[Lieu] À Aigues-Douces (RP : l'inattendu)

[Lothringen]

Avec un temps de retard sur les autres, Lothringen s'était à son tour jeté dans la mêlée. Curieusement, leurs adversaires avaient semblé l'éviter, comme s'ils avaient deviné à ses doubles et à la luminosité étrange de ses armes que ce n'était pas de lui qu'ils auraient meilleur marché. Accéléré comme il l'était par son sortilège, le semi-drow était effectivement insaisissable, et mortel : le premier "paladin" qu'il affronta, déstabilisé par son illusion, enchaîna trois parades avant de comprendre, un brin trop tard, que le guerrier-mage avait bien DEUX haches identiques, que ce n'était pas l'effet de l'illusion, et que si le manche de la première était en train de glisser sur celui de sa plommée, le tranchant de la seconde venait de s'enfoncer d'un bon pied dans son poumon droit. Il mourut sur cette douloureuse révélation.

Le suivant avait eu le temps de l'observer, et il se révéla plus coriace. Il comprit rapidement que les armes de Lothringen étaient parfaites pour l'attaque, mais très faibles en défense : aussi entreprit-il de détruire méthodiquement ses doubles sans jamais risquer d'ouverture. Le semi-drow, changeant alors de tactique, se recula, et, tout en jouant de son esquive améliorée, chercha à le déstabiliser à coup de sortilèges. Quand il lança sa flèche acide de Melf, le guerrier, prévenu, la reçut sans broncher. Mais il ne pourrait sans doute retenir un mouvement de douleur quand le sort, contre toute attente, agirait de nouveau, et alors, Lothringen serait là pour en profiter...

[Mornagest]

Le duel reprit alors, mais il fut rapidement interrompu, comme l'escomptait Lothringen : l'acide mordait la chait de son adversaire, et il fut déstabilisé, bloqué dans son mouvement. Une interruption fatale... le fer de la hache du semi-drow l'atteignit à la tête, ne lui laissant aucune chance.

Le nombre des humains s'amenuisait rapidement. Mornagest avait deux autres bandits à son actif, et il était en train d'en étriller un troisième. Aidé du sortilège de son compagnon, il s'en sortait pour l'instant entièrement indemne ! Les elfes auraient voulus pouvoir en dire autant ; deux des leurs étaient au sol. Impossible de savoir s'ils étaient encore en vie cependant, avec la cohue... qui cessa bientôt : les deux derniers combattants humains furent désarmés et solidement maintenus.

Les deux elfes touchés étaient en réalité blessés, mais apparemment, ils s'en remettraient. Les humains avaient sous-estimé leurs forces, mais c'était compréhensible : ils ne s'attendaient pas à trouver un magicien pour leur prêter main forte...

"Bon... fini de rire, pourritures. Vous allez nous dire ce que vous faites réellement ici", lança Mornagest sur un ton menaçant. Il n'avait guère d'estime pour les trafiquants, et il soupçonnait que ceux-ci en étaient. De la drogue, qui plus était...

"Cause toujours !", lâcha l'un d'eux. Il fallait croire que le guerrier n'était pas suffisamment impressionnant... il préféra jouer leur jeu, et poursuivit :

"Si vous voulez, mon ami le drow connaît de nombreux moyens très douloureux de faire parler les réticents... des douceurs qui vous feraient frémir rien que de les énoncer..." il ponctua sa phrase d'un petit clin d'oeil en coin vers Lothringen.

[Lothringen]

Après avoir rentré ses armes, Lothringen croisa les bras, impassible.

"La créativité drow en ce domaine dépasse de beaucoup les bornes de l'imagination surfacine. Nous n'avons ni araignée, ni huile bouillante, ni plomb fondu sous la main, mais une bonne hache et un peu de fer chauffé à blanc sont des classiques qui ont fait leurs preuves... Nous commencerons par un doigt, puis nous remonterons de coupe en coupe jusqu'à l'aisselle, et si vous en mourez malgré les cautérisations, ma foi, votre espèce s'en portera mieux. Voilà mon programme." Il se tourna vers les elfes survivants, leur donnant l'occasion de jouer les "gentils" de l'interrogatoire. "A moins que vous ne voyiez une meilleure façon de raisonner ces messieurs ?"

[Mornagest]

Les deux hommes hésitaient maintenant à braver la menace. C'est qu'il avait l'air sérieux, ce démon ! Et espérer un salut des elfes... plutôt mourir !

"Euh... on va p'têtre pas en arriver là, hein ? J'ai pas envie d'essayer ça..." Il grimaça. "On était là pour faire disparaître ce groupe. On a été engagé... bon, j'aime pas les elfes, c'est sûr, mais en tant normal j'les laisse tranquilles. Ils sont plutôt bien accueilli, par ici... mais on devait les traquer et les éliminer.
- Pour le compte de qui ? Pourquoi cette soi-disant allégeance à Tyr ? Brouiller les pistes ?
- Ben... ouais. Mais je sais pas pour qui. Le seul qui savait, c'était le chef... ça va être dur de savoir, maintenant."

Mornagest se tourna vers Lothringen, et lui demanda :

"Tu penses qu'ils disent vrai ? J'ai l'impression que tu devrais leur montrer un peu de tes talents pour s'en assurer... je doute que ces marauds n'en sachent pas plus."

Derrière eux, les elfes observaient la scène avec un certain amusement. Ils s'en étaient bien sortis, et ils se détendaient quelque peu. La suite de la traque était compromise... en supposant qu'il n'existât pas d'autre groupe de mercenaires engagé.

[Lothringen]

A l'instar de son compagnon, Lothringen doutait sérieusement que ces deux hommes ne sachent absolument rien de plus.

"Votre chef devait bien prendre des ordres. Où, comment ?"

Le semi-drow roula du pied une large pierre plate jusqu'aux deux survivants et la désigna du menton à ceux qui maintenaient l'un d'eux.

"Si vous voulez bien étendre sa main droite là-dessus..."

Et il sortit Senestre de sa gaine. Cette fois-ci, il ne bluffait pas : ces hommes étaient des assassins, et leur couper quelques doigts ou une main, un châtiment très répandu, somme toute... Qu'ils parlent et il réviserait peut-être sa position.

[Mornagest]

L'homme trembla, cette fois. Plus de chiqué. Une créature aussi malsaine qu'un elfe noir ne pouvait pas être pris à la légère...

"Non non non ! Écoutez, je... le chef avait des rendez-vous à La-Crique-aux-Fous, auxquels il se rendait seul. Je ne sais pas avec qui il s'entretenait.
- Quel est cet endroit ?
- Le petit village, plus au sud, avec le port. C'est son nom.
- Et vous n'avez vraiment pas idée sur l'identité de la personne avec qui il bavardait ?
- Je vous l'ai dit..." il fut interrompu par une claque sonore et bien assénée, du revers de la main, par Mornagest. "Ne nous prends pas pour des imbéciles. Je peux aussi être très méchant si j'en ai envie..." Quoique l'idée de voir Lothringen mettre réellement ses menaces à exécution l'intriguait, à vrai dire.

"Mais... je n'en sais rien, moi !" cracha l'autre. Le mélandien s'empara de lui et lui maintint le bras, aidé par deux elfes qui jouaient le jeu également. Ils posèrent son bras de force sur la pierre que Lothringen venait de déplacer, puis firent signe à ce dernier.

"À ta guise."

[Lothringen]

Lothringen réprima un haussement d'épaules. Il n'était pas certain que ces deux hommes en savaient davantage, mais il fallait s'en assurer. Il connaissait ses propres limites : le tout était de laisser croire à leur absence.

D'un coup sec, le semi-drow abattit sa hache sur la main du mercenaire, lui tranchant net l'annulaire et l'auriculaire, qui volèrent dans le sable, non loin de là, tandis que la victime expirait un hurlement bref. Les elfes et Mornagest le lâchèrent, le laissant abriter sa main mutilée dans son giron et gémir sourdement. Lothringen se tourna alors vers le second prisonnier, qui avait observé la scène avec effarement.

"Vous non plus, vous ne savez absolument rien de plus, bien sûr ? Réfléchissez bien." interrogea-t-il d'un air blasé.

[Mornagest]

Il avala sa salive, puis bégaya :

"C'est... c'est le bourgmestre du village. Il voulait se débarrasser des elfes de la région. J'ignore pourquoi ! On nous a juste engagé... et... bon, c'est vrai, j'aime pas les elfes non plus, ça me gênait pas de faire ce boulot..."

Il se mit à sangloter. La bravoure et la fierté retombaient vite lorsqu'on était prisonnier et menacé...

[Lothringen]

Lothringen fronça les sourcils. On devait être bien loin de Lumenis pour que les bourgmestres s'y mêlent déjà d'y faire la loi selon leur goût... Et pourquoi traquer des elfes, d'ailleurs ? Rancune personnelle ? Haine raciale ? L'un des mercenaires l'avait bien dit lui-même : les elfes étaient plutôt bien vus dans la région. Beaucoup mieux que les elfes de cuivre dans les environs de Graëlon, en tout cas. Mais les situations n'étaient pas comparables : les elfes du Bosquet, retranchés dans une forêt quasi impénétrable, étaient en guerre larvée contre des humains peu nombreux et dispersés...

Il se tourna vers les quelques elfes qui avaient entendu comme lui.

"Une idée de ce qui pourrait pousser cet homme à agir ainsi ? Cela vous semble-t-il plausible ?"

Il faudrait sans doute confronter cet homme pour mettre fin à ses agissements. Mais il faudrait aussi nettoyer les cadavres, et faire un sort aux caisses... La nuit était déjà bien avancée et Lothringen se sentit soudain très las.

[Mornagest]

Les elfes secouèrent la tête.

"Nous ne pouvons que nous perdre en conjectures... je ne connais pas cet homme, qui est peut-être tout à fait respectable. Ce bandit ment peut-être... mais nous devrions nous en assurer. Cependant, je ne sais si vous désirez vous joindre à nous pour cela. Vous nous avez déjà bien aidé, drow, et ce malgré les dissensions entre nos peuples. Je ne puis que vous en remercier...
- Et vous aussi, humain. Votre talent en combat est impressionnant... quant à vos convictions... elles sont ce qu'elles sont.
- Mais cette affaire est nôtre avant tout. Aussi, si vous souhaitez reprendre votre route, nous ne vous retiendrons pas.
- Sauf si vous voulez avoir le fin mot de l'histoire..."

Mornagest, pour sa part, hésitait un peu. Il avait envie de savoir qui était derrière tout cela, mais... la fatigue jouait aussi sur lui, et il n'aurait sûrement pas dit non à quelques jours de tranquillité avec son compagnon.

"C'est toi qui vois..." lui souffla-t-il.

[Lothringen]

Lothringen hésita quelques instants. La perspective de retourner à la Crique-aux-fous ne l'emballait guère, mais... Ils étaient si proches du dénouement qu'il aurait toujours eu un goût d'inachevé en bouche, s'ils en étaient restés là. Le semi-drow finit donc par décider ce qu'il savait depuis toujours : qu'il aurait toujours plus de curiosité que de fatigue.

"Je crois que je tiens à connaître le fond de cette affaire. Nous allons vous accompagner... En tant que spectateurs, bien sûr."

En revanche, le semi-drow n'était pas certain de continuer à suivre le mouvement si le bourgmestre les renvoyait encore à une nouvelle piste. La semaine s'était déjà bien avancée, et il avait l'impression d'avoir passé très peu de temps avec son compagnon.

[Mornagest]

Mornagest approuva d'un léger signe de tête. Lui-même aurait sans doute répondu cela. Il serait resté sur sa faim s'il n'avait connu le fin mot de l'histoire...

"Nous devons décider si tout le groupe part vers la Crique-aux-Fous... les autres doivent s'inquiéter", ajouta un des elfes.
"Je pense qu'il est inutile de tous nous rendre au village... sauf si vous croyez que votre présence à tous est indispensable ?
- Non, mais quelques-uns d'entre nous vont rentrer au campement. Nous avons deux blessés, et ils doivent être accompagnés là-bas pour leur sécurité. Le village n'est pas un lieu pour nous."

"Qu'allons-nous faire de ces deux oiseaux ?", interrogea-t-il. Ils ne pouvaient les laisser partir, contrairement aux contrebandiers de la veille. Ceux-ci avaient de males intentions envers les elfes, et nul doute qu'ils seraient tentés de recommencer sitôt la situation calmée... les livrer aux autorités semblait être une bonne solution. C'est ce qu'il proposa aux autres.

[Lothringen]

Lothringen acquiesça, bien qu'il n'ait qu'une idée très vague de ce à quoi pouvaient ressembler les autorités luméniennes hors de la capitale. Les villages jouissaient apparemment d"une relative autonomie ; ils devaient avoir leur milice locale, mais ne recevoir qu'assez rarement la visite des patrouilles de l'armée, sauf menace urgente ou demande expresse des bourgmestres. En tout cas, c'était comme cela que ça fonctionnait dans la campagne manostienne. Les "protecteurs" locaux – rôdeurs, miliciens, prêtres – suffisaient pour gérer les rapines et la criminalité ordinaire, mais ils avaient tendance à être rapidement dépassés par les événements dès que cela devenait plus sérieux.

"Encore faudra-t-il être sûrs de ces autorités..." précisa-t-il tout de même. Si l'on en croyait les deux bandits, leur chef avait eu des complicités parmi elles.

Puis il regarda vers la terre. Au-delà de la crête de la falaise, une mince bande d'un bleu pâle se devinait par-dessus les feuillages. L'aube, déjà ? Ils n'avaient que trop tardé.
"Mettons-nous en route, maintenant."

[Mornagest]

Le petit groupe se remit en route. Le voyage fut assez pénible, car les deux blessés ne pouvaient marcher très vite, et les deux prisonniers, aux mains liées, n'avaient pas une liberté de mouvement suffisante pour certains passages. Aussi devaient-ils fréquemment s'arrêter pour chercher un chemin plus facile d'accès.

Plusieurs heures plus tard, exténués, ils arrivaient au campement. Ils n'avaient pas dormi, avaient combattu, marché pendant des heures... et le village n'était pas tout près.

"Je pense que se remettre en route maintenant serait inconsidéré. Marcher jusqu'à la Crique-aux-Fous prendra un certain temps, et...
- Nous sommes venus par la mer, en barque, si cela vous intéresse... même si elle ne peut guère accueillir beaucoup de monde. Et mon compagnon peut éventuellement faire usage de sa magie pour se déplacer plus rapidement...
- Ma foi... si vous acceptez. Mais je suis d'avis de prendre du repos avant de repartir."

[Lothringen]

Descendre la rivière ne devrait pas être trop difficile... Beaucoup moins en tout cas que ne l'avait été la remontée à contre-courant. Pour les téléportations de groupe, il y avait tout de même une limitation en nombre. Lothringen ne connaissait pas au juste ses limites. Il avait toujours été seul... à part quelquefois, avec Mornagest.

Pour l'heure, il était plus que temps de reprendre des forces, et cette fois-ci le semi-drow n'y fit aucune difficulté. Même si ce serait bien la première fois de sa vie qu'il considèrerait un campement elfique comme un refuge, il était trop exténué pour envisager de repartir tout de suite vers de nouveaux dangers : la marche constamment ralentie à travers la forêt l'avait tout à fait achevé.

Tandis que les elfes échangeaient des nouvelles à voix basse et regagnaient leurs tentes, ils bivouaquèrent sommairement au centre du campement. Un rouleau, une couverture, un bonsoir, et quelques soupirs un peu sourds qui ressemblaient de très près à des ronflements : Lothringen était *réellement* épuisé, au point de ne pas même prendre le temps de repasser ses sorts ou de repasser les derniers événements dans sa tête. Il verrait tout cela plus tard, ça irait mieux demain...

[Mornagest]

Ils dormirent d'un sommeil de plomb, tandis que les elfes se relayaient pour monter la garde. Après tout, toute menace n'était pas écartée, loin de là. Rien n'indiquait qu'il n'y eût aucun autre groupe de guerriers les traquant dans la forêt. Cependant, aucune alerte ne fut donnée, et la nuit fut réparatrice, bien que courte ; dès que le soleil fût assez haut dans le ciel, il vint agacer les paupières du semi-drow, ce qui le réveilla presque aussitôt, sensible à cette forte luminosité. Il s'aperçut que Mornagest était en train de replier ses affaires.

"Je n'ai pas vraiment dormi, je me réveillais sans cesse", dit-il en guise d'explication. "Mais ça ira, ne t'en fais pas. Et toi ? Penses-tu pouvoir nous envoyer là-bas à plusieurs ?"

[Lothringen]

Lothringen en était encore à maudire Lathandre en six langues et à frotter ses yeux chassieux : la nuit avait été réparatrice, certes, mais bien trop courte à son goût. Il allait devoir réviser ses sorts en vitesse avant le départ, et il détestait ce sulfureux parfum d'urgence quand il s'agissait de magie... Mais visiblement, Mornagest comptait sur cette solution. Il est vrai que cela leur ferait gagner beaucoup de temps.

"S'ils veulent y aller en petit nombre, cela peut se faire. Je peux "emmener" peut-être quatre personnes avec moi, guère plus. Mais il faut me laisser le temps de réviser le sort. Tiens, en mangeant un morceau, par exemple."

Le dernier repas datant de beaucoup plus de douze heures, c'est avec une certaine impatience qu'il plongea les mains dans son havresac, en quête des vivres emportés de la Crique-aux-Fous. Il porta son dévolu sur une grosse miche de pain qu'il partagea avec Mornagest (deux tiers – un tiers, évidemment.)

Puis il ouvrit aussitôt son livre, parcourut une dizaine de feuillets, et s'absorba dans sa lecture, tout en mâchant distraitement morceau après morceau. Le pain était frais et encore sec, c'était déjà ça. Autour d'eux, le campement reprenait vie.

[Mornagest]

Pendant ce temps, Mornagest expliqua brièvement les limites du sortilège de téléportation aux elfes, bien que n'en sachant guère plus que ce qu'il avait déjà pu constater par lui-même, et ce que Lothringen lui avait appris.

"En m'y rendant avec lui, nous ne pourrons partir qu'avec trois d'entre vous, en admettant que les bandits restent ici et soient emmenés par la terre. À vous de voir si cela vous convient...
- Pour ma part, oui. Mais j'ignore qui vous accompagnera.
- Les blessés se sont remis ?
- À peu près. Rien d'urgent, grâce au sortilège de votre ami, nous avons facilement remporté le combat.
- Elenaë, Cylastrielle et moi-même vous accompagnerons. Les autres marcheront. Nous allons plus vite que vous, dans les bois... nous couvrirons la distance avant la fin de la journée, mais ne nous attendez pas si votre devoir est ailleurs, humain.
- Entendu... laissons mon ami terminer sa préparation", conclut le guerrier en achevant son morceau de pain. Il ponctua son déjeuner avec une drupe rosâtre, qui ressemblait à une grosse prune couverte de petits poils soyeux. "Ce sont des pêches", lui avait expliqué l'elfe qui lui en remit une petite dizaine. "Sucrées et juteuses. Vous apprécierez". Et de fait, c'était délicieux.

[Lothringen]

"Dis donc, tu m'en laisses une ou tu comptes tout engloutir dans mon dos ? le héla une voix railleuse.Je n'en ai pas l'air, mais je suis là."

Mornagest releva la tête, étonné, et se retourna. Lothringen était toujours dans la position où il l'avait laissé, assis en tailleur près de son rouleau, le visage penché sur son livre de sorts et absorbé dans sa méditation comme sous l'emprise d'un sortilège hypnotique. Son regard ne s'était pas décollé de l'ouvrage, mais pas de doute, c'était bien lui qui avait parlé.

Le guerrier bafouilla une excuse en venant lui tendre un des fruits, dans lequel le semi-drow mordit avec un bel appétit. Sans cesser de contempler sa page. Et soudain, il referma l'ouvrage d'un coup sec, juste à temps pour le préserver de la chute d'une goutte énorme de jus bien sucré.

"Je suis prêt."

Encore un temps de battement pour finir son paquetage et rassembler les elfes, et il se prépara à lancer son sortilège. Cinq personnes, c'était un peu"lourd" à lever ; mais en même temps, le village n'était pas si éloigné que cela...

Vers la Crique-aux-Fous

[Mornagest]

En provenance d'

Le trio atterrit sans trop d'encombres, à un mètre seulement de l'endroit où ils avaient posé patte, la première fois. Redoutable précision. Et tout aussi redoutable trajet, pour les tripes de l'émissaire, tout aussi novice que Mornagest dans ce genre de voyages instantanés. Il vira au blanc aussitôt, et eut un haut-le-cœur assez violent, mais ne vomit point. Plusieurs secondes plus tard, il parvint à parler.

"Eeeuh... je n'imaginais pas que ma tâche serait aussi rude... j'espère que nous sommes arrivés ? Je ne connais pas le village.
- C'est bien ici. Rassurez-vous, ça m'a fait la même chose au début, mais je parviens à supporter. Vous verrez, d'ici une centaine de téléportations, ça ira beaucoup mieux...
- Hein ? Euh, non non non, je vous crois, mais je ne compte pas en arriver là, Tyr merci... hum. Où nous attendent les belligerants de cette affaire ?
- À l'auberge, j'imagine. Allons voir."

Ils s'en furent donc, cherchant ladite auberge, qu'ils ne tardèrent d'ailleurs pas à trouver ; le village ne comptait qu'une trentaine de chaumières, et quatre rues pour les relier les unes aux autres. Ils entrèrent, et trouvèrent un des elfes de la troupe dans la salle, pour l'instant vide de tout autre occupant, vue l'heure. Il se leva en les voyant et les accueillit.

"Ah, mes amis ! Je suis content de vous retrouver. Les autres nous attendent en dehors du village, en fait. Nous sommes trop nombreux pour tous loger ici, je suis resté pour guetter votre retour."

Et cette fois, ils sortirent du village pour retrouver l'entièreté de la troupe accompagnée des trois prisonniers qu'ils avaient fait la veille. L'émissaire prit alors la parole.

"Bien. Tout le monde est présent, j'ai besoin d'avoir la version complète des faits. Messires", dit-il en s'adressant aux trois hommes,"commencez."

Ravis de cette occasion inespérée de faire entendre leur "cause", les trois forbans se relayèrent pour raconter par le menu leur version des événements : comment ces sauvages pillaient la côte pour préparer une guerre ouverte, comment ils avaient été acculés à se défendre, comment ils avaient assassiné le bourgmestre de la Crique-aux-Fous... l'émissaire notait en même temps, et demandait des précisions de temps en temps. L'exposé dura une dizaines de minutes, pendant lesquelles les elfes se contenaient à grand'peine pour ne pas se faire justice eux-mêmes.

"Bien... messires, à vous, maintenant" , fit-il à l'adresse des elfes.

[Lothringen]

Et les elfes racontèrent leur propre version des faits, évidemment contradictoire, et grosso modo conforme à ce que Lothringen avait exposé au grand-prêtre ; comment ces hommes avaient recruté des mercenaires pour piller la côte, et s'étaient arrangés pour leur faire porter le chapeau ; comment ils avaient été contraints de s'organiser pour se défendre, avant d'être attaqués directement par de faux paladins. Et bien entendu, il rejetèrent la responsabilité de la mort du bourgmestre de la Crique au Fou sur les trois larrons.

Lothringen était demeuré aussi muet que l'émissaire, observant les deux parties. Sans témoignage neutre pour corroborer les dires des uns ou des autres, sans preuve sous les yeux, comment démêler le vrai du faux ? De son point de vue, il n'y avait que la magie. Divine, éventuellement. La divination.

Quand les elfes eurent fini leur récit, le silence retomba un moment.

"Et maintenant ?" glissa Lothringen à l'attention du tyrite, curieux de voir comment ce dernier comptait gérer la situation.

[Mornagest]

L'émissaire resta un moment silencieux, relisant quelques passages de ses notes, hochant la tête.

"Mmh. Bien. Les deux versions ne concordent évidemment pas. Les coupables n'avoueront pas, à moins de les y contraindre, ce que Tyr réprouve bien entendu."

Il redevint silencieux, et se concentra quelques secondes, puis il lança une incantation aux intonations curieuses.

Émissaire de Tyr ---> détection des mensonges

Le prêtre ferma les yeux et garda sa concentration. L'opération dura quelques longues minutes, pendant laquelle tous restaient silencieux. Chacun savait que contrevenir à la volonté de Tyr s'apparentait à une tentative de mensonge... Enfin, l'émissaire rouvrit les yeux et prononça sa sentence.

"Deux de ces trois hommes ont menti. Leur but était bel et bien de faire accuser les elfes de la région afin de se dédouaner de leurs pendables méfaits. Le troisième..." il désigna l'homme qui, la veille, suait à grosses gouttes rien qu'à l'idée d'être interrogé par Lothringen "... a effectivement révélé la vérité. Il a exécuté les ordres que ses chefs lui ont donné. Avec les conséquences désastreuses que l'on sait. Néanmoins, il échappera de ce fait à la sentence de mort, et sera condamné à la prison pendant dix années, au cours desquelles il réalisera des travaux d'intérêt public. Les deux autres accusés seront exécutés à Antelucas dès lors que nous y serons retournés."

Les protestations fusèrent de la part des deux condamnés, mais la sentence était inéluctable, et le bras de Tyr avait frappé justement. Affaire close...

[Lothringen]

Lothringen frissonna par devers lui au spectacle de cette justice qui, pour être peut-être appropriée, ne lui en paraissait pas moins expéditive. Dire qu'il avait tant hésité, lui, devant le cas de Dargor ! Ils étaient coupables, d'accord ; mais comment pouvait-on sceller définitivement le destin de deux êtres en se posant si peu de questions ? Sans doute l'Emissaire aurait-il prononcé la même sentence contre Mornagest, si ce dernier avait dû comparaître pour les meurtres qu'il lui avait avoués la veille ?

"Un instant..."

Quelques regards se tournèrent vers lui, un peu surpris de son intervention. Le semi-drow baissa les yeux.

"Il reste encore à régler le cas des deux faux paladins, qui ne sont pas ici aujourd'hui. Et... ne vous demandez-vous pas... Ne souhaitez-vous pas savoir pourquoi ces hommes nourrissaient une telle haine envers les elfes, pourquoi ils ont eu si peu de peine à recruter des mercenaires pour les massacrer, pourquoi la population a gobé si facilement leur mensonge ? Partout où j'ai mis les pieds, je n'ai jamais entendu que des éloges de mes cousins de la surface... "

Alors que les drows... Peuple maudit de la Seldarine, qui porte sa souillure jusque sur son visage, retourne donc ramper dans les cavernes des Profondeurs, et que la lumière à jamais te brûle et te damne.

"... Et je m'attendais un peu à ce qu'il en aille de même sur Helonna."

Il se tourna vers l'assistant du bourgmestre de la Crique au Fou.

"Il me semble que vous disiez, hier, que les elfes vous avaient fait du tort autrefois. De quoi s'agissait-il ?"

[Mornagest]

L'homme baissa les yeux, mécontent d'être au centre de toutes les attentions, et entouré d'elfes comme il l'était.

"Des pillards avaient assassinés ma sœur. Sans raison aucune, elle ne représentait aucun danger pour eux quand ils ont dévalisé la maison. Ils voulaient... enfin. Elle est morte pour rien, à cause d'eux."

Sa voix était froide mais empreinte de haine qui semblait n'avoir pas faibli depuis le temps où ce drame s'était déroulé. L'émissaire reprit la parole en toussotant.

"La région est un peu sauvage, et ce n'est pas le premier cas de comportement contre les elfes dont j'entends parler. Les humains n'ont peut-être pas toujours compris qu'il valait mieux vivre en composition avec eux, plutôt qu'essayer de les pourchasser et les éliminer... heureusement, Tyr veille. Et, sa tâche n'est pas achevée ici. Où sont détenus ces deux faux paladins ?"

[Lothringen]

Lothringen se souvenait qu'après le combat sur la plage ils avaient emmenés les deux mercenaires jusqu'au campement des elfes, avec dans l'idée de les livrer aux autorités. Mais Mornagest et lui étaient partis pour La crique aux Fous, ensuite, et il ignorait pourquoi les deux hommes n'avaient pas été ramenés à Aigues Douces avec leurs chefs. Un problème de coordination, peut-être ?

Il se tourna vers les elfes.

"Ils doivent être encore au campement, je suppose ?..."

[Mornagest]

Les elfes acquiescèrent, un peu gênés.

"Nous ne pouvions lever le camp à temps pour votre arrivée, et il était plus facile de surveiller les prisonniers séparément que groupés, à notre avis du moins."

Mornagest grogna tout bas. Cela signifiait refaire tout le trajet, qui durait plusieurs heures... à moins que Lothringen n'ait encore des sortilèges en mémoire ? Mais il serait exténué au bout d'une heure, à ce rythme. Quelle semaine reposante !

"J'imagine que cette fois, nous n'aurons pas le choix, et que nous devrons marcher ? Non que je sois paresseux, mais c'est assez loin..." Il jeta un coup d'œil plein d'espoir à son compagnon.

[Lothringen]

Son grognement trouva un écho assourdi dans la gorge de Lothringen. Le semi-drow pouvait effectivement lancer ce sortilège jusqu'à deux fois par jour, mais guère plus, et il avait un peu espéré pouvoir le garder pour les éloigner rapidement de cet endroit, une fois qu'ils en auraient fini avec le règlement de cette affaire. Et puis... Une nouvelle téléportation de groupe, si rapprochée de la première, quel bonheur. La téléportation ne faisait pas que retourner les intestins des passagers, elle épuisait littéralement le lanceur.

"Je peux nous y téléporter tous les deux avec l'Emissaire, concéda-t-il. Et un ou deux elfes également. Mais ce sera la dernière fois aujourd'hui que je pourrai lancer un tel sort, je te préviens... "

[Mornagest]

Évidemment, ils pourraient toujours marcher, quitte à perdre un peu de temps. Après tout... ils avaient eux-mêmes encore quelques jours de répit - en espérant ne plus avoir à dénouer un tel sac de nœuds.

Cependant, à l'évocation d'une nouvelle téléportation, l'émissaire secoua la main en guise de refus, et pâlit.

"Euh... non, par pitié. Si nous pouvons éviter cela, je préfère m'abstenir, pour ma part. Je... euh, c'est très pratique, certainement, mais je crains de tomber malade si vous m'imposez ce voyage une fois encore."

Voilà qui avait le mérite d'être clair.

"Dans ce cas, nous marcherons", prévint Mornagest. "Il ne faudra pas compter arriver là-bas avant le début de l'après-midi, au mieux.
- Soit... mettons-nous en route de ce pas, alors. Je vais m'entretenir avec le bourgmestre afin qu'il fasse le nécessaire pour les prisonniers en attendant qu'ils soient amenés à Antelucas où leur jugement sera exécuté."

[Lothringen]

Ils firent donc un crochet par le village pour s'entretenir avec le bourgmestre, qui tomba des nues lorsqu'il apprit ce qui s'était caché derrière les attaques d'"Eldreth Velluuthra" dont il avait parlé aux deux aventuriers lors de leur première rencontre. Evitant de regarder les elfes, il approuva tout ce que lui disait l'Emissaire de Tyr, et l'assura qu'il s'occuperait de la surveillance et du transfert des trois prisonniers, qui furent alors confiés à la milice locale.

C'était un véritable soulagement pour Lothringen que de se séparer de ces hommes. Il ne pouvait s'empêcher d'éprouver de la compassion pour ces deux condamnés que tout le monde traitait comme des cadavres en sursis, et dont le regard s'était éteint depuis l'énoncé de la sentence. Et voilà qu'on les traînait à gauche et à droite, tout cela pour leur assurer un peu de public au moment de leur mise à mort...

Le semi-drow était donc singulièrement morose lorsqu'ils entreprirent d'effectuer une nouvelle fois le trajet vers le campement des elfes. En plein jour, cela s'avérait certes moins pénible que lors de leur excursion vers la crique, et Mornagest n'eut à déplorer que les obstacles ordinaires de ce genre de périple : branches mortes, ronces, et trébuchements fréquents sur un terrain accidenté. S'il se sentit toujours aussi pataud confronté à la marche légère des elfes, du moins eut-il la consolation de voir l'Emissaire peiner autant que lui.

Le soleil entamait déjà sa pente descendante lorsqu'un elfe s'arrêta pour imiter un cri d'oiseau. Un autre lui répondit, tout proche. L'elfe sourit.

"Nous y sommes."

Lothringen se frotta les yeux, un peu agacé. Il avait beau scruter les fougères, il ne voyait rien.

[Mornagest]

Comme à leur habitude, les elfes avaient le don de se cacher parmi les arbres et les buissons. Ils apparurent devant les quelques marcheurs, comme s'ils se matérialisaient à partir d'éther.

"Vous voici de retour", fit l'une d'entre les elfes. "Et voici sans doute l'émissaire de Tyr ?", jetant un œil à l'intéressé, qui acquiesça : "C'est moi. Hum, je m'en voudrais de vous presser, mais si vous êtes d'accord, nous commencerons rapidement à écouter les prisonniers que vous avez faits ?"

Un peu surpris par tant de diligence, les elfes acceptèrent cependant, trop heureux de voir leur cause enfin défendue, et ce par le dieu de la Justice lui-même. Ils furent donc amenés auprès des deux prisonniers, bien gardé par les elfes restés au campement de fortune.

La même procédure s'ensuivit alors. L'émissaire entendit d'abord le récit des hommes, qui ne cachèrent pas la vérité : ils avaient bel et bien été engagés comme mercenaires pour se débarrasser d'une troupe d'elfes malfaisants. Selon eux, ils avaient été dupés quant à la véritable nature de ces elfes ; leur employeur avait juré les grands dieux qu'ils n'étaient que des fripouilles pendables. Mais, de leur propre aveu, ils nourrissaient une certaine animosité vis-à-vis des oreilles pointues. De là à les tuer, en temps normal, non ! Mais comme ceux-là étaient des criminels...

Les faits furent corroborés par les elfes eux-mêmes. L'interrogatoire qu'ils avaient mené dans la grotte avait donné les mêmes résultats ; et l'émissaire pourrait facilement déceler le vrai du faux, ce qu'il s'empressa de faire. À la suite de quoi, il déclara :

"Ces hommes ont bel et bien été trompés. Certes, ils ont commis des crimes, mais leur jugement a été faussé par les informations qu'on leur a donné. Ils seront mis en prison pendant deux ans, pendant lesquels ils serviront l'intérêt commun d'Antelucas."