La Couronne de Cuivre

La jeune femme et le prêtre la dévisagèrent, interloqués, puis le seconde éclata d'un grand rire joyeux.
" Excellent, je vote pour !"
Le modèle tant espéré sourit à son tour.
" Pourquoi pas... Je suppose que je devrais être flattée... Sauf si vous voulez faire de moi la tragédie..."

Amélie retint avec difficulté un soupir de soulagement. Quelque part, chercher des modèles était intimidant mais c'était surtout exaltant même si elle avait du mal à se sentir légitime loin de son atelier. Elle sourit. Depuis ce matin, elle se sentait de mieux en mieux.

"Non, pas la tragédie. Je vous le promets."

Ce n'était pas du tout un mensonge.

"Merci infiniment dans tous les cas. C'est ... Vous êtes parfaite. Et je ..."

Il allait falloir qu'elle retourne sur terre, du moins pour les détails pratiques.

"Mais je ne voulais pas vous interrompre trop longtemps. Peut-être pouvons-nous convenir d'un endroit et d'un moment qui vous conviendrait mieux."

" Ah, dit la jeune femme. Ça va prendre longtemps ? Parce que je ne suis que de passage à Luménis et j'ai beaucoup à faire... Ce serait plus simple si vous pouviez le faire ici et maintenant."
Elle eut une petite grimace, assez charmante sur son minois.
" Je ne suis pas très bonne comédienne... Je pense que c'est de toute façon mieux si vous me prenez au naturel."

hrp : hello et bon retour parmi nous

J'espère que les vacances ont été bonnes.

Amélie écarquilla les yeux. Elle avait vraiment de la chance. Elle répondit, enthousiaste.

"Bien sur, cela peut être ici et maintenant. C'est que je ne voulais pas vous interrompre ou vous déranger. Pour ce qui est de la pose, je peux vous représenter en mouvement si vous préférez. Cela ne me dérange pas du tout. En général, je dessine vite."

Elle était vraiment heureuse d'avoir emmené son matériel de dessin malgré tout.

HRP : excellentes, merci

La jeune femme parut indécise.
" En mouvement ? Quel mouvement ? Je ne suis pas vraiment spécialisée dans le mouvement. Je dois être debout ? Assise ? Je dois marcher ? Courir ?"
Elle haussa les épaules. A leurs côtés, les deux Sunites —*Mian et le prêtre qui discutait avec la jeune femme quelques minutes plus tôt — les observaient avec un léger sourire.

Amélie sentit la panique la gagner. Si elle ne prenait pas un peu confiance en elle, son modèle allait s'enfuir en courant. Il était vrai que des mouvements, il y en avait des tonnes. Elle n'était pas à l'aise avec ce qui était figé. Mais elle ne pouvait pas demander à la jeune femme de sauter, de courir ou même de danser.

"Vous pouvez tout simplement marcher à l'allure que vous voulez en pensant à quelque chose qui vous plaît."

Il allait vraiment falloir qu'elle travaille sur la mise en condition de ses modèles.

" Quelque chose qui me plait..." fit la jeune femme, d'un air songeur.
Un pli barra un instant son front, menaçant de transformer son expression dans un sens qui n'aurait plus grand chose à voir avec Lliira et ce qu'espérait Amélie. Mais le prêtre sunite qui bavardait avec elle un instant plus tôt s'approcha et lui glissa quelque chose à l'oreille : aussitôt, elle retrouva le sourire et la légèreté qui avaient attiré Amélie puis, sans se départir de sa joie retrouvée, elle se mit à marcher de long en large, musardant, flânant entre les fleurs et les buissons, sans jamais s'éloigner de plus de quelques mètres. Il n'était pas certain qu'elle tiendrait la "pose" pendant des heures, aussi fallait-il sans doute commencer à croquer au plus vite !

Aussi Amélie alla chercher rapidement parchemin et fusain. Il fallait qu'elle se débarrasse du sentiment de panique qui l'habitait ou son hoquet allait se mettre de la partie. Elle l'oublia au bout de quelques secondes quand elle se concentra entièrement sur son dessin. Très rapidement, elle crayonna les lignes et les premières courbes des contours de la silhouette et son mouvement. Puis elle les affina, rajoutant ensuite le nez, la bouche et les yeux puis des traits plus précis. A son grand contentement, elle réussit à retranscrire le sourire évanescent sur le visage. Enfin, elle termina par les ombres. Elle n'avait pas menti : elle était rapide. Et assez satisfaite de son dessin.

"Vous pouvez venir voir si cela vous plaît.", dit-elle avec un sourire.

La jeune femme — Amélie ne lui avait pas demandé son nom — s'approcha et se pencha sur l'épaule de l'artiste. Les deux Sunites l'imitèrent.
" C'est joli. Ça me ressemble bien, je crois.
— Oui, sans aucun doute.
— Mais c'est pour faire quoi, en fait ?"

Amélie - qui avait décidément des difficultés à demander les prénoms - répondit cette fois sans hésitation. Elle ne se trouvait pas à Manost et ne risquait à priori rien. Elle eut cependant un peu peur que la jeune femme soit déçue qu'il ne s'agisse pas d'une peinture. Mais comme elle l'avait fait avec Soren, elle expliquerait si besoin. Elle était contente d'avoir trouvé sa technique (et surtout d'avoir d'assez bons yeux) pour pouvoir représenter un maximum de détails. Certains criaient peut-être à l'hérésie mais elle mettait ça et là un coup de pinceau pour affiner là où le verre était trop grossier.

"C'est pour un vitrail qui représentera une partie des Arts. Si tout va bien, il sera exposé à Cojum. Et si tout va vraiment bien, il me permettra d'être reconnue comme maître-verrier à part entière. Et je vous remercie infiniment d'avoir accepté de poser pour moi comme ça. D'ailleurs, si je peux faire quoi que ce soit pour vous dédommager."

HRP : je pense que tu peux faire arriver Angèle quand tu le sens...

" Ce n'est pas nécessaire, je n'ai rien fait de spécial... Mais je représenterai quel art, au juste ?
— La promenade ?" proposa le Sunite.
La jeune femme gloussa.
" Ce n'est pas un art, tu racontes n'importe quoi."

"Vous seriez la poésie lyrique", dit Amélie avec un sourire.

Elle avait un peu honte de se complaire dans le mensonge mais oublier un peu son statut de chercheuse de modèles inexpérimentée l'aidait à se sentir mieux. De son coté, Angèle arriva en vue du temple de Sunie. Sa halte ne l'avait pas aidée à se détendre sinon à retarder l'échéance de la confrontation. Dans un premier temps, il faudrait qu'elle parle à Johanna - si elle était disponible - ensuite, elle parlerait à Amélie. Le fait que c'était le but qu'elle s'était fixée ne la rassura pas pour autant. Déjà, il allait falloir qu'elle trouve un prêtre.

Elle respira un bon coup pour se donner du courage avant d'oser regarder autour d'elle pour avoir une idée de la situation.

Des prêtres, il y en avait partout, en une aussi belle journée : hommes et femmes, jeunes et plus mûrs, vêtus ou beaucoup moins. Son arrivée ne manqua pas d'être remarquée : elle avait la mine austère, comme toujours, ce qui détonait sur les lieux, immanquablement. Ce fut un jeune homme qui vint à sa rencontre, un jeune homme qu'elle connaissait déjà : c'était Romuald, le frère de Moïra.
" Dame Angèle, en voilà une surprise. J'espère que vous... tu te portes bien."

Romuald, le frère de Moïra. Elle se souvenait très bien de lui. Contrairement à lui, elle ne fut pas surprise de le voir. Il était chez lui, immuable et inchangé. Un instant, elle lui envia son assurance et sa stabilité, elle qui n'arrivait jamais à se détendre. Elle lui sourit cependant, heureuse de tomber sur un visage connu ce qui était - elle devait bien l'avouer - hautement sécurisant.

"Bonjour Romuald. Je vais bien et j'espère qu'il en va de même pour toi et pour Moïra. Je suis venue ici parce que j'aurais aimé voir la Belle Amoureuse si bien sûr elle est disponible."

Dans son esprit, une partie espérait que non. Elle se sentait totalement déplacée dans le contexte et voir Johanna ne ferait qu'accentuer cette impression - qui même si elle avait passé du temps au Temple était totalement justifiée.

" Carrément, dit le jeune homme. Je vais me renseigner. Mais elle voudra savoir ce dont il s'agit... et moi aussi. Les Sunites sont très curieux, tu sais ça !"
Il sourit avec espièglerie.
" En plus, on ne peut pas faciliter la rencontre entre un agent étranger et une de nos dignitaires locales... Ce serait... presque de la haute trahison !"

La tirade de Romuald la fit sourire. En revanche, la suite l'inquiéta un peu. Si elle disait que Brandon Devlin avait une fille et si on apprenait qu'elle était dans les jardins, la pauvre Amélie risquait de se retrouver avec une bande de sunites curieux à ses trousses. Et elle ne voulait aucunement cela. Aussi, elle espéra qu'il se satisfasse du moins d'explication possible.

"C'est à propos de Brandon Devlin. Je ne peux pas en dire plus, je suis désolée."

Ce n'était pas trop mais sans doute pas assez.

" Aah, Brandon." fit Romuald d'un air entendu.
Son sourire revint.
" Viens, allons voir. Je suis sûr que tu es impatiente de retrouver nos couloirs feutrés, si accueillants... odorants... délicieux."
Il l'entraîna vers la nef.
" Est-ce que Soren sait que tu es là ? Ce serait drôlement plus excitant d'aller le voir lui que Jehannah."

"Oui, Brandon ..." souffla Angèle en essayant de garder une expression tout à fait neutre.

Quant à Soren ...

"Il est venu me voir à la taverne de la Bienveillance."

Ne pas rougir, surtout ne pas rougir ...

"Il avait l'air d'aller bien."

Tenter de détourner la conversation.

"Et toi, comment vas-tu ?"

Et tenter d'avoir l'air naturelle en espérant pouvoir se fondre dans la masse.

Il fronça les sourcils, puis rit joyeusement.
" Aussi bien que puisse aller un Sunite. C'est à dire mieux que la plupart des gens. Je ne devrais pas me vanter."
Il la guida vers le fond de la nef, au-delà de la statue de Sunie (toujours aussi... envahissante), puis dans une des couloirs obscurs et chaleureux du Temple. Ce n'était pas la première visite d'Angèle et elle savait que Jehannah disposait d'appartements lumineux s'ouvrant sur les jardins, si c'était là qu'elle se trouvait. Romuald s'immobilisa cependant un peu plus loin et lui désigna une banquette couverte de velours, dans une alcôve voisine.
" Tu attends ici ? Je vais voir ce qu'il en est..."

"D'accord."

Et elle attendit donc, toujours aussi gardée, toujours aussi anxieuse que la dernière fois. Assise droite, les poings fermés reposant sur ses cuisses. Les yeux fixant ses chaussures. Elle avait l'air calme en apparence. Mais en réalité, elle cherchait toujours ses mots et surtout par lequel commencer.

Elle ignorait ce que Jehanna savait de la situation et ce qu'elle pourrait en dire.

Beaucoup d'inconnus en somme et autant d'anxiété.

Plusieurs personnes passèrent dans la pénombre du corridor tandis qu'elle attendait. On lui adressa des sourires, un clin d'oeil, mais personne ne l'importuna. Sans doute sa mine suffisait-elle à avertir l'individu en quête de flirt qu'il valait mieux passer son chemin. Romuald revint un peu plus tard.
" Elle va te recevoir."
Il la guida ensuite dans les couloirs, jusqu'à une salle de classe. Elle était plus confortable qu'une classe ordinaire, les murs étaient rouges, les chaises étaient d'agréables fauteuils, il y avait des bougies, des miroirs, des fleurs, même des oiseaux, mais son usage ne faisait pas de doute. Jehannah s'y trouvait, debout, en train de ranger des livres et elle accueillit Angèle d'un sourire. La Belle Amoureuse était toujours aussi belle, toujours aussi stupéfiante. Elle invita Angèle à s'asseoir tandis que Romuald sortait.
" J'espère que vous me pardonnerez ce cadre, dit-elle. Mais je n'ai pas beaucoup de temps."
Elle continua à empiler ses livres.
" En quoi puis-je vous être utile ? Romuald me dit que cela concerne Brandon. J'espère qu'il ne vous a pas fait de promesses : les Tymorans ne sont pas plus fiables que les Sunites, en la matière."

Angèle eut du mal à détacher le regard de cette salle de classe atypique. Tout respirait la sérénité et la beauté. Elle était aux antipodes de la salle de cours froide et austère dans lequel elle avait suivi pendant des années des cours de droit. Les tyrites n'étaient pas versés dans la distraction, ni même dans la détente. Peut-être un cadre chaleureux était-il propice à la concentration ? La question ne lui fit cependant pas oublier le but de sa visite. Elle répondit.

"Il ne m'a rien promis. Mais ..."

Visiblement, elle ne savait pas. Mais elle n'avait pas la force de louvoyer plus longtemps.

"Peu après être rentrée à Manost, j'ai reçu la visite de sa fille. Elle cherchait Morgan ... Elle sait qui est Brandon et elle a voulu profiter de son voyage à Luménis pour venir lui rendre visite. Mais elle n'était pas au courant pour la malédiction, ni du fait qu'il est parti pour Erhedun. J'en suis responsable. Je n'ai pas eu la force de lui parler avant notre départ. Et maintenant ... Je ne sais pas quoi faire pour l'aider."

Jehannah fronça les sourcils.
" Je ne comprends pas bien en quoi je pourrais vous aider, dit-elle, un peu décontenancée. Vous connaissez cette jeune fille, pas moi. Il n'y a que vous qui puissiez savoir quoi faire la concernant. Lui parler, me semblerait un bon début."

Angèle soupira. Elle ne savait pas non plus ce qu'elle pouvait et même voulait faire pour Amélie. Il était difficile d'agir à la place des autres, surtout lorsqu'on était poussé par la culpabilité. Elle murmura.

"Je suis désolée, c'est assez confus pour moi aussi. Morgan m'a confié la responsabilité de cette personne ou tout du moins une bonne partie. Elle a été bouleversée en entendant parler de cette malédiction. Mais je crois que voir Brandon Devlin lui ferait du bien. Je vous avoue qu'en venant ici, j'espérais qu'il vous aurait parlé et que vous auriez un conseil à me donner. Parce que je ... Je ne sais pas comment aider. Nous ne sommes mêmes pas sures de trouver Brandon Devlin à Erhedun. Je ne sais même pas quoi dire ... Je suis juste un paladine qu'on a appelé un jour pour aider à lever une malédiction, une tyrite sans grand intérêt. Mais j'aimerais pouvoir aider. Et je suis complètement perdue ..."

" Ce n'est pas mon domaine, dit Jehannah, et je ne suis pas d'un grand secours en ces matières. Brandon était furieux de la révélation de cette jeune fille, quand il l'a apprise. Furieux sur Morgan, pas sur elle, bien sûr, elle n'y peut rien. Je ne pense pas qu'il la recevrait mal si elle devait venir à lui, mais je pense qu'elle doit savoir ce qu'elle cherche, en faisant cette démarche. Les liens du sang ne sont jamais garantie de rien."

"J'ai été furieuse aussi, murmura Angèle, contre Morgan et contre tout. Contre elle aussi quand elle a débarquée chez moi. C'est peu être sain dans ces cas là quand on vous a menti par omission durant des années. J'ignore ce que cherche exactement Amélie mais je suis sure qu'elle ne cherche à blesser personne dans sa démarche. Je crois qu'elle a besoin de voir les personnes à qui elle doit la vie. Pas pour les juger ou leur reprocher quoi que ce soit. Peut-être pour tirer un trait et avancer. Et je voudrais l'aider. Car elle a beau être l'aboutissement d'une malédiction, c'est quelqu'un de bien."

HRP : oups, sorry, j'avais pas vu que tu avais répondu.

" Dans ce cas, la seule chose à faire, c'est d'aller à Eredhun. C'est là que vous avez le plus de chances de le trouver... ou de savoir où il est. Il n'avait pas l'intention d'y rester... mais les gens de son Temple savent fatalement où il s'est rendu, au moins approximativement. Après, c'est à vous de savoir quel temps vous avez. Eredhun n'est pas la porte à côté, et si Brandon est en voyage... C'est vraiment à vous d'estimer si le jeu en vaut la chandelle. A vous et à elle. Je pense que vous devriez être franche, avec elle, lui demander ce qu'elle veut, plutôt que de vous imaginer des choses, des devoirs, des dettes imaginaires... C'est sa vie, son choix, et elle est majeure. Vous... vous devez vous plier à ce qu'elle veut, elle. Et la seule manière de le savoir, c'est d'oser lui poser la question."

hrp : aucun soucis.

"Vous avez raison ... Pour tout. C'est moi qui suis perdue."

Elle n'avait jamais véritablement demandé à Amélie ce qu'elle attendait d'elle et de tout le reste.Peut-être ne voudrait-elle pas aller à Erhedun après tout. Peut-être faudrait-il qu'elle l'écoute à ce propos. Elles parlaient de tout et souvent. Mais souvent, les sujets sur Morgan passaient aux oubliettes pour ne pas réveiller la colère ou le chagrin. Ou peut-être ne voulaient-elles pas laisser se glisser cette ombre entre elles. Ce qui faisait de Morgan l'absente et la présente qu'il valait mieux ignorer. Et c'était difficile.

Jehannah la dévisagea avec un sourire.
" Vous n'êtes pas si perdue. Vous devez prendre les choses l'une après l'autre, mais agir. Vous êtes guidée par l'amour, vous ne pouvez pas échouer : même si vous êtes maladroite, même si vous vous trompez, votre amie saura, en son coeur, qu'il n'y a nulle malveillance. C'est l'inertie qui est dangereuse. L'apathie. L'attente. Agissez. Et vous seule pouvez le faire. Il n'y a pas lieu de recourir à des entremetteurs dans votre histoire."

Hrp : Désolée, inspiration en berne en ce moment.

Angèle sourit en retour.

"Je suis perdue parce qu'il ne s'agit pas que de moi. Tout ce que je redoute, c'est qu'Amélie souffre et elle ne mérite pas ça. Quelque part, vous avez raison. Je tergiverse en cherchant d'autres avis ... Mais je ne l'aide pas. Et pire encore, je ne fais que la ralentir avec mes tergiversations. Parce que la décision ne m'appartient pas. Je ne fais que l'accompagner."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Temple de Sunie