La Couronne de Cuivre

Il aurait dû s'en douter : si Elryndel était piégé ici c'est forcément qu'il avait oublié pourquoi il y était arrivé. Peut-être ne se rendait-il même pas compte d'avoir quitté le monde réel pour ce monde du rêve si proche de la vérité. Si proche d'une vérité non ternie, sans soucis, obéissant aux désirs les plus intimes. Ici, il ne semblait pas malade alors que la dernière fois qu'il l'avait vu, hors de son cocon, il l'avait trouvé blême et inconscient. Le rôdeur avait envie de lui révéler ce dont il se souvenait de peur de se perdre lui aussi dans ce songe mais il savait, intuitivement, que ce ne serait pas la bonne méthode, qu'il lui fallait procéder par étapes, que c'était à son père de se souvenir :

- Oui, j'ai fait la rencontre de Tilmandil. C'est grâce à lui que je suis de retour : il m'a dit que tu étais souffrant. De quoi te souviens-tu ? Mais avant tout, laisse-moi te serrer dans mes bras, cela fait si longtemps !

Et il joignit le geste à la parole, ne pouvant retenir cette démonstration d'affection, même s'ils n'étaient pas seuls. Et peut-être ce contact aiderait-il. Il l'espérait.

Son père avait les yeux humides lorsqu'il le relâcha enfin. Et sa voix vibrait d'une émotion mal contenue.
- Oui, j'ai été malade, gravement malade, c'est vrai. Je n'avais plus la moindre énergie, mon corps était devenu celui d'un vieillard sénile. Mais c'est enfin terminé, les dieux en soient remerciés ! Je peux même considérer, finalement, que cette maladie a été une bénédiction puisqu'elle t'a fait revenir parmi nous ! Je désespérais de te revoir un jour... mais tu es là, finalement, c'est magnifique...
Il sourit.
- J'imagine qu'on t'a installé dans la chambre verte ? c'était ta préférée...

Son émotion n'était pas moindre et, s'il avait appréhendé de ne pas savoir quoi dire ni faire en ce moment alors qu'il était à sa recherche, les mots lui venaient maintenant naturellement. Ce n'étaient pas leurs vraies retrouvailles mais une petite part de lui ne pouvait s'empêcher d'agir comme si c'était le cas :

- Je m'en veux d'avoir tant attendu, de ne pas être rentré plus tôt. D'avoir eu besoin d'un tel motif. Mais père, ce que j'ai à dire est difficile à entendre et encore bien plus à croire je pense. As-tu confiance en moi ? Malgré mon départ, mon absence de nouvelles, m'accordes-tu encore quelque crédit ? J'ai besoin de le savoir avant de te révéler ce que je suis venu te dire aujourd'hui.

Le visage de son père refléta une vive inquiétude.
- Mais de quoi me parles-tu donc ? s'alarma-t-il. Parle, mon garçon, ne t'embarrasse donc pas de tant de précautions oratoires ! On croirait entendre un vieux diplomate... Ah, mais serais-tu devenu diplomate toi aussi sans m'en avoir averti ? Ou barde peut-être ? Voyons, qu'as-tu de si important à me dire qu'il te faille user de tant de détours pour parvenir à tes fins ? Parle franchement !

Kasumi releva les yeux pour croiser ceux de son père, un reflet plus ancien des siens dans lequel il avait toujours cherché à puiser de la sagesse. Il parla d'un ton qu'il espérait le plus sincère possible bien qu'il sache qu'il serait difficile de paraître crédible :

- Père, tu penses être guéri mais ce n'est pas encore le cas. Tu as suivi les conseils d'un diplomate asabi et a consommé d'une racine aux propriétés hallucinogènes. Je t'ai suivi en Haute Forêt pour te retrouver mais je suis arrivé trop tard : j'ai dû en consommer aussi. Père, crois-moi, tu es prisonnier d'un songe. Et je le suis aussi maintenant. Il le fallait. Pour tenter de te ramener aux tiens. A Tilmandil, à Eärundra, à Galawen. Et à moi aussi.

Le regard de son père était rempli d'incompréhension.
- Si c'était un songe, je le saurais tout de même ! Et je me souviens bien de cette racine, c'est elle qui m'a guérie. C'est vrai que ça a commencé comme un songe, je me suis retrouvée brutalement plongé dans un monde étrange nimbé de brume, j'ai rencontré une sorte de... djinn, je crois. Il m'a demandé de faire un voeu. Et j'ai été guéri, c'est aussi simple que cela ! J'ai fait mes deux autres voeux et on s'est tous retrouvés ici, Galawen, moi et notre jeune guide. Je lui ai versé le double de la récompense promise, pour le coup !
Il sourit à Kasumi.
- Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire que tu vas chercher, d'être prisonnier d'un rêve ? Je t'assure, je suis bien réel et toi aussi, et tout ici l'est !

Kasumi secoua la tête et croisa à nouveau le regard de son père pour lui témoigner sa sincérité, et aussi sa compassion :

- Père, cette racine est trompeuse : il s’agit d’une substance hallucinogène d’après ce que nous avons appris de plusieurs druides. Je sais que tu ne leur fais pas vraiment confiance mais crois-moi : j’en ai fait l’expérience. La racine te fait voir et vivre ce dont tu as envie mais je t’ai quitté depuis quelques heures seulement et tu étais inconscient. Tu l’es depuis que tu as consommé de cette racine et je le suis également sans doute. Galawen… va bien. Mais elle s’inquiète pour toi. Elle m’a demandé d’essayer de te ramener auprès d’elle.

Inutile de s’étendre sur les autres péripéties pour l’heure : ce qu’il révélait devait déjà être suffisamment difficile à accepter – et à croire – alors autant ne pas lui annoncer la mort de son guide et leur situation plus que précaire.

Sur le visage de son père se lisait toujours l'incrédulité. Avec, peut-être, un léger doute.
- Mais... Comment est-ce possible ? Tu dis que tu m'as quitté il y a quelques heures... Mais nous n'étions pas ensemble ! Il y a des années que je ne t'ai pas vu ! Comment pourrais-tu m'avoir vu inconscient alors que je ne l'ai jamais été ?
Il fronça les sourcils.
- Tu... tu me fais marcher, hein ? C'est... une blague imaginée par Tilmandil, encore ?

Kasumi attrapa spontanément la main de son père tout le regardant droit dans les yeux. Le geste était spontané mais son instinct avait lu les hésitations de son père, senti que c'était le bon moment pour le faire basculer de l'incrédulité à la prise de conscience. Le bon moment pour le convaincre.

- Non, j'aimerais pourtant que ce soit le cas : que nous ayons laissé cette histoire derrière nous. Que tu sois guéri. Que nous puissions nous retrouver vraiment. Moi non plus, je n'ai jamais perçut le moment où je suis tombé inconscient. C'est comme si j'étais sorti du bosquet simplement. Sauf que tout était différent ensuite. Tu sais bien que Tilmandil ne plaisanterait pas sur un sujet tel que celui-ci. Il m'a accompagné en Haute-Forêt. Nous avons parcouru beaucoup de chemin pour t'aider et c'est ce que nous allons faire. Mais il faut juste me faire confiance. Je ne connais pas le moyen mais ensemble, nous trouverons.

Son père resta un moment silencieux. Il réfléchissait, peinant à analyser ce que son fils lui disait, et surtout à accepter tout ce que cela impliquait.
- Non, ce n'est pas possible... la racine devait me guérir, et elle m'a guérie ! Tu me vois : je marche de nouveau sans être essoufflé au bout de dix pas, j'ai retrouvé toute ma dextérité aussi... je ne tousse plus comme un souffreteux... je suis guéri !
Il y avait un accent de désespoir dans sa voix. Et sans doute le refus, inavoué, de revenir à son corps malade...

Kasumi lui adressa un sourire sans joie mais qui se voulait rassurant tout de même, un équilibre presque impossible à trouver mais il avait tout de même essayé. Il devait continuer d'essayer, aider son père à trouver un remède, à trouver la force de le chercher, à trouver la volonté de quitter ce songe si tentateur.

- Papa, je ne sais pas à quoi cette racine peut servir mais tu n'es pas encore guéri. Mais j'ai rencontré Celd, le sylvanien et il m'a laissé entendre qu'il pourrait nous aider si je te ramenais à lui. S'il te plait, il faut que tu te réveilles. Aussi dur que ce soit, c'est la seule solution. Je suis désolé. Mais au moins je serai là - vraiment là - quand tu te réveilleras.

Plusieurs minutes de silence s'ensuivirent. Elryndel avait baissé la tête, plongé dans les affres de ses doutes. Il était clair, pourtant, que la révélation faisait son chemin dans son esprit.
- Mais je n'ai pas envie de me réveiller, finit-il par avouer en relevant la tête. Même si c'est un rêve... je ne veux jamais me réveiller ! Je ne veux plus être malade !
L'émotion perçait dans ce cri du coeur. Et il n'eût pas le courage d'affronter davantage le regard de son fils. Il détourna le regard et se leva, se dirigeant vers les escaliers qui montaient en direction des chambres.

Kasumi n'avait pas le cœur à le laisser s'en aller même si insister était douloureux - pour eux deux. Il savait que son père aurait besoin de réfléchir mais il craignait énormément de ne pas réussir à le retrouver dans ce songe si jamais il le laissait s'isoler. Il avait peur de laisser passer sa meilleure occasion de le ramener avec lui. La voix chargée d'émotion, il chercha donc à argumenter encore, à peser sur son choix sinon à le retenir près de lui :

- Papa, je ne peux me résoudre à te laisser dépérir ici. Pas alors que je suis si près de te retrouver. Je ne peux qu'imaginer combien c'est un choix difficile et douloureux pour toi. Mais ici il n'y a que la mort. Aussi douce soit-elle. Chez nous, il y a peut-être un espoir. Une faible chance. Des solutions. Et si... Si cela devient trop douloureux, je voudrais au moins avoir une dernière chance de te dire au-revoir. Mais pas ici. Pas comme ça.

- Arrête de dire ça ! Je n'ai pas l'intention de mourir ! Regarde-moi... je suis bien portant, en pleine forme ! Pourquoi dis-tu que je vais mourir ?
Il s'était arrêté juste au-delà du seuil et parlait avec une véhémence inhabituelle.
- Si je n'avais pas pris cette racine, je serais mort ! Mais là je suis vivant ! Je ne m'étais pas senti aussi en forme depuis des années !
Il était clair que la conscience "intellectuelle" de la réalité s'opposait à ses perceptions. Comment croire qu'on allait mourir quand on se sentait aussi vivant ?

Qu'il était difficile de faire face alors qu'il avait tant envie d'y croire lui-même. Tant envie de se laisser aveugler par ce doux reflet trompeur de la réalité. Mais il fit face, il lutta comme s'il était question de sa propre survie, avec l'assurance douloureuse que c'était la seule chose décente à faire :

- C'est ton esprit qui est encore aussi vivace. Et c'est un motif d'espoir en soi ! Mais ton corps va finir par mourir si tu ne te réveilles pas. Si tu t'attardes trop longtemps ici. C'est une bonne chose que tu puisses te ressourcer, si tu y trouves la force de lutter contre le mal qui te ronge encore. C'est ainsi que je me souviens de toi : un esprit brillant, un elfe vif d'esprit. Et c'est ce que tu redeviendras. Suis-moi, père. Fais-moi confiance, aussi difficile que ce sera. Mais nous t'aiderons. Tous ceux qui t'aiment t'aideront.

Elryndel hésita, indécis.
- Mais tu veux que je te suive... où ? Je ne comprends pas...
Il leva les yeux vers lui.
- Je veux bien te faire confiance... Tu es mon fils, j'ai confiance en toi. Mais je ne comprends pas ce que tu veux que je fasse...

Kasumi lui adressa un sourire encourageant bien qu'il n'ait aucune idée de comment s'y prendre pour quitter le rêve à vrai dire. Un peu penaud, il hasarda une hypothèse sans chercher à cacher qu'il ne détenait pas toutes les vérités aux questions légitimes que lui posaient son père :

- J'aimerais que tu te réveilles avec moi mais je dois avouer que je ne sais pas trop comment y parvenir. Peut-être suffit-il d'attendre que l'effet de la racine cesse de lui-même mais je n'y crois pas : tu es endormi depuis au moins un jour, peut-être deux et Eärundra m'a révélé que certains ne sortent jamais de la transe. Elle a hasardé que ce serait parce qu'ils prennent cette réalité pour la vraie. Peut-être faut-il se convaincre que tout cela est faux. Peut-être suffit-il de vouloir se réveiller. Je ne sais pas. Essaie d'imaginer que tu es à un autre endroit, ou tout simplement près de Galawen. C'est comme ça que je suis arrivé ici à vrai dire.

Son père ne paraissait qu'à demi convaincu. Pourtant, il tenta de se concentrer, comme Kasumi le lui demandait. Mais son regard restait un peu dans le vague.
Le décor autour d'eux devint flou... Et ils se retrouvèrent dans un endroit totalement inconnu de Kasumi, une sorte de grand amphithéätre, où une elfe discourait devant un parterre de jeunes, peut-être des étudiants.
Elryndel adressa un sourire embarrassé à Kasumi.
- Ça ne marche pas... j'ai repensé à notre première rencontre avec Galawen...
L'elfe qui discourait était en effet la magicienne, Kasumi la reconnut finalement. Peut-être au sein d'une université ?
- Mais ça prouve... que tu as raison... que c'est vraiment un rêve...
Le désespoir perçait dans son ton tandis qu'il regardait, comme s'il voulait s'en imprégner, celle qu'il aimait.

Kasumi répugnait un peu à s’immiscer ainsi dans l’intimité de son père mais il oublia sa gêne en constatant combien la prise de conscience était rude pour ce dernier. Il s’approcha à nouveau de lui et lui saisit le bras avec douceur.

- Peut-être que nous devons essayer ensemble. Et penser à l’endroit où nous sommes maintenant. Je crois que nous sommes tous les deux devant le mur de ronces du bosquet. Toi en tous cas tu y es, entouré de tes proches. Et dès que tu seras éveillé, nous retournerons voir Celd.

- Celd, répéta son père. L'espèce d'arbre qui parle ? Un... sylvanien, c'est ça ? Et tu penses qu'il pourrait nous aider ?
Mais la prise de conscience faisait son chemin dans son esprit. Kasumi se rendit bientôt compte que le décor autour d'eux devenait flou, peu à peu. Pourtant, ce n'était pas encore le bosquet. Il reconnut un paysage forestier qu'il n'eût pas le temps de situer, vision fugace qui ne dura qu'une demi-seconde. Puis la maison de son père, plus nette, rattachée sans doute à des souvenirs plus riches en émotion. Mais elle n'était pas aussi nette que précédemment. Ils savaient désormais tous les deux que rien de tout ça n'était réel... La méthode était donc la bonne.
Elryndel soupira.
- Je n'ai nulle envie de retourner là-bas, si tu savais... vraiment aucune envie...

Kasumi ne lâchait pas son bras, lui adressant un sourire tranquille destiné à lui témoigner une confiance qu'il était certainement loin de ressentir. Mais il savait que son soutien moral était tout ce qu'il pouvait lui donner en ces moments et il n'avait aucune intention de s'en priver. Elryndel avait besoin de force. De conviction plus que physique. Viendrait plus tard le moment de l'action et de se préoccuper de sa détresse physique.

- Je sais mais il le faut. Je crois me souvenir qu'un grand elfe de ma connaissance m'a dit un jour que pour régler un problème, il fallait savoir le regarder en face, le comprendre. Que c'était la meilleure méthode pour en trouver la solution. Et qu'alors les difficultés qui paraissaient énormes semblaient de plus en plus triviales. Bon, c'était un peu pompeux peut-être mais je crois savoir que l'elfe en question a réussi à résoudre pas mal de conflits par sa méthode. Alors il devait être dans le vrai, au moins un peu, non ?

Son père soupira, levant malgré lui un regard amusé au ciel.
- Sans doute, oui, murmura-t-il d'un ton hésitant. Mais encore faut-il que le problème ait une solution...
Il exhala un profond soupir.
- En tout cas, je vois que tu n'as pas complètement oublié mes leçons, hasarda-t-il sur un ton moins lugubre.
Autour d'eux, tout était flou désormais. Et la silhouette de son père devint subitement floue, elle aussi.

Kasumi se réveilla dans une atmosphère lugubre. Autour de lui, il faisait sombre, mais il y voyait suffisamment pour savoir qu'il était en forêt. Et dans une forêt peu accueillante. Probablement le bosquet... Et un feu crépitait à côté de lui.

La reprise de contact avec la réalité et l'atmosphère délétère du bosquet faillit lui couper le souffle et le demi-elfe serra les poings en un spasme encore un peu faible avant de tenter de se redresser. Il faisait nuit, signe qu'il avait passé plusieurs heures dans le songe ou avant d'atteindre le cœur des ronces. Mais ce n'était pas la question qui le préoccupait le plus pour l'heure : ses compagnons étaient-ils là ? Et son père ? Hélas, il se sentait la tête trop lourde et à peine la force dans ses muscles pour faire plus qu'ouvrir les yeux et contracter ses doigts pour le moment.

- Kasumi ! Il se réveille !
La voix de Sylvia vibrait d'un soulagement intense. Elle se pencha au-dessus de lui.
- Tu m'as fait une sacré peur, avoua-t-elle. Eärundra avait beau dire qu'il fallait attendre... j'avais trop peur que tu ne te réveilles pas...
Il entendit des pas annonçant que les autres s'approchaient.
- Vous vous sentez en état de vous lever ? questionna Eärundra avec sollicitude. Tenez, buvez ça, ça vous redonnera des forces..., ajouta-t-elle en lui tendant un gobelet d'où émanait une odeur d'herbes.

Au premier choc, physique, s'était substitué un sentiment d'hébétude et de confusion. Etait-il bien rentré cette fois ? La voix de ses compagnons et leur réaction tendait à le démontrer mais de quoi pouvait-il être sûr, au fond ? La racine avait eu un effet sur son esprit, lui avait laissé accroire nombre de choses qui n'étaient que le reflet de ses désirs ou de ses craintes. Il avait voulu revenir auprès de ses amis. C'était maintenant le cas. A moins que... Il adressa tout de même un sourire à Sylvia, reconnaissant immédiatement la différence avec celle du songe. Cette femme qu'il avait sous les yeux, penchée obligeamment sur lui, vibrait de vie, de force, d'énergie. Elle vibrait de vérité, de réalité.

- Oui, je crois que ça va aller. J'ai juste besoin de prendre un instant. Elryndel est-il là, lui aussi ?

Il fit un nouvel effort pour se redresser, saisir la tasse mais dut s'y reprendre à deux fois avant d'y parvenir, s'appuyant sur un coude.

- Oui, lança la voix, vibrante d'émotion, de Galawen. Il est en train de se réveiller !
- Papa, ça va ?, questionna Tilmandil avec une affection teintée d'inquiétude.
En tournant la tête, il vit qu'ils étaient tous deux non loin de lui, penché sur le corps allongé de son père. Mais Sylvia et Eärundra ne le laissèrent pas se lever avant qu'il ait achevé de boire. La tisane avait un goût étrange, sucré et épicé, et elle lui procura immédiatement une douce énergie revigorante. Sylvia ne le quittait pas des yeux, tellement soulagée de le voir qu'elle en avait le regard tout embué. La druidesse finit par s'éloigner pour s'approcher d'Elryndel, les laissant un instant en tête à tête. Il réalisa qu'il se sentait déjà beaucoup mieux.

Kasumi se laissa faire sans protester, infiniment soulagé qu'Elryndel soit lui aussi de retour à la conscience. Il devait bien s'avouer aussi qu'il était bien agréable d'être couvée par les bons soins de Sylvia. Le demi-elfe saisit une de ses mains dans les siennes et lui adressa un doux sourire tout en l'attirant un peu plus près de lui pour chuchoter à son oreille :

- Il y a ce conte. A propos d'un rôdeur endormi - ou était-ce une princesse ? - qui serait réveillé par un baiser amoureux. Bon, je suis éveille, enfin je crois. Mais je veux bien faire semblant d'être encore assoupi ! Si ma belle soigneuse ne le déconseille pas, évidemment.

Sylvia jeta un coup d'oeil furtif au groupe voisin, et plongea des yeux pétillants de malice dans les siens.
- Tu dois confondre... dans les contes ce sont les rôdeuses qu'on réveille d'un baiser. Mais je crois que cette version-là sera pour demain matin !
Elle approchait doucement son visage du sien, le regard gourmand.
- En revanche, pour ce soir...
La phrase s'acheva dans la rencontre de leurs lèvres, en un long baiser langoureux. Pas aussi long que d'habitude cependant. Craignant sans doute de l'épuiser davantage, Sylvia s'écarta assez rapidement de lui... pour l'embrasser à nouveau, passionnément, sans lui laisser le loisir de protester, quand elle eut vérifié qu'il était toujours parfaitement conscient et en état de supporter cette douce torture.

Kasumi ne chercha pas du tout à protester, absorbé par la douceur et le bonheur de l'affection que lui manifestait Sylvia en chaque instant d'intimité. Pour l'heure, il n'avait pas envie de se soucier de ce qui les attendait au lendemain, juste de vivre cet instant de tendresse. Il avait senti la rôdeuse très inquiète et c'était de sa faute. Il avait l'habitude de s'exposer quand c'était nécessaire : rester en arrière n'était pas dans sa nature et ils devraient apprendre à vivre avec. Et savoir profiter de ces instants où ils étaient ensembles. Il sourit, le regard brillant :

- Mon conte à moi, c'est toi. Et tant pis pour ces bardes qui n'y entendent rien ! Tu es la seule histoire que j'aie envie d'entendre, d'écrire et de vivre.

La rôdeuse rougit violemment, ce qui se voyait particulièrement sur sa peau de rouquine. Elle ouvrit la bouche pour répondre, ne sembla rien trouver à dire, et préféra l'embrasser une fois de plus, les yeux brillants d'émotion.
- Kasumi ? Heu, désolé de vous déranger tous les deux mais... C'est urgent. Grand-mère nous avait donné une potion, tu te souviens, pour stabiliser l'état de notre père dès qu'on le retrouverait... C'est toi qui l'a je crois.
Tilmandil ne semblait pas si embarrassé que ça, à vrai dire. Plutôt inquiet.

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines