La Couronne de Cuivre

Cela le fit sourire.
-Merci, dit-il en se remettant à le caresser.
Un rat, vous parlez d'un cadeau ! Mais les félins étaient ainsi et cela signifiait que celui-ci l'avait à la bonne.
Cela lui fit penser à Dina et il en vint à se demander si elle faisait pareils présents à Olivier et, si oui, de quelle nature ils pouvaient bien être...

La panthère s'était faite très discrète depuis leur arrivée dans la clairière : Taliesin ne l'avait pour ainsi dire plus vue depuis la veille, et il était probable qu'elle soit partie courir la forêt. A moins qu'elle ne dorme quelque part : les félins étaient férus de cette activité, quelle que soit leur taille.
Le tressym, de son côté, se laissa caresser encore quelques secondes, puis repartit vers la chaumière, de son pas ondulant, dans les hautes herbes. Le soleil était haut dans le ciel, il était sans doute déjà prêt de midi, signe que le barde avait dormi plus longtemps qu'il ne l'avait prévu...

Bah, c'est qu'il en avait besoin !
Mais il était sans doute temps d'imiter le tressym et de retourner vers la maison. Peut-être pourrait-il s'y rendre utile, ne serait-ce qu'en aidant à mettre la table ? Et puis, il était curieux de voir si Baptiste avait, comme à peu près partout ailleurs, réussi à devenir le maître des cuisines. Nul doute en tout cas qu'il s'y était rendu et qu'il y aurait eu là, pour lui, matière à découvertes !

L'heure du repas se profilait effectivement, mais Taliesin arriva trop tard pour se rendre utile : la table était mise, il y avait du monde en cuisine, et quand il arriva, Ayu lui recommanda de s'asseoir et d'attendre. Marius et Victor le rejoignirent bientôt, les vêtements et les cheveux couverts d'herbe.
" En fait, y'a pas tant de bestioles dans cette clairière, remarqua Victor.
— C'est grâce à..."
S'ensuivirent une série de mouvements guerriers esquissés contre personne.
" Gé-rard de Ri-veeeeeeeee !"
Marius se tourna vers Taliesin.
" Tu devineras jamais combien de zombies il a tué aujourd'hui ! Au moins... dix-huit !"

-Ah ça non, je n'aurais jamais deviné, répondit-il, amusé. Et pour cause : c'est un sacré exploit !
Il se tourna ensuite vers Victor.
-Si si, il y en a beaucoup mais... elles se font discrètes. En ce qui me concerne, j'ai vu pas mal d'animaux, dont un superbe loup blanc en train de faire la sieste.

" C'est pas un loup, c'est une marmotte, dit Victor avec un froncement de sourcils. Je pensais que tu saurais faire la différence."
Marius éclata d'un rire sonore.
" Vous êtes bêtes, c'est pas une marmotte ni un loup, c'est une sorte de porc-épic."

-Vous êtes sûrs qu'on parle du même animal ? En ce qui me concerne, c'est là que je l'ai vu.
Et de pointer du droit l'endroit en question.
-Si nous parlons bien tous de lui, il faut croire que ce n'est pas un simple animal... Nous interrogerons Olivier à son sujet. Mais vous noterez, déjà, que ce n'est sans doute pas pour rien qu'il s'est montré à moi sous les traits de l'animal totémique de Gérard de Berge ! Il a nettement perçu que je suis un héros !

" Il a surtout perçu que s'il s'était montré sous la forme d'une marmotte, tu l'aurais certainement dérangé en pensant que tu ne risquais rien !" s'exclama Victor.
Marius haussa les épaules.
" Moi j'ai moins peur des loups que des porcs-épics. Et l'animal totem de Gérard de Berge, c'est pas le loup blanc, c'est le tigre blanc. Les loups, c'est tellement... classique."

-Eh bien tu vois, toi aussi tu aimes les grands félins ! Non, décidément, il faut faire en sorte que l'un d'entre eux décide de s'installer dans notre domaine : il deviendra notre emblème !
Puis, à Victor :
-Allons, je n'aurais jamais dérangé une marmotte en train de dormir. Le sommeil est pour moi l'une des choses les plus sacrées qui soient.

" Pourtant, tu essaies de t'entraîner à plus dormir... à faire plutôt cette méditation d'elfe qui fait que tu n'es ni endormi, ni réveillé mais juste... coincé entre les deux.
— Sacrilège !
— Donc c'est que tu n'aimes pas vraiment dormir.
— Mais les elfes c'est parce qu'ils veulent pas qu'on puisse les surprendre quand ils se reposent qu'ils font ça. Parce qu'ils savent que le monde est plein de dangers.
— Tu parles d'une marmotte."

-Si je me prive du si délicieux sommeil pour recourir à la transe elfique, c'est par sacrifice et esprit de dévouement ! affirma-t-il d'un ton exagérément solennel. La rêverie ne dure que quatre heures, ce qui me laisse le reste de la nuit pour m'acquitter des tâches indispensables qui sont les miennes, et ce qui me permet aussi de vous consacrer toute la journée !

" Ouais, ouais, dit Victor, on te croit pas.
*— Moi je comprends pas l'intérêt, fit Marius avec un haussement d'épaules. Dormir, c'est un truc formidable. Vouloir remplacer ça par... un truc moins bien... Je comprends pas.
— C'est parce qu'il trouve ça mieux, murmura Victor.
— Et que son organisme est mieux adapté à la transe qu'au sommeil, ajouta Olivier en déposant un plateau de légumes crus sur la table.
— C'est de la triche d'utiliser des mots compliqués."

-Olivier veut dire que comme je suis un elfe, mon corps est davantage fait pour le repos des elfes que poour celui des humains... Mais je dois bien avouer qu'il m'a fallu longtemps pour maîtriser la rêverie et qu'au début, la plupart de mes tentatives échouaient, m'amenant à m'endormir comme un homme. Aujourd'hui, c'est moins souvent le cas mais cela peut m'arriver. Et honnêtement, je reste attaché au sommeil : c'est tellement agréable ! Si je recours à la rêverie en ce moment, quoiqu'elle soit agréable aussi, c'est surtout pour gagner du temps.

" Gagner du temps ? Pour quoi faire ? On est en vacances ! s'exclama Victor. On fait rien de la journée, depuis des veilles !
— Seulement toi, dit Marius.
— Je ne savais pas qu'il était possible, pour un elfe, d'adopter le sommeil humain, murmura Olivier, pensif. Je me demande si ça veut dire qu'un humain pourrait adopter la Rêverie."

-Je ne saurais vous dire. Après, mon sommeil n'en est peut-être pas vraiment un : peut-être en a-t-il simplement les formes, que j'ai adoptées par mimétisme quand j'étais petit, mais s'agit-il en réalité d'une forme profonde de Rêverie...
Il haussa les épaules.
-J'avoue ne jamais m'être vraiment posé la question.

" Je comprends. Ce n'est pas forcément intéressant pour tout le monde. Et honnêtement, je doute que ce soit possible... Les demi-elfes, déjà, sont généralement incapables de Transe... Or certains sont élevés parmi les elfes."
Il sourit.
" Dommage ! Mais dans le même temps, je pense que les elfes expulseraient un intrus qui oserait se promener en Rêverie, et sans doute sans douceur."
La porte s'ouvrit derrière eux sur Epona et Agrim, qui apportèrent d'autres plateaux, couverts de galettes de blé et de semoule, de viandes diverses, rôties, et d'herbes ciselées. Ayu apporta des bols et des cuillères, suivie par Baptiste qui transportait une carafe d'eau. Tous s'assirent.

-La plupart des elfes, assurément. Mais peut-être pas tous. répondit-il à Olivier.
Il était sûr que même en dehors de lui, on pouvait trouver quelques exceptions...
Mais il se sentit tout à coup bien plus préoccupé par les mets qui apparaissaient devants lui et qui s'annonçaient succulents. D'ailleurs, son estomac s'en préoccupa également...

Le repas était très simple, et en fait à peine préparé, bien loin des mets compliqués qu'on servait à la table d'Amrod ou même dans une auberge de renom modéré. Les légumes étaient crus, les viandes simplement rôties, les galettes de blé et la semoule n'étaient pas salés. Chacun pouvait faire son mélange dans son assiette et, formidable, on mangeait avec les doigts, en s'aidant parfois d'une feuille de salade ou d'endive pour faire cuillère. Les enfants en furent particulièrement ravis. Les autres s'amusèrent de leur stupéfaction joyeuse : c'était manifestement la manière habituelle de consommer ce type de repas.

Le barde, loin de se formaliser - ce n'était pas son genre, bien au contraire -, adopta volontiers ces manières et profita sans retenue des différents plats : il fallait croire que le grand air lui avait ouvert l'appétit !
Tout en mangeant, il songea qu'il aurait volontiers prolongé leur séjour d'une journée. Mais il ne voulait pas s'imposer, sans compter que Baptiste, lui, avait probablement hâte de retrouver la civilisation. Et vu ce qui lui était arrivé, ce qui lui arrivait encore, il avait bien mérité qu'on lui fasse plaisir.

Le dessert était composé de fruits de saison, pêches, abricots et melons, dont chacun se servit à sa guise. Tous les enfants affrontèrent Ayu au bras de fer, sans qu'aucun ne parvienne à la battre, ce qui la fit beaucoup rire. Olivier et Epona débarrassèrent la table en échangeant de menues nouvelles des bois environnants. L'après-midi était magnifique, à nouveau, mais ce qui ressemblait à une journée de vacances supplémentaire pour le clan de Taliesin, ne l'était manifestement pas pour les habitants de la clairière.
" Bon, je vais m'en retourner, dit finalement Ayu en se levant. Ça a été un plaisir et je vous souhaite bonne route jusqu'à chez vous."

Il lui sourit chaleureusement.
-Le plaisir a été partagé. Je vous souhaite bon courage pour votre travail, et j'espère que nous nous reverrons avant longtemps.
Concernant leur retour en ville, il verrait en fonction des possibilités d'Olivier : celui-ci avait probablement moult tâches à accomplir et il souhaitait lui causer le moins de dérangement possible.

Ayu se retira, puis se fut au tour d'Agrim. Epona semblait attachée à la petite maison, aussi resta-t-elle avec eux, tandis qu'Olivier rentrait un moment pour s'équiper. Il avait l'intention de profiter de son retour en ville pour procéder à quelques achats et l'une ou l'autre visite. Enfin, il fut l'heure de se mettre en route. Les enfants n'étaient pas particulièrement déçus, ils en avaient sûrement déjà beaucoup vu au cours des pérégrinations des dernières semaines, de la remontée de la Sylvestre en barge au bosquet de Wilmarin, en passant par le passage en Féérie, et sans doute étaient-ils un peu blasés, désormais, des merveilles et des mystères de la Vallée du Nirvana. Ils se préparèrent sans protester et quand vint le moment de partir, ils saluèrent Epona puis emboîtèrent le pas d'Olivier et de Dina, qui était réapparue dès qu'ils s'étaient mis en route. Comme la veille, le druide écarta les branchages qui dissimulaient le refuge, et après un court passage sous les ramures serrées des arbres, ils débouchèrent dans la campagne. Quelques minutes plus tard, il apparut clairement à Taliesin qu'il ne pourrait jamais retrouver seul le chemin des lieux, sans doute protégés par un sortilège d'égarement quelconque, tel qu'en connaissaient de nombreux êtres fées.

Voilà pourquoi, au moment de leur séparation, il demanderait à Olivier par quel moyen il pourrait lui signaler sa présence, si d'aventure il venait à repasser par Pont-d'Ire. Certes, il n'avait pas informé le druide de la situation de Marius, et ce n'était certainement pas le bon moment pour le faire ; mais il avait d'autres arguments qu'il pouvait exposer en public, comme le possible désir de Titus de revoir Agrim. Ou, simplement, le plaisir de renouveler une rencontre dont il ne cachait pas qu'elle lui avait beaucoup plu.

Ils marchèrent tranquillement dans la campagne ensoleillée, retraçant leur parcours vers le hameau en bordure de rivière, Dina devant, suivie par les enfants en désordre, puis Taliesin, enfin Olivier. Le druide s'excusa une fois ou deux durant le trajet, mais Dina leur servit de guide, et Olivier finissait toujours par réapparaître. Le barde fut assez rapidement convaincu qu'ils n'empruntaient en réalité pas le même chemin que la veille, car il reconnut très peu de leur environnement et découvrit des arbres ou des rochers qu'il était plus ou moins certain de ne pas avoir vu lors de leur premier passage.
L'arrivée à Pont d'Ire lui donna raison : ils arrivèrent par le sud du bourg plutôt que par l'est. Dina s'arrêta à bonne distance mais Olivier les suivit jusqu'à l'auberge.

Là, le barde le salua chaleureusement.
-Ce fut un plaisir de vous rencontrer, Olivier. A nouveau, je ne saurais trop vous remercier pour l'aide que vous m'avez apportée concernant Baptiste, ainsi que pour votre accueil en votre domaine : j'ai passé un très bon moment et je suis convaincu que c'est la même chose pour les enfants.
Il jeta un regard au petit faune.
-Si nous venons à repasser par ici, je serais ravi de pouvoir vous revoir et je pense que Titus aimerait beaucoup revoir Agrim... Y aurait-il pour nous une façon de vous signaler notre présence ? Enfin, si une nouvelle rencontre vous tente, bien sûr...

" Ce fut un plaisir également et je vous souhaite bonne route jusqu'à chez vous. Puissiez-vous, tous, y trouver quelque repos."
Il sourit.
" Pour le reste, si vous veniez à repasser par ici, les oiseaux me préviendront. Je vous enverrai alors un messager."

Taliesin lui rendit son sourire.
-Très bien.
Il ne demandait pas davantage.
-Encore merci pour tout. Et à bientôt.
Voilà qui concluait une rencontre aussi imprévue qu'agréable. Elle contribuerait à rendre moins pénible le souvenir de ce court passage à Pont-d'Ire.

Les enfants saluèrent Olivier puis rentrèrent dans l'auberge en chahutant. Ils étaient cependant fatigués et ils s'affalèrent autour d'une table. Le tenancier parut soulagé de les revoir tous.
" Je vois que le p'tit malade a l'air mieux, dit-il à Taliesin. Voilà une bonne nouvelle. Vous allez dormir ici ce soir ?"

Il acquiesça.
-Oui, si cela ne vous cause pas trop de dérangement. Quant à notre départ... Cela va dépendre du moment où partira le prochain coche. Je vais aller me renseigner sans trop tarder.
Il faudrait aussi qu'il remette leurs lettres au service du courier. Mais auparavant, il laisserait à Baptiste l'opportunité d'y ajouter un petit mot, concernant ce qui lui était arrivé et, surtout, le fait qu'il aille désormais (relativement) bien.

Mais Baptiste n'avait aucune intention de ce genre : il estimait avoir déjà raconté ce qu'il avait à raconter dans sa propre lettre et ne voyait pas l'intérêt d'inquiéter Galathée avec un événement dont il n'avait, de surcroît, aucun souvenir. Il la verrait bientôt et pourrait lui en parler à ce moment-là. Taliesin put donc rallier le comptoir des coches et le service de messagerie voisin.
Un coche à huit places partait le lendemain, dont deux étaient déjà occupées, et il était donc parfaitement possible pour Taliesin et sa nombreuse famille de voyager. Il eut cependant droit à un petit laïus sur la nécessité d'expliquer à sa marmaille qu'ils devraient partager le véhicule avec d'autres personnes et qu'une certaine tenue était donc exigée à bord. Le départ avait lieu en milieu de matinée, pour le reste, aussi n'auraient-ils pas à se réveiller à l'aube.

La Couronne de Cuivre

[Quête] A travers la vallée...