La Couronne de Cuivre

Le barde réfléchit, à nouveau. Le choix était encore plus ardu... Parce que les souvenirs heureux venaient moins facilement que les malheureux, compte tenu de ses dispositions d'esprit. Il songea au passé lointain, à son enfance dans la forêt, avec sa famille adoptive. A ses voyages avec Hafgan. A son séjour à la cour du prince elfe, où tout n'était que chants, danses, banquets... Mais les images, les sons, les sensations lui paraissaient estompées, brumeuses...
Il revint à son histoire récente. Et le souvenir qui surgit le premier, il ne voulut d'abord pas s'en défaire. C'étaiit son premier jour dans la ferme du grand-père de Victor, depuis dévolue aux Merlus. Son premier jour de joie après la dure expédition lancée pour retrouver Alberich Megrall. Un souvenir cher à ses yeux, plus que la majorité des autres. Il avait retrouvé Galathée... Victor...
Mais il devait jouer le jeu. Toujorus. Quoi qu'il lui en coute.
Alors il raconta. L'étreinte sur le seuil, le repas joyeux. Le repli dans leur chambre. Puis l'après-midi de jeux dans la neige, les batailles, les assauts, les rires des enfants. Les siens, insouciants...
Et un sourire naquit sur son visage alors qu'il en terminait. Oui, c'était un beau souvenir. L'un des plus beaux.

Et lorsqu'il fut invité à arracher une plume au hibou, à nouveau, tout s'éteignit. Il fut incapable de se souvenir de ce qu'il venait de raconter. De la même manière que la tristesse s'était évanouie, la joie la suivit dans la pénombre. Il faisait presque nuit noire, désormais.
Mais le hibou, magnanime à sa manière, ne lui laissa pas l'occasion de se perdre dans de vaines recherches de bribes désormais arrachées à son histoire. Il reprit son envol et l'invita à le suivre en volant vers l'endroit où l'attendaient le sanglier et l'ours. Lorsqu'il fut presque à destination, l'oiseau poussa un ululement profond et s'éleva dans l'air. Le sanglier fit quelques pas rapides en avant. Il était fébrile, impatient.
" Viens, petit elfe, viens !" s'exclama-t-il en l'entraînant plus loin dans le vallon, trottant allègrement.
Il le guida jusqu'à une petite cuvette et se retourna vers lui, ses petits yeux noirs, perçants, le décelant sans peine dans les ténèbres.
" Te sens-tu loup ? Dix-cors ? Panthère ? Dis-moi un peu comment tu te sens..."

Taliesin fut tenté de répondre, du tac au tac, larve, mouton noir ou canard boiteux. Mais il eut la nette impression que ce n'était pas exactement la réponse qu'attendait le sanglier. Il n'avait pas voulu lui donner son épreuve alors qu'il se ressentait encore de ses ébats...
-Panthère, finit-il par dire, incapable de trouver un autre animal que ceux qu'avait cités le druide-fée. Agilité, vivacité et discrétion sont généralement les qualificatifs attribués à ma race. Même si je ne suis pas très sûrs qu'ils me correspondent vraiment...
Qu'attendait-il ? Une course ? Une épreuve physique ?
Il le saurait bientôt. Inutile, dès lors, de mobiliser ses pensées chancelantes en un vain effort de réflexion...

Le sanglier s'assit dans l'herbe.
" Tu dois avoir accumulé beaucoup de frustration, aujourd'hui. Beaucoup de haine, de colère, de regrets. Beaucoup de douleurs. Certaines te hanteront. Mais tu ne dois pas les garder si proches de ton coeur, de ton âme, surtout maintenant, car elles vont t'épuiser, te ronger... Tu bouillonnes même si tu te tais, je le vois dans tes yeux. Alors n'y pense pas, tu as raison. Mais purge-toi. Sois Panthère et purge-toi."
Taliesin sentit son corps lui échapper. La métamorphose ne fut pas douloureuse, il eut juste l'impression que son esprit était aspiré vers le ciel, puis projeté vers le sol, et il fut dans la carcasse de la panthère. Rien ne lui était étranger. Chaque muscle lui appartenait. Crocs et griffes, yeux de chat. Il aurait pu être tel depuis l'aube de sa vie. Le sanglier était toujours en face de lui.
" Purge à présent. Déchire et saigne. Du mieux que tu peux. Avec toute la rage qui doit sortir. Ne t'arrête pas. Rien n'est définitif, tout est lutte. Bats-toi, purge. Vide ce qui doit être vidé. "
Sur ces entrefaites, le sanglier chargea.

Le barde, pris au dépourvu, esquiva maladroitement... moins, toutefois, qu'il ne l'aurait pensé, signe de la maîtrise parfaite qu'il avait déjà de sa nouvelle forme. Aussi étrange que cela puisse paraître.
Pourtant, au début, il se contenta de sauter de côté. D'éviter les charges furieuses du sanglier. Il n'était pas fatigué. Plus maintenant. Mais il ne voyait pas comment il aurait pu se purger, libérer sa hargne, sa frustration. Tout le jour durant, et les jours auparavant jusqu'à celui, néfaste, où Ava avait révélé son vrai visage, il s'était efforcé de les contenir, de les étouffer. Ç’avait été la seule solution pour ne pas sombrer, pour ne pas se briser ou perdre la raison. Il y était parvenu... Difficile, d'un seul coup, de rompre les digues qu'il avait patiemment érigées, maintenues. Difficile et dangereux, aussi.
Mais nécessaire, pourtant. Il le fallait. Il n'avait pas le choix. C'était là son épreuve. Et s'il refusait le combat, il échouerait. C'était aussi simple que ça. Combattre ou échouer.
Pire que mourir.
Il pensa à Galathée, prisonnière quelque part, résignée, qui ne l'attendait plus. A Victor, changé en âne, battu comme plâtre. A Ava la perfide, la traîtresse, qui les avait trompés, presque anéantis. Et qu'il s'était contraint à laisser vivre, même si un autre s'était chargé de la mener au trépas.
Il pensa à la mine. Aux tourments qu'il y avait endurés. A Lars qu'il avait dû laisser en arrière. A la mort de Mélégorn, injuste, révoltante.
Il pensa aux souvenirs qu'on lui avait arrachés. Le triste... Et le gai, trou béant dans sa mémoire, perte dont il ne pouvait mesurer le prix qu'au vide qu'elle avait laissé. Songea aux ébats auxquels on l'avait contraint, à cette trahison infâme. Aux chatons qu'il avait du noyer. Un par un. A la selle, à la bride qu'il avait dû lui-même placer sur son garçon.
Son fils.
Il pensa à tout cela... Et les digues rompirent.
Dans ses yeux naquit une lueur sauvage. Il découvrit ses crocs. Sortit ses griffes acérées. Feula, menaçant.
Bondit.
Il voulait mordre. Lacérer, déchiqueter. Ne laisser que charpie sanglante, organes épars, os dénudés. Il esquivait, mais pour mieux charger. reculait, mais pour mieux bondir. il songeait de moins en moins à se protéger. Seule comptait l'attaque, à présent, le trépas de son adversaire. Sa mise à mort.
Tu redeviens le Monstre... souffla une petite voix dans son crâne bourdonnant.
Pas le monstre. Juste un fauve.
Et puis... C'était ce que voulait le Sanglier, non ? Et ce qu'il voulait, il l'aurait. Taliesin avait été prodigue tout le jour, de l'aube au crépuscule. Il ne s'arrêterait pas en si bon chemin...
Mais, déjà, les pensées le désertaient.
Mordre, griffer, lacérer.
Oui, le sanglier aurait ce qu'il voulait... Et peut-être plus encore.

L'adversaire était un combattant entraîné, lui aussi, et le ballet de leurs corps vigoureux ouvrit des tranchées de terre nue dans l'herbe du vallon. Coups de défense, d'épaule, de sabots, coups de griffes, de crocs, ils se frappèrent sans pitié, ni mesure. La panthère sentit le sang suinter sur sa langue, la peau se rompre sous ses pattes, l'odeur entêtante de la chair, de la viande, révélées, elle sentit aussi la douleur dans ses propres muscles, les chocs et les déchirures, mais seule la violence et son expression frénétique avaient droit de cité dans son esprit, en dépit des blessures innombrables, du combat à mort qui les opposait. Impossible de savoir lequel des deux pliait, lequel des deux reculait. Avait-ce seulement la moindre importance ?
Puis soudain, alors que sa carcasse entière le faisait souffrir mais qu'il devinait un nouvel angle sur la gorge du sanglier, il y eut un éclair blanc, et il se retrouva couché sur le dos, dans la prairie. Il était à nouveau elfe, il avait mal partout, mais recouvra sans peine ses esprits. Il n'était pas blessé. Ne portait aucun stigmate de la lutte. Et il se sentait, paradoxalement peut-être, mieux qu'une heure auparavant. Il entendit un rire épuisé, un rire spontané.
" Wouah, c'était bon !" s'exclama le sanglier, devenu un de ces êtres longilignes et vaguement animaux, couché, lui aussi, dans les graminées.

-Heureux que ça vous ait plu... murmura Taliesin en se redressant et en adressant à son compagnon de lutte' un sourire fatigué mais sincère.
Pour sa part, il ne savait trop que penser de l'expérience. Il se sentait un peu honteux, un peu coupable de s'être laissé aller à cet élan animal et sanguinaire... Cependant, il n'avait pas eu le choix, une fois de plus. Et puis, il devait le reconnaître, celle épreuve n'avait pas été dépourvue d'attraits... Douloureuse, épuisante, éprouvante certes. Mais aussi exaltante, libératrice... Il avait s'agit d'une purge, comme l'avait annoncé le sanglier. D'un exutoire, d'un défouloir.... De fait, il se sentait plus calme, moins bouillonnant.
Et, peut-être, plus optimiste. L'épreuve qu'il venait de réussir, la transformation qu'il y avait subi étaient de nouvelles preuves que Victor pourrait être rendu à sa forme première.
Ne restait qu'une étape. La dernière. Ses efforts allaient peut-être enfin aboutir.
Et l'aube éclairer d'heureuses retrouvailles.

La fée-sanglier le ramena vers l'ours, puis s'esquiva avant de l'atteindre, le laissant seul avec le dernier des druides, si ce terme leur convenait vraiment, avant la libération de Victor. Jusqu'ici, les choses s'étaient déroulées avec douleur, mais sans échec. C'était réellement la dernière étape.
L'ours s'était assis dans l'herbe, immobile, comme endormi, mais le fixa de ses petits yeux noirs lorsqu'il s'approcha. Il n'avait pas l'air d'avoir envie de bouger et attendit que Taliesin s'asseye pour prendre la parole.
" Mon souhait sera le pire. C'est le souhait du Val, il est inévitable. Tu ne dois donc pas t'en vouloir de m'avoir choisi. Le dernier l'aurait formulé, d'une manière ou d'une autre."
Il soupira et remua sa carcasse, doucement, écrasant les fleurs.
" Tu as satisfait Mésange et Faon, Sanglier et Hérisson, Hibou et Martre. Le Val va te rendre ton fils, le petit âne, mais on ne quitte pas le Val sans y laisser un peu de soi. Voilà le dilemme, elfe."
Taliesin vit, loin dans la prairie, Victor qui revenait vers eux, toujours harnaché et monté par la fée-faon. Il marchait lentement, les oreilles basses, manifestement épuisé.
" Je vais te rendre l'enfant, mais j'en veux une partie. Un doigt ou un orteil, tu peux choisir. Tu ne pourras pas lui parler tant que je n'aurai pas reçu ce que je veux. Il ne comprendra pas pourquoi tu le blesses, mais c'est la seule solution. La seule. A moins que..."
Il le vrilla de ses yeux noirs.
" Tu peux épargner l'enfant, maintenant. Ne pas le blesser, juste l'étreindre et l'emporter, intact, indemne, avec ses souvenirs de bête de somme et de misère. Qu'il oubliera. C'est un gamin, il a déjà vu pire."
Victor s'approchait, petit à petit, pas à pas.
" Si tu décides de l'épargner, alors, dans un an, dix ou trente, je viendrai voir l'enfant à naître, l'enfant qui sera né. Et je lui prendrai quelque chose. Quoi, je ne te le dis pas, je n'en sais rien. Ce ne sera pas la vie, mais je serai quand même passé par là. A toi de voir. Ton sang ou ce sang étranger ? La vie à venir ou le présent ? Tu ne peux pas te dérober, petit elfe. Et tu dois choisir."

L'elfe écarquilla les yeux, garda la bouche entrouverte. Et il sentit la colère poindre en lui, résurgence de la danse sanglante à laquelle il s'était livré quelques instants plus tôt.
C'était injuste. Inéquitable; Révoltant. Lui et lui seul s'était engagé à subir les épreuves. Pourquoi des innocents devaient-ils souffrir ? Qu'avaient-ils fait, eux ?
Rien, bien sûr. Rien de rien. On les frappait pour l'atteindre, lui. La septième épreuve..
C'était intolérable. Inacceptable. Qu'on lui prenne une main, un bras, s'il le fallait. Mais qu'on ne touche pas aux innocents... Trop, déjà, étaient morts, avaient souffert par sa faute...
Taliesin faillit protester. S'emporter. Dut se mordre la langue jusqu'au sang pour rester coi.
Il plongea son regard dans celui de l'ours, indéchiffrable mais pénétrant. Regarda Victor qui se rapprochait toujours. Finit par s'assoir dans l'herbe, par se prendre la tête dans les mains.
Il ne pouvait se dérober. Pas de justice, pas d'équité. Juste un équilibre insensible et glacé...
Victor ? L'enfant à naître ? Lequel devrait souffrir ?
Souffrir à cause de lui, toujours...
Mais... Etait-il réellement le seul responsable ?
Un doigt, un orteil, ce n'était pas beaucoup, songea-t-il bientôt. Un éclair de douleur, puis il n'y paraîtrait plus. Victor ne perdrait presque rien. Et il pourrait lui expliquer, ensuite... L'enfant comprendrait...
Le bébé, lui, ne pourrait pas comprendre. Et que lui prendrait-on ? Pas la vie, oui, mais cela laissait beaucoup de possibilités. Toutes plus inquiétantes les unes que les autres. Et le bébé n'avait rien fait pour mériter tel traitement. N'était pas même encore né. Alors que Victor...
C'était à cause de lui qu'ils se retrouvaient dans cette situation. A cause de lui qu'il s'était escrimé tout le jour... N'en faisant qu'à sa tête, le gamin était allé chercher Ava, les avait précipités dans son piège... Alors que s'il s'en était tenu aux consignes, à la prudence à laquelle on l'avait enjoint...
Un doigt. Un orteil. Ce n'était quand même pas cher payé. Surtout en comparaison de ce qu'il avait du payer, lui ! Un éclair de douleur, puis il n'y paraîtrait plus.
Ce serait même justice qu'il contribue à sa propre libération. Pourquoi serait-ce à lui, Taliesin, de tout endurer ? Victor n'était pas son enfant. Ni par le sang, ni par l'esprit. S'accrochait à lui davantage pour retrouver sa mère qu'autre chose. Sans doute éprouvait-il de l'affection à son égard... Mais guère plus. Il ne le respectait pas vraiment, preuve en était le peu de cas qu'il faisait de ses directives...
Pourquoi serait-ce à lui, Taliesin, de tout endurer ? Pourquoi sa descendance devait-elle pâtir des bévues de ce sang étranger ? Qui aurait grandi, vieilli, trépassé dans quelques décennies ? Dans un clignement de paupière ? Alors que lui devrait vivre encore des siècles et des siècles ?
Pourquoi souffrir encore pour cet humain éphémère, qui, de surcroît, ne saurait rien des sacrifices qu'il avait consenti pour le sauver ?
Parce que si l'on rentrait dans le jeu des culpabilités, la sienne était sans commune mesure avec celle du petit garçon. C'était en partie à cause de lui si les Desmoulins étaient morts. C'était entièrement à cause de lui si on l'avait arraché à sa mère adoptive, envoyé dans un temple...
S'il n'avait pas été là, si l'ombre de ses crimes odieux n'avait pas pesé sur leur destin commun, Victor serait encore avec Galathée. Tranquille. Se remettant doucement de ses souffrances passées. Au lieu de quoi il était forcé d'arpenter les montagnes glacées sous forme animale, nouvelle épreuve après tant d'autres...
Nouvelle épreuve à laquelle Victor faisait face, toujours. Avec foi, courage et aplomb. L'enfant était venu le retrouver à la mine. Avait tué le lion pour le protéger. N'avait cherché de l'aide, rencontré Ava, que parce qu'il s'inquiétait pour lui. Se sentait impuissant à soigner ses plaies.
Même un orteil, même un doigt, il ne pouvait pas les lui prendre.
Ton sang ou ce sang étranger ? La vie à venir ou le présent ?
Il ne serait pas égoïste. Ne serait pas indigne. Ne trahirait pas ceux qui l'avaient accepté. Car Victor l'avait accepté, alors que rien ne l'y obligeait, alors qu'il savait parfaitement qu'il était le Monstre, le responsable d'horreurs sans nom.
Même un orteil, même un doigt, il ne les lui prendrait pas.
L'elfe redressa la tête. Plongea son regard dans celui de l'ours.
-Mon sang paiera, souffla-t-il. Être issu de moi est sans doute déjà un crime. Épargnez Victor. Lui n'est coupable de rien. Ne l'a jamais été. Ce qu'il endure, c'est à cause de moi. Il ne souffrira plus par ma faute. Ne perdra pas même un doigt.
Il soupira, ferma les yeux. Serra les poings.
-Mon sang paiera. Épargnez Victor.
Entre deux crimes, il avait choisi celui qui lui paraissait le moins injuste. Avis malheureusement des plus relatifs, des plus discutables... Et cela restait un crime, indéniablement. Un nouvel ajout à la liste déjà bien longue de ses méfaits. Une énième trahison...
Puissent les dieux me juger en toute équité... songea-t-il, amer. Et mon enfant me pardonner. J'ai essayé d'agir au mieux...

L'ours ne manifesta pas la moindre surprise et n'émit pas le moindre commentaire.
" Ainsi soit-il." murmura-t-il simplement, au moment où la fée-faon posait le pied à terre.
Elle flatta amicalement l'épaule de l'ânon, puis d'un geste leste, le désangla, libérant la selle, et ôta sa bride, qu'elle jeta sur le sol. Puis sans regarder Taliesin ou l'ours, elle redevint faon et s'enfuit vers les bois. Il faisait nuit, désormais.
" Ainsi soit-il." répéta l'ours.
Et d'un seul coup, il se mit à neiger, dru, tellement fort, que tout se brouilla sous les yeux de l'elfe. Le vent était violent, glacial, le souffla comme un fétu de paille et l'envoya bouler dans la neige humide, épaisse. Mille flocons le frappèrent, lourds, il faisait nuit noire, il dérapa en essayant de se lever, sa tunique détrempée en une seconde, et quelque chose le percuta, quelque chose de gelé et de nu, qui sanglotait sous la tourmente, un petit Victor humain, sans le moindre vêtement, au coeur d'un hiver d'une virulence inédite, comme s'il retrouvait les voyageurs qui lui avaient échappé à coeur joie.

Se remettant péniblement à genoux, il serra l'enfant contre lui. Pas dans un élan d'effusion, mais pour tenter, un tant soit peu, de le protéger de la tourmente. Geste dérisoire, risible. Mais que faire d'autre ?
Ils avaient été expulsés du Val. Sans avertissement. Sans y être le moins du monde préparés. Se retrouvaient démunis au cœur d'une tempête d'une violence incroyable. Dans laquelle ils ne survivraient pas une heure.
Pas une demi heure.
Il avait un goût amer dans la bouche. La gorge nouée. L'impression d'avoir fait l'objet d'un marché de dupe, d'avoir donné sans retenu... d'avoir été exaucé à minima. Oui, Victor était redevenu lui même. Redevenu humain. Mais bientôt, il serait un humain mort.
Taliesin se releva tant bien que mal, l'enfant toujours dans ses bras. Les yeux plissés, il tenta de percer l'obscurité, le rideau dru et tourbillonnant des flocons ininterrompus. IL devait trouver la mule. Les sacs. Son manteau, étalé sur l'un d'eux. Il devait les trouver...
Ils ne pouvaient être bien loin. Les druides ne pouvaient être aussi cruels. Ils auraient brisé leur si cher équilibre...
A moins, bien sûr, qu'ils n'aient pas été ce qu'ils semblaient. Qu'il se soit fait berner, une nouvelle fois.
La dernière, sans doute...

Mais la visibilité était vraiment réduite au minimum. Titubant dans la poudreuse, battu par la tempête, Taliesin fit quelques pas, Victor entre ses bras, avant de rencontrer un obstacle. C'était le tronc d'un arbre. Il y en avait un deuxième, un troisième, une multitude. Il se trouvait à l'orée d'un bois. Poussant un peu en avant, il découvrit que le rideau végétal, même s'il était nu et imparfait, les protégeait quelque peu du vent. Quelques mètres plus loin, un chêne gigantesque offrait même un refuge acceptable entre ses racines. Les flocons étaient moins nombreux, mais le vent hurlait, les branches s'entrechoquaient, et les ténèbres étaient telles que même ses yeux elfiques ne voyaient pas grand chose.
Puis, entre deux sifflements déchaînés, il entendit la mule braire. Le cri venait de sa gauche, un peu plus loin, peut-être même dans le bois, si ses sens ne le trompaient pas. Vu le vacarme environnant, il n'était pas impossible que la bise ne déplace les sons au hasard de sa sarabande. Mais c'était son seul indice sur l'endroit où se trouvait l'animal, et avec lui, leurs sacs.

Taliesin resserra son étreinte sur l'enfant aussi nu que les arbres alentours, aussi tremblant que les branches grêles secouées par le vent. Il songea vaguement à le revêtir de sa tunique, à le déposer entre les racines du grand chêne. Mais la tunique était trempée, les racines ne lui offriraient guère de chaleur. Pire, lui-même, s'il s'éloignait, n'était pas sûr de retrouver l'endroit...
Il garda donc Victor dans ses bras, Et, aussi vite qu'il le put, vigilant à ne pas trébucher sur les racines traîtresses qui se dressaient de-ci, de-là, à demi dissimulées par la neige, il prit la direction où, le pensait-il, se trouvait la mule.
La mule, synonyme de manteau, de couvertures dans lesquelles s'enrouler, de briquet pour faire du feu.
Synonyme de survie, tout simplement.

L'hiver crépitait tout autour d'eux, déchaîné, perçant parfois la ramure des arbres pour les fouetter, quand il ne brisait pas simplement les branchages, les précipitant sur le sol. L'univers n'était que fracas, tumulte, tonnerre. Et pourtant, ils trouvèrent la mule. L'animal ruisselant s'était abrité sous un arbre, un peu à l'intérieur du bois, la longe brisée. Leurs sacs étaient abandonnés pêle-mêle, comme si une bourrasque les avait projetés sous le couvert du bois. Il faisait sombre, mais Taliesin put noter qu'il semblait ne rien manquer. L'endroit où ils se trouvaient tous trois était cependant mal protégé, des rafales glacées s'y glissaient en ululant. Victor tremblait de tous ses membres.

Taliesin, grelottant lui aussi, ne gaspilla pas une seconde à manifester son soulagement partiel et se dirigea vers la mule. Il n'avait pas le temps de chercher les vêtements de l'enfant, tassés au fond de l'un des sacs. Mais les couvertures, elles, devaient être à portée de main, notamment celle dotée de magie. Les elfes du peuple du Griffon en avaient couvert Victor avant leur voyage aérien, et il croyait se souvenir de l'avoir rangée à la va-vite dès son arrivée au val...
Il trouva les couvertures, de fait. En drapa une autour du petit garçon, espérant que c'était la bonne sans en être certain, malheureusement.
-Donne moi une minute et je te reprends, bonhomme... lui souffla-t-il en le déposant au sol.
Puis, jetant son manteau - trouvé par hasard - sur ses propres épaules, il se mit en devoir de charger la mule, arrimant tant bien que mal leurs bagages, prenant sur son dos ce qu'il n'arrivait pas à faire tenir.
Enfin, il souleva à nouveau Victor, l'engagea à se cramponner à lui et, la longe brisée dans une main, après avoir vérifié une dernière fois qu'il n'avait rien oublié, il s'engagea dans le bois à la recherche d'un abri...
Ils ne pourraient pas faire les difficiles. Devraient s'arrêter au premier lieu convenable.
C'était ça ou geler sur pied.

La mule broncha. Elle était épuisée, frigorifiée, trempée, et on entendait lui faire porter un lourd paquetage dans un sous-bois aveugle, alors que la tourmente ne l'épargnait en rien, que les racines lui bloquaient la route, dans la neige ne lui grimpait pas à hauteur des jarrets. Elle finit par s'immobiliser et refusa d'avancer tant que Taliesin ne la déchargea pas quelque peu. Il dut donc faire le choix d'abandonner l'un de leurs sacs, le moins crucial, espérant le récupérer dès qu'il y aurait une accalmie. L'animal reprit alors sa route difficile et après de longues minutes, peut-être plus, le temps s'écoulait chaotiquement autour d'eux, ils finirent par trouver un demi-cercle de chênes qui offraient un abri acceptable, imparfait bien sûr, mais qui pouvait leur servir de base pour un campement.

Taliesin ne chercha pas à aller plus loin. La mule était de plus en plus rétive ; lui même frôlait l'épuisement, avec son chargement de sacs et Victor dans les bras. L'épuisement et la paralysie à cause du froid : il avait l'impression que son sang n'allait pas tarder à geler dans ses veines.
-Je vais faire du feu avec la flûte... murmura-t-il à Victor en le déposant à terre. Mais il ne durera pas très longtemps, malheureusement. On n'aura pas d'autre choix que de s'enfouir sous toutes les couvertures... Mais ça devrait aller.
Il fallait l'espérer. Le mieux aurait été de partager celle dotée de magie, mais... Il la laisserait sans doute au gamin, si une trop grande promiscuité le dérangeait.
Il tira la flûte de la poche de son manteau. Tenta de jouer le morceau, en espérant qu'il y parviendrait malgré ses doigts gourds, insensibles...
Lorsque le feu brillerait, il achèverait de décharger la mule. La couvrirait d'une couverture. Puis entasserait les autres pour en faire une sorte de cocon au sein duquel se blottir. Ils n'en manquaient pas : ils auraient peut-être même chaud...
On pouvait rêver.

Mais vu la tourmente, la violence du vent et des flocons glacés, l'hymne lumineux opta pour une lampe-tempête, bien protégée par ses parois de verre, et lestée de métal dans sa base, plutôt que pour un feu fragile. Victor, Taliesin et la mule eurent donc, comme prévu, de la lumière. Mais de chaleur, point.

Il grimaça. La flûte avait sa logique, il ne pouvait pas lui en vouloir. Mais cela tombait mal...
Tant pis, il fallait faire avec. A la lumière de la lampe, il déchargea la mule. Lui posa une couverture sur le dos, avant de l'attacher à l'un des chênes. Puis il empila tout ce qui pouvait tenir chaud sur le sol, dans la partie la plus abritée du cercle d'arbre, celle dont le sol était le moins envahi par la neige.
-Vas là dessous... fit-il à un Victor qui, s'il disposait de la couverture magique, n'en était pas moins grelottant. J'ai bien peur qu'il faille que nous nous serrions un peu, mais... On n'a pas trop le choix.
Puis il entreprit de se défaire de ses effets mouillés. Il avait l'impression de ne plus sentir un seul de ses membres. D'avoir oublié ce que le mot chaleur voulait dire.

Victor grelottait, mais il sembla retrouver un peu d'énergie lorsqu'il saisit le manège de l'elfe. Il l'aida maladroitement, un peu hagard, à se défaire de sa tunique gelée, puis s'enfouit sous la pile de couvertures, d'abord glacées puis de plus de plus tièdes. Le couvert des arbres les protégeait des torrents du ciel, bâches et vêtements du froid que dégageait le sol. Ils ne disposaient cependant que d'eux-mêmes pour générer quelque chaleur. Mais Victor ne s'inquiéta pas de la proximité de l'elfe, au contraire, et bientôt, l'hiver reflua autour d'eux, comme petit à petit, le gel et l'humidité capitulaient. L'enfant semblait au bord de la syncope, ses lèvres étaient bleues, mais il resta cramponné à l'elfe.

Taliesin avait entouré Victor de ses bras, essayant de le réchauffer de son mieux. Peu à peu, les tremblements de l'enfant se faisaient moins violents... Mais il faudrait encore un moment avant que le froid n'ait totalement abandonné sa carcasse. Ou la sienne, d'ailleurs.
La tempête semblait moins forte, plus lointaine, alors que tous deux reposaient sous le monceau de frusques et de couvertures, semblable à une tente qui se serait effondrée sur leurs têtes. Moins forte, plus lointaine... Bien réelle, cependant.
Si l'elfe ne savait que dire, ses pensées allaient bon train, en revanche. Ils étaient peut-être toujours dans le Val... Ou peut-être pas. Ils étaient là, à la merci du premier animal sauvage venu... Il avait laissé son épée à proximité, certes... Maigre défense. Il aurait fallu veiller...
Leur situation précaire n'était pas la seule chose à le faire réfléchir, cependant. Le choix cruel qu'on l'avait obligé à faire revenait peu à peu le hanter, alors que l'urgence se dissipait, que la chaleur les gagnait.
Il se demandait s'il avait fait le bon choix. S'il avait vraiment voulu protéger Victor où si c'était lui qu'il avait tenté de préserver, en refusant un acte certes douloureux mais presque anodin. Pour en choisir un autre... dont il ignorait tout. Qui le hanterait des années durant...
Il secoua la tête. Il ne devait pas penser à cela. Penser à cela, c'était songer au reste, aux épreuves endurées tout le long du jour. Qui gardaient un goût amer, malgré le combat au cours duquel il s'était purgé, déchaîné... Il ne pouvait qu'en remercier le Sanglier : de tous, il avait été le plus miséricordieux. Sans lui... Sans lui, il ne valait mieux pas imaginer la colère, la hargne, la haine qui seraient les siennes à cet instant...
Et qui pouvaient renaître, s'il y réfléchissait trop.
Il secoua la tête. Rouvrit les yeux dans l'obscurité, tenta de discerner sans vraiment y parvenir le petit garçon niché contre lui. Celui pour qui il avait lutté tout le jour. Ce sang étranger qu'il avait choisi d'épargner. Et qui était à nouveau lui-même.
Cet instant, il l'avait tant voulu qu'il ne devait pas laisser les épreuves le gâcher. Qu'il ne devait pas le gâcher tout seul, ce qu'il était en train de faire. Son ennemi, c'était lui-même.
Doucement, il tendit la main, lui effleura le front, à tâtons, repoussa de côté une mèche rebelle..
-Comment te sens-tu, bonhomme ? murmura-t-il, pour briser le silence. Pour chasser les noires pensées...

Victor bougea entre ses bras. Il sentait son souffle contre son épaule, régulier, presque endormi, peut-être.
" Ça va." murmura le petit garçon d'une voix éteinte. " J'ai mal partout, mais ça va."
Il ponctua sa dernière phrase d'un frisson, puis poussa un soupir.
" Je ferai toujours ce que tu diras, je te promets." ajouta-t-il ensuite, à voix basse.

Ses premiers mots. Pour dire cela.
Taliesin grimaça. Il préférait ne pas imaginer les sentiments qui avaient agité Victor depuis sa transformation. La culpabilité poignante qui, déjà, transparaissait.
Pauvre gosse... songea-t-il en le serrant davantage contre lui.
Il chercha ses mots, éloignant ses propres pensées sombres. Il devait le réconforter, biens sûr. Se réconforter aussi. Après tout, ils étaient vivants. Vivants et ensemble.
-Tu n'es pour rien dans ce qui est arrivé, Victor... souffla-t-il. Ou, plutôt... je suis aussi responsable que toi. Bien plus que toi, en réalité. Je me suis laissé berner, trompé. Je n'ai pas été vigilant. Il y avait des signes, pourtant, mais je n'ai rien vu... Je suis désolé, mon grand. Désolé pour tout ce que tu as subi... Tu ne méritais pas une telle punition. Tu ne la mériteras jamais.
Il soupira, pas très satisfait de sa tirade. S'empressa de reprendre.
-Mais... Être désolé ne sert plus à rien. Ni pour toi, ni pour moi. Tu es redevenu toi-même. Nous avons semé les gardes de la mine. Bientôt, nous quitterons les montagnes. C'est tout ce qui compte. Alors... ne promets rien. Ne change rien. Je suis heureux de t'avoir retrouvé. C'est la seule chose qui m'importe.
Il leva la main. fit courir un doigt léger sur l'arrête du nez de l'enfant.
-Même si ça va me manquer de ne plus pouvoir te caresser le chanfrein...

Victor ne rit pas de la boutade et poussa un nouveau soupir.
" Tu avais raison. On ne peut jamais faire confiance à personne. Les gens font semblant d'être gentils, mais en fait, ils veulent toujours en tirer du profit... Sauf les elfes."
Il s'interrompit, renifla.
" Les elfes ont été gentils avec nous. Ton ami le magicien. Puis ceux qui étaient avec Méli. Et maintenant, on va encore chez des elfes. Méli m'a dit qu'ils seraient gentils, aussi."
Taliesin le sentit remuer la tête, comme s'il faisait un léger signe de dénégation.
" Je voudrais être un elfe. C'est nul, le reste. Rien que des monstres."

Taliesin fronça les sourcils. Il ne s'était certainement pas attendu à cette réaction. Se trouvait pour le moins décontenancé, ne sachant trop que répondre.
-Ne dis pas ça... murmura-t-il enfin. Il y a du bon et du mauvais en chaque race. Ce n'est pas le fait d'avoir les oreilles pointues ou non qui détermine si l'on est un monstre ou quelqu'un de bien. Nous avons croisé des elfes qui nous ont aidés, oui... Mais c'était de la chance. Les elfes... Ils sont parfois méchants. Comme je l'ai été. Ils souvent dédaigneux, méprisants avec les autres peuple. Imbus de leur personne. Les humains... Oui, il y a des humains mauvais. Mais il y en a des bons, tout autant. Tes parents, bonhomme. Le conseiller Megrall, les Merlus... Tant d'autres encore... Galathée, surtout ! Et toi, évidemment...
Il sourit.
-Et, franchement, il y a de gros désavantages à être un elfe, tu peux me croire !

Victor secoua la tête avec plus de vigueur, cette fois.
" Même toi, tu dis que tu as été méchant... Mais c'était parce qu'un humain t'avait fait du mal, non ? C'est normal d'en vouloir aux humains, et de les mépriser, s'ils sont bêtes comme moi." grommela-t-il. " En plus, tu es quand même resté avec moi. Tu t'es occupé de moi. Tu aurais pu me laisser comme la bête bourrique que j'étais devenu. Mais tu l'as pas fait. Moi je suis pas sûr que j'aurais fait ça. Que j'aurais eu... que j'aurais eu le courage ou la... la générosité de faire ça."
Il soupira.
" Et ne parle pas de Galathée. Galathée, c'est pas la même chose. Peut-être que c'est une elfe, et qu'elle le sait pas."

Les dieux savent que j'aimerais qu'il en soit ainsi... songea le barde dans un élan douloureux. Mais pas pour les raisons que tu avances. Pour que les ans ne nous séparent pas. Pour que nous puissions rester ensemble des siècles durant. Pas quelques maigres décennies... Parce que je ne veux plus être seul. Jamais. Parce que je ne sais pas comment je ferai, sans vous...
Il n'en dit rien, cependant. Ce n'était pas exactement le moment. Il ferma les yeux, chercha, à nouveau, les mots justes. Dire des bêtises, se fendre de boutades idiotes, chanter n'importe quoi, il était doué, évidemment. Mais parler vrai, réconforter un enfant aux affres déchirants... C'était une toute autre histoire, et il se sentait horriblement démuni.
-Ne doutes pas de toi, Victor, dit-il enfin, grave, solennel. Tu aurais eu la force, le courage et la générosité de faire ce que j'ai fait. Tu l'aurais sans doute mieux fait, d'ailleurs. Tu es bon, mon grand. Tellement que j'en suis impressionné à chaque instant. Tu n'as pas hésité à prêter la ferme de ton grand-père aux Merlus, alors que l'on venait juste de t'apprendre que tu en étais propriétaire. Et... Tu m'as accepté, moi. Malgré tout ce que j'ai commis. Avec tout ce que cela pouvait impliquer. Crois-tu que beaucoup de gens, elfes, humains, gnomes ou nains, auraient su, pu faire cela ? Moi, j'en doute. Je n'aurais pas su le faire, je le crains...
Il soupira.
-Je suis fier de toi, bonhomme. Immensément. Et... T'avoir à mes côtés, c'est une force incroyable.
Il hésita. Décida de se lancer.
-Je vais te dire un secret. Un secret que même Galathée ne connaît pas. Il y a peu... On m'a offert le moyen de devenir humain. En même temps que le pipeau. c'était... une graine d'humanité. Et... Je n'ai pas eu le temps de vraiment y penser, les choses sont allées trop vite. Et la graine est perdue, aujourd'hui. Mais si je l'avais... je l'avalerai. Pour être comme toi. Être comme Galathée. Ne plus être différent, avec mes oreilles pointues et tout le reste. Parce que je vous aime. Parce que j'ai trouvé parmi les humains plus d'amour que parmi les elfes. Que ce soit avec vous... Ou avec mes parents adoptifs. N'aies pas honte d'être un humain : ta race est capable du pire... Mais du meilleur, aussi. Et j'aimerais être des vôtres.

Victor demeura silencieux une seconde.
" Tu ne préférerais pas qu'on soit tous des elfes, plutôt ? Moi je préférerais. Ça ne nous changerait pas, si ? On est ce qu'on est, dans le fond."
Il bougea, décollant un instant la couverture du sol, ce qui invita le froid à y entrer et l'enfant poussa un petit cri en rabattant rapidement l'étoffe sur eux.
" J'espère qu'ils vont m'accepter, les elfes de la forêt. Je serai avec toi, je sais. Et je sais que tu ne les laisserais pas..."
Il s'interrompit.
" Je ne voulais pas que tout ça arrive, tu sais. Je ne voulais pas... Mais ton bras... Je ne savais pas quoi faire. Je ne voulais pas que tu meures dans la grotte et être encore tout seul... Tout le monde me dit toujours que je vais aller vers l'avant, que je dois remiser le passé, que ce qui s'est produit est horrible mais... J'en ai marre, à un moment ! Papa m'a dit ça quand Cyprien s'est noyé dans le port, puis Galathée l'a dit parce que maman et papa sont morts, et puis le conseiller Megrall, il a dit la même chose, et aussi chez monsieur Artwin, madame Ogg, ils disent tous : tu vas t'en remettre, il faut être fort... et puis j'avais trouvé vous, toi et Galathée, et puis maintenant Gabriel Kanter il a dit encore la même chose, en me mettant au Temple, que je m'en remettrais, que c'était un nouveau départ, mais moi j'en ai marre des nouveaux départs ! Je voudrais que ça s'arrête, à un moment ! On peut pas toujours tout changer, sinon on se souvient de rien, on sait pas où on est, tu comprends ? Alors je voulais pas que tu meures dans la grotte. Je préfère être un âne avec toi qu'un enfant tout seul."

Le barde ferma les yeux, à nouveau. Ne sut d'abord que dire, que faire.
-Je comprends, Victor. Je comprends très bien. On m'a répété la même chose, aussi. Je me la répète moi-même continuellement. Mais... Je n'ai pas envie d'un nouveau départ si c'est un départ sans toi et sans Galathée. Nous nous sommes trouvés, nous étions heureux... Nous le serons encore. Tous les trois.
Il lui ébouriffa les cheveux.
-Mais tu es redevenu un enfant. Et tu es avec moi. Les choses ont bien tourné. Elles tourneront bien, encore. Il faut y croire... Tant que je t'aurai à mes côtés, je continuerai à croire que tout est possible, pour ma part.
Il soupira.
-Et j'aimerais que nous soyons tous trois des elfes, oui. Pour que le temps n'ait plus de prise, pour que je ne regarde plus avec horreur s'envoler les mois et les années. Malheureusement, certaines choses sont impossibles. Il ne sert à rien de s'y attarder...
Il aurait dû se taire, bien sûr. Car dans le genre déprimantes, ses dernières paroles battaient tous les records.
-Tu es là... reprit-il, tout doucement. Et pour l'instant, je n'en demande pas plus.

Victor ne répondit rien, se contentant de soupirer à nouveau. Au ton de sa voix, Taliesin devinait qu'il était fatigué, probablement proche de l'assoupissement. Il faisait désormais acceptable sous les couvertures, sec à défaut d'être chaud. Le vent hurlait toujours, secouant la forêt autour d'eux, comme pour la déraciner.
" Alors demain, on va se remettre en route. Je te promets que j'obéirai toujours, que je ne ferai rien de travers. Je te le promets. Puis on retrouvera Galathée, et on sera bien. Et on ne bougera plus nulle part sans être tous les trois, et tu m'apprendras à combattre les méchants avec une épée pour pas qu'ils puissent nous séparer. C'est le mieux. J'ai été une fois voir les paladins, tu sais, quand j'étais à Luménis... Mais ça s'est pas trop bien passé. Je me suis coincé dans une armure. Mais je suis pas obligé de faire paladin. Je peux faire barbare avec des boules de feu. C'est efficace aussi."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.