La Couronne de Cuivre

Le sortilège n'eut aucun impact. Pendant une demi-seconde, Astrée ressentit un certain soulagement, mais l'instant suivant, la douleur reprit, sourde et omniprésente. Il semblait que la jeune femme allait devoir s'y habituer. Un peu plus tard, l'elfe bougea dans son sommeil, pivota sur le dos, puis se figea. Le son de sa respiration avait changé, elle était désormais plus régulière, plus maîtrisée. Si elle avait dû faire un pari, Astrée aurait dit qu'il était désormais réveillé.

Astrée cessa de se masser les tempes. C'était inutile : quoiqu'elle fasse, elle ne parvenait pas à se soulager. Mais puisque son compagnon d'infortune était éveillé, elle pouvait tenter d'engager la conversation. Bien sûr, il ne parlait peut-être pas le commun....

"Bonjour", fit-elle doucement, d'un ton hésitant.
A défaut de la comprendre, il entendrait sans doute que son ton n'était pas hostile...

Il ouvrit les yeux et, sans attendre un instant, bondit sur ses pieds et se jeta sur elle, sans se soucier de son ton, de sa flamme, de rien d'autre. Astrée fut prise au dépourvu et roula sur le côté, l'elfe noir sur elle. Il était maigre, plus petit qu'elle, mais ne manquait manifestement pas de vigueur. Ce qu'il essayait de faire... difficile de le savoir.

Astrée était généralement de taille à se défendre. Elle n'eut donc pas immédiatement le réflexe de faire appel à la magie, et commença par essayer de se débarrasser de son agresseur par une simple lutte au corps à corps. Il était sans doute leste, mais plus maigre et probablement plus faible qu'elle.
Elle lâcha sa flamme en tentant de la lui envoyer maladroitement au visage, puis se débattit dans l'obscurité pour lui faire lâcher prise, cherchant à le renverser puis à l'immobiliser au sol sous elle.

Astrée n'eut aucun mal à avoir le dessus et à plaquer l'elfe contre le sol, mais il avait de l'énergie malgré sa maigreur et elle dut peser de tout son poids pour le maîtriser. Tandis qu'elle le neutralisait — sans pouvoir pour autant relâcher sa pression*— il l'agonit de paroles incompréhensibles dans sa langue aux accents heurtés, puis, brusquement, il la mordit au bras gauche. Astrée avait heureusement assez de couches de vêtement pour atténuer la morsure, mais il semblait ne pas avoir l'intention de lâcher...

Un instant, elle revit l'image de Félicie lui affirmant que les elfes mangeaient les humains. Il n'essayait tout de même pas ...? Avec un cri de douleur, elle relâcha sa prise de la main droite pour le gifler violemment, dans un geste réflexe.
Elle essaya ensuite de se dégager, quitte à lui laisser un morceau de pull dans les dents. Elle comptait ensuite se relever et tenter de le maintenir en respect.

La gifle porta ses fruits, envoyant la tête de l'elfe claquer contre la pierre. Il lâcha prise et Astrée put se relever, mais elle n'y voyait toujours absolument rien, ce qui n'était probablement pas le cas de son adversaire, habitué aux ténèbres. Elle l'entendit gémir et se redresser. Difficile, cependant, de savoir ce qu'il ferait ensuite.

Elle incanta aussitôt.

Astrée --> production de flamme.

Elle voulait voir ce qu'il s'apprêtait à faire, se préparer à réagir. S'il lui sautait dessus à nouveau, sa petite flamme était une arme de fortune tout à fait valable qu'elle n'hésiterait pas à lui lancer au visage.

L'elfe aurait sans doute pu intervenir pendant qu'elle incantait, mais il était peut-être trop sonné ou trop loin ou inquiet de ce qu'elle mijotait. Toujours est-il que lorsque la lumière fut, Astrée put le découvrir, à quelques mètres, accroupi, et il se protégea instinctivement les yeux d'un bras, tout en grognant comme un animal. Répit, certes, mais peut-être de courte durée...

Un peu décontenancée, Astrée songea qu'il fallait peut-être, simplement, montrer qui était le plus fort. Les elfes noirs fonctionnaient peut-être ainsi ? Dominer ou être dominée ? Elle n'en savait rien, au fond.
Elle avança d'un pas dans la direction de l'elfe noir, bien droite, en tendant la flamme devant elle, pour lui montrer qu'elle n'avait pas peur de lui. Mais elle ne comptait pas l'attaquer la première. Simplement, au moindre geste menaçant, elle s'en servirait pour se défendre.

Il recula en grognant, jusqu'à être bloqué par le mur derrière lui. Son visage était tordu par la fureur et ses yeux rouges, bien qu'aveuglés par la flamme, brillaient. Pour l'heure, il ne semblait pas décidé à attaquer, mais son corps étique était tendu comme la corde d'un arc et il n'était pas certain qu'il ne changerait pas d'attitude — et de comportement — si Astrée continuait à avancer.

Elle n'avança pas davantage. Elle ne voulait pas le provoquer, juste... marquer son territoire ? L'inconnu lui faisait l'effet d'une bête apeurée, et la poussait à adopter une attitude d'animal dominant. Mais c'était probablement une interprétation erronée : les elfes noirs, qui vivaient aussi longtemps que les êtres de la surface et en avaient certainement toutes les capacités physiques et intellectuelles, devaient être des êtres civilisés, et non des bêtes... du moins, c'était son opinion. Elle n'en savait rien en réalité. Dans l'immédiat, l'inconnu était peut-être juste un être fourbe et cruel, qui attendait le moindre signe de relâchement de sa part pour l'attaquer à nouveau. Cela semblait assez probable.

Elle recula légèrement, toujours très droite, sans le quitter des yeux, sa flamme brillant dans sa main droite. De son index gauche, elle se désigna, en prononçant son nom.
" Astrée..."
Puis elle le désigna, et, avec un ton très interrogatif, questionna.
" Qui es-tu ?"
Le comportement un peu animal de l'inconnu lui avait fait adopter, d'instinct, le tutoiement, et elle s'en voulut. Heureusement, il ne comprenait probablement pas.

Il ne répondit pas, la surveillant de ses yeux réduits à l'état de fente, et se contenta de grogner. Il était vraiment très sale et très maigre, ses vêtements en lambeaux n'avaient probablement pas été lavés depuis des veilles. Sa tension demeurait vive et, si Astrée devait lui appliquer ses connaissances animales, il était probable qu'il réattaque dès qu'il en aurait l'opportunité.

Astrée recula à nouveau, avec des gestes lents, calmes, non menaçants. Elle ne le quittait pas des yeux, cependant. Elle comptait s'adosser au mur d'en face, tranquillement, mais rester debout. Ensuite... elle verrait. Elle ne devait montrer ni peur ni faiblesse, c'était du moins ce que lui suggérait son instinct. Cependant, tôt ou tard, sa flamme s'éteindrait et elle devrait incanter à nouveau. Tôt ou tard, également, la fatigue l'obligerait à s'asseoir. Elle craignait qu'il l'attaque à la première occasion. Mais elle n'était pas en état d'y réfléchir. Si seulement ce fichu mal de crâne voulait bien cesser de la tourmenter....

Elle ne se trompait pas : il ne fit aucun mouvement dans sa direction, mais il ne la quitta pas des yeux, vigilant, avide, attendant un signe de fléchissement pour repasser à l'action. Il n'était pas certain qu'Astrée craque la première... mais les elfes noirs étaient des créatures dont toute l'existence n'était que survie. Malgré l'état de celui-ci, il avait sans doute des réserves insoupçonnées d'énergie. Et probablement grand faim, suffisamment pour le pousser dans ses derniers retranchements.

La situation était inconfortable, et le mal de tête ne l'aidait pas à y réfléchir sereinement. Il aurait fallu qu'elle dorme, pour aller mieux. Elle n'en comprenait pas la cause. Peut-être l'air était-il trop vicié, sans qu'elle s'en rende compte, ou peut-être était-elle déshydraté. Il ne lui semblait pas avoir reçu de coup sur le crâne, pourtant.

Elle se demandait, également comment survivait l'elfe noir qui semblait là depuis longtemps. Mais peut-être se trompait-elle en imaginant cela. Cherchait-il à dévorer tout être vivant partageant sa cellule ? Cela lui semblait assez inconcevable. Il devait avoir une autre solution pour subsister, tout de même... Pourtant, il lui semblait être là depuis une éternité sans que quiconque se soucie d'eux. Le temps était difficile à estimer.

Elle continua à attendre, appuyée contre le mur, décidée à renouveler sa flamme régulièrement et à patienter. Un humain pouvait-il être aussi patient qu'un elfe ? Sans doute non... Mais il semblait très affaibli. Dans un moment, si personne ne venait leur rendre visite, elle pourrait incanter pour obtenir une baie magique pour assouvir sa faim et peut-être celle de l'elfe noir. La soif serait plus problématique.

L'elfe guettait ce qu'Astrée allait faire. La flamme au creux de sa paume perdit en intensité. Tôt ou tard, elle allait devoir réincanter et elle savait qu'il en profiterait. Cela ne durerait que quelques instants, mais la cellule était trop petite pour qu'il n'arrive pas jusqu'à elle. Il faudrait immanquablement en repasser par une courte lutte. Astrée aurait le dessus*— l'autre ne faisait pas le poids — mais elle arborerait sûrement une griffure ou une morsure supplémentaire.

Cela pouvait durer... un certain temps. La flamme n'avait pas une grande longévité. Si chaque extinction donnait lieu à une lutte et une contusion quelconque, elle allait s'affaiblir. Lui aussi. Plus vite qu'elle, probablement. Mais les elfes avaient une bonne endurance, lui semblait-il. Et surtout, moins besoin de dormir. A ce jeu d'usure, elle n'était pas certaine d'avoir l'avantage indéfiniment. Elle devait essayer de l'apprivoiser. Peut-être en le nourrissant. C'était tout ce qu'elle avait à sa disposition. Mais si elle commençait à incanter, il allait bondir à nouveau sur elle...
Pour ne pas gaspiller inutilement un sortilège, elle préféra incanter d'abord pour produire une nouvelle flamme, pour observer sa réaction, en se tenant prête à lutter et à maîtriser son adversaire. Ce sortilège-là, elle savait le lancer à volonté.

Comme prévu, il bondit sur elle dès qu'elle fit mine d'entamer son incantation. Elle était prête, il ne parvint pas à la renverser, mais il faisait à nouveau noir et elle ne pouvait anticiper tous ses mouvements. Elle lutta pour le plaquer au sol tandis qu'il ruait en la griffant. Il avait de la force, mine de rien, et elle dut peser de tout son poids, pratiquement couchée sur lui, pour le maîtriser. Il essaya à nouveau de la mordre, cette fois à l'épaule, et s'il ne put pas traverser ses vêtements, il lui arracha quand même des cheveux. Il la maudit dans sa langue, du moins était-ce ce à quoi cela ressemblait.

Elle s'efforça, de son mieux, de le renverser sur le ventre en lui tordant un bras dans le dos, pour ensuite s'asseoir sur son dos et l'immobiliser dans cette position. Elle n'y allait pas de main morte, utilisant toute sa force et n'hésitant pas à lui causer quelques bleus et contusions. Elle ne voulait pas lui faire mal, juste le maîtriser, mais il semblait ne comprendre que la force...
Si elle y parvenait, elle aurait une main libre et pourrait incanter. Elle pourrait alors conjurer des baies nourrissantes, qu'elle glisserait dans une poche de son pantalon, puis, à nouveau, une flamme.
Encore fallait-il parvenir à le maîtriser suffisamment solidement...

Ce ne fut pas une mince affaire et si Astrée se soucia peu de lui infliger l'une ou l'autre contusion, il ne se priva pas de lui rendre la pareille. Il s'agitait comme une anguille, maigre et fébrile, ruant dans son étreinte. Outre ses tentatives de mordre, qui se répétèrent, il lui flanqua des coups de pied et lorsqu'elle parvint à le retourner, elle réalisa qu'elle ne parviendrait jamais à lui immobiliser les deux bras dans le dos d'une seule main. Quant à espérer le maîtriser en lui en tordant un seul... Elle pouvait franchement lui déboîter l'épaule, et même comme ça, il était peu probable qu'il arrête de se défendre : la tolérance à la douleur des elfes noirs n'était probablement pas un mythe. Celui-ci, de surcroît, était un mâle : il avait dû en baver plus souvent qu'à son tour, même avant de se retrouver dans cette oubliette.

Elle était décidée à parvenir à ses fins. Elle s'assit sur son dos, appuyant les genoux sur ses épaules, pesant de tout son poids. Ainsi plaqué au sol, il ne pouvait de toute façon pas faire grand-chose de ses mains... à part y prendre appui pour tenter de se retourner, bien sûr. Il fallait qu'elle tienne bon, durant les quelques instants de l'incantation.

Astrée --> baies nourricières

Ce fut tout juste. Elle parvint à incanter juste avant qu'il ne la déséquilibre d'un bon coup de rein et l'envoie valdinguer sur le côté. Elle parvint à conserver une baie dans sa paume, mais les autres — ou l'autre, elle ne pouvait le savoir car elle n'avait rien vu — lui échappèrent et roulèrent quelque part dans le noir.
Heureusement pour elle, si l'elfe était parvenu à se dégager, il ne réattaqua pas pour autant. Sa respiration trahissait son état d'épuisement. Le répit, cependant, serait comme d'habitude de courte durée.

Astrée incanta immédiatement, profitant de l'épuisement de son adversaire.
Astrée --> production de flamme.
Elle espérait retrouver au moins une autre baie nourricière sur le sol. S'inspirant du fonctionnement d'une meute de loup, elle songeait qu'il fallait qu'elle se nourrisse devant lui et partage ensuite volontairement sa pitance... ou quelque chose comme ça.
Bon, évidemment, ça n'était pas un loup, et il pouvait très bien interpréter son geste tout à fait différemment. Elle aurait essayé...

Assis contre le mur, l'elfe reprenait son souffle. Son expression était toujours la même, haineuse et meurtrière, comme une bête enragée. Sur le sol, Astrée repéra deux baies, l'une non loin de son pied, l'autre beaucoup plus loin. Les ramasser, c'était à nouveau prendre le risque de s'exposer à un assaut... La jeune femme parvint aisément à rattraper la première, cependant.

Astrée ne quittait pas l'elfe des yeux. Elle renonça à ramasser la troisième baie et se contenta de s'en approcher, d'un pas lent, prête à réagir en cas d'attaque. A défaut de l'avoir en main, elle voulait montrer que le fruit lui appartenait.
Elle lui montra le fruit qu'elle venait de ramasser, sans trop savoir s'il avait vu celui qu'elle avait déjà en main. Puis son doigt montra la baie magique au sol, et désigna ensuite l'elfe noir, essayant de montrer que le fruit était pour lui. Elle mit dans sa bouche, ostensiblement, le fruit qu'elle avait ramassé, et recula de quelques pas pour le laisser prendre le dernier.
Le seul inconvénient de cette stratégie, songeait-elle, était que l'elfe allait reprendre des forces... et peut-être s'en servir contre elle.

Il la regarda faire sans bouger, les yeux brillants, et son visage se tordit dans une grimace de dégoût. Il ne fit aucun geste en direction de la baie, méfiant et toujours aussi tendu. Peut-être finirait-il par craquer, mais ce n'était pas garanti. Pour l'heure, en tout cas, la flamme le tenait en respect et elle le ferait encore un moment.

Peut-être qu'accepter un cadeau était un signe de faiblesse : il accepterait ainsi sa domination... Ou peut-être qu'il craignait un piège. Son attitude n'avait cependant rien de surprenant. Il ne pouvait pas lui faire confiance.
Astrée recula calmement jusqu'au mur opposé, lui laissant le champ libre. Elle avait glissé la dernière baie dans sa poche, discrètement, et observait ses réactions. Si elle ne parvenait pas à calmer ses tendances cannibales, s'il cherchait à la tuer au moindre signe de faiblesse, bref, s'il n'y avait aucun moyen de s'assurer une trêve, elle ne pourrait pas dormir. Même l'assommer -si toutefois elle y parvenait- ne lui garantirait pas un sommeil protégé.
Elle décida d'attendre et d'observer, encore un moment... tout en réfléchissant à un moyen de fuir.

Il n'y avait aucun moyen de fuir. La seule issue semblait être dans le plafond et elle était hors d'atteinte, et close pour l'heure, par ce qui était manifestement de la roche. Même si elle parvenait à grimper, sous forme de rat, jusque là — et il y avait de fortes chances pour que son compagnon d'infortune y voit l'opportunité d'un repas moins costaud — elle serait ensuite incapable de sortir. Peut-être trouverait-elle une anfractuosité dans la roche... mais ce n'était pas garanti ; elle n'en voyait en tout cas aucune trace de là où elle se trouvait.
L'elfe ne bougeait toujours pas, la surveillant avec son intensité fiévreuse, lâchant de temps en temps un grognement peu amène. C'était une chance que ce ne soit pas un lanceur de sorts, car les choses auraient pu tourner au massacre.

Astrée réfléchissait -ou du moins tentait de réfléchir malgré son mal de crâne. Il y avait forcément une issue à cette pièce. C'était là-haut. Même si la trappe était fermée, peut-être y avait-il un interstice par lequel elle pourrait se glisser si elle se transformait en un animal suffisamment petit. Une araignée, par exemple. Les elfes ne faisaient pas de mal aux araignées, lui semblait-il. Et elle serait bien trop petite pour être nourrissante. Mais aussi incroyablement fragile... et elle n'était pas certaine que tous les elfes vouent une vénération sans faille aux araignées. Il y avait un risque, tout de même.
Elle décida de garder cette idée dans un coin de son esprit, et de commencer par patienter, observer son compagnon en espérant une trêve, attendre qu'on leur rende éventuellement visite. Il n'y avait pas d'urgence.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon