La Couronne de Cuivre

Quête: Rapports diplomatiques

Le dragon tourna soudain son attention vers Lothringen, qui semblait sur le point d’achever sa longue incantation. A y bien prendre garde, Mornagest aurait peut-être pu reconnaître les accents d’un sort qu’il avait beaucoup entendu ces derniers temps : la téléportation.
La tête du monstre s’approchait lentement du semi-drow, qui ne put manquer d’être déconcentré quand il vit son museau flotter à deux pas de ses viscères. Troublé, il s’immobilisa: il y eut un temps de suspens. Le dragon, tout comme eux, ne bougeait plus. Oubliant les uns et les autres de respirer, ils se jaugeaient en silence.

« J’ai l’impression qu’ils ne nous voit pas, qu’il ne nous entend pas », chuchota Lothringen. « Il ressent seulement la magie qu’on incante… Je crois que ce sont mes sorts qui l’ont attiré. »

Le dragon commençait tout doucement de disparaître, tandis qu’une expression exténuée se peignait sur ses traits. Alors le grand saurien ouvrit en grand la gueule, dans laquelle le paysage sembla vouloir s’engouffrer. La réalité autour d’eux parut comme aspirée à son tour par ce vortex invisible, les troncs des arbres se tordirent douloureusement avant d’être engloutis avec toute leur ramure, puis de disparaître tout à fait. Eux-mêmes sentirent qu’une force irrésistible les attirait dans le tourbillon, tandis qu’une voix bien connue se faisait entendre :

« Qui que vous soyez, vous mettrez fin à mes souffrances… venez… »

Ils furent recrachés presque aussitôt par la même magie, mais désormais, en lieu et place de la forêt, ils trouvaient devant leurs pas un immense désert de sel étincelant au soleil de midi, au milieu duquel se dressait un unique arbre qu’ils distinguaient à peine, à plusieurs centaines de pas.

Lothringen jetait sur la scène un regard émerveillé.

[Quête : rapports diplomatiques]

Une illusion... très puissante, très impressionnante. Mornagest ne ressentait pas l'habituelle sensation étouffante de chaleur, lorsqu'il marchait dans les Terres du Basilic. Et pourtant, il était très sensible aux températures élevées. Ici, seul le sentiment de vide s'emparait de lui, même si Lothringen se tenait à moins d'un mètre de lui, fixant l'arbre unique qui trônait non loin d'eux. Aussi une illusion ? Ou un symbole, plutôt. Lequel ? La vigueur d'Eloern, parmi les arbres ? La forêt représentée par ce désert, l'absence d'esprit pensant, et le magicien, seule créature douée d'intelligence, comme l'arbre, seul signe de vie au milieu du sel minéral ?

Devaient-ils s'en approcher ? Peut-être. Probablement, même. Mais pourquoi les guider de façon si détournée ? Pourquoi les empêcher de passer, avec ces fichues ronces, pour ensuite les orienter de manière si évidente ? Y avait-il un piège ? Etait-ce quelqu'un d'autre qu'Eloern qui les menait par le bout du nez ? Mornagest interrogea son compagnon à ce sujet :

"Penses-tu que nous devions nous approcher de cet arbre ?"
Lothringen fronça les sourcils sous l'effort : "Disons que si nous n'y allons pas, nous ferions aussi bien de partir, car ce "désert" se trouve en plein sur notre trajectoire... en fait j'ai l'impression que notre illusionniste est bien Eloern, appelle ça une intuition si tu veux. Quant à savoir pourquoi il nous a attaqués... apparemment il ne sait même pas à qui il a affaire... et il n'a pas l'esprit très clair.
- C'est peu dire, s'il se manifeste sous la forme d'une illusion de dragon rouge, qui enflamme une partie de la forêt... puis qui nous engloutit tel un tourbillon, sans savoir qui nous sommes... comme si nous allions l'agresser, ou le dépouiller de ses possessions." Son ton semblait quelque peu inquiet, malgré sa volonté de paraître décontracté.
"Bon !" tenta de plaisanter Lothringen, qui époussetait sa cape tout en se relevant. "Jusqu'ici, nous sommes entiers, non ? Je ne sais si c'est un piège... mais le fait est que s'il voulait nous tuer ou nous chasser, il vient de laisser passer une bonne occasion.
- Tu as sans doute raison... à moins qu'il ne cherche à nous faire espérer, avant de nous anéantir", bougonna le guerrier, la mine sombre.
Le semi-drow éclata de rire. "Je veux bien le croire fou ou misanthrope, mais je l'imagine assez mal dans ce rôle-là. Ou alors, il aurait beaucoup changé depuis Manost."
Mornagest sourit, mi-amusé, mi-sérieux. "N'ai-je pas beaucoup changé, depuis mon départ de Melandis ?"
Le semi-drow demeura un temps silencieux, troublé. "Je ne sais. Je ne t'ai pas vu à Melandis..."
Le mélandien sourit plus franchement, et répondit : "Un point pour toi. Mais nous devrions nous mettre en route. Je n'aime pas l'idée de rester longtemps pris dans cette illusion, fut-elle bien intentionnée."

Quête: Rapports diplomatiques

Bien intentionnée, c'était peut-être beaucoup dire. Lothringen ressentait juste un soulagement bien compréhensible après avoir vu le gigantesque dracosire se volatiliser dans les airs, l’illusion qu’ils avaient à présent sous les yeux lui paraissant à bon droit beaucoup plus pacifique. Quoi qu’il en soit, il fallait avancer.

Ils risquèrent quelques pas prudents sur l’étrange surface granuleuse, sans rencontrer d’autre mauvaise surprise. Le sol ne se dérobait pas sous leurs pieds ; aucune ombre, aucun monstre ne traversait leur route ; la voix s’était tout à fait tue. La luminosité, en revanche, leur faisait mal aux yeux.

Pourtant, comme Mornagest l’avait aussitôt soupçonné, ce n’était pas un vrai désert de sel. La température était identique à celle de la forêt dans leur dos, et l’air était encore porteur d’odeurs mêlées de sève et de sous-bois. C’était néanmoins un mirage de très belle facture et le semi-drow l’admirait en connaisseur, se demandant comment Eloern ou quiconque en était à l’origine parvenait à donner à ses sortilèges une telle durée, une telle extension, une telle présence.

Quelque chose n’était pas normal. Depuis qu’ils avaient pénétré dans la portion de forêt où les ronces leur agressaient les jambes, il avait d’ailleurs ressenti une sorte de corruption maligne dans la magie des lieux… Elle se faisait de plus en plus sensible à mesure qu’ils avançaient vers l’arbre, au point que le semi-drow finit par remarquer :

« Une aura magique extrêmement forte se dégage de cet arbre. C’est ici que la corruption de ces lieux trouve sa source, de même que l’illusion qui nous entoure. »

Ils avancèrent encore. Ils distinguaient à présent la ramure de l’arbre, qui avait toute l’apparence d’un gros chêne. Des masses de boutons d’or se pressaient au pied du tronc.

Plus surprenant, une étrange forme oblongue se trouvait suspendue à l’une de ses branches maîtresses. Vu de plus près, cela ressemblait à un énorme cocon de matière organique. Une sorte de puissante liane de même matière le suspendait à la branche, et le tout se balançait avec constance, en dessinant un cercle régulier à la base.

Quatre êtres féeriques de taille minuscule voltigeaient en permanence sur la bordure de ce cercle, battant l’air de leurs minces ailes lumineuses, riant entre eux : des pixies. Ils tournèrent rapidement leur attention vers les deux visiteurs, mais ne cessèrent pas leur manège.

« Que veulent-ils. Qui sont-ils.
C’est notre jouet, pas touche! !»

Lothringen les examina d’un air morose ; ces gêneurs allaient leur compliquer sérieusement la tâche.

[Quête : rapports diplomatiques]

Interloqué par la présence de ces créatures, Mornagest ne savait trop que leur dire. Leur jouet ? Parlaient-elles de cette boule étrange suspendue dans le vide ? Probablement. Mais en quoi cela constituait-il un jouet ? Après tout, tout était possible, dans une illusion, surtout aussi démente que celle-ci. Il espérait qu'ils en auraient bientôt fini avec ces déformations visuelles, auditives et sensorielles, sans quoi, il finirait fou avant la fin de la journée... Déjà, il se sentait nerveux, et avait envie de répliquer furieusement à l'encontre des pixies. Il écouta d'ailleurs son impulsion soudainement agressive, et répliqua au groupe de créatures :

"Bon, on va faire simple. Nous avons passé notre journée à taillader parmi cette maudite forêt en suant à chaque centimètre, nous avons résisté à une illusion fantasque de dragon qui voulait nous souffler, puis nous a proprement gobés, et maintenant, nous débarquons dans ce désert complètement aberrant, sans savoir ce que nous y faisons. Alors, soit vous nous éclairez sur la situation, soit, votre jouet, je le décroche d'un coup et je le piétine jusqu'à ce qu'il ressemble à une gelée ocre atteinte d'autisme profond !"

Quête: Rapports diplomatiques

Lothringen jeta un dernier coup d'oeil sur le cocon, dont la forme allongée de plus d'un mètre cinquante lui laissait présager qu'on serait assez mal inspiré de suivre le projet de Mornagest à la lettre.

Face à eux, les pixies tourbillonnaient en éclatant de rire, très amusées par la sortie du guerrier. Une première daigna leur répondre, entre deux pouffements:

"Font erreur, font erreur!
Ici, pas de désert. Le bosquet!
Jouons, rions: pas d'illusions.
Humains aux sens influençables!
C'est le vieux fou dans son cocon!"

Un autre répéta, plus grave.

« Que veulent-ils. Qui sont-ils.
C’est notre jouet, pas touche.»

[Quête : rapports diplomatiques]

Le vieux fou... Eloern ? Le visage sinistre, Mornagest venait d'envisager cette possibilité, qui se révélait sans doute être la plus probable. Il jeta un coup d'oeil à son compagnon, qui n'affichait guère une mine plus réjouie. Mort et enveloppé de soie d'araignée ? A moins qu'il ne s'agissât également d'une illusion, malgré les propos décousus de la pixie...

Se dominant quelque peu, Mornagest tenta de palabrer... un point sur lequel il n'excellait pas, mais, autant essayer.

"Nous aurions besoin de lui parler. Est-ce que vous pourriez nous laisser lui adresser la parole ?" Et il ajouta in petto : "S'il vit encore..."

Ils arrivaient trop tard. Lothringen n'avait guère nourri d'espoirs sur le mage, mais Mornagest ressentait malgré cela l'amertume de l'échec, et de la vanité de leur tentative. Passer des journées entières à combattre l'environnement hostile pour en arriver là... le mélandien voulait croire que le "vieux fou" n'était pas mort, en attestait le mouvement circulaire dont le cocon était animé...

Quête: Rapports diplomatiques

Les ailes translucides vibrèrent de plus belle sur le cercle, tandis que les pixies débattaient entre elles avec de petits piaillements surexcités. Au terme de leur conciliabule, l'une d'elle annonça qu'elles voulaient bien, mais qu'il ne fallait pas toucher à leur jouet.

Elles s'élevèrent alors un peu plus haut le long de la liane, de manière à former un cercle juste au-dessous de son attache sur la branche de chêne. Dans le même temps le mouvement du cocon se ralentit pour se calmer peu à peu, et presque s'interrompre. Le cercle dessiné par son oscillation avait désormais un diamètre guère plus long qu'un bras. Lothringen songea que c'était tant mieux, car tout cela finissait par donner le tournis. Mais il remarqua aussi que la concommittance des deux phénomènes - déplacement des pixies et rétrécissement du cercle - ne pouvait signifier qu'une chose: que c'étaient bien ces créatures qui imposaient son mouvement à l'étrange poche organique.

Le semi-drow décida de laisser Mornagest aller jusqu'au bout de son idée, se demandant du reste ce que ce dernier avait en tête.

[Quête : rapports diplomatiques]

Le cocon oscillait sur un moindre diamètre, et Mornagest en suivait désormais le mouvement des yeux sans risquer d'attraper le mal de mer. Mais nulle trace de vie sous l'épaisse couche de soie arachnéenne - ou ce qui y ressemblait du moins. Comment pourraient-ils parler à celui qui se trouvait emprisonné là-dedans ? Le guerrier posa la question aux pixies, une pointe d'agacement revenu dans son ton :

"Et nous allons nous adresser à un tas de soie ? Est-il mort, celui qui... réside là ?"

Il serra imperceptiblement les mâchoires. La fatigue revenait agresser son esprit, et le rendait plus irritable que jamais, surtout au vu de la situation des plus loufoques. Que devraient-ils faire pour s'en sortir, cette fois ? Combattre ? Résoudre une quelconque énigme à laquelle il n'entendrait rien ? Montrer la pureté de leur âme ? Ou pire encore ? Décidément, cette quête du mage s'avérait bien plus parsemées d'embûches que prévu...

Quête: Rapports diplomatiques

Le spectacle de la colère impuissante du guerrier ne manqua pas de déclencher de nouveau l'hilarité des petits monstres, qui reprirent de plus belle:

"Hey! Oh oui, parlez, parlez au truc!
On parle aussi, il nous a jamais répondu!
Le veut-il, le peut-il? On va savoir!
Parlez au truc, oh oui!
On commençait à s'ennuyer sans vous!"

[Quête : rapports diplomatiques]

Ils n'obtiendraient rien de ces petites pestes et de leur incessant babil. Lothringen semblait perplexe, lui aussi, et restait étrangement taiseux, comme s'il craignait de mal agir. Sans doute ses peurs étaient-elles fondées, mais il n'était plus temps de tergiverser. Ils avaient peut-être la clé de ses soucis à quelques pas d'eux, si toutefois Eloern était bien là-dedans, et encore en état de parler...

Soucier de la santé de ses nerfs, le guerrier décida d'agir plutôt que vainement tenter de palabrer. Dégainant son épée, il allait tout simplement trancher dans le vif du sujet. Il s'approcha du cocon, et sauta simplement en l'air pour couper la liane qui le maintenait en l'air, tandis que les pixies continuaient de voleter autour. La masse chut au sol sans bruit, et le tas de soie resta inerte aux pieds de Mornagest.

Quête: Rapports diplomatiques

L’étrange amas organique venait de choir au sol en laissant résonner un léger choc assourdi par la végétation, et les conséquences ne tardèrent pas à se manifester. La plus spectaculaire d’entre elles fut sans conteste l’altération de l’illusion qui les entourait ; durant quelques instants, la réalité sembla vaciller, tandis que le désert de sel se déformait, créait des creux et des collines et se teintait de vert en camaïeu. Bientôt ils n’eurent plus devant les yeux qu’un décor bien plus attendu : des arbres, des buissons et des troncs, et des ronces, et du sous-bois jusqu’à perte de vue. Leur chêne n’était en réalité un chêne parmi tant d’autres, noyé dans la végétation du Bosquet, à cette différence près que des renoncules poussaient sur ses racines. Sans l’aide de cette illusion, ils auraient pu chercher longtemps…

Le semi-drow se hâta de sortir un couteau afin d’ouvrir la poche de matière non identifiée. Après une série de coups rapides, il déchira enfin l’enveloppe d’un geste impatient, révélant le corps d’un vieil humain recroquevillé sur lui-même, totalement inconscient ; une respiration timide soulevait cependant sa poitrine avec régularité. Un suc étrange le recouvrait de la tête aux pieds et d’étranges fibres s’étaient comme greffées sur son crâne. Lothringen se hâta de dégager tout à fait la tête et la gorge, comme s’il craignait que le prisonnier ne meure d’asphyxie, à présent qu’était tranché son lien avec l’énergie magique de la forêt.

Pendant qu’il s’activait, Mornagest chercha du regard les pixies, avec un soupçon d’inquiétude : ils avaient disparu à leur tour, comme s’ils faisaient partie de l’illusion.

« Et voilà pour vous ! »

Ce piaillement vindicatif fut accompagné d’une flèche qui toucha Lothringen à l’épaule, et d’un sortilège qui prit Mornagest par surprise.

Pixie = = > confusion mineure = = > Mornagest

Le semi-drow se sentit un instant gagné par l’engourdissement et une puissante envie de s’assoupir, mais un sursaut de volonté lui permit d’arracher sans plus tarder ce projectile empoisonné qui ne lui avait fait par ailleurs qu’un égratignure des plus dérisoires. A ses côtés, le guerrier demeurait immobile, confus, et tenait des propos incohérents où il était question de maudite magie et de pestes à pourfendre. Lothringen l’abandonna à son sort, soupçonnant que ce dernier finirait tôt ou tard par reprendre tout seul ses esprits. Il s’empressa plutôt d’aller frapper l’archer qui l’avait attaqué, mais sa hache rata son coup, et l’autre en profita pour devenir à nouveau invisible.

[Quête : rapports diplomatiques]

Frappé par le sort, le guerrier tentait vainement d'agripper la poignée de son épée, désireux d'en découdre avec les pixies qui se jouaient d'eux depuis de trop longues minutes maintenant. Mais ses gestes maladroits l'en empêchaient fortement, et il ne pouvait que grogner des injures à l'encontre de ces agaçants papillons.

Fort heureusement, le sortilège ne dura guère longtemps, et Mornagest retrouva ses esprits, tout en essayant de comprendre la situation. Il l'analysa rapidement : les pixies les attaquaient, et le seul qu'il avait en vue serait sa prochaine cible. Dégainant cette fois d'un geste souple, il brandit sa lame et se jeta prestement sur la créature, grognant un cri de guerre empli de rage contenue. Mais le pixie évita facilement le coup, agile et vif qu'il était. Il s'empressa d'armer son arc et de viser le guerrier, mais ce dernier l'empêcha de tirer en lui assénant un coup de poing du gauche au visage. Hébété mais pas assommé, le pixie se contenta de reculer en battant des ailes, restant à quelques pas de Mornagest.

L'excitation du combat était venue donner de l'énergie au mélandien, qui chargea à nouveau le pixie, épée levée et grimace de rage sur le visage. Sa lame décrivit un arc de cercle, avant de manquer le cou de la bestiole de quelques millimètres seulement. Elle répliqua en décochant une flèche à bout portant au bras droit de Mornagest, qui recula et poussa un cri rauque. Il arracha aussitôt le carreau, mais ressentit une vague anesthésie l'envahir, et ses paupières se firent lourdes...

Quête: Rapports diplomatiques

A ses côtés, la voix familière de Lothringen, qui incantait d'un ton monocorde...

Lothringen = = > image miroir ==> Lothringen

Le guerrier tenta vainement de résister à l'appel pressant du sommeil, mais le poison fut finalement le plus fort et il tomba lourdement sur l'herbe, sans forces comme sans volonté. A ce bruit sourd, Lothringen et ses doubles se retournèrent en sa direction et retinrent un cri de surprise. Profitant de l'inconscience de son adversaire pour prendre le temps de viser, l'un des pixies avait de plus surgi de l'invisibilité pour attaquer à l'épée le corps étendu. Le semi-drow le chargea avec fureur, bien décidé à ne pas lui laisser le temps de se remettre à l'abri. Il n'eut malheureusement pas l'occasion d'atteindre l'agresseur, à cause des plantes qui avaient commencé de s'agripper à ses jambes: il fallut se contenter d'attaquer au tir à l'arc. Enchaînant les tirs, il s'efforçait d'interrompre systématiquement les incantations des êtres fées.

Mais pendant ce temps, il révisait son arithmétique. Pour autant qu'il parvenait à les distinguer, il n'avait vu que trois des quatre pixies du début passer à l'attaque. Pourquoi leur dernier collègue ne s'était-il pas encore manifesté? C'était le moment pourtant, alors que l'un déjà de leurs deux adversaires se trouvait provisoirement hors de combat... Et pourquoi avoir visé les tendons de Mornagest? Pourquoi ces enchantements efficaces mais de courte durée qui ne faisaient que retarder le moment de l'affrontement véritable? Inquiet, Lothringen ramassa un bout de bois et le lança vers la poitrine de Mornagest, dans l'espoir de le réveiller.

Dès qu'il le vit dodeliner de la tête, le semi-drow l'interpela.

"Je crois qu'on devrait déguerpir avant l'arrivée des renforts, qu'en penses-tu..."

[Quête : rapports diplomatiques]

Il se relevait péniblement, maugréant quelque chose concernant des petites saletés, puis, regardant Lothringen, hocha la tête en guise d'assentiment. Mais ses yeux tombèrent ensuite sur le corps d'Eloern, et Mornagest songea qu'il valait mieux ne pas partir sans l'emmener... sans quoi, ils auraient parcouru tout ce chemin pour rien.

Il regarda tour à tour Lothringen, puis le magicien inerte, et prit sa décision. Encore sous l'effet de la soudaine fatigue instillée par le pixie, Mornagest souleva péniblement le corps d'Eloern, avant de se remettre debout, et de battre promptement en retraite. A mesure que les secondes s'égrénaient, il reprenait vigueur, et pourrait bientôt parcourir une bonne distance avant de devoir s'arrêter.

"Filons."

Quête : Rapports diplomatiques

Mornagest se fraya difficilement un chemin à travers les branches rampantes, avec l’intention de rejoindre Lothringen enchevêtré. Ce dernier trancha quelques tiges, puis entama l’incantation longue et fastidieuse de son sort de téléportation. Seuls quelques pas séparaient Mornagest de son compagnon, et seuls quelques mots les séparaient encore de la sorcellerie qui les ferait enfin sortir de la forêt, mais ces instants ne voulaient pas finir. Les flèches des pixies les harcelaient, et plusieurs fois, Mornagest crut devoir reperdre conscience, et Lothringen laisser filer sa concentration. Enfin l’incantation prit fin, le mage s’empara du bras de son compagnon, puis le paysage autour d’eux devint flou, tandis que leurs corps s’en effaçaient tout à fait, et que les petits monstres, surexcités, piaillaient de frustration…

Ils se rematérialisèrent sur la lisière de la forêt du Bosquet, là où ils avaient bivouaqué quelques jours plus tôt. Une fois posé à terre, Eloern continua de demeurer inerte, mais il s’agitait quelquefois dans son sommeil, de plus en plus souvent, comme s’il devait bientôt revenir à la conscience.

Lothringen n’osait regarder Mornagest : à présent qu’ils étaient sortis du traquenard, il lui devenait difficile d’oublier que le moment de la séparation approchait…

[Quête : rapports diplomatiques]

Etendu au sol, le guerrier reprenait son souffle, et surtout, laissait la sensation affreuse de nausée qui s'était emparé de lui durant la téléportation, s'en aller petit à petit. Il ne s'habituerait donc jamais à la magie ?

Il rouvrit les yeux, et contemplait le ciel d'un bleu immaculé, perdu dans ses pensées. Etait-ce bien fini ? Etaient-ils sortis de cet enfer illusoire, de ce combat contre les pixies, de cette forêt dégoulinante de maléfices à chaque bosquet ? Tournant la tête, il aperçut Lothringen qui observait Eloern, ce dernier étant agité de vagues sursauts indiquant qu'il allait se réveiller sous peu.

Mornagest se positionna sur les genoux, puis se releva et alla rejoindre son compagnon. Compagnon qu'il allait bientôt devoir laisser, et rentrer à Melandis. Jusqu'à quand ? Il ne voulait pas se poser la question, mais elle était désormais implacable, et aussi réelle que son malaise à l'idée de le quitter... Et, désormais, que pouvaient les mots ? Qu'allait-il lui pouvoir lui dire, sans paraître creux, ridicule ? Que n'aurait-il dû profiter davantage de ces moments de quiétude, alors qu'il en était encore temps ! Les regrets fusaient, maintenant, et le guerrier s'en fustigea. C'était inutile, mais inévitable... cruelle fatalité à laquelle il aurait bien voulu pouvoir échapper. Mais elle allait de pair avec les délicieux instants qu'ils avaient vécu, tous deux. Et qui pourraient peut-être se reproduire, plus tard... qui savait ?

C'est en lui souriant faiblement qu'il choisit d'aborder Lothringen, s'agenouillant près de lui, posant la main sur son épaule.

"Je n'ai pas envie de partir... mais je crois vraiment que nous pourrons nous revoir, comme avant."

Inutile, creux, insipide... il le savait. Mais il n'avait pu s'en empêcher. Comme si Lothringen ne le croyait pas... imbécile qu'il était.

Quête: Rapports diplomatiques

L’embarras de Mornagest était sensible jusque dans les inflexions de sa voix, et Lothringen songea avec un vague amusement que ce dernier ne ferait jamais un grand orateur. Mais il y songeait comme à un souvenir dont il n’entendrait plus que la rumeur lointaine, et cela lui rendait ce moment plus douloureux encore. Tout était allé si vite, qu’en quelques jours ils en étaient venus au point qu’il lui semblait devoir éteindre, en partant, la meilleure moitié de son cœur. Et cela si peu de temps après qu’il ait, timidement, recommencé de battre…

Si simples qu’elles soient, les paroles de son amant avaient touché juste ; car elles faisaient écho à ses craintes les plus intimes, comme s’il avait commis l’erreur de penser à voix haute. Se reverraient-ils ? Sans doute, ils étaient diplomates après tout – la magie l’aiderait. Mais, il en était convaincu, ce ne serait pas comme avant. Les journées et les mois avaleraient les souvenirs, ils apprendraient à vivre avec le manque, et l’infinie somme de ce qui les séparait, provisoirement mise entre parenthèses par les circonstances particulières de cette rencontre, finirait inexorablement par reprendre ses droits.

Pourquoi était-il si amer. Ils auraient pu faire autrement, ils avaient choisi. Et d’autres pensées l’appelaient, d’autres affaires qui autrefois comptaient pour lui, qui compteraient encore. Graëlon d’abord, puis Aghoralis, et enfin, ce qu’il voulait apprendre d’Eloern… D’autres visages, malgré son goût prononcé pour la solitude, émergeaient de l’indifférence, le rappelaient chez lui. Manost demeurait son foyer, comme Melandis le terrain de jeu préféré de Mornagest. Ils n’étaient pas encore prêts à y renoncer. Pas plus qu’ils n’étaient prêts à renoncer l’un à l’autre…

Une étape, un au revoir.

« Nous nous reverrons à Melandis. Je ferai au plus vite, c’est promis. »

Mornagest avait raison : il suffisait de le vouloir. Il attrapa la main libre de Mornagest et, l’ouvrant doucement, la porta à ses lèvres. Il remarqua l’anneau que ce dernier portait encore.

« Mon anneau de liberté… garde-le. Il te sera utile contre les magies malveillantes, ou bien comme signe de reconnaissance, au besoin… »

Sur une légère pression de ses doigts, il se dégagea et se remit sur pied. Il se lança alors un sort inidentifiable…

Lothringen = = > force de taureau = = > Lothringen

… et saisit sous les aisselles et les genoux le corps du vieux mage, qui remuait toujours, d’un sommeil tourmenté. Mieux valait que ce dernier ne les voie pas ensemble.

[Quête : rapports diplomatiques]

Tout était dit. Mornagest n'avait plus qu'à s'en aller, et attendre... cela lui paraissait déjà long. Et difficile. Il ne s'était jamais imaginé devoir subir pareille séparation. A vrai dire, c'était la première fois de sa vie qu'il en vivait une telle. Evidemment, la mort d'Helena avait été plus qu'un choc pour lui - une déchirure. Qu'en était-il cette fois ? Sans doute davantage. Et pour Lothringen aussi. Le mélandien savait ce que son compagnon craignait, et il le comprenait, du moins, le pensait-il. Pourrait-il tenir sa promesse ? Il le voulait, en cet instant. Mais sa volonté serait-elle suffisante ? Survivrait-il simplement à son retour ? Tant de questions pour seules compagnes de voyage... Difficile, vraiment.

Il se releva.

"Adieu", souffla-t-il simplement à Lothringen. Il se retourna, et se mit en marche. Sans regarder par-dessus son épaule. A quoi bon ?