La Couronne de Cuivre

Anomen eut du mal à se réajuster à la vie sans <CHARNAME>. Bien qu’il soit de beaucoup plus puissant que tous les membres de l’Eglise de Helm, à l’exception des plus anciens, il estima qu’il lui restait peu de choses en commun avec ses pairs. Son expulsion de l’Ordre était alors chose bien connue, et son tempérament instable et son manque de persévérance conduisirent non seulement à sa sortie de l’Eglise, mais aussi à sa perte de la faveur de Helm.
Désormais véritablement seul et sans plus aucun maître à servir, Anomen fut contraint de se débrouiller par lui-même. Bien qu’il ne fut plus le formidable prêtre qu’il avait été, son entraînement tactique et son expérience du champ de bataille ne lui firent pas défaut. Il trouva un emploi lucratif en tant que général mercenaire, la plupart du temps rassemblant et conduisant des troupes pour d’agressifs seigneurs terriens du continent. Que son employeur réussisse ou échoue dans ses ambitions, Anomen réclamait d'être payé d'avance et il survécut toujours. La plupart de son considérable temps libre se déroulait dans des vapeurs de substances diverses et des froufrous de soie. Même si ses réflexes se ralentissaient et que sa silhouette souffrait de trop de laissez-aller et de trop peu d'exercice, sa réputation dans son domaine demeurait sans égale ; elle ne fit que s'étendre à mesure que croissaient ses dispositions pour l'excès. Il était occupé et distrait, presque assez pour l'empêcher de penser au départ de son aimée.
Sa déchéance de la prêtrise ne le fit pas renoncer au concept de prière, et en ces nuits où les plans de bataille étaient mis de côté et ses idées claires, Anomen avait coutume de prier, avec ferveur, les larmes aux yeux, quiconque voudrait bien l’entendre. Il priait pour trouver une direction, un pardon, un sens. Ses prières reçurent une réponse quand une paire d'acolytes missionnaires de Helm le trouvèrent au bout d'une bringue particulièrement longue dans une cité frontalière de Sembie. Ils s'étaient mis spécialement en quête d'Anomen, intrigués par les légendes qui circulaient sur cet homme et sur son rôle dans la saga de l'enfant de Bhaal. Au début, Anomen pensa pouvoir se débarrasser d'eux avec un bref récit et quelques fioritures, mais les étudiants n'étaient pas si faciles à décourager. L'homme, Nero, était fasciné par la lutte qu’Anomen avait dû mener contre son père et contre lui-même, et par l'étrange et long chemin que sa vie avait pris. Pour sa part, Therene ne désirait rien tant que de gratter le vernis suffisant d'Anomen et d'en découvrir davantage sur sa réelle personnalité.
D'abord flatté, puis par curiosité, Anomen les prit sous son aile, et ils le prirent sous les leurs. Nombreuses furent les nuits qui se finirent au matin lorsqu'il leur racontait des histoires - certaines glorieuses, d'autres douloureuses – sur l'Ordre et sa perte de la grâce de Helm, sur des batailles gagnées, des ennemis anéantis, des voyages à travers les plans, et sur <CHARNAME> , aussi. Lorsqu'il rassembla ses souvenirs d'elle pour Therene, il sentit des sentiments enfouis commencer à le tirailler à nouveau. Ce n'était pas l'amour dépendant qu'il avait eu pour <CHARNAME>, à peine plus que de l'entichement, mais plus qu'il n'en avait ressenti pour autrui depuis bien longtemps.
Au fil de ses contes et de ses regrets, Anomen en vint à mieux comprendre certains de ses choix malheureux, et commença à s’interroger à voix haute sur un éventuel retour au sein de l’Eglise. Therene et Nero en étaient déjà arrivés à la même conclusion, et avaient même envoyé à leur Eglise d'accueil de la Côte des Epées une lettre plaidant pour sa réintégration, qui avait été timidement approuvée en attendant une discussion franche avec un conseil de Veilleurs. Mais la rencontre n'eut jamais lieu. Quand Therene révéla leur plan à Anomen, ce dernier fut tellement submergé de joie et d'émotion qu'il ne put que se focaliser sur son apparence et le discours qu'il ferait pour implorer une nouvelle place dans l'Eglise. Tous trois passèrent des jours et des jours à réparer et nettoyer son équipement, et à discuter de son discours. Une dispute éclata entre Nero et Anomen à propos de la formulation, et de si Anomen devait apparaître en tenue de combat ou non – Anomen voulait y aller dans ses plus beaux atours, pour montrer qu'il était prêt à servir en toutes circonstances, tandis que Nero lui suggérait de se présenter en humble pèlerin. La colère d'Anomen s'embrasa ; il accusa Nero d'essayer de l'humilier devant Therene, de manière à pouvoir la garder pour lui seul. Nero tenta de le faire taire, sans résultat, et les protestations de Therene furent inutiles. Les deux hommes crièrent de plus en plus fort l'un sur l'autre jusqu'à ce qu'Anomen craque. En un éclair, il saisit son fléau et l'abattit sur le crâne de Nero. Therene s'enfuit en hurlant alors qu'Anomen restait simplement immobile, les yeux fixés sur le corps sans vie du jeune homme, incapable de croire que sa colère avait à nouveau emporté une vie innocente.
Il y eut d'autres tentatives de localiser Anomen – certaines pour venger le meurtre de Nero, d'autres pour essayer de l'aider une fois de plus – mais toutes furent infructueuses. Si Anomen trouva jamais consolation et réconfort, ce ne fut pas auprès de ceux qui l'avaient autrefois appelé "frère".