La Couronne de Cuivre

Prince ne le pensait pas : les humains semblaient toujours chercher à le dompter, mais leurs méthodes étaient devenues plus violentes. Une fois qu'il eut "rassuré" sa maîtresse, le petit animal s'offrit cependant la sieste à laquelle il aspirait. Au dehors, le temps semblait rester clément. Il y eut une nouvelle ondée, plus brève et plus légère, et Astrée vit un groupe d'enfants batifoler dans les flaques ensuite, au grand dam des deux femmes qui les accompagnaient. Le ciel commença à s'obscurcir. Caribert reparut et regagna l'intérieur des écuries. L'activité sur la petite place et dans les rues diminua. Un centaure parut pour allumer les lampes à huile qu'un autre avait rechargée en cours de journée. La première écurie fut refermée par un des assistants du débourreur. La seconde demeura ouverte un peu plus longtemps, puis Caribert et deux hommes en sortirent et la verrouillèrent à son tour. Le ciel était devenu bleu sombre.

Astrée attendit encore un moment que Caribert et ses assistants s'éloignent et que les derniers Montequins quittent la place, faisant mentalement le bilan de la journée écoulée. Un bilan mitigé. Elle n'avait pas pu parler à Sheldon, et même si elle s'y rendait immédiatement, il lui faudrait sans doute attendre le lendemain pour réussir à le voir. Sa planque ici était sure, mais les abords trop fréquentés pour qu'elle puisse faire autre chose qu'y dormir, et il y aurait définitivement trop de monde en journée pour espérer tenter quoi que ce soit. Certes, elle savait désormais à peu près combien de centaures mâles de la harde étaient retenus à Montequine, à moins qu'il n'y en ait dans d'autres écuries. Il lui restait à trouver les femelles. Elle savait où se trouvaient les centaures de la garde, également. Et elle savait que les assistants de Caribert avaient eux aussi les clés. Ça faisait déjà quelques éléments... et elle préférait ne pas faire l'inventaire de ce qui lui restait à observer.
Sa priorité était désormais de retrouver Sheldon, et de lui parler si elle trouvait un moyen de s'en approcher. Il lui fallait repérer une cachette à proximité, également. Ensuite, elle irait explorer un peu la ville avant de rejoindre Neffen.
La rôdeuse hésita à laisser une partie de ses affaires sur place, mais après tout elle n'était pas certaine de revenir ici. Mieux valait tout emporter. Se glissant silencieusement à bas de son perchoir, elle s'approcha de l'entrée du hangar, guettant le moindre bruit avant de se risquer au-dehors. Elle caressa doucement Prince pour le réveiller. Il fallait qu'il la guide jusqu'à Sheldon.

L'écureuil demeura perché sur son épaule, lui indiquant la direction à suivre au moyen de couinements. Le crépuscule s'attardait, tranquille, nimbant le ciel de lueurs fantastiques. Seule une petite brise piquante rappelait au promeneur que le printemps était encore incertain. Astrée croisa plusieurs Montequins mais chaque fois, elle put anticiper leur passage, et profiter des nombreuses cachettes de la rue pour se dissimuler. Le temps clément était à la fois un problème et une bénédiction, sans doute. Elle retourna dans des quartiers plus résidentiels, dépassa une taverne animée, la boutique close d'un boulanger, celle, encore illuminée, d'un cordonnier qui devisait avec un client. Elle longea la cour d'une école où une lumière demeurait allumée bien qu'elle n'y vit nul mouvement. Puis elle arriva devant une petite bâtisse grise, à la porte noire, sans fenêtre, comme une sorte de prison. Et peut-être en était-ce une. Sur les conseils de Prince, la rôdeuse fit le tour du bâtiment, isolé sur une placette de sable. Il était prolongé par un mur d'enceinte, haut et lisse, dont le sommet était hérissé de piques de fer. L'un dans l'autre, c'était probablement l'endroit le plus sinistre qu'elle ait vu à Montequine, jusque là.

L'endroit était sinistre. Et le chef des centaures était là-dedans... Elle soupira. Pas de fenêtre. Un mur d'enceinte difficilement franchissable... voire infranchissable peut-être, elle évaluait mal la hauteur des piques avec la pénombre. Une seule porte. Et elle était prête à parier que seul Caribert en avait la clé. Mais comment donc allait-elle pouvoir entrer là-dedans ? Comment pourrait-elle réussir à parler à Sheldon ?
Elle en fit une deuxième fois le tour, lentement. A défaut de fenêtre, y avait-il des ouvertures quelconques pour l'aération, au travers desquelles elle aurait pu lui parler ? Un moyen d'accéder au toit ? Bien sûr, elle allait aussi tenter d'appuyer sur la poignée, juste au cas où quelqu'un ait oublié de fermer. Elle demanda à Prince comment était l'intérieur, s'il y avait plusieurs pièces, et où se trouvait Sheldon exactement. Il fallait absolument qu'elle trouve un moyen de communiquer avec lui. Et cette prison restait probablement fermée y compris la journée...

Prince la renseigna sur l'intérieur, lui expliquant qu'il y avait un long couloir avec plusieurs portes, mais que Caribert avait directement été jusqu'au bout et une salle circulaire, où se trouvait déjà le centaure ainsi que deux hommes. Cela ne ressemblait ni à une stalle, ni à une cellule, cependant, et l'écureuil fut bien forcé d'avouer qu'il n'était pas complètement sûr que Sheldon était retenu dans le bâtiment, car il n'était pas resté jusqu'à la fin de la séance de débourrage. Il y avait des fenêtres haut placées, de petite taille, grillagées. Une abeille avait pu s'y glisser. Le toit était plat, mais il ne l'avait pas arpenté et ignorait si on y trouvait une trappe ou une ouverture plus vaste. Pour y accéder, il faudrait une fois de plus tenter l'escalade. Mais la bâtisse semblait plus solide que l'écurie. Prince finit par oser tenter l'escalade et revint avec une "bonne" nouvelle : il y avait une cheminée éteinte, pour l'heure.

Bon... La première chose à faire était de déterminer si oui ou non Sheldon se trouvait à l'intérieur. La cheminée éteinte ne lui servait à rien, par elle-même, à part la possibilité d'y fixer une corde avec le grappin. Ce qui était absolument inutile en l'absence d'ouvertures là-haut. A moins que Prince n'ait pas vu une éventuelle trappe... La cheminée pouvait également servir de point d'accès pour l'écureuil. Mais il pouvait également passer, sous sa forme d'abeille, par l'une des fenêtres grillagées. Le seul souci était qu'il faisait presque nuit, et que l'intérieur du bâtiment était très certainement plongé dans le noir complet.
Mais elle n'allait tout de même pas abandonner avant d'avoir essayé, aussi envoya-t-elle Prince voleter, sous forme d'abeille, auprès des fenêtres pour voir ce qu'il y distinguait. Très certainement, rien. Mais s'il pouvait deviner la silhouette d'un centaure, ce serait fantastique. Et s'il y voyait suffisamment pour pénétrer dans le bâtiment, ce serait miraculeux.

Prince voleta donc, vaille que vaille, devant les ouvertures mais revint bredouille. Il n'avait vu aucune trace de centaure, mais avait entendu au moins trois respirations. Deux lui avaient paru amples, la troisième beaucoup plus légère. Ce n'était pas grand chose, sans doute... Par contre, il lui semblait qu'Astrée était assez mince pour emprunter la cheminée. Mais il pouvait évidemment se tromper...

Deux respirations amples et une légère. Deux centaures et un humain ? L'endroit était-il une prison pour centaure ? Ou peut-être que ça n'avait rien à voir... Peut-être était-ce des humains, et Caribert n'utilisait-il que la salle de torture. Pourtant... non, il était très probable que Sheldon soit retenu dans le bâtiment. Ils n'allaient tout de même pas le déplacer tous les jours jusqu'ici. Il était lourd et certainement très peu coopératif. Il était donc certainement à l'intérieur. Ou, à l'extrême rigueur, dans une écurie toute proche.
Il fallait donc qu'elle aille voir. Par la cheminée, si elle arrivait à s'y glisser. Ô joie... Le seul point positif était que la suie allait parachever son camouflage nocturne... si on pouvait appeler ça un point positif.
Elle hésita, jetant un coup d'oeil aux alentours. La nuit venait tout juste de tomber. Il ne fallait pas qu'on l'aperçoive sur le toit. Elle fit du regard le tour des bâtiments entourant la place. Y avait-il des habitations, avec des fenêtres éclairées signalant une présence ? Des bruits de pas dans les rues ? Si elle avait le moindre doute, elle attendrait une heure ou deux et s'en irait explorer les alentours en attendant.

Il restait quelques lumières dans les maisons avoisinantes, mais aucune n'était réellement proche de la bâtisse obscure, qui semblait jeter comme un cercle d'ombre autour d'elle. Astrée pouvait l'aborder par l'arrière sans risquer d'être vue, car elle jouxtait un hangar bas qui renfermait des sacs de grain et une paire de matous mal embouchés. Elle eut cependant beaucoup de mal à fixer sa corde, car la cheminée était hors de vue et la viser compliqué. Prince aurait pu la porter vers le haut mais il aurait été incapable de l'y accrocher. Le grappin était trop lourd pour lui. Astrée dut donc se contenter de la corniche, et d'une prise hasardeuse. Une autre possibilité aurait été de tenter une escalade via le mur d'enceinte où les piques de métal acérées offraient de bons points d'ancrage. Néanmoins, elle se retrouverait alors dans une cour dont la porte était peut-être fermée.

Passer le mur d'enceinte pour se retrouver dans une cour sans issue était sans doute une perte de temps : la porte serait certainement fermée. Mais peut-être pourrait-elle trouver, à l'intérieur de la cour, un accès un peu plus facile au toit ? Ou, à partir du mur, l'atteindre plus facilement si elle trouvait des prises solides ? Et puis, elle était curieuse de voir cette cour...
Elle décida donc de lancer sa corde avec son grappin entre les piques de métal pour franchir le mur d'enceinte. Après tout, si elle n'aboutissait pas pas là, elle pourrait toujours revenir en arrière et tenter de s'agripper à la corniche.

Astrée fixa donc son grappin et entama son ascension. Le mur n'offrait pas beaucoup de prises, aussi dut-elle se hisser à la seule force de ses bras, mais c'était un exercice qu'elle maîtrisait de mieux en mieux. Arrivée au sommet, elle constata que les piques étaient effectivement très acérées et que, comble de malchance, l'une d'entre elles avait frotté sur sa corde déjà mal en point, en entamant les fibres. Elle tenait encore bon, mais il faudrait sans nul doute la raccourcir pour la sauver. De l'autre côté se trouvait une petite cour de sable, au sol tout à fait nu à l'exception de deux objets pour le moins sinistres. Le premier était un billot usé, dont le bois accusait de nombreux coups de hache, bien que celle-ci ne soit pas présente. Le second, beaucoup plus grand, était une potence haut de plusieurs mètres, à laquelle on accédait par quelques larges marches.
Une large double-porte donnait sur le bâtiment mais il était bien sûr impossible de savoir si elle était ouverte sans descendre dans la cour. Par contre, il y avait deux fenêtres, barrées de métal, par lesquelles il serait possible de voir à l'intérieur. Bien qu'il n'y ait, en réalité, aucune lumière apparente.

Astrée ne tergiversa pas davantage. Elle fixa à nouveau sa corde après l'avoir raccourci, pour pouvoir au retour franchir le mur en sens inverse, prenant garde cette fois-ci à fixer son grappin entre deux piques un peu moins acérées, et en espérant que personne ne le remarquerait de l'extérieur. Elle ne comptait pas s'attarder de toute façon.
Elle se laissa glisser au sol et s'approcha du bâtiment, discrètement, essayant de ne pas se trouver trop en ligne de mire des fenêtres. On pouvait la voir autant qu'elle verrait, voire davantage. Son objectif était de jeter un coup d'oeil par les fenêtres, puis, à tout hasard, de tester la porte. Ensuite, si tout cela ne menait à rien, il faudrait qu'elle voie si le toit était plus accessible par là.

Les fenêtres donnaient sur des pièces anodines, plongées dans les ténèbres. La première semblait être une sorte de salle à manger exiguë, avec une table, deux chaises, une petite armoire. La seconde ressemblait davantage à une remise obscure, mais Astrée ne put y voir grand chose. Malheureusement, d'épais barreaux de fer les masquaient, l'une et l'autre, rendant l'accès impossible par cette voie. La double porte était fermée, elle aussi, de l'intérieur, manifestement, bien qu'elle ne paraisse pas excessivement solide. Bien sûr, si elle la forçait, cela se verrait immanquablement.
L'accès au toit était un rien plus aisé grâce aux embrasures des fenêtres, mais sans grande différence : la corniche demeurait l'unique point d'ancrage facilement atteignable. Il fallait cependant que la rôdeuse récupère d'abord sa corde usée.

Astrée ne perdit pas davantage de temps. Évitant instinctivement de tourner les yeux vers la potence ou le billot, elle revint vers le mur d'enceinte, grimpa jusqu'au sommet pour en décrocher la corde qu'elle jeta au sol. Puis, se laissant un instant pendre à bout de bras, elle sauta dans la cour et s'en revint vers le bâtiment. Au moins était-elle, ici, à l'abri des regards.
Elle prit le temps de vérifier soigneusement l'état de la corde, la raccourcissant un peu à l'endroit où elle avait été entaillée par les piques de fer, avant d'y fixer à nouveau son grappin. Elle allait pouvoir le lancer jusqu'à la corniche, mais elle savait que la prise serait hasardeuse. Heureusement, elle pourrait prendre appui sur les fenêtres pour démarrer son ascension et peser le moins possible sur la corde.
Il lui faudrait, là-haut, se séparer également de son sac à dos, qui ne passerait pas par la cheminée : mieux valait n'emporter que le minimum. Sacoche de secours, couteau, ficelle, bougie, briquet et autre petit matériel, et sa gourde au cas bien improbable où Sheldon accepte de boire une gorgée - encore fallait-il qu'il soit là et qu'elle puisse l'approcher : sa cellule serait probablement fermée... Elle pourrait laisser le reste au pied de la cheminée, puisqu'elle n'était pas visible de la rue.

Astrée parvint sans trop d'encombres au sommet du bâtiment et put inspecter elle-même la cheminée. Elle était étroite et sombre, puait la suie et la graisse, mais le feu était éteint en dessous, sans doute depuis un certain temps. Etroite, elle la laisserait probablement passer en descente, si elle se laissait glisser le long de la corde, mais ce serait nettement plus difficile de remonter, bien qu'elle pourrait alors disposer de nombreux appuis. C'était juste, quoi qu'il en soit : Prince avait manifestement une idée relativement imprécise de la souplesse d'un corps humain, habitué à sa carcasse malléable de petit écureuil. Mais c'était faisable.

Astrée hésita un moment. La cheminée était vraiment étroite. Mais bon, elle n'était tout de même pas arrivée jusque-là pour renoncer maintenant ? Si elle parvenait à descendre, elle saurait bien remonter, en s'agrippant avec les pieds, les bras, les genoux, aux parois de la cheminée. Ce serait difficile, et elle sortirait de là couverte de suie. Mais c'était réalisable... Enfin, il lui semblait. Pas si simple à dire, d'ici. Et dire qu'elle n'était même pas certaine que Sheldon était retenu là...
Avec un soupir, elle se débarrassa de tout son matériel superflu, attacha solidement sa corde à la cheminée et la laissa pendre dans le conduit. Puis, précautionneusement, elle se laissa glisser jusqu'en bas. Elle se tenait prête à faire demi-tour si le conduit devenait trop étroit : ce serait trop bête de rester coincée au beau milieu. Elle imaginait la tête de celui qui la découvrirait... non, vraiment, il valait mieux ne pas imaginer.
Une fois en bas, il lui faudrait faire attention à ne pas laisser de traces de suie dans la pièce, peut-être tout simplement en ôtant ses chaussures et son manteau. Elle verrait selon l'état de ses vêtements...

La jeune femme parvint à se faufiler jusqu'en bas bien qu'elle manqua deux fois rester coincée au niveau des hanches. Elle aurait peut-être mieux fait d'abandonner une couche de vêtements sur le toit... mais c'était trop tard. Quand elle arriva en bas, elle était couverte d'une couche de suie graisseuse, à l'odeur infecte, qui imprégnait son manteau, ses bottes et ses genoux. L'âtre était large et se trouvait dans une petite rotonde au centre d'un large couloir. Celui-ci partait vers la droite et la gauche et, comme Prince l'avait annoncé, de nombreuses portes le jalonnaient à intervalles réguliers. Douze au total. Toutes étaient de bois sombre, renforcé de métal, et dans chacune semblait s'ouvrir une petite fenêtre coulissante, grande comme la paume d'une main. Il faisait noir comme dans un four, cependant : Astrée ne pourrait pas faire grand chose avant d'avoir trouvé de la lumière.

Astrée n'avait gardé que le strict minimum de matériel, dans une petite sacoche, mais son briquet et un bout de bougie en faisait partie. Elle l'alluma pour constater les dégâts... et grimaça en constatant l'état de son manteau. Elle savait désormais quoi chercher d'autre cette nuit dans la ville : une bonne quantité d'eau pour laver ses vêtements. Un objectif qui venait s'ajouter à une bien trop longue liste... Mais pour l'heure, il fallait surtout ne pas laisser de traces. Elle ôta donc son manteau et ses bottes, les déposa dans un coin de l'âtre -elle n'en était plus à cela près-, et frotta de son mieux la suie sur ses chausses, avant de s'avancer dans l'un des couloirs, celui qui menait, selon Prince, en direction de la salle où Sheldon avait été torturé tout à l'heure. Elle allait jeter un coup d'oeil à chaque cellule. Dans l'obscurité, personne ne la reconnaîtrait : les humains ne la verraient pas suffisamment, et les centaures, à l'exception de Sheldon et Kess, ne la connaissaient pas.

Malheureusement, ce n'était pas un petit bout de bougie qui allait lui permettre d'éclairer l'intérieur des cellules. Elle fit coulisser le premier volet, se retrouva face aux ténèbres, à peine brisées par le rectangle gris sombre d'un petit soupirail loin au-dessus. On n'y voyait rien. L'espace était peut-être occupé, peut-être pas, mais il aurait fallu tendre le bras par l'ouverture pour espérer en distinguer autre chose que le premier mètre. Il n'y eut cependant aucun mouvement, aucun signe que quelqu'un, à l'intérieur, avait repéré l'éclat aveuglant de la petite flamme. A bien y écouter, il ne semblait pas non plus y avoir de respiration, pour autant que le prisonnier ne soit pas en train de la retenir.

Astrée décida de changer légèrement de tactique. Elle allait avancer silencieusement, et d'abord écouter attentivement derrière chaque porte pour déterminer quelles cellules étaient occupées. Prince avait cru reconnaître différentes sortes de respirations, mais elle doutait de savoir différencier vraiment la respiration d'un centaure de celle d'un humain. Quoi qu'il en soit, elle allait commencer par faire ainsi le tour des portes des deux couloirs. Elle irait également voir la pièce du fond, celle qui servait apparemment de salle de torture... enfin, de dressage soi-disant. Au cas où Sheldon se trouve tout bêtement retenu là-bas.
Ensuite, elle "visiterait" les cellules qui lui auraient paru susceptibles d'abriter un centaure. Certes, il lui faudrait tendre le bras pour éclairer l'intérieur. Elle n'avait pas le choix. Mais elle pensait ne pas risquer grand-chose : il était fort possible que leurs prisonniers centaures soient enchaînés à un mur pour ne pas risquer d'attaquer un geôlier. Peut-être pas les prisonniers humains en revanche. Mais il lui suffirait de quelques secondes pour repérer une silhouette, et, pris par surprise, ils n'auraient pas le temps de faire quoi que ce soit... si tant est qu'ils en aient l'intention.

Malheureusement, le bois des portes était trop épais pour que la rôdeuse puisse entendre quoi que ce soit, même en plaquant l'oreille contre la paroi. Sa seule solution était de faire coulisser les petits volets pour avoir un accès direct sur les cellules. Cela attirera immanquablement l'attention de ceux qui ne dormaient pas, réveillerait peut-être les autres.
Par contre, la porte de la salle du fond n'était pas fermée et Astrée pénétra dans une pièce relativement vaste et ronde. Ce n'était pas véritablement une salle de torture, comme on peut les imaginer dans les donjons obscurs, avec leur table où river un prisonnier, leur brasero, leurs instruments sinistres. Il y avait une structure de bois similaire à celle que la rôdeuse avait vu sur la petite place, mais aussi un espace plus vaste, rond, encadré de palissades hautes de plusieurs mètres. Diverses sangles et cordes étaient suspendues ça et là, ainsi que des fers et du matériel de harnachement. La pièce sentait mauvais, même si elle avait manifestement été nettoyée dans la journée.

Neffen aurait certainement dit que la pièce sentait la peur et la haine, mais son sens olfactif d'humaine n'était pas suffisamment développé pour qu'elle y sente autre chose que de la puanteur. Mais c'était donc là que Caribert jouait les dompteurs de bêtes sauvages... Elle espérait bien que Sheldon lui ferait mordre la poussière violemment chaque fois qu'il tenterait de le monter. Ce qu'il faisait peut-être déjà, d'ailleurs. Elle n'osait imaginer à quel genre de chantage ou de violences le débourreur avait recours pour tenter de le faire obéir.
Elle revint vers le couloir et s'arrêta devant l'une des portes, hésitant. Selon Prince, il y avait au moins trois personnes retenues ici. Peut-être deux centaures parmi les trois.... Ou peut-être aucun. Et si ça se trouve, Sheldon n'était pas là. Elle songea à rebrousser chemin et à envoyer Prince explorer les lieux de jour, pour revenir elle-même la nuit suivante. Mais elle répugnait à perdre un jour de plus. Sans compter que devoir refaire le même chemin la nuit suivante, si Sheldon était bien là comme c'était probable, ne l'enthousiasmait pas. Non, mieux valait agir puisqu'elle était là. Mais donc, cela signifiait qu'elle allait probablement réveiller trois personnes, qui pourraient témoigner qu'il y avait eu une visite durant la nuit. Bon, avec un peu de chance, on la prendrait pour un gardien faisant une ronde, même si ça n'était pas l'habitude, et personne ne parlerait. Il faudrait juste qu'elle fasse vite, qu'elle éclaire la pièce juste un bref instant, le temps d'identifier qui en était l'occupant, et parte aussitôt.

La première cellule était vide, ou en tout cas Astrée n'y vit et n'y entendit rien. Evidemment, avec sa maigre bougie, elle peinait à éclairer le premier mètre, une partie du second, et ne pouvait pas atteindre le mur du fond. Il était cependant peu probable qu'une personne, humain ou centaure, puisse retenir sa respiration aussi longtemps.
Dans la seconde, un courant d'air moucha sa flamme et elle dut la rallumer. Là encore, personne, mais l'odeur était forte. Il y avait eu quelqu'un et on n'avait pas encore nettoyé les excréments abandonnés derrière. En ouvrant le troisième volet, elle entendit un soupir.
" Quoi, c'est quoi ?! C'est l'heure ?" demanda une voix nerveuse.

Astrée recula et referma aussitôt le volet, sans un mot. Ce n'était pas un centaure, sans quoi il aurait été bâillonné. Donc cela ne la concernait pas. Mieux valait que le prisonnier interprète cela comme une simple visite nocturne.
Elle ne pouvait cependant s'empêcher de se demander... l'heure de quoi ? Elle revoyait le billot et la potence. L'homme était-il un condamné à mort ? Quoiqu'il en soit, elle ne pouvait rien pour lui et n'était pas sûre de vouloir en savoir davantage. Elle s'éloigna donc en silence, s'approchant de la porte suivante. Mais elle attendit quelques instants, guettant une éventuelle réaction. L'homme avait-il réveillé les autres détenus ? Peut-être devait-elle attendre quelques instants que le calme revienne, que tous se rendorment.

Mais une fois qu'elle eut refermé le volet, le prisonnier ne se tut pas pour autant et se mit à vociférer. Astrée n'en percevait plus réellement le sens mais il faisait un sacré raffut. Il ne vint cependant pas tambouriner à la porte, signe qu'il devait être enchaîné dans l'ombre. Le calme ne revient qu'après de longues minutes, mais il était très peu probable que cette visite nocturne ne soit pas répercutée le lendemain, ne fut-ce que pour se plaindre de son indifférence.
Astrée trouva finalement un premier centaure, dont elle aperçut la croupe dans la cellule suivante. Il était cependant trop clair pour être Sheldon. Il ne bougea pas d'un millimètre lorsqu'elle tendit le bras, demeurant inerte, endormi ou mort. Elle ne parvenait pas à percevoir sa respiration.

Astrée sentit son coeur se serrer. Bon, il était possible que le centaure ne fasse que retenir sa respiration, feignant d'être mort... mais il était hélas probable qu'il le soit.
C'était étrange que des centaures et des humains partagent la même prison. Étrange... et très gênant, en l'occurrence : sa visite n'était pas passée inaperçue, et il y avait fort à parier que l'homme allait la mentionner à ses geôliers le lendemain. Elle se demandait ce qu'ils allaient soupçonner. Un intrus, ici, si peu de temps après l'évasion de Byron, ça allait éveiller des inquiétudes. Qu'allaient-ils bien pouvoir en conclure ? Ils allaient peut-être interroger Sheldon, mais n'en obtiendraient rien. Ils allaient certainement renforcer encore leur surveillance, hélas. Elle espérait juste qu'ils ne soupçonneraient pas Neffen, en tant qu'étranger récemment arrivé de façon inattendue.
Quoiqu'il en soit, le mal était fait et elle ne pouvait plus rien y changer. Elle se dirigea donc vers la porte suivante, espérant trouver enfin Sheldon.

Le premier tiers de la cellule suivante était vide, mais l'odeur d'urine paraissait fraîche. La paille avait été récemment changée. Astrée eut l'impression d'entendre un mouvement plus loin, dans l'ombre. Puis, subitement, une main attrapa son bras, le bloquant par le poignet au travers de l'ouverture. La bougie tomba sur le sol dans la lutte de la jeune femme pour se dégager. Elle y parvint, mais il faisait à nouveau nuit. Le prisonnier qui l'avait saisie n'avait pas proféré un son. Pour qu'il ait pu rester caché contre le mur alors qu'elle inspectait la cellule, il ne pouvait cependant qu'être humain.

Astrée avait eu un instant de panique en sentant qu'on lui saisissait le bras. Elle aurait dû s'y attendre, elle y avait songé dès le début de son exploration. Mais le fait que l'autre homme soit enchaîné lui avait trop donné confiance. Elle se débattit de toutes ses forces, mais aussi silencieusement que son adversaire, réprimant tout juste un juron lorsqu'elle faillit se brûler en lâchant la bougie.
Un soupir de soulagement lui échappa lorsqu'il la lâcha enfin. Elle s'appuya quelques instants au mur pour reprendre ses esprits. En réalité, elle n'avait nulle raison d'être soulagée. Le simple fait qu'elle soit restée silencieuse prouvait qu'elle n'était pas un gardien effectuant une ronde nocturne. Il y avait donc, désormais, deux humains au courant de sa visite ici, dont l'un au moins savait qu'elle était entrée clandestinement... Que ferait-il de cette information ? Et surtout, que pouvait-elle faire, désormais, pour rattraper ça ? Le menacer de le tuer s'il parlait ? Ce n'était pas crédible, et ce serait laisser voir sa peur... D'autant qu'un homme qui s'attaquait comme ça en pleine nuit à un intrus dans la prison ne devait pas être du genre à se laisser impressionner par une menace. Et elle n'avait rien à lui offrir en échange de son silence. A part une promesse d'évasion dans quelques jours, mais elle ne pouvait pas l'annoncer à qui que ce soit.
Il fallait... qu'elle réfléchisse. Et qu'elle y voit plus clair, dans tous les sens du terme. Où donc était tombée sa bougie ? Dans la cellule ? Ce serait une catastrophe...
Elle trouva son briquet à amadou, l'alluma et explora le sol, sans grand espoir...

Il n'y avait nulle trace de la bougie sur le sol.
" Elle est tombée de mon côté." dit une voix, calmement, depuis le petit volet qu'elle avait laissé ouvert.
Même sans lever les yeux, elle pouvait deviner qu'il devait l'observer.
" Je me doutais que c'était vous. Rien pour le prouver, évidemment. Mais je me doutais que c'était vous."

Autant pour la discrétion... Et pour l'anonymat. Misère...
Elle chercha dans sa mémoire à reconnaître la voix, sans succès. Lui en tout cas paraissait la connaître. L'avait-elle rencontré ou ne faisait-il que soupçonner son identité ? Par prudence, elle préféra ne pas la confirmer, et elle éteignit aussitôt le briquet inutile.
- Et vous, qui êtes-vous donc ? questionna-t-elle calmement, à voix basse. Il fallait qu'elle se donne un peu de temps pour réfléchir. Comment pourrait-elle obtenir de lui qu'il ne la dénonce pas ?

hrp : j'ai une petite idée de qui... probablement farfelue (et trop optimiste)... mais je te dirai après

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine