d'entendre des notes s'attarder autour de lui. Mais le pipeau avait fonctionné, quelque chose s'était produit. Point de navire, cependant. Un morceau de parchemin et quatre cailloux. Bleus. Ternes. Le parchemin, par contre, était plus immédiatement intéressant : c'était une carte, extrêmement précise et annotée, des sous-sols de Mersant.

Espérant que la mélodie n'aurait pas filtré jusqu'aux oreilles de quelque guetteur ennemi, le barde adressa un sourire contrit à ses compagnons.
-Je suis désolé, mais il semble que le pipeau a estimé plus utile de nous offrir ces cailloux et cette carte qu'un fringant bâtiment.
Il mit les quatre cailloux dans sa poche, bien décidé à tester leurs effets dès qu'il le pourrait, puis plia soigneusement la carte et la rangea dans son sac, afin que l'eau coulant dans le boyau ne puisse l'atteindre.
-Le côté positif, c'est que nous n'aurons plus à nous occuper de l'exploration : tout y est indiqué. On devrait donc pouvoir rapidement vous envoyer des renforts ! Bon courage, en tout cas.
Et de filer. Il devait retrouver Guéric et Martin au plus vite : cette carte pouvait grandement influencer leurs stratégies à venir.

Les deux hommes ne s'étaient pas réellement attendus à un miracle, aussi saluèrent-ils Taliesin avec bonhommie avant de se mettre au travail. Apparemment, Ruyven avait remis la main sur un morceau de plan et ils escomptaient user de leur bon sens pour le reste.
Le barde put ainsi regagner le couloir principal, après une nouvelle descente dans l'eau glacée, et s'élancer sur les pas de Guéric, Martin et des deux enfants. Ceux-ci avaient cependant une bonne avance et il ne les rejoignit que dans la caverne aux piliers. Ils s'étaient délestés de leurs sacs et avaient constitué un semblant de campement. Ils s'apprêtaient à gagner la salle au trésor.

-Pas de bateau surgi du néant, annonça-t-il sitôt parvenu à leur hauteur. Le pipeau a préféré nous gratifier d'un autre don.
Il tira la carte, la déploya devant ses compagnons.
-Voilà qui devrait nous épargner des explorations périlleuses, nous offrir un excellent support pour nos plans à venir et, qui sait, nous révéler la présence des tunnels dont nous rêvions. Il y avait également quatre cailloux - il les présenta dans sa paume ouverte - dont l'usage m'échappe encore. Mais... Vu l'utilité incroyable du précédent, je gage qu'ils nous serviront beaucoup, à un moment ou à un autre.

" Il a pris son temps, ce maudit." grommela Martin. " Toutes ces heures de pérégrination pour rien..."
Guéric ne releva pas et étala la carte devant eux. Elle semblait ancienne, presque usée, comme si, loin d'avoir été créée de rien, elle s'était simplement déplacé dans le temps ou l'espace. Ils se repérèrent rapidement et apprirent un certain nombre de choses. D'abord, les couloirs sud, qu'ils hantaient, ne communiquaient pas avec le réseau nord. S'ils devaient, un jour, joindre l'autre groupe, il leur faudrait sortir. La carte était cependant moins détaillée dans cette partie de l'île : celui qui l'avait tracée était manifestement davantage intéressé par le trésor du dragon, lequel figurait au centre du dessin. Le couloir qui y menait directement se tortillait longtemps, comme un serpent dans la pierre, sans le moindre affluent. Il débouchait dans leur réseau après bien des méandres, et surtout, après l'endroit où le coin qu'occupaient les pirates ne s'y joignait. Ils avaient un certain parcours à effectuer avant de pénétrer dans les couloirs que connaissaient déjà les rescapés, mais ils étaient nombreux... et probablement déterminés.

Tout aurait été si simple si le réseau nord avait été relié au leur : ils auraient pu rejoindre l'autre groupe, le ramener, s'enfermer avec lui dans la caverne fortifiée que, peut-être, pourrait leur offrir le pipeau. Et alors, ils auraient pu attendre...
Mais non : il n'en était rien.
Et si leurs compagnons, si Valaellyn, Benoit et les autres étaient menacés... Ils seraient incapables, à moins d'une sortie aussi retentissante que désespérée, de leur porter le moindre secours.
-Bon... fit-il, revenant à l'instant présent. A mon sens, nous n'avons que deux possibilités : soit on gagne le balcon et on essaie d'en descendre avec les cordes, soit... On suit le plan jusqu'à l'entrée principale de la grotte. Dans les deux cas, mieux vaut ne pas trop tarder, je pense.

" Prendre le chemin le plus long serait suicidaire : même s'ils ont de la route à parcourir, les pirates sont plus proches que nous... Nous risquerions de les croiser... Non. Il faut descendre directement par la paroi."
" Encore des cordes. J'en connais qui vont apprécier." fit Martin en jetant un oeil aux enfants qui caracolaient entre les colonnes, pris dans un jeu imaginaire. " Dieux, que je regrette ce moment d'énergie irrépressible, quand la fatigue ne vous surprenait qu'au dernier moment..."
Un instant, son visage s'altéra, puis il reprit sa tranquillité coutumière.

Le barde lui adressa un sourire encourageant.
-Le pire, c'est le matin : ils sont déjà complètement éveillés et actifs alors qu'on émerge à peine des limbes. C'est assez injuste, je trouve. Mais il y a une contrepartie : quand ils sont fatigués, ils tombent d'un seul coup.
Il rajusta son sac sur ses épaules.
-Alors allons-y tant qu'ils sont encore en forme. Ce serait bête qu'ils s'endorment en plein milieu de la descente !

Ils n'avaient cependant pas besoin des enfants pour débuter, ils se contentèrent donc de les garder à l'oeil pendant qu'ils installaient les premières cordes. Ils examinèrent la paroi qu'ils devaient descendre, dubitatifs. Elle était accidentée mais vertigineuse, et Martin avait le souvenir inquiet de la chute de Goran... L'à-pic était autrement plus dangereux dans leur situation présente. Guéric descendit le premier, histoire de vérifier que le sol n'était pas piégé avant que les autres ne le suivent. Les enfants s'approchèrent, excités, mais on leur rappela de ne pas prendre de risques inconsidérés. Le halfelin demeura en attente à un pied du sol pendant quelques minutes, scrutant le moindre défaut dans la pierre, avant d'atterrir sans dommages. Taliesin passa le second, Guéric craignant de ne pouvoir museler l'ardeur de la marmaille, puis les enfants, enfin Martin. Le petit-homme avança prudemment vers le squelette de dragon, aux aguets, lorgnant tout ce qui était à proximité. De près, l'animal était encore plus gigantesque, et son trésor encore plus faramineux.

Pour prévenir toute imprudence, Taliesin posa une main légère mais ferme sur l'épaule de chaque garçon. La descente s'était déroulée sans anicroche, et il entendait bien qu'il en aille ainsi pour le reste de leur expédition. Ce qui impliquait de laisser Guéric procéder à ses minutieuses vérifications... Cela lasserait très vite Jehan et Victor, il en était conscient, tout comme il était conscient de leur envie de se ruer vers le dragon... ou son trésor. Mais ils ne pouvaient se permettre de prendre le moindre risque : le halfelin leur apporterait probablement les pièces qu'il jugerait intéressantes et qu'il aurait subtilisées au monceau de richesses sans rien déranger d'autre. Lui-même, alors, les examinerait : il devait être capable de déterminer si elles étaient magiques ou non, utiles ou pas.

Mais Guéric se montra moins circonspect que ne l'avait anticipé le barde. Il s'affaira effectivement quelques minutes autour de l'impressionnant tas de richesses, puis revint en arrière, jusqu'aux quatre personnes qui l'attendaient.
" Bon. J'ai désamorcé les pièges étendus... Il faut éviter de toucher aux coffres, de manière générale. Les deux gros du fond sont piégés mais je n'ai pas les compétences nécessaires à leur ouverture sans danger. Les trois petits ne le sont pas, je vais regarder si je parviens à les ouvrir. Pour le reste, tout est inoffensif, mais nous devrions sans doute convenir d'un semblant de... de stratégie, je suppose."
" Oui. Nous ne savons pas si le Squale convoite quelque chose en particulier."
" On peut prendre les os du dragon ?" demanda Victor.

-Je ne pense pas que ce serait une bonne idée... lui répondit le barde. Si le Squale connait l'existence du trésor, il sait aussi à qui il appartient. Et ne pas trouver les restes du défunt propriétaire le ferait forcément s'interroger... Mais une fois tirés d'affaire et débarrassés des pirates, on pourra revenir et récupérer quelques ossements... pour peu qu'ils soient transportables.
Il se tourna vers Martin.
-C'est notre principal problème, ne pas savoir ce qu'il désire le plus trouver. Le mieux que nous puissions faire, c'est ne rien déranger, pour limiter les traces de notre passage, et ne prendre que ce qui nous paraîtra le plus utile à notre cause. En évitant, peut-être, d'emporter les objets les plus ostentatoires... Sauf si nous estimons que les posséder nous permettrait de renverser l'équilibre des forces. Pour le reste... Réamorcer les pièges avant notre départ serait une excellente chose, mais je ne sais pas si c'est faisable.

" J'avais bien l'intention de les réamorcer..." dit Guéric. " J'ai juste détendu les dispositifs, ça ne devrait pas me poser de problèmes. Au pire, j'en ajouterai quelques uns de ma fabrication..."
" Pfff, on peut même pas prendre le dragon, c'est nul." fit Jehan.
Mais sa mauvaise humeur ne se traduisit pas en actes.
" Bon, mais avec tout l'or et les pierreries qu'il y a là... En emporter quelques poignées ne va quand même pas dépareiller !"
" Le souci, c'est la poussière, je suppose. Mais avec la pénombre... Il est plus que probable que le Squale ou ses hommes n'y prêtent guère attention."

-Bah, si on pioche avec parcimonie et précautions dans le trésor, la poussière ne sera guère dérangée. Et on pourra essayer d'effacer nos empruntes, si certaines sont par trop visibles.
Il jeta un regard au dragon, au monceau étincelant qu'il dominait.
-Rien n'empêche de prendre un peu d'or et quelques gemmes, effectivement. Mais je crois que nous devrions surtout nous concentrer sur les autres objets : il n'est pas impossible que se trouvent ici des armes magiques ou de puissants artefacts. En les ramenant, nous ferions d'une pierre deux coups : nous nous offririons un soutien bienvenu et en priverions les pirates, les empêchant de le retourner contre nous ou, le moment venu, contre les Luméniens.

Les garçons demeurèrent donc en arrière, vaguement déçus, sous la bonne garde de Martin, tandis que Guéric et Taliesin progressaient vers le trésor. L'animal semblait avoir surtout amassé de l'or, pas tellement d'objets, sinon ce qu'il restait d'adversaires aventureux mais mal inspirés. Il était possible que de nombreux artefacts se cachent sous les pièces d'or, mais c'était difficile de le savoir sans risquer l'équilibre instable du trésor. Le barde remarqua le pommeau d'une épée qui semblait particulièrement ouvragé et dont l'éclat dénotait la présence d'une magie mineure mais indéniable. Un peu plus loin se trouvait l'armure de celui qui l'avait probablement maniée, morceaux noircis par les flammes d'un caparaçon aux armoiries illisibles. Seul le bouclier semblait avoir quelque peu survécu, signe d'une facture supérieure à la normale. L'homme avait aussi eu une cape, manifestement imbue de pouvoirs, mais il n'en restait que des lambeaux miroitants.
Guéric s'était approché des petits coffres et essayait, patiemment, de crocheter leur mécanisme complexe.
Une coupe attira l'attention de l'elfe, richement ornée, décorée de fines ciselures rappelant le mouvement de l'onde. Elle était d'ailleurs pleine d'eau. Plus loin, un manche dépassait de la montagne d'or, ne révélant en rien ce qui se trouvait à l'autre extrémité mais couvert de runes arcaniques prometteuses.

Après ce premier tour d'horizon, l'elfe ne perdit pas de temps : il savait qu'ils ne pourraient demeurer des heures durant dans la caverne, que les hommes du Squale pouvaient débarquer d'un instant à l'autre. Alors, sans confondre pour autant vitesse et précipitation et, au contraire, œuvrant avec le plus de délicatesse et de minutie possible, il entreprit de retirer, un à un, les objets de l'amas de richesses : ce seraient d'abord l'épée et le bouclier, puis l'étrange coupe et, enfin, l'artefact dont seul le manche était visible. S'il procédait avec doigté, avec dextérité, il ne devait provoquer aucun éboulement, aucun dérangement notoire dans l'agencement originel du trésor.

Retirer l'épée ne fut pas difficile : les pièces d'or s'affalèrent quelque peu, mais sans provoquer d'avalanche massive. C'était une lame de bonne facture, un peu plus précise et effilée qu'une épée habituelle, mais sans autre particularité. De fabrication humaine, elle était rehaussée de pierres semi-précieuses sur la garde et un héron avait été gravé dans la lame. Le bouclier n'était pas plus spectaculaire : de bois, renforcé, il offrait également une légère protection supérieure à la normale. On distinguait encore vaguement ses couleurs, bleu azur et noir, et malgré le temps, il semblait intact. Il était cependant lourd, ce dont Taliesin se rendit compte en le soulevant et le déplaçant.
Martin avait finalement laissé les enfants s'approcher et ils musardaient, prudents, autour du tas d'or, désignant de temps en temps quelque chose que le courtisan venait inspecter sans y toucher.
Un petit déclic informa le barde du succès rencontré par Guéric dans ses tentatives de crochetage.
La coupe était finement ouvragée, d'argent rehaussé de pierres bleues, et simplement pleine d'eau. Elle était manifestement enchantée, mais peut-être son seul pouvoir était-il de proposer de quoi se rafraichir, à tout moment, à son détenteur.
Enfin, lorsque Taliesin dégagea le manche visible, il se retrouva avec une baguette en main. Il en reconnut aisément les runes, qui gravitaient tout autour du bois : c'était un instrument imbu du pouvoir de charmer les animaux.
" Viens voir ça..." souffla alors Guéric, à son intention.

-J'arrive.
Taliesin alla déposer la baguette aux côtés des autres objets retirés du trésor puis, sans précipitation - il ne voulait pas provoquer un effondrement à cause d'un geste maladroit - il rejoignit le halfelin.
-Qu'as-tu découvert ? demanda-t-il, réellement curieux.
Il devait l'admettre : fouiller cette caverne provoquait chez lui un enthousiasme presque enfantin.

" Du charabia pour moi..."
Le petit coffre qu'avait ouvert Guéric renfermait une dizaine de parchemins roulés, soigneusement scellés. Ils se livrèrent cependant sans difficulté à l'examen de Taliesin : il y avait là des sorts divins et des sorts arcaniques, dont certains lui étaient familiers. Aucun n'était, malheureusement, très puissant.
Il reconnut et se sentit capable de lancer cinq des dix parchemins : les sorts de Rage, de Morsure Magique, de Déguisement, de Repérage et de Son Imaginaire étaient dans ses cordes. Par contre, le sort d'Invisibilité pour les animaux ne servirait qu'à Goran et Brume de Dissimulation devrait attendre le retour de Valaellyn. Enfin, il restait trois parchemins que seul un véritable magicien, voire un druide, pourraient exploiter. Mieux valait sans doute, même s'ils étaient relativement bénins, qu'ils ne tombent pas entre les mains de leurs adversaires.
" Quelque chose d'intéressant ?" demanda le halfelin.

-Rien de proprement renversant, mais deux trois petits sorts utiles, oui...
Il entreprit alors de lui en dresser la liste et les effets : Rage les transformerait presque en berserkers ; Morsure magique qui accroitrait les dégâts causés à leurs ennemis, pour peu qu'ils les assaillent à coups de poings, de dents ou d'ongles ; Son imaginaire dont le nom était plus qu'évocateur ; et enfin les deux plus intéressants, Repérage qui leur servirait s'ils venaient à se perdre dans les tunnels, et Déguisement qui rendraient l'un d'eux capable de modifier son apparence. Il termina en évoquant les parchemins dont seuls Goran ou Valaellyn pourraient se servir, et ceux qui demeuraient mystérieux.
-Le mieux est de tout emporter, conclut-il. Le coffre y compris : si les pirates le découvrent crocheté et à demi vide, notre discrète visite ne le sera plus tellement, discrète.

" Hum, il va nous encombrer plus qu'autre chose..." murmura Guéric. " Je peux le refermer sans problèmes... même le piéger... Il suffira d'y mettre de l'or ou n'importe quoi que nous trouverons sans intérêt... Il y a plus d'un objet d'art qui traîne..."
Effectivement, dénués de toute magie, des objets divers parsemaient le trésor : statuette d'or pesante, gemmes colorées, diadème et tissus brodés d'or, il ne manquait pas de jolies choses dont bourrer le coffret.
" Bon, je vais m'attaquer au deuxième..."
Quant à Taliesin, il lui restait encore de nombreuses zones à explorer.

-Bon courage, lança-t-il en s'éloignant.
Les parchemins dûment rangés avec le reste, il gagna les parties de la caverne que n'écumaient pas Martin et les garçons. Jusqu'ici, il n'avait rien trouvé de spectaculaire, rien qui puisse réellement compenser leur infériorité numérique criante face aux pirates. Mais il ne désespérait pas, pourtant, quoi qu'il fît effort pour museler ses attentes : c'était le trésor d'un dragon qu'ils fouillaient. Ce n'était pas n'importe quoi, tout de même !

Comme l'avait noté Guéric, il y avait de nombreux objets d'art parmi les richesses du dragon. Dans d'autres circonstances, un esthète comme le barde aurait pu prendre du plaisir à les examiner en détail, d'autant qu'il nota la présence d'une harpe de bois précieux, décorée d'ivoire et de gemmes, mais aucun de ces artefacts ne semblait renfermer de magie. Il nota plusieurs armures, de la cotte de mailles roussie à la plate complète légèrement cabossée, en passant par la chemise de cuir lacérée, ainsi que des armes classiques, arbalètes poussiéreuses, arcs abandonnés, un glaive, une hache... Il y avait aussi des objets plus insolites : une vielle à roue, une longue-vue, une pochette de cuir renfermant les outils d'un maître artisan, probablement menuisier, un sac contenant de quoi se bricoler un déguisement sommaire, postiches à l'appui, un pied de biche, quelques fioles... Parmi les objets précieux, outre quelques bijoux et des statuettes dorées, représentant diverses créatures, on trouvait de nombreuses étoffes rares ainsi qu'une épée sertie et ornée d'un goût pour le moins discutable, même si elle devait valoir bien plus que son pesant d'or.

Si Taliesin observa avec attention tous ces objets - son regard s'attarda longuement sur la harpe, on ne se refait pas -, ce n'était pas tant pour admirer leur beauté que pour juger de leur utilité potentielle pour le groupe. Or, aucun de ceux entrevus jusqu'ici ne semblait pouvoir leur servir... Il n'y toucha donc pas et, se promettant de revenir examiner les fioles, en désespoir de cause, ou d'emporter l'épée - elle pouvait armer l'un des leurs, et son prix constituer un dédommagement non négligeable pour les pertes subies -, il poursuivit son minutieux inventaire.

Il continua donc son examen des richesses amassées par la créature morte. Les pierres précieuses étaient nombreuses mais l'elfe n'y connaissait pas grand chose et estimer la valeur des unes et des autres lui était difficile. Il finit cependant par dénicher un nouvel objet magique, bien qu'il ne soit pas à proprement parler des plus utiles : c'était une masse sombre, qui irradiait de pouvoir, encore incrustée dans la pierre où elle s'était abandonnée, sans doute après un dernier coup mal inspiré. Ce n'était pas une arme formidable, mais la magie dont elle était dotée dépassait celle de l'épée qu'il avait dégoté au départ.
" Besoin de toi, pour changer..." lança Guéric.

-Un instant ! lança-t-il d'un ton joyeux.
Comme précédemment, il alla déposer sa trouvaille parmi les autres artefacts magiques, puis se porta aux côtés de Guéric : celui-ci devait avoir ouvert son deuxième coffre et découvert de nouveaux parchemins... Avec un peu de chance, ils seraient plus utiles que les précédents.

Ce n'étaient pas des parchemins mais bien des fioles de potion, ce qui rendait l'exercice un poil moins évident. Heureusement pour eux, il y avait encore des inscriptions sur les étiquettes, pas toujours très lisibles ou complètes, mais qui leur permettraient probablement de faire des paris moins hasardeux que s'ils avaient dû les juger simplement à l'odeur. Voyant la mine légèrement dubitative du barde, le halfelin fronça les sourcils.
" Bon, on peut aussi les embarquer par défaut et les examiner plus tard, je suppose..."
Au moment où il disait ça, Jehan et Victor déboulèrent, effrayés, de derrière le tas d'or. Martin, qui ne les avait pas suivis, releva la tête, vaguement inquiet. Les deux gamins se ruèrent vers Taliesin et Guéric.
" On a entendu des voix. Quelqu'un parler !" s'exclama Victor.
" Nous parler, même." ajouta Jehan.

Spontanément, Taliesin posa la main sur la garde de son épée et porta ses regards en direction du tunnel ouvrant sur la caverne, celui par lequel pouvaient, à tout moment, déboucher les pirates. Mais il s'en détourna bien vite : les enfants s'en étaient tenus éloignés, et si les voix étaient venues de là, ils les auraient tous entendues.
Le phénomène ne pouvait donc provenir que du trésor. Que de l'endroit qu'occupaient Victor et Jehan quelques instants plus tôt.
-Montrez-moi où c'était... fit-il d'un ton calme.
Il existait des artefacts dotés d'une vie propre, et même d'une personnalité... Artefacts puissants, en règle général. Mais également, et trop souvent à son goût, forts dangereux.

Les deux gamins, perplexes, repartirent en arrière, jusqu'à une zone que Taliesin n'avait pas encore examinée. Comme les autres, elle était riche en pierres précieuses et objets disparates : il y avait là un symbole divin en argent, à moitié enfoncé dans les pièces, un vieux manche en bois grossier émergeant des profondeurs, une ceinture enroulée sur elle-même, une étole brodée de fils d'argent reprenant des motifs elfiques, une dague en métal terne surmontée d'un rubis, un bracelet d'or fin, un diadème rehaussé de pierreries et même un tableau poussiéreux. Jehan et Victor haussèrent les épaules.
" C'était ici." murmura le petit Desmoulins.
Lentement, ils s'étaient retranchés derrière le barde.
" Alors mes gaillards ! On a rameuté une grande bringue parce qu'on avait la pétoche ? Bienvenue, mon gars ! Fais comme chez toi ! J'ai plein d'or à distribuer !" s'exclama alors une voix haut perchée, enjouée, et les enfants tressaillirent.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Mersant

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 7.

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