La Couronne de Cuivre

-Oh...
Grégoire demeura muet un instant puis secoua la tête.
-Conseiller, je ne voulais rien sous entendre sur le fait que des constituantes du pouvoir manostien puissent ignorer ce que faisaient les autres. Je n'en savais tout simplement rien, en réalité. Je suis encore peu familier de votre cité, et... Je sais que des diplomates avertis auraient agi autrement, auraient mobilisé des informateurs avant de tenter une démarche frontale. Mais je ne suis pas diplomate. En réalité, je ne suis pas grand chose, sinon un gratte-papier habitué à remplir formulaire sur formulaire. je n'ai pour bagage que l'expérience des événements qui ont bouleversé ma cité et qui m'ont projeté à une place pour laquelle je n'étais pas préparé. J'ai beaucoup appris, oui. Mais je n'en conserve pas moins la ligne de conduite qui a toujours été la mienne, celle, un peu naïve sans doute, d'un Lathandrite. Quand je ne sais pas, je demande, quitte à mettre les pieds dans le plat ou à paraître dénué de finesse. Et je garde la conviction qu'en agissant avec franchise, honnêtement, sans fard ni manigances, les choses ne peuvent aller que pour le mieux, ne peuvent que se régler le plus simplement du monde. D'où ma présence ici, sitôt après mon entretien avec le Haut-Prélat. Il n'y avait aucune malice là-dedans. Juste l'attitude directe de quelqu'un qui ne veut certainement pas passer pour un comploteur ou retenir les informations qu'il a reçues.
Il sourit.
-J'ai fait l'expérience du gouvernement, Conseiller. Cela n'a duré que six mois, si l'on excepte la période où j'ai dirigé la Résistance luménienne. Six mois qui m'ont révélé à quel point la chose était complexe et qui m'ont épuisé. Je comprends donc parfaitement que la situation soit difficile, même si elle diffère beaucoup de ce que j'ai connu. Je n'en veux certainement pas au sire d'Aulfray : il m'a dit ce qu'il a pu, et c'était suffisant. Je suis, de surcroît, honoré du choix qui a été fait de me nommer parmi les garants du conclave, et j'essaierai de m'acquitter au mieux de ma tache. Je vous l'ai dit dès notre première rencontre : je suis redevable pour l'aide que Manost nous a apportée, et je suis bien placé pour l'être, car j'ai pu en mesurer l'importance. Je désire sincèrement qu'une amitié solide s'instaure entre nos deux cités, et l'opportunité m'étant offerte de vous apporter, aussi minimement fût-ce, mon aide, je compte bien la saisir. De cela, je voudrais que vous soyez certain.

Lothringen avait laissé le luménien parler sans l'interrompre, par politesse, mais il n'avait pu retenir un demi-sourire amusé en l'entendant expliquer qu'il n'avait rien d'un diplomate aguerri.

Et moi donc, cher monsieur. Il y a trois ans, un mercenaire. Il y a quatre ans, un soldat. Un peu plus tôt, un apprenti magicien, un esclave... D'aucuns font carrière dans ce métier. D'autres, comme nous, arrivent là par hasard. Y font carrière à leur tour. Ou bien y font, beaucoup plus important, des rencontres. Vous y demeurerez, peut-être. Et je n'aurai fait que passer...

Une nouvelle fois, il songeait à Mornagest, à leur décision de laisser tout cela derrière eux. Pourquoi fallait-il que la situation se détériore au moment précis où il préparait son départ... Il ne parvenait plus à se sentir tout à fait concerné.

"Mais j'en suis certain. Et je souhaite d'autant plus voir les relations avec Lumenis se normaliser que celles avec nos voisins mélandiens courent de sérieux risques de se dégrader rapidement, avec l'ascension des cyriciens, et que cela laisse présager le pire pour notre continent... Pour l'heure, vous comprendrez que la crise du clergé monopolise notre attention. Ce que sire Guiguemar veut tenter est assez périlleux, mais pourrait presque tout dénouer..."

Il devient songeur, un instant.

"... Etes-vous homme de foi, Commandant ?" demanda-t-il soudain.

Quelque peu décontenancé par la question du conseiller manostien, Grégoire prit de longues secondes de réflexion avant d'y répondre.
-Je ne pense pas qu'on puisse me définir ainsi. Pas exactement, du moins. Bien sûr, je crois à Lathandre, et je ne suis pas sans participer à certaines cérémonies. Mais ce sont surtout, pour moi, des instants de communion avec mon peuple. Je ne suis pas une grenouille de bénitier, je ne passe pas toutes mes aubes à saluer mon dieu. Mais j'ai été profondément pénétré de certains de ses principes : l'espoir, l'optimisme, la bienveillance, la croyance dans les nouveaux départs, dans les nouvelles chances... Alors, non, je ne pense pas être un homme de foi au sens strict. Disons que je rends hommage à Lathandre... à ma manière, en dirigeant mes efforts vers les autres plutôt que vers sa dévotion proprement dite.
Il s'était montré le plus sincère possible. Sans doute, face à Guiguemar d'Aulfray ou quelque autre représentant des instances helmites, aurait-il infléchi sa réponse. Mais il avait l'impression de pouvoir être honnête, en la matière, avec Lothringen.

Il hocha la tête, pensant comprendre ce que Grégoire avait voulu dire : en somme, ce dernier entendait moins son dieu comme un résident des plans que comme un ensemble de principes, un ciment culturel. Lathandre n'était pas vraiment le dédicataire de Lumenis, plutôt une sorte de patron, de protecteur nominal...

Les helmites avaient une approche religieuse bien plus contraignante, où la foi se devait de devenir le pivot de l'existence personnelle comme de l'ensemble de la structure sociale, dictant chaque parole et chaque réaction en toute circonstance. Il y avait dans leur conception de la religion un degré d'exigence qui pour être démesuré portait en lui une part d'idéalisme intransigeant qui avait toujours fasciné, d'une certaine manière, le semi-drow.

"Je crois que je peux comprendre cela. Pour ma part, sans partager le rigorisme des helmites, j'ai encore une façon différente de voir les choses, moins liée à des pratiques rituelles ou à des règles de vie qu'à une relation, disons, plus personnelle avec ma divinité. Tymora n'est pas pour moi une abstraction, mais un avatar doté d'un visage, d'une voix... et d'une aura... "

Il ravala difficilement sa salive. Il ne parvenait jamais à parler de sa rencontre avec la déesse.* Et d'ailleurs, à quoi bon ? Une telle expérience n'est pas communicable.

"Aussi étrange que cela puisse paraître, je suis aussi la dernière personne à Manost à avoir assisté à une manifestation de Helm.** Une présence divine... qu'il s'agisse ou non de votre propre dieu... cela s'impose comme une évidence. Si quelqu'un cherche à nous tromper demain, je le saurai tout de suite. Mais si Le Vigilant daigne se manifester, je crois que c'est vous qui le saurez immédiatement."

*Quête "Manost Revenge
** Quête "Vol d'une relique"

Grégoire fronça les sourcils.
-Moi ? Pourquoi pensez-vous cela ? Comme je vous l'ai dit, je ne suis pourtant pas familier de ce genre de choses. J'ai vu bien des événements étranges dans ma vie, mais jamais d'apparition divine. Si Lathandre s'est jamais manifesté à moi, ce n'est pas par le biais d'un avatar, mais seulement... par des bouffées d'espoir, par le courage qu'il a inspiré aux membres de la Résistance luménienne. Par des rencontres, aussi... Des choses du quotidien qu'un croyant attribuera facilement à un dieu tandis qu'une personne moins religieuse y verra le simple hasard...

Le conseiller retint un geste d'impuissance : ils ne parlaient visiblement pas le même langage. L'ambassadeur avait l'air de croire que l'on pouvait confondre une aura divine avec un courant d'air ou une illusion magique... Et, à y bien réfléchir, tant qu'il n'en aurait rencontré aucune, Lothringen n'avait pas vraiment les moyens de le convaincre du contraire.

"Ce que je voulais dire, c'est qu'il n'y a pas besoin d'en être familier pour reconnaître la présence d'un dieu. Vous comprendrez si jamais cela vous arrive... Mais j'abuse de votre temps, avec mes divagations d'illuminé."

Il se mit à rire. Le luménien avait-il seulement cru ce qu'il disait ? Dire qu'il y avait réellement des gens sur Toril qui doutaient de l'existence des dieux, qui ne les prenaient que pour des projections idéales... Pour Lothringen, voilà qui était aussi impensable que, pour eux, l'exaltation des fanatiques.

"Nous nous reverrons donc demain ?"

Grégoire acquiesça.
-Bien sûr. Sitôt rentré à l'ambassade, je ferai porter une lettre au sire d'Aulfray pour lui confirmer ma manifestation.
Il se leva.
-Merci pour cette conversation, Conseiller. Je n'ai certainement pas l'impression d'avoir perdu mon temps, bien au contraire. Il est agréable et intéressant de, parfois, débattre de sujets autres que des strictes considérations diplomatiques..
Souriant, il prit congé et quitta le bureau. Il était complètement rassuré quant au rôle qu'il jouerait le lendemain soir, certain désormais qu'on ne verrait pas là une tentative d'interférer dans les affaires de la ville. Restait donc la curiosité quant à l'événement qui se produirait, si tout allait bien. Il avait l'impression que le temps allait lui paraître bien avant que n'arrive le moment où il devrait se rendre au Temple.

Venant d' ici

Le trajet n'était pas bien long. Quand ils eurent pénétré dans la citadelle de la Lame d'Argent, il leur fallut encore traverser les larges rues calmes du quartier des ambassades avant de parvenir devant le portail du Palais des Murmures. Cette longue bâtisse blanche était le centre diplomatique de Manost, et partant la résidence de Lothringen.

Des estafettes diligentes entraient et sortaient sous le regard attentif des gardes du parc. Ces derniers les laissèrent passer et remonter l'allée principale, mais ce furent leurs collègues de la porte d'entrée qui arrêtèrent le trio.

"Un instant, visiteurs. Qui souhaitez-vous voir, et êtes-vous attendus ?"

Mical s'inclina légèrement devant le vigile, avant de répondre.

" Salutations. Nous souhaiterions parler au conseiller Lothringen, si ce dernier a du temps à nous consacrer. Je crains que nous ne soyions pas attendus, mais sans doute savait il que le Temple enverrait quelqu'un. Nous sommes Corwin Balder et Mical, de l'église Helmite, et Chandara, de l'ordre du Coeur Radieux. "

Chandara avait adopté un silence attentif tout au long du trajet qui les avait conduits dans le quartier des ambassades. Elle était bien décidée à ne plus se laisser surprendre par leurs mystérieux ennemis. Corwin et Mical semblaient en savoir plus long qu’elle à leur sujet et c’était tant mieux car elle se sentait perdue pour sa part. Elle ne s’était pas attendue à être confrontée à eux si vite, sans avoir pu s’y préparer. Depuis lors, elle observait les alentours avec un regard suspicieux, bien décidée à compenser son manque de vigilance de tantôt et faire honneur à Helm.

Elle ne put cependant pas s’empêcher de jeter un regard admiratif et de contempler les bâtiments splendides qui se dressaient dans cette partie de la Cité où elle se rendait pour la première fois. Lorsque les gardes les interpellèrent à la porte du Palais des murmures, elle dut faire un effort pour relever la tête et s’avancer à la hauteur de ses deux compagnons au lieu de rester timidement en retrait. Etre paladin de l’Ordre exigeait un certain protocole après tout…

On les laissa s'installer dans les salons du rez-de-chaussée, pendant que l'un des gardes portait le message à qui de droit. Il revint quelques minutes plus tard pour leur annoncer que le conseiller allait les recevoir, avant de les entraîner à l'étage, jusqu'à une porte où il frappa pour les annoncer.

Rentré de la guilde des Arcanes peu de temps auparavant, Lothringen s'était replongé sans entrain excessif dans l'examen d'une missive de la guilde des marchands, inquiète du devenir des accords d'Ysté ; elle faisait état d'une recrudescence à Melandis des tentatives de racket et des agressions contre les ressortissants étrangers. Et que pouvait-il répondre à cela ? ... Sinon que les cyriciens avaient pris le pouvoir ; qu'il allait partir, que Mornagest allait partir : gare à la ruine du château de cartes. Mais non, il devait garder le secret, il ne pouvait même pas répondre cela. Seulement noyer le poisson et leur conseiller de se détourner du commerce continental...

L'arrivée de ces émissaires du temple tombait à point nommé :

"Entrez."

La porte s'ouvrit sur un bureau en rotonde, où trois longues fenêtres aux vitraux d'albâtre étaient pour l'heure recouvertes de vélums qui assombrissaient quelque peu la pièce, mais soulageaient les yeux trop sensibles du semi-drow. Ce dernier s'était levé pour les accueillir.

"Bienvenue à vous trois. Vous êtes envoyés par sire Guiguemar, je suppose ? Il a fait vite."

Il hocha la tête en direction de Corwin, qu'il reconnaissait.

L’intérieur de la demeure était à l’image des idées que ce faisait la paladine des endroits luxueux et raffinés mais imaginer et vivre étaient deux choses bien différentes. Elle n’avait jamais manqué de rien mais n’avait pas non plus été élevée dans le luxe. Cojum était plus réputée pour sa culture et ses bons vins que pour son opulence provinciale. La jeune femme s’émerveillait devant chaque objet d’art qui ornait la demeure du conseiller, se faisant un peu l’effet d’une sotte campagnarde.

Pourtant malgré son admiration du mobilier, ce fut la vue du conseiller lui-même qui eu le plus d’effet sur elle, exacerbant sa timidité. Il était plutôt bel homme dans son genre mais c’était sa présence et ce qu'il représentait plus que son apparence inhabituelle qui retint l’attention de la jeune femme. Elle osa à peine hocher la tête en guise de salut lorsque Lothringen les reçut et laissa le soin à Mical de prendre la parole. Elle ressentait plus que jamais le besoin de ne pas attirer l’attention sur elle.

Mical s'inclina devant le conseiller, essayant de dissimuler au mieux son malaise. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce qu'il savait des drows n'était pas pour le mettre en confiance, même si il y avait, de toute évidence, des exceptions. On lui avait enseigné à ne pas se laisser aveugler par les préjugés, mais la présence juste devant lui d'un elfe noir était pour le moins troublante, fut il un des plus hauts responsables de la cité sainte.

" Nous sommes effectivement au service du Haut Prélat, même si il ne nous a pas expressément demandé de venir vous voir. Mais nous pensons que vous pourriez être d'une assistance précieuse dans notre mission. "

Le prêtre ponctua sa phrase d'un bref inclination de tête, attendant l réponse de Lothringen.

... Lequel attendait plutôt qu'il développe davantage son idée.

"Plus tôt nous en aurons fini avec cette crise, et mieux cela vaudra pour Manost. Je vous écoute."

Corwin s'empressa alors d'intervenir.

"En fait, j'avais pensé que puisque vous connaissiez vous aussi Eroeh, vous pourriez peut-être le localiser au moyen d'un sort divinatoire quelconque, ce qui nous aiderait beaucoup dans notre quête..."

Lothringen haussa un sourcil. Un sort divinatoire, pourquoi pas, mais lequel ? Une localisation de créature avait une portée limitée et ne fonctionnerait donc pas si, comme cela était plus que probable, Eroeh ne se trouvait pas dans les environs immédiats de la cité. Une scrutation réussirait sans doute, mais elle ne les renseignerait pas beaucoup sur son emplacement si elle le leur montrait dans une taverne, dans une pièce close ou en pleine nature. Sinon, il pouvait aussi tenter de prendre contact avec une entité planaire. Un sort difficile à maîtriser, mais le jeu en valait la chandelle...

"Je peux en effet tenter de vous obtenir cette information, avec un sort de Contact avec les plans, mais c'est sans garantie de résultat. Les termes employés ayant leur importance, il vaudrait mieux que vous soyez présents, d'ailleurs. La préparation n'est pas très longue, et mon laboratoire à deux portes d'ici. Est-ce que cela vous intéresse ?"

Les exercices de la matinée l'avaient un peu usé, mais c'était le moment ou jamais de tester ses progrès en concentration. En son fort intérieur, Lothringen redoutait un peu la confrontation, cependant : on ne choisissait jamais quelle entité allait répondre.

" Le savoir est un bien précieux. Tout ce que vous pourrez nous apprendre sera bienvenu, conseiller. "

Le jeune clerc n'était pas certain de ce en quoi consistait ce fameux sort, mais si il pouvait les aider à trouver Eroeh, il valait sûrement la peine d'être tenté. Il ne s'y connaissait guère en magie des arcanes, mais avait une connaissance sommaire des sortilèges affaiblissant les barrières entre les plans et savait qu'ils étaient périlleux, dans le meilleur des cas. Même les prêtres de haut rang ne s'y risquaient pas sans raison sérieuse. Mais l'affaire en cours valait bien la peine que l'on prenne des risques, d'autant que le temps leur était compté.

" Si nous pouvons être d'une quelconque assistance durant vos préparatifs... "

Chandara n’avait pu réprimer le léger frisson qui lui parcourut l’échine à la mention du sort que s’apprêtait à lancer le conseiller Lothringen. Ce genre de magie difficile à maîtriser revêtait de grands dangers ce qui dissuadait la plupart des mages ou prêtres d’y avoir recours. L’entité contactée révélait souvent une nature démoniaque et ses créatures ne répondaient jamais de bonne grâce à l’appel, cherchant à se dérober ou pire, trouver une faille dans les défenses de l’invocateur et ainsi pénétrer dans le plan Primaire. Elle n’avait encore jamais assisté à ce genre de rituel mais ses professeurs l’avaient maintes fois mise en garde. Elle ne pouvait donc qu’espérer que le conseiller en mesurait les risques et qu’il saurait faire face si les choses dégénéraient. Intimidée, elle n’osa pas faire part de ses doutes et se contenta d’acquiescer à la proposition, bien décidée à ne pas se laisser surprendre quoiqu’il puisse arriver.

Corwin n'intervint pas davantage, un peu embarrassé de ce qu'il avait provoqué.

"Oui, répondit Lothringen à Mical. Vous pouvez m'établir la liste des questions que vous voudrez poser. Trois ou quatre, pas plus. Tâchez de les formuler de manière précise, de sorte que la réponse puisse tenir en quelques mots... Les réponses obtenues sont souvent laconiques."

Leur laissant le temps d'y réfléchir, Lothringen fit signe à ses trois visiteurs de le suivre. Il les conduisit dans le couloir, puis apposa sa main sur une des toutes premières portes latérales en murmurant un mot de pouvoir inaudible. La pièce ainsi rendue accessible devait être ce qu'il appelait son laboratoire, bien qu'elle ne puisse en rien rivaliser avec son homologue de la guilde des Arcanes. La salle avait été tapissée d'étagères dont les rangées, du sol au plafond, étaient couvertes de livres spécialisés traitant de magie profane, de divination, et tout spécialement de la magie elfique et drow en ce domaine. Une ou deux étagères contenaient aussi des ingrédients de sorts et des fioles diverses. Une unique fenêtre distribuait une lumière parcimonieuse. Au centre de l'ensemble trônait un établi d'alchimiste.

Mais ce sortilège ne nécessitait pas de composants profanes, et Lothringen se contenta de tirer un grimoire de l'une des étagères pour vérifier les détails de l'incantation.

"Pour éviter les mauvaises surprises, je vais tâcher de concentrer mes efforts sur le plan de Helm... Mechanus."

Ce plan étant directement concerné par leur problème, les chances de réussite, d'après l'ouvrage, seraient beaucoup plus élevées.

"Avez-vous réfléchi aux questions ?"

La mention du plan sur lequel le conseiller entendait concentrer ses recherches rasséréna la jeune femme. Chandara s’était efforcée de réfléchir aux questions dont les réponses pourraient les aider même si sa première intention était de confier la décision à Mical, plus sage et sans doute plus expérimenté en la matière. Elle rejetait les idées qui lui venaient en tête, le jugeant immédiatement ridicule ou trop simplistes pour que ses aînés oublient d’y penser par eux-mêmes. Par fierté, elle se devait de faire de son mieux, ne pas faire mine de trop s’en remettre aux autres mais elle devait reconnaître que ce n’était pas forcément la meilleur situation pour prendre des initiatives. Il fallut que le silence s’éternise, sans doute que le prêtre prenait le temps de réfléchir et de formuler au mieux ses idées, pour qu’elle se décide à parler timidement :

- Ne suffirait-il pas de demander tout simplement où se trouve le dénommé Eroeth ? Pensez-vous que l’extra planaire se refuse à nous révéler la réponse ou se dérobe ? Où alors, est-il préférable de demander où nous devrions nous rendre pour être certain de le trouver le plus rapidement possible ? Au cas où il se déplace. Mais vous devez trouver mes idées ridicules. Qu’en pensez-vous ?

La paladine baissa les yeux, espérant que le silence ne prolongerait pas sa gêne, désirant écouter les conseils et les suggestions des personnes plus avisées qui l’entouraient.

Mical devait avouer qu'il n'en savait pas beaucoup plus que la paladine. Il n'avait été ordonné que récemment et n'avait guère d'expérience concernant une magie si puissante. Il s'efforça néanmoins de participer à la réflexion.

" Il faudra sans doute préciser de quel Eroeh nous voulons parler. Je suppose que le nom seul ne suffirait pas. "

Le prêtre se gratta la tête, jetant un regard interrogateur sur ses compagnons.

" Peut être quelque chose comme... en quel lieu pourrions nous trouver Eroeh, prêtre deHelm le Vigilant ? Si tant est qu'il le demeure, bien sûr, j'avais cru comprendre que la question restait en suspens. "

Cette dernière phrase s'accompagna d'un regard vers Corwin Balder.

Corwin avoua son impuissance. L'homme qu'il avait brièvement rencontré traversait une crise de foi, c'était certain, mais il n'avait pas non plus explicitement rejeté le culte en sa présence...

"Je... je suppose que si Eroeh avait tout à fait perdu la faveur du Vigilant, ce dernier ne l'aurait pas choisi pour son grand-prêtre. Et je ne connais pas d'autre prêtre de Helm de ce nom. Mais on peut aussi le désigner comme Eroeh, l'Elu de Helm, je suppose..."

Lothringen avait écouté avec attention les interventions des uns et des autres. Et il se rendit compte qu'il avait bien fait de leur demander d'y réfléchir avant : ce n'était au milieu de l'invocation qu'il aurait pu s'interroger sur ces subtilités...

"Pour vous répondre, répondit-il à l'attention de Chandara, il y a un risque certain que l'entité réponde une vérité qui ne correspond pas à nos attentes, même si seules les créatures démoniaques trompent à dessein... Leur mode de pensée est extrêmement éloigné du nôtre. Quant au nombre des questions, nous pourrions nous contenter d'une seule, en effet, mais je suppose... que c'est une opportunité qui ne se renouvellera pas de sitôt."

Il réfléchit quelques instants à ce qui venait d'être dit, avant de tenter une synthèse.

"Nous pourrions formuler cela en plusieurs temps. Une question pour demander près de quelle localité se trouve actuellement Eroeh, celui que Helm a choisi pour grand-prêtre de Manost... Une autre pour demander où se rendre pour le trouver le plus rapidement possible... Une sage précaution... Et, peut-être, une troisième pour savoir où il en est à l'égard de son dieu ? Mais formulé de manière à pouvoir recevoir une réponse brève. Est-ce là tout ce que vous cherchez à savoir ?"

" Il serait intéressant de savoir qui sont les autres hommes à sa recherche, mais je ne suis pas sûr que votre sort puisse donner ce genre d'informations... "

Mical ne pouvait que se livrer à des conjectures à ce sujet. Des Cyriciens venus achever le travail commençé à Mélandis? Des partisans de l'un des candidats malheureux à la grande prêtrise? Peu importait, dans le fond, seul comptait le fait de trouver Eroeh avant eux. Le reste pourrait attendre.

" Oublions la troisième question. Quels que soient les sentiments d'Eroeh à l'égard de l'église et du Vigilant, nous le saurons bien assez tôt. Inutile de compliquer les choses plus que de raison, surtout avec une magie si délicate. "

Le prêtre se passa une main sur le front, essayant de faire abstraction de l'anxieté qui commençait à le saisir.

" Sommes nous prêts? "

Chandara s’avisa que Mical s’adressait à elle et rougit. Elle avait laissé divaguer son esprit en songeant aux implications du sortilège à venir. Elle ne craignait pas d’affronter l’adversité mais elle devait avouer que le sortilège puissant que s’apprêtait à lancer le conseille la rendait un peu nerveuse. Elle se répétait mentalement les questions qu’ils comptaient poser comme si la tâche pouvait lui revenir. Elle tentait d’y déceler une faille, une erreur qu’ils auraient pu commettre, quelque chose qu’ils auraient omis… En vain. Il ne restait plus qu’à espérer que l’extra planaire répondrait à leurs attentes, sans danger. Elle répondit distraitement :

- Oui, oui. Je pense que nous sommes prêts.

Elle rougit encore davantage en prenant conscience que peut être le prêtre s’était sans doute adressé à Lothringen…

Lothringen eut un sourire nerveux. Ce sort ne demandait aucune préparation matérielle, en réalité... "Seulement" une concentration à toute épreuve. Les accidents n'étaient pas rares: une folie temporaire ou permanente constituait le salaire des mages présomptueux.

"Soit, je vais commencer l'invocation. Ne détournez mon attention sous aucun prétexte..."

Sans désormais un seul regard pour le livre qui reposait sur son lutrin, le semi-drow se mit à incanter. Insensiblement, il se redressa, et ses yeux se fermèrent. Les mots de pouvoir s'enchaînaient, articulés dans un chaotique agrégat de syllabes étranges empruntées à des langues disparues depuis des temps immémoriaux... Et, de temps à autres, quelques phrases en commun se détachaient soudain, plus ou moins intelligibles.

"J'en appelle au plan des justes, à ceux qui garantissent les lois universelles... Et parmi eux à vous qui êtes les garants de l'inviolabilité des pactes. De Mechanus, entendez-moi."

[LEFT]L'invocation reprit, mêlant gestes et paroles cryptiques, durant une bonne dizaine de minutes. Puis le silence se fit, pénible et bref. Tout entier tendu vers son objectif, les traits crispés, Lothringen répéta :[/LEFT]
[LEFT]
[/LEFT]
[LEFT]"Un mortel, à Helm lié par son devoir. Inéluctable, de Mechanus, entendez-moi."[/LEFT]
[LEFT]
[/LEFT]
[LEFT]Il sentait que la barrière entre les plans s'amoindrissait, que la réalité vacillait autour de lui, mais nul encore n'avait répondu à l'appel. Puis l'entité fut là. A moins que la forme qui apparut alors sous leurs yeux ne soit que la projection d'une image mentale, et que le mage ait commencé dans le même temps à s'effacer du réel ? En tout cas, le semi-drow s'était figé, apparemment incapable de remuer le moindre orteil, et une forme se dessinait non loin d'eux, à deux pas de Corwin qui recula par réflexe.

La créature planaire avait une allure étrange qui relevait à peine du vivant. D'aspect biomécanique avec son curieux assemblage de tiges, de rouages et de tendons, elle n'avait pas de visage, mais deux lentilles inexpressives, et demeurait constamment floue, comme si sa seule présence était incertaine. Elle ne dégageait pas d'aura clairement interprétable, mais son seul refus de se matérialiser tout à fait disait assez son peu d'envie d'être là. Et quand elle parla, d'une voix atone qui grinçait comme une poulie, ils en eurent aussitôt confirmation.[/LEFT]
[LEFT]
[/LEFT]
[LEFT]"Tu me déranges, mortel. Hâte-toi..."[/LEFT]

Chandara avait crispé sa main sur la poignée de son épée durant toute l’incantation du conseiller Lothringen. Elle n’avait pas osé dégainer malgré son envie croissante de le faire, de peur que le bruit ne perturbe la concentration du demi-drow. Lorsque la créature invoquée se révéla enfin, elle ne put réprimer un hoquet de surprise. Elle ne savait pas ce qui l’étonnait le plus de son aspect non vivant et immatériel ou de son absence d’aura. Toujours est-il que la paladine redoubla de vigilance et fixa toute son attention sur le moindre de ses mouvements, prête à l’attaquer au moindre signe de duplicité.

HRP: mes plus plates excuses concernant ce passage, mais je suis sur un clavier qwerty... Tous les accents manquent, du coup. Desole pour les yeux...

Mical ressentit un frisson remonter sa colonne vertebrale a la vue de l'etre extraplanaire. On etait loin de l'emerveillement qui avait accompagne l'apparition du Vigilant. La seule presence de cette chose donnait une impression d'etrangete, de decalage. Elle ne devait pas etre la, Mical en etait convaincu. Sa place n'etait pas sur ce plan, et pourtant la silhouette mecanique se trouvait face a eux, sinistre et deroutante.

Le pretre dut se contenir pour ne pas murmurer une imprecation, se souvenant de l'avertissement du drow. Plus vite cette seance serait elle achevee, mieux cela vaudrait pour tout le monde. Il s'efforca de se decrisper, en vain; il dut donc se resigner a attendre dans une posture roide que se deroule l'entretien, priant Helm que tout se deroule au mieux.

Esperons que l'elfe noir sait ce qu'il fait...

Ils se mesuraient en silence. Bien qu'il ait bien invoqué l'entité qu'il souhaitait et qu'il fût certain d'avoir en face de lui un Inéluctable, Lothringen percevait un malaise indéfinissable. Après quelques instants, il comprit que cela venait de l'hostilité de la créature à son égard. Lui, un renégat, il avait osé invoquer un gardien de la foi jurée... Et ce dernier le lui ferait payer s'il pouvait. Le conseiller remercia mentalement Mical d'avoir limité le nombre de ses questions : le bras de fer mental s'annonçait périlleux.

"Nous voulons savoir dans ou près de quelle localité se trouve Eroeh, celui qu'Helm a choisi pour devenir son grand-prêtre."

L'entité réfléchit quelques instants, le temps de comprendre le sens que les habitants de Toril pouvaient donner au terme de "localité." Mais, considérant les trois helmites qui accompagnaient le mage, elle donna la réponse d'assez bonne grâce.

"Aghoralis est la ville la plus proche."

La réponse ne surprenait guère Lothringen. Pour ce qu'il avait vu d'Eroeh, ce dernier cherchait à tourner le dos à son passé, ce qui impliquait de mettre beaucoup de distance entre lui et le golfe. S'était-il installé quelque part, cela dit, ou bien continuait-il d'arpenter la campagne ? Mystère.

"Où faut-il se rendre pour le retrouver le plus rapidement possible ?"

Cette fois, la réponse fut plus longue à venir. Non que l'entité hésitât sur sa teneur... Elle semblait plutôt retarder volontairement le moment de la donner, le temps de... Le temps d'attaquer le mage. Une attaque mentale d'une telle puissance que le semi-drow s'appuya sur la table, les traits tirés par l'effort.

Assez. Tu vas parler. Maintenant !

Encore quelques secondes d'attente angoissante, et Lothringen reprenait péniblement le dessus.

"...Une auberge, à vingt lieues plus au sud."

Le semi-drow poussa un soupir de soulagement rageur, tout en libérant l'entité qui disparut aussitôt. A moitié aveuglé, il s'effondra sur une chaise. Le sang lui battait des tempes détrempées de sueur et il parvenait à peine à retrouver son souffle. Peu importe, ils avaient ce qu'ils voulaient.

Lothringen repoussa d'un regard noir un mouvement de Corwin en sa direction.

"Vous avez... les réponses que vous cherchiez. Partez maintenant."

Chandara fut autant soulagée que déçue par la disparition de l’apparition extra planaire. Ils avaient obtenu des réponses à leurs question mais auraient peut être pu en apprendre davantage. Cependant, à voir l’état du conseiller, il valait mieux que le contact ait été rompu. La tension diminua et elle se remit à respirer normalement.

Maintenant ils pouvaient commencer à avancer. Ils avaient le nom d’une ville où se rendre ainsi que des précisions sur la meilleure direction à prendre. Somme toute l’entretien s’était très bien déroulé de son point de vue. Nul doute que Corwin et Mical sauraient quoi faire maintenant. Peut être fallait-il commencer à recruter des renforts. Le voyage vers Aghoralis promettait d’être long et périlleux. Elle s’adressa timidement au conseiller qui venait de repousser l’aide de Corwin. Elle se serait sentie mal de partir sans lui avoir adressé un mot.

- Merci pour votre aide conseiller Lothringen.

Mical enendit le salut de la paladine, et s'apprêta à faire de même, avant de détailler les traits de Lothringen, tirés par la fatigue et l'effort. Finalement, il se contenta de s'incliner profondément, avant d'obéir à l'injonction du Conseiller et de quitter la pièce, bientôt suivi par ses deux compagnons.

Nous progressons. Au moins nous savons quelle est notre prochaine étape, à présent.

Le trajet risquait cependan de ne pas être de tout repos. Ce qui les amenait à la démarche suivante...

" Nous devrions aller trouver cette... Elissa Keens? ... dont le Haut Prélat nous a parlé. Nous risquons d'avoir besoin d'aide pour retrouver Eroeh et le ramener sain et sauf à Manost. "

La paladine n’était pas ravie de devoir impliquer des mercenaires dans leur mission même si elle se rangeait à l’avis de Mical sur la difficulté de la tâche qui les attendait. Rester à espérer que cette Elissa Keens soir suffisamment digne de confiance et sache se tenir au secret que nécessitait une affaire aussi grave. A la réflexion, mieux valait faire appel au service d’une telle organisation que de recruter des hommes dans les tavernes de la cité. Une telle démarche attirerait à coup sûr une attention malvenue. Elle se contenta donc d’acquiescer à la suggestion du prêtre :

- Ne perdons pas un instant, je sens que de grandes choses sont à l’œuvre et ce n’est pas une pensée rassurante. Ces hommes qui ont tenté d’attirer maître Corwin ne sont certainement pas les seuls qu’ont dépêché nos ennemis.

Alors qu’ils s’engageaient dans la rue jouxtant la place du temple en direction des quais, Chandara s’efforça de repérer le moindre signe qu’on les observait.

Ils ne repérèrent cependant personne, soit que l'ennemi fût particulièrement discret, soit qu'il eût renoncé à entreprendre quoi que ce soit en ville à présent que leurs cibles étaient sur leurs gardes.

Corwin était quelque peu inquiet, malgré tout. Il ne pouvait s'empêcher de penser à Eroeh, à l'état dans lequel il était quand ils s'étaient quittés. Un homme d'une vingtaine d'années... Désabusé, fini. Le Vigilant avait-il voulu lui donner une seconde chance ? Et comment cette dernière serait-elle accueillie ? Une chance de revouer sa vie à un dieu qui lui avait tout pris. Une chance de se mêler d'une politique dont il ne connaissait plus rien. Une très bonne chance de se faire assassiner...

Le trio poursuivit son trajet sans encombre, en direction du port, et de certaine herboristerie bien connue des initiés.

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] Le Palais des Murmures

RP : Un sac de noeuds

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Quête : Le poing Levé

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