La Couronne de Cuivre

[Quête : l’invasion des ombres]

-Un débarras ? L’écurie ?s’exclama-t-elle d’un ton outré. Il n’en est point question, messire ! Le seigneur Artwin ne reçoit pas ainsi ses amis ! Il y a toutes les chambres que vous voudrez, au premier. Vous y serez bien plus à votre aise que sur la paille !

Son expression s’adoucit et elle adressa un sourire au rôdeur.

-Et je ne manquerai pas de vous le demander si nous avons besoin de votre aide. Quant à Victor… C’est de sa maman dont il a besoin. Je ne sais ce que ses deux visiteurs lui ont raconté, mais elle a détalé sitôt après les avoir vu. Comptez sur moi pour lui dire ma façon de penser, à son retour ! Abandonner un gosse comme ça, après ce par quoi il est passé...

[Quête : l’invasion des ombres]

Kasumi accueillit la proposition de Madame Ogg avec un brin de soulagement. Dormir parmi les animaux ne le dérangeait pas outre mesure mais il commençait à prendre goût au confort d’un vrai lit et il savait qu’il aurait besoin de toutes ses forces durant les prochains jours. Il choisit de ne pas relever la mention à la mère de Victor cette fois-ci. Manifestement, Madame Ogg croyait que Victor était le fils de Galathée. Ceux-ci étaient arrivés ensemble à la résidence et avaient passé tout leur temps ensemble après tout. Kasumi ne voyait pas les raisons pour lesquelles Galathée aurait choisi de faire croire en un tel lien de parenté ou si même elle l’avait fait de son propre chef. En tout état de cause, il ne souhaitait pas prendre le risque de trahir une vérité qu’elle aurait jugé préférable d’occulter. Il en discuterait peut être avec elle en privé pour savoir ce qu’il en était si l’occasion se présentait. Pour l’heure, l’évocation de deux mystérieux visiteurs venus s’entretenir avec Galathée et précipitant son départ occupait toute son attention :

- Cette façon de partir m’inquiète aussi. Avez-vous déjà vu ces visiteurs auparavant ? Je ne voudrais pas que Galathée se soit précipitée dans quelque piège. Quand est-elle partie exactement ?

L’angoisse du rôdeur transparaissait clairement dans sa voix et il se tordait nerveusement les poignets, comme hésitant à se précipiter sur la trace de la jeune femme plutôt que d’accepter l’offre d’un bon lit.

[Quête : l’invasion des ombres]

La grosse femme secoua la tête.

-Inconnus au bataillon, ces deux là. Un nain et une dame âgée. Une demie-elfe, je crois bien. Ils n’étaient pas armé, mais le nain avait des paquets avec lui… On les a menés au petit salon du premier, pour qu’ils puissent être tranquilles pour parler… Ils ont filé tout de suite après la discussion. Et madame Galathée a pas tardé non plus. C’était vers les deux heures, je dirais.

[Quête : l’invasion des ombres]

Si le doute était permis sur les intentions des deux inconnus et sur ce qu’ils avaient bien pu raconter à Galathée pour qu’elle abandonne ainsi l’enfant sur l’heure, tous devaient être bien loin maintenant. Le demi-elfe ne pourrait pas la rattraper à moins de savoir où elle avait projeté de se rendre. Mais le devait-il, de toutes manières ? Si elle avait souhaité qu’il l’accompagne, elle aurait envoyé quelqu’un le chercher ou aurait laissé un message à son attention à tout le moins. Elle doit m’en vouloir encore ou alors estime que ça ne me concerne pas., songea-t-il amèrement.

Lune se manifesta à lui en s’extrayant du sac accroché à son épaule, elle poussa un pépiement outré, son dernier repas remontant à trop loin à son goût. Le rôdeur songea que le dîner n’avait probablement pas non plus été servi aux résidants de la maison. Il s’excusa auprès de la grosse dame pour l’interruption de l’animal :

- Excusez ma petite Lune. Peut être m’autoriserez-vous à emporter quelque chose à manger pour elle et moi avant que je me retire ?

[Quête : l’invasion des ombres]

Madame Ogg fronça les sourcils.

-Vous dînerez dans la salle à manger, comme tout le monde, mon vieux ! Un repas chaud vaut quand même mieux que quelques morceaux grignotés à la sauvette ! Sans parler de la propreté des chambres. Si Alys vous prend à mettre des miettes partout, il vous en cuira, vous pouvez m’en croire. Faites donc une petite sieste si le cœur vous en dit. Mais le repas sera prêt dans une demie heure, et vous avez intérêt à ne pas être en retard. Enfin, ça, vous le savez déjà.

Elle lui lança un clin d’œil puis tourna les talons pour regagner ses cuisines.

[Quête : l’invasion des ombres]

Ce n’était pas la première fois que Madame Ogg rabrouait Kasumi et le traitait comme un enfant pris en train de fomenter quelque bêtise. Le demi-elfe tira la langue dans son dos avant de sourire joyeusement en songeant à ce qu’il venait de faire. Décidemment, l’ambiance de cette maison incitait à l’oubli des soucis qu’on y amenait. Ce n’est pas vrai pour tout le monde, corrigea-t-il intérieurement en pensant à Victor. Quoiqu’il en soit, le rôdeur était bien décidé à profiter du repas chaud et d’une bonne nuit de repos. Un soldat devait savoir accepter ce que la situation lui présentait… Voilà que je me prends pour un soldat. De mieux en mieux ! se morigéna-t-il.

Il se rendit dans la première pièce calme qu’il put trouver, une bibliothèque de belle taille dont le plancher était recouvert de tapis pour étouffer les pas des lecteurs. Les murs étaient couverts d’étagères débordant d’ouvrages de toutes sortes. Il en choisit un au hasard. Il était relié de cuir sombre et portait le titre : « Le Crépuscule du Port l’Exil ». Le nom de l’auteur ne figurait pas sur la couverture et Kasumi s’installa dans un fauteuil rembourré avant d’entamer sa lecture. Au bout d’un petit moment, il le reposa où il l’avait trouvé, horrifié par ce qu’il y avait lu. La bibliothèque du seigneur Artwin comportait visiblement plus d’un titre à ne pas mettre entre toutes les mains.

Il essuya la sueur qui avait perlé à son front avant de regagner la salle à manger où les premiers convives prenaient place. Il reconnut Banjo ainsi que la demi-elfe et d’autres affranchis et s’empressa de les saluer en prenant place à leur côté. Le repas se déroula dans la bonne humeur mais Victor ne se présenta jamais, jetant un voile de tristesse dans l’esprit du rôdeur. Il se rendit tôt dans sa chambre non sans être passé machinalement par la bibliothèque pour emprunter un second ouvrage. Une fois installé sur sa couchette, il fut éberlué de découvrir qu’il s’était saisi à nouveau du livre entamé plus tôt…

Kasumi avait finalement réussi à s’endormir, malgré les visions d’horreur dont sa lecture lui avait empli l’esprit, lorsqu’un grincement l'éveilla en sursaut. A tâtons, il chercha son arme, mais se rappela de l’endroit où il se trouvait et, plus important, de celui où se trouvait son épée. Hors de portée, malheureusement...

Levant les yeux, il découvrit sa porte entrebâillée et une silhouette massive debout sur le seuil. Un instant, il crut qu’il avait manqué le début du repas et que madame Ogg, mettant ses menaces à exécution, était venue le tirer manu militari de son lit. Mais si l’intruse était une femme âgée à la volumineuse stature, ce n’était point la cuisinière. A vrai dire, il ne l’avait même jamais vue. En chemise de nuit, les bras tendus devant elle, sa longue chevelure grise cascadant sur ses épaules, elle gardait les paupières hermétiquement closes.

Avant que le rôdeur n’ait pu tenter quoi que ce soit, la vieille femme pénétra dans la chambre d’un pas étrangement aérien.

-Robert ! s’exclama-t-elle soudain. Voilà un mois que tu n'es pas venu me trouver dans ma chambre. Croyais-tu que je me languirais sans rien dire ?

Elle atteignit le pied du lit.

-Sers moi dans tes bras, mon gros ours !

Et, sans autre forme de procès, elle bondit sur le rôdeur stupéfait et l'enlaça avec fougue.

[Quête : l’invasion des ombres]

Le rôdeur était sorti péniblement de son sommeil agité lorsqu’il avait entendu quelqu’un actionner la clenche de sa porte. Il n’avait pas cru bon de la verrouiller, s’estimant à l’abri dans la demeure du seigneur Artwin. De plus, une porte verrouillée s’avérait bien plus souvent gênante pour l’occupant de la pièce que pour un assaillant discret en cas d’intrusion. Il se crut un instant plongé dans un cauchemar lorsqu’il fut pris au dépourvu par l’ouverture de sa porte, ses armes laissées négligemment hors de portée à l’autre bout de la petite chambre. Les nuits courtes des derniers jours avaient sapé ses forces au point qu’il ne réagit pas immédiatement à son réveil en sursaut.

Il distinguait nettement la vieille dame qui avait fait son apparition dans la pièce obscure. Sa chemisette laissait entrevoir une silhouette presque aussi large que haute mais lorsqu’elle l’étreignit, le rôdeur put constater qu’elle appartenait à une personne d’une force surprenante. Lorsqu’elle avait plongé sur lui, il en avait eu le souffle coupé et sa tête était retombée sur l’oreiller. Le lit ployait dangereusement sous leurs poids réunis bien que l’essentiel soit dû à l’importune. Alors qu’elle tâtonnait dans le noir, Kasumi put dégager ses bras et parvint à poser ses mains sur les épaules de la dame et la repousser avec difficulté. Même ainsi, il ne parvint qu’à reprendre suffisamment de souffle pour pousser un gémissement inarticulé.

La grosse dame dut prendre cette « réponse » pour une sorte d’encouragement puisqu’elle s’affaira à rejeter les couvertures en arrière sans laisser le demi-elfe se dégager complètement. Il put néanmoins protester plus vivement :

- Je ne suis pas votre Robert ! Je…

La suite fut étouffée par un baiser qui transforma les paroles du rôdeur en marmottement outré. Ses mouvements désordonnés firent rouler la dame sur le côté mais elle s’agrippait fermement à lui et répliqua d’une voix amusée :

- Allons mon gros ours, bien sûr que tu m’appartiens ! Tu ne protestais pas tant avant que je te donne six enfants !

Avant qu’il puisse encore protester, elle lui agrippa la tête pour la plaquer contre sa poitrine. Le rôdeur dut lâcher sa prise aux épaules mais ses mains étaient de nouveau libres. Il les plaça de chaque côté de la taille de son assaillante pour tenter de la repousser à nouveau mais ne parvint qu’à la pincer avant que ses doigts ne glissent sur sa peau. Celle-ci émit un petit rire en répliquant au-dessus de lui :

- Ha, tu vois ! Tu ne résistes jamais bien longtemps à mon charme ! Nous avons toute la nuit !

Elle déplaça sa masse imposante pour tenter de le débarrasser de ses chausses ce qui permit à Kasumi d’achever sa phrase :

Je m’appelle Kasumi, je ne vous connais pas Madame, vous faites erreur !

La vieille femme suspendit un instant ses tentatives pour dévêtir le rôdeur, puis elle commença à glousser et tout son corps fut bientôt secoué par de grands éclats de rire.

-Oh oh, tu veux jouer à ça, hein ? s’exclama-t-elle. Tu as toujours été un grand coquin, mon Robient. Bon, d’accord ! Je ne sais pas qui est ce Kasumi dont tu parles, mais... hum... Moi, je serais Phédora ! Oh, ne proteste pas : je t’ai vu lui jeter des regards égrillards chaque fois que notre charmante chambrière passe près de toi !

Et, dans un nouveau gloussement retentissant, elle se remit à l’ouvrage, pesant de tout son poids sur le rôdeur qu’elle tentait de délester de ses chausses.

[Quête : l’invasion des ombres]

Le rôdeur se débattait pour écarter les mains baladeuses de ses chausses avec plus ou moins de succès. Les ébats avaient déjà mis le lit sens dessus dessous, les draps et les couvertures ayant glissé aux quatre coins de la pièce. Les mains du rôdeur assuraient une prise ferme sur les poignets de sa visiteuse nocturne pour éviter de se retrouver délesté de ses dernières parcelles de dignité. Mais celle-ci croyait sans doute à un nouveau jeu amoureux et attirait les mains du demi-elfe vers son propre corps, s’amusant de ses rebiffades qu’elle détournait habilement pour retourner à l’assaut des chausses du rôdeur.

Kasumi faiblissait sous la masse imposante et la vieille dame qui en profita pour se placer à califourchon sur son ventre et commencer à soulever sa mince chemise de lin. Le rôdeur ferma brusquement les yeux et repoussa la dame avec frénésie. Tous deux roulèrent sur le côté et chutèrent mollement sur les couvertures jonchant le sol. Le lit fut brutalement repoussé contre le mur dans un bruit qui ne manquerait pas de réveiller tout l’étage.

Kasumi ouvrit les yeux pour constater qu’il était allongé sur la dame dont les rires redoublèrent. Avant qu’il puisse se dégager, la porte s’ouvrit à la volée, la clarté du couloir révélant subitement toute la scène.

Une silhouette se découpa dans l’embrasure de la porte. Kasumi tourna la tête et, malgré le contre-jour, il put reconnaître l’un des serviteurs du seigneur Artwin.

-Fichtre, mais que se passe-t-il donc, ici ? clama le nouveau venu, ahuri par le spectace qui s'étalait devant lui.

La brusque lumière et le son de l’exclamation firent cesser les gloussements de la vieille femme. Ses paupières papillonnèrent, elle secoua la tête comme si elle émergeait d’un songe et ses yeux s'écarquillèrent en se fixant sur l’homme - fort débraillé - allongé sur elle.

-Que... balbutia-t-elle. Puis une expression d’effroi se peignit sur ses traits et elle se mit à hurler : Au secours ! Au viol ! Ce malotru en veut à ma vertu ! A moi ! A l'aide !

[Quête : l’invasion des ombres]

Le rôdeur, enfin libéré de l’étreinte de sa visiteuse nocturne, se releva avec toute la dignité possible mais il parvenait à peine à surmonter la colère qui avait été comprimée au sens littéral pendant toute cette situation grotesque. L’exaspération était d’autant plus manifeste qu’il allait devoir fournir des explications, il en était sûr. Le serviteur n’avait pas encore réagi que le demi-elfe se redressait de toute sa hauteur, vêtu de ses seules chausses si âprement défendues. Cepe,dant, il aurait aussi bien pu porter une armure de plate complète pour ce qui était de son expression. Il adressa un regard fulminant à la grosse dame toujours empêtrée dans les couvertures et dans sa chemise de nuit.

- Vous ne manquez certes pas de toupet ! D’abord vous vous introduisez dans ma chambre et ensuite vous lancez des accusations ridicules à mon encontre.

Le regard de la vielle dame fit des allés retours affolés entre Kasumi et le serviteur pour se fixer finalement, avec une expression outrée, sur le rôdeur.

-Accusations ridicules ? Je m’éveille et me voit à bas de mon lit, chevauchée par un homme que je n’ai jamais vu et qui en veut visiblement à ma vertu ? Sacripant ! Goujat ! Monstre !

Une horreur offusquée crispa à nouveau ses traits, et elle se remit à appeler à l’aide avec véhémence. Ses hululements tonitruants durent réveiller toute la maisonnée car, du couloir, montèrent bientôt des bruits de portes ouvertes à la volée et des voix indignées.

Le serviteur qui se tenait sur le seuil ne tarda pas à être rejoint par l’un de ses collègues auquel il expliqua la situation.

-Ah, j’crois qu’z’allez d’voir vous expliquer au maître, m’sieur !s’exclama le nouveau venu, hilare, à l’adresse de Kasumi, tandis que d’autres silhouettes apparaissaient derrière lui.

Et la vieille dame s’époumonait toujours.

[Quête : l’invasion des ombres]

Le rôdeur cilla : cette situation commençait sérieusement à lui échapper. Déjà qu’être réveillé en pleine nuit de cette façon n’avait rien d’agréable, voilà qu’en plus tout l’étage de la maison semblait s’être donné rendez-vous pour assister au grotesque spectacle. Il entreprit d’enfiler une tenue plus décente pour faire face à l’agglutinement qui se pressait sur le seuil de la porte, ignorant volontairement les deux serviteurs à l’air goguenard à sa tête et les cris d’orfraie de la vieille dame. Il ne lui fallut que quelques secondes pour enfiler les vêtements qu’il avait laissé en bon ordre sur sa chaise. Lorsque sa tête émergea de sa tunique, il reprit à l’adresse de cette dernière qui s’efforçait de recouvrer son souffle après s’être ainsi époumonée. Elle était outrée par l’inattention ostentatoire que semblait manifester le demi-elfe à ses cris et finit par le dévisager d’un œil peu amène. Un silence relatif - les autres occupants des lieux murmurant avec indignation ou amusement - que Kasumi mit à profit pour s’adresser posément à la dame, prenant les deux serviteurs à témoin :

- Si vous êtes enfin calmée, peut être consentirez-vous enfin à m’écouter et à enfiler votre peignoir, Madame ?

Sans attendre de réponse, il lui tendit le vêtement gisant au sol depuis qu’elle s’en était dévêtue pour se jeter sur lui un moment plus tôt.

- Comme je vous le disais, cette chambre est la mienne et je n’en ai nullement après votre vertu, Madame. Pardonnez-moi simplement de vous avoir repoussé avec rudesse lorsque vous m’avez réveillé en sursaut.

Le rôdeur préférait faire l’impasse sur le récit complet des évènements pour le moment, pour préserver la dignité de la femme âgée sinon la sienne. Il espérait que cela suffirait pour détourner l'attrouppement qui s'était mis à l'écouter avec curiosité.

Ce fut peine perdue : la foule compacte massée dans le couloir bruissait de murmures, de commentaires grivois, d’exclamations indignées prenant pour cible cet inconnu aux meours visiblement dépravées qui s’en prenait à une respectable vieille dame sans défenses. Le mot de gibet avait même été prononcé – pour rire ? avec sérieux ? Kasumi n’aurait su le dire – lorsqu’une voix couvrit le tumulte.

-Laissez-moi passer !

Un silence complet se fit et le seigneur Artwin apparut sur le seuil, flanqué de madame Ogg. Il jeta un regard à l’intérieur de la chambre, puis sur le couloir.

-Allez vous coucher, tous ! dit le vieil homme avec autorité. Je vais régler cette affaire.

Il y eut quelques ronchonnements de dépit, de déception, mais l’assistance n’en obéit pas moins… en traînant les pieds. Lorsque chacun eut regagné ses pénates, Artwin et la cuisinière pénétrèrent dans la pièce.

-Madame Paluche, messire Kasumi…fit Artwin une fois la porte refermée. Pouvez-vous m’expliquer ce que tout cela signifie ? Chacun a votre tour, je vous prie !

La vieille dame se redressa, drapée dans son peignoir et dans sa dignité froissée.

-Je me suis couchée de bonne heure, comme à l’accoutumée, monsieur. Et voilà que je suis réveillée en sursaut ! Je me retrouve à bas de mon lit, avec cet individu juché sur moi, ses mains pressés sur mon corps d’une manière qui ne laisse aucun doute quant à ses intentions ! Vous vous rendez compte ? S’en prendre à une femme de mon âge ? Les jeunes n’ont plus aucune moralité !

Artwin fronça les sourcils et se tourna vers le rôdeur. Madame Ogg voulut intervenir, mais il la fit taire d'un geste.

-Qu’avez-vous à répondre à cela, messire ?

[Quête : l’invasion des ombres]

Le rôdeur fut soulagé de l’arrivée de messire Artwin même s’il était accompagné de Madame Ogg qui ne manquerait pas de faire des difficultés, il en était sûr. L’intervention du Seigneur avait provoqué le départ des curieux qui ne tarderaient pas à répandre des rumeurs à son sujet mais au moins se retrouvait-il en présence d’une personne de bon sens qui prendrait le temps de l’écouter. Il laissa la parole à son accusatrice sans broncher et ne répondit qu’après qu’elle eut fini sa diatribe :

- Je crois qu’il s’agit d’un malentendu. Je dormais dans cette chambre que Madame Ogg m'a désigné. Je me suis éveillé quand cette dame a pénétré dans mes quartiers et s’est allongé sur moi. Elle n’a pas du me reconnaître puisqu’elle ne portait pas de lampe en entrant. Toujours est-il qu’elle m’a surprit et que lorsque je me suis débattu nous nous sommes retrouvés sur le sol. Le bruit a alerté vos serviteurs qui ont aussitôt accourus.

La plus profonde des perplexités se dessina sur le visage ridé du seigneur Artwin..

-Comment allons-nous bien pouvoir éclaircir cette affaire ? maugréa-t-il.

Madame Ogg se pencha alors vers lui et murmura quelque chose à son oreille. Artwin ouvrit de grands yeux et, un instant, un sourire flotta sur ses lèvres.

-Madame Paluche…demanda-t-il finalement. Cette chambre était bien la vôtre mais du temps ou votre regretté époux était encore parmi nous, non ? N’avez vous pas déménagé au second, depuis ?

La vieille femme s’apprêta à protester puis consentit à jeter un regard autour d’elle.

-Heu… Si, peut-être, oui… marmonna-t-elle, l’air perdue.
-Et… Madame Ogg me dit que… Vous marchez parfois en dormant. Elle vous a trouvé, il y a quinze jours, dans la cuisine…
-Ah… Oui… Oui… Je suis parfois un peu… somnambule, comme on dit.
-Alors, ne se pourrait-il pas que vous ayez eu une crise, ce soir ?

La vieille femme se mordit les lèvres et baissa les yeux, la mine soudain empourprée.

-Peut-être. Mais il n’en était pas moins couché sur moi ! Il a voulu en profiter ! souffla-t-elle après un court silence.

[Quête : l’invasion des ombres]

Kasumi leva un sourcil devant la révélation de Madame Ogg et se promit de fermer désormais sa porte à double tour s’il devait passer d’autres nuits dans le manoir Artwin. Qui sait combien de vieille matrone somnambule le seigneur avait recueilli après les massacres du quartier ouest ? Mais avant de songer à prendre ce repos bien mérité, il fallait détourner les soupçons que Madame Paluche continuait à faire peser sur lui. Il prit un air sincèrement peiné :

- Je vous prie de croire, Madame, quand je vous affirme que jamais je ne m’abaisserais à commettre un tel acte ! Que des hommes puissent se livrer à une telle barbarie me révolte. Je me suis retrouvé dans cette position qui ne favorise pas les apparences lorsque nous avons tous deux chuté du lit. Ce n’était pas dans mes intentions que de vous manquer de respect. Si toutefois un doute persiste quant à mon honneur, je crois préférable que je me retire de votre maison, Seigneur Artwin. M’éloigner des réfugiés qui ont déjà été éprouvés est sans doute la meilleure chose à faire. Il est de mon devoir de les protéger même de moi s'ils estiment que je constitue un danger.

Artwin leva la main pour couper court à sa proposition.

-Vous n’en ferez rien, messire. Ceci n’est qu’un regrettable malentendu. Vous avez contribué à libérer ces réfugiés et votre attachement à la lutte contre le Tyran est notoire. Personne n’oserait donc affirmer que votre présence est gênante pour qui que ce soit ! Et quand bien même n’auriez-vous pas combattu dans nos rangs, vous n’avez rien fait de mal, et je n’ai pas pour habitude de chasser les gens de chez moi en pleine nuit !

Il se tourna vers madame Paluche qui s’était relevée, mal à l’aise.

-Vous devriez retourner vous coucher, madame. Madame Ogg vous apportera une tisane pour vous aider à vous remettre. Quant à cet incident… Et bien, je gage que nous en riront tous dans quelques jours. Vous la première. Si l’on vous taquine à ce propos, vous pourrez toujours dire que vous séduisez encore les jeunes gens ! Cela rabattra le caquet des commères, j’en suis sûr.

Il la salua, adressa un signe de tête amical au rôdeur, puis quitta la pièce, bientôt suivi de Madame Ogg tenant la vieille femme par le bras.

[Quête : l’invasion des ombres]

Après avoir rendu son salut à Artwin, Kasumi referma la porte non sans s’être assuré que les curieux n’étaient pas revenus pour l’observer ou le réprimander. Même ainsi, il resta un moment adossé au battant de la porte qu’il avait fermée à double tour. Cette situation l’avait totalement pris au dépourvu et aurait pu paraître cocasse si ce n’est que quelques heures plus tôt, un grand nombre de gardes de Morféa avaient commis ce dont on l’accusait. Combien de temps faudrait-il avant que Luménis panse ses blessures et que les gens s’accordent de nouveau une confiance mutuelle ?

Le rôdeur poussa un soupir avant de remettre en place les couvertures et de ranger ses maigres possessions de telle manière à les retrouver rapidement au matin. Malgré ce qu’en avait dit le seigneur Artwin, il avait décidé de s’éclipser à la première heure. La situation du quartier est nécessiterait toute son attention et il ne voulait pas s’exposer aux quolibets de toute la maisonnée au lendemain. Il était malheureusement bien placé pour savoir à quelle vitesse les rumeurs se répandent. Juste avant de s’endormir, il eut une pensée pour Victor et Galathée. Il s’inquiétait au sujet de l’une et de l’autre tout en sachant qu'il n'avait pas le droit d'intervenir.

Il eut grand peine à retrouver le sommeil après sa mésaventure et finit par se lever une heure avant l'aube. Il avait besoin de recouvrer sa sérénité avant de se rendre à la réunion qui déciderait du plan d'action pour la reprise du quartier est. Après un coup d'oeil à ses affaires, il décida finalement de les laisser là, il aurait le temps de venir les rechercher à son retour du Parc.

[Quête : l’invasion des hommes]

Les gardes de faction à l’entrée du domaine Artwin devisaient tranquillement lorsque l’un d’eux s’interrompit. Sa mine stupéfaite, ses yeux exorbités et son mutisme soudain intriguèrent ses compagnons qui, suivant son regard, ne tardèrent guère à arborer la même expression.

Kasumi, venant des abords du Parc Verdoyant, se dirigeait vers eux d’un pas vif, resplendissant dans sa robe dont le rose chatoyait aux premiers rayons du soleil levant. En parvenant à leur hauteur, le rôdeur leur adressa un grand sourire et un signe de la main.

-Tenue de camouflage ! fit-il en les dépassant.

Les gardes le suivirent des yeux tandis que, franchissant le portail, il se dirigeait vers la vaste demeure. Et ils restèrent pétrifiés bien après qu’il eut disparu à l’angle du bâtiment.

Kasumi, quant à lui, cherchait une porte de service pour se faufiler le plus discrètement possible à l’intérieur. Il n’aurait pu éviter les gardes, mais s’il en avait la possibilité, il aimait autant ne pas être vu par d’autres membres de la maisonnée.

Il finit par franchir un huis entrebâillé et, la tête enfoncée dans les épaules, le visage obstinément fixé sur le sol, fonça dans le couloir, espérant qu’il le mènerait rapidement à un escalier pour le premier étage.

Lorsqu’il regagna enfin sa chambre, une étrange rumeur se propageait déjà au rez-de-chaussée. Plusieurs serviteurs affirmaient avoir vu cavaler dans les corridors une silhouette toute de rose vêtue. Certains prétendaient que c’était un homme ; d’autre, un fantôme. Certains, enfin, qu'il s'agissait du Monstre en personne. Mais si une multitude de versions apparurent bientôt, une chose demeurait certaine : le sori venu, chacun s’enfermerait à double tour dans sa chambre. Il se passait décidemment trop de choses étranges dans la demeure du seigneur Artwin, et un peu de prudence s’imposait...

[Quête : l’invasion des ombres]

Une fois à l’intérieur, Kasumi avait rasé les murs ou couru dans les escaliers mais n’avait pas pu empêcher un certain nombre de serviteurs de l’apercevoir. Ceux-ci étaient levés tôt, comme à l’accoutumée, pour préparer le petit déjeuner ou vaquer à leurs occupations avant que la foule des résidents n’arpente les couloirs. Quelques-uns de ceux-ci s’étaient toutefois montrés suffisamment matinaux pour apercevoir l’étrange silhouette vêtue de rose qui déambulait dans les couloirs.

Le rôdeur s’engouffra dans sa chambre, le souffle court et le rouge aux joues, et se défit rapidement de son étrange accoutrement. Voilà qui lui vaudrait, au mieux, quelques regards en coin pour longtemps ! Il fouilla ensuite dans son paquetage pour en tirer une tunique et des chausses plus coutumières. Une fois rhabillé, il jeta un œil sur la robe gisant sur son lit. Il n’avait pas pour habitude de jeter des objets pouvant encore servir mais il était prêt à faire une exception pour celui-ci. Même si les gens l’ayant aperçu dans le couloir ne l’avait peut être pas reconnu, on ne manquerait pas de poser des questions s’il s’avisait de l’offrir à quelqu’un. Il roula donc l’étoffe avant de la dissimuler au fond de son sac. Peut être trouverait-il plus tard un usage pour cette tenue même s’il n’imaginait pas encore lequel.

Quête: L'invasion des ombres.

Avant de regagner la civilisation, Galathée s’arrêta à la fontaine, encore souillée des ablutions du barde. Elle s’y rafraîchit à son tour, tâchant de redonner apparence humaine à sa mine brouillée par la fatigue et le sang. Avec un peu de chance, elle trouverait une tenue de rechange chez Artwin, pour autant que la porte de la grande maison lui soit encore ouverte. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle y trouverait, de ce qu’il s’y était passé. Peut-être Victor était-il parti. Peut-être refuserait-il de la voir. Et pourrait-elle le blâmer…
S’inquiéter de l'enfant lui permit un instant de reléguer l'elfe au second plan. Elle savait qu’elle avait pris un risque énorme en le laissant seul au Parc. Même avec la valériane pour apaiser ses affres, il pourrait ne pas respecter leur pacte. Mais elle ne voulait pas avoir à surveiller chacun de ses actes, chacun de ses gestes. S’il se tuait…
Elle frissonna.
Victor. Chaque chose en son temps.
S’il se tuait… Il n’y aurait plus de question à se poser. Plus d’angoisse. Juste la simple finalité de l’existence. Tout juste.

Elle gagna finalement la villa du noble qui bruissait d’activité, semblable à trois jours plus tôt. Une myriade d’enfants galopaient dans le jardin, aucun n'était Victor, tandis que des gardes nonchalants lorgnaient la rue sans réelle inquiétude. Galathée franchit le portail en leur adressant un sourire embarrassé. S’ils la reconnurent, ils n’en dirent rien, mais ils ne s’opposèrent pas non plus à sa visite : elle n’était de toute façon pas armée.
Avant d’entrer, elle prit une profonde inspiration, consciente de sa nervosité, et essuya ses mains moites sur sa tunique. Puis elle poussa la porte, se glissa dans le couloir, hésitant sur la direction à prendre. Il n’était pas encore midi, mais elle opta finalement pour la salle à manger, où elle espérait trouver quelqu'un pour la renseigner. Ou était-ce simplement une manière de retarder l'inévitable...

[Quête : l’invasion des ombres]

Les couverts étaient servis pour le repas à venir, mais nul convive n’était pour l’heur assis autour de l’immense table. Du bruit monta cependant de la cuisine voisine au moment où Galathée s’apprêtait à quitter la pièce, et, bientôt, madame Ogg entra par la porte, chargée d’un panier rempli de miches de pain chaud.
-Oh, mademoiselle ! Contente de vois voir !fit-elle en déposant son fardeau et en se dirigeant avec diligence vers la rôdeuse. Le ton avait été sec… et la mine que la femme planta sous le nez de la rôeuse était rien moins qu'amical.
-Oui, contente de vous voir. Nous commencions à nous faire du souci à force de ne pas vous voir revenir, vous savez ? D’autant que Victor a refusé de dire ce que vous étiez allée faire. Et, pour parler de lui, votre fils ne va pas très bien, mademoiselle. Pas bien du tout. Il a refusé de quitter sa chambre depuis votre départ, et c’est à peine si on arrive à le faire manger… Un prêtre est venu lui soigner la jambe, mais ça n'a absolument rien changé.
Elle dévisagea la jeune femme sans aménité, une lueur vive dans le regard, et reprit d’un ton cinglant.
-Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, ni vous donner des conseils quant à la manière dont vous éduquez ce gosse, mais… Je ne suis pas certaine que le laisser seul et partir des jours durant sans donner la moindre nouvelle soit exactement ce dont il a besoin. Je ne sais pas ce qu’il a… ce que vous avez traversé, mais Victor est très fragile, très choqué, et m’est avis que vous feriez mieux de rester un peu avec lui, si vous voulez qu’il se remette.

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée fut navrée d’apprendre que son départ avait eu un tel impact sur l’enfant. Pourtant, ce n’était pas vraiment une surprise. Il avait beaucoup souffert, déjà, et elle n’avait rien arrangé. Elle sentit un nouveau vent de honte la submerger, un instant de vertige, et le rouge lui échauffa le front et les joues.
« Je sais, je n’ai… je n’ai pas fait ce qu’il fallait. » souffla la jeune femme, forcée de reconnaître la véracité de ce que lui reprochait Madame Ogg. « Mais j’étais… je n’avais pas prévu de rencontrer Victor… j’avais… mes propres raisons d’aller… de retourner… Je sais, ça ne rattrape rien, j’aurais dû… j’aurais dû d’abord penser à lui. Mais je n’ai jamais… personne n’a jamais dépendu de moi… je ne suis pas… »
Elle secoua la tête et ferma les yeux.
« Je ne sais pas si je peux rattraper les choses. Je voudrais le faire. Mais je ne veux pas m’imposer dans sa vie. »
Prononçant ces dernières paroles, la rôdeuse réalisa qu’elle avait spontanément avoué que Victor et elle n’étaient pas apparentés. Ce qui n’était somme toute que la vérité lui laissa un goût amer dans la bouche. Comme un désaveu supplémentaire de ce qu’elle lui avait un instant promis.
Si Taliesin tient sa parole comme tu as tenu la tienne, les corbeaux festoient déjà au Parc, songea-t-elle, amère.

[Quête : l’invasion des ombres]

-Oh…
Madame Ogg dévisagera Galathée avec intensité, un long moment, comme si elle tentait de la sonder.
-Ce n’est pas votre fils… Vous ne m’avez jamais dit qu’il l’était, ni dit le contraire… Lui non plus, d’ailleurs… Mais vous vous ressembliez tellement… Aurais-je su la vérité que…
Elle hocha la tête et reprit, d’un ton un peu plus doux.
-S’occuper d’un enfant, c’est une immense responsabilité, mademoiselle. On ne la prend pas à la légère, comme vous vous en doutez… Et si le gamin ne vous aimait pas tant, je vous interdirais de le revoir. Je ne sais pas si vous avez les épaules pour vous occuper d’un orphelin de si fraîche date… Mais voilà, il s’est accroché à vous, et même s’il ne dit rien, on voit bien à quel point votre absence lui pèse…
Elle soupira.
-Il est dans la chambre où vous l’avez laissé. Vous pouvez aller le voir, lui proposer de… Lui proposer ce que vous voudrez. A une condition, cependant : que vous ne le laissiez plus. Si vous voulez le prendre sous votre aile, soit, mais je veux que vous mesuriez tout ce que cela représente. Si vous ne vous pensez pas capable de veiller sur lui tous les jours, de subvenir à ses besoins, quels qu’ils soient, alors il vaut mieux que vous tourniez les talons. Il n’a pas besoin qu’on lui fasse encore plus de mal.

Quête: L'invasion des ombres.

« Je sais. Et je ne peux pas… je ne peux pas promettre que je ne ferai pas d’autres erreurs. » souffla la rôdeuse. « Mais je pense… je pense que je peux essayer, n’est-ce pas ? »
Elle secoua la tête, soupira un bref instant.
« Mais c’est à lui de décider, de toute façon. »
Madame Ogg n’ajouta rien, se contentant d’hocher la tête, la mine soucieuse.
« Je vous préviendrai de ce qui se dessine… et merci d’avoir veillé sur lui, déjà. »
« Nous devons tous veiller les uns sur les autres, en ces temps troublés. » fit la cuisinière.
Galathée acquiesça douloureusement.
« Je sais. » murmura-t-elle.
Je ne l'oublierai plus.
Puis, saluant la vieille femme de la tête, elle fit volte-face et repartit vers le couloir. Madame Ogg la rattrapa cependant avant qu’elle ne quitte la pièce, et lui fourra un plateau entre les mains, sur lequel trônaient un pichet de lait frais, deux miches de pain et un petit pot de miel, ainsi qu’une pomme lustrée. L’estomac de la rôdeuse gronda, mais elle savait que les victuailles étaient destinées à Victor. Elle reprit sa route vers les étages et s’arrêta finalement devant la porte de la petite chambre où se terrait le petit garçon. Elle ferma les yeux. En même temps, préparer les choses lui semblait inutile. Elle frappa à la porte.
« Victor ? »

[Quête : l’invasion des ombres]

-Entrez, lança le gamin d’une voix sourde.
Galathée obtempéra et le trouva assis sur son lit, les yeux rivés sur le mur.
-Merci de m’avoir apporté à manger, madame Ogg… fi-t-il. Mais je n’ai pas très faim, maintenant… Je mangerai, promis, mais plus tard…
Comme nulle protestation ne lui répondait, il se retourna. En découvrant que c’était non pas la cuisinière mais Galathée qui tenait le plateau, il écarquilla les yeux.
-Oh… fut tout ce qu’il parvint à dire pendant un moment.
Des émotions contradictoires se peignirent sur ses traits pâles, fatigués, cernés. A la surprise succéda ce qui aurait pu passer pour de la joie, mais cela ne dura qu’un instant. Bientôt, le visage ne fut plus que le reflet d’une colère sur le point de déborder.
-Va-t-en, siffla-t-il d’un ton sans appel en se détournant pour fixer le mur à novueau.

Quête: L'invasion des ombres.

« Victor, je… » murmura-t-elle.
Elle entra malgré tout, referma la porte, posa le plateau sur le petit bureau devant la fenêtre et serra les lèvres.
« Je comprends que tu ne veuilles pas me voir. Je ne veux pas me voir moi-même. Je m’en irai dans un instant. Mais avant ça… je voudrais quand même te parler. »
Elle resta debout dans la pièce, lorgnant la silhouette prostrée de l’enfant, n’osant pas esquisser le moindre mouvement.
« Je sais que… que tu m’avais demandé de ne pas revenir te chercher. Mais voilà. Tu me connais. Je ne fais jamais ce que je devrais. »
Les épaules du petit garçon tremblaient… De rage, de chagrin, de fatigue, Galathée n’aurait pu le dire. Elle avait envie d’aller jusqu’à lui pour le serrer contre elle, mais tout geste lui semblait déplacé. Elle sentait la colère de Victor irradier de sa pauvre carcasse comme une onde meurtrière.
« Victor. Je ne peux pas remonter le temps. Je peux juste te proposer… d’aller vers l’avant. De reprendre les choses où nous les avons laissées. De partir comme nous l’avions prévu. J’ai affronté les démons qui nous… qui m’en empêchaient. Je suis prête à m’amender. Je te demande pardon. »

[Quête : l’invasion des ombres]

-C’est trop tard… murmura-t-il, faisant toujours obstinément face au mur.
Il fut parcouru d’un violent tremblement, se détourna encore un peu plus, puis, tout à coup, fit face à la rôdeuse.
-C’est trop tard, fallait m’écouter avant de partir. Tu peux pas t’en aller plein de jours et revenir comme ça, dire qu’on fait tout comme avant, comme si y avait rien eu. Tu m’as dit que tu t’occuperais de moi, je t’ai cru, et puis tu m’as laissé tout seul ! Maintenant, tu veux que je parte avec toi ? Alors que je sais que tu peux me laisser comme ça, même si je veux pas, même si j’ai peur ?
Il battit des paupières, se mordit les lèvres et battit en retraite loin de la jeune femme, se pelotonnant au pied de son lit, bras repliés autour des genoux, tête baissée.
-J’ai dit que je t’attendrais pas mais j’ai quand même attendu. J’ai cru que tu étais morte. Je suis content que tu le sois pas, mais je veux plus te voir quand même. Je veux plus attendre comme ça, avoir peur comme ça. Alors pars où tu veux, mais laisse moi tranquille.

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] L'orphelinat du seigneur Artwin

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