La Couronne de Cuivre

Il avait faim, lui aussi, mais cette missive parvint à faire reléguer au second plan sa préoccupation pourtant d'ordinaire majeure. Il ne l'avait pas lue, mais l'air que faisait Lothringen laissait à penser qu'il s'agissait de quelque chose d'important, ou de grave... voire les deux. Il n'aurait pas l'occasion d'en parler directement avec lui avant un moment, sans doute, mais il pourrait à tout le moins échafauder des suppositions, en pure perte, probablement.

Les luméniens s'affairaient à espionner les manostiens ? Étonnant... à moins qu'ils ne se méfiassent d'eux. Lumenis n'avait pas gracieusement accordé son soutien à la guerre, à n'en point douter. Ils devaient s'assurer que leurs alliés mal en point étaient à même de remplir leur part du marché, et rétablir après le conflit une situation politico-religieuse satisfaisante. Évidemment, les luméniens étaient en position de force, étant devenus les partenaires obligés pour remporter la victoire. Ils pouvaient donc se permettre ce genre de petits méfaits sans que Lothringen et ses généraux pussent y redire publiquement, hélas.

Tout cela lui rappelait furieusement les luttes de pouvoir mélandiennes. A croire qu'elles étaient omniprésentes, peu importait la soi-disant tendance à agir pour le Bien ou pour le Mal, notion qui s'effondrait aussitôt que la puissance et le contrôle étaient en jeu. Il se sentait désabusé et blasé, et une vague de mélancolie l'assaillit brièvement. Pour se rasséréner, il se dit qu'il tirait sans doute des plans sur la comète... mais tout de même. Cela ne laissait pas de l'intriguer.

Cela étant, il se tint coi. Il n'était que garde, pas conseiller ou général.

[@Mornagest : Loth ayant lu la lettre à voix haute, son contenu ne devrait pas être un mystère pour ton personnage]

De son côté, devant le mouvement d'humeur du Conseiller, le capitaine de la garde blanche, sire Rowan, changea de jambe d'appui, comme si le poids de son casque l'épuisait. Un demi-sourire se peignit néanmoins sur ses lèvres, comme il songeait que le Grand Emissaire n'aurait pas réagi autrement.

« Hum, en effet, nous avons des alliés pour le moins... zélés, et persuadés que leurs enquêteurs ignorant tout de la région feront mieux que les nôtres, probablement parce qu'ils sont hélonniens. Le capitaine Bacramad a préféré laisser courir avec votre aval, et moi ne pas le mettre au courant de votre état... »

« Vous avez bien fait. »

C'était sans grande importance, en tout cas jusqu'à preuve du contraire. Juste un détail agaçant, une preuve de plus que la réputation de suprême arrogance des luméniens n'était pas tout à fait usurpée.

« ...Mais si leurs émissaires ne reviennent pas, je leur dirai gentiment de s'occuper de leurs affaires. »

Même s'ils revenaient, d'ailleurs, il en irait probablement de même. Ils n'étaient pas en pays conquis, et Manost avait encore des hommes pour ce genre de tâches.

« Bon, parons au plus pressé. Le repas, les audiences, l'évacuation de cette pièce... »

Programme qui fut suivi à la lettre dans les heures qui suivirent. Lothringen et Mornagest prirent un solide déjeuner, puis le garde et son lit durent quitter discrètement la chambre, et le conseiller passa dans la pièce adjacente pas mal de temps à gérer les affaires en souffrance et se montrer au plus de gens possible, histoire de faire taire au plus tôt les mauvaises rumeurs. Il était un peu pâle, un peu faible encore, mais seul un drow l'aurait remarqué.

[@u mj : je n'ai rien de particulier à raconter de plus.]

HRP : Je sais mais ce n’est pas très simple de vous synchroniser avec l’autre groupe qui vient à peine d’arriver au village. Et ils doivent en avoir fini avant de vous impliquer directement.

En cours de matinée, les rapports du front, de Manost et de mille autres contingences ne cessèrent d’affluer jusqu’au conseiller. Sans doute la nouvelle de sa disponibilité avait encouragé certains de ses aides de camp à cesser de filtrer les missives. Plusieurs rapports provenaient directement de leurs alliés luméniens, certains portant le sceau du général Maelwedd en personne. Mais, parmi la paperasse habituelle et les nouvelles d’escarmouches sans grande surprise, un message laconique attira l’attention d’un Lothringen à la volonté passablement émoussée. L’unité luménienne dépêchée à Chêne-des-Clercs n’était pas de retour et accusait déjà près d’une demi-journée de retard sur l’échéance prévue.

Plus de nouvelles d'un village, et des émissaires qui tardaient à revenir... voilà qui avait de quoi alimenter bien des fantasmes. Les mélandiens étaient-ils passés par là ? Cela pouvait signifier qu'ils tentaient de contourner les troupes alliées... ou bien d'autres choses. Des monstres avaient pu s'emparer de l'endroit, même si c'était nettement moins probable, il fallait bien le reconnaître.

Mal réveillé, avec un sentiment de flotter en l'air à quelques centimètres du sol, Mornagest déjeuna en compagnie de Lothringen, mais il échangea peu de paroles avec lui. Il avait l'impression d'avoir oublié quelque chose... et se demandait comment diable il s'était réveillé dans un lit à côté du conseiller. Avaient-ils été démasqués dans leur relation ? Peu probable, sans quoi les rumeurs iraient bon train et ils en auraient eu vent. Non, c'était étrange, et inquiétant, quelque part. Si Lothringen et lui pouvaient rester inconscients de la sorte durant trois jours maintenant, qu'en serait-il plus tard, au plus fort de la bataille ? Auraient-ils à subir pareille absence ?

Chaque question en appelait une nouvelle, et les réponses incertaines l'agaçaient au plus haut point. Heureusement, il était tellement fatigué qu'il finit par avoir la tête pratiquement vide de pensée. Cela l'aiderait à se défaire de cette désagréable sensation de subir les événements sans pouvoir peser sur leur cours.

Outre la note inquiétante concernant l’excursion luménienne au hameau de Chêne-des-clercs, d’autres messages concernant la région retinrent l’attention du conseiller : des disparitions d’éclaireurs, un convoi de marchandises n’étant pas arrivé à bon port malgré son escorte militaire sans compter les sempiternels relevés de disparitions inquiétantes de réfugiés. Mais des civils inquiets d’avoir perdu le contact avec des proches ne signifiait pas forcément une incursion ennemie, l’attaque de monstres ou tout autre raison de la sorte ce qui expliquait en soi que les rapports se soient accumulés sans que personne ne fasse de rapprochement particulier.

Et comme pour confirmer les soupçons de Hughes, un messager vint demander audience auprès du conseiller en milieu d'après-midi : deux jeunes civils étaient parvenus au camp manostien avec des nouvelles plutôt inquiétantes d’une attaque d’un petit convoi de réfugiés. Ils étaient apparemment les seuls survivants mais leur discours avait été plutôt confus. Inquiet, le lieutenant qui les avait interrogés avait fait remonter ces informations à sa hiérarchie…

Il se passait manifestement quelque chose d'assez grave autour de Chêne-des-clercs, mais il était étonnant qu'il n'y ait pas plus d'informations sur la nature de ce problème qui faisait purement simplement disparaître, pêle-mêle, voyageurs, éclaireurs et soldats. On pouvait tout supposer, de la levée massive de mort-vivants à l'avancée subreptice d'une fraction d'armée mélandienne, en passant par l'implantation d'un groupe de bandits massacrant à tout-va... Dans la confusion ambiante, la présence de témoins était une chance à ne pas laisser passer ; il allait falloir de toute façon les interroger avant d'aviser sur le cas des émissaires luméniens retardés, et qui, peut-être, ne reviendraient plus.

Lothringen fit donc convoquer les deux civils rescapés du convoi, en espérant pouvoir en tirer un discours un peu plus cohérent que le rapport de son lieutenant, qui n'avait pas grand sens. On était en début d'après-midi et de son côté, la fatigue commençait de se faire sentir. Dans un recoin de son esprit, il conservait le mystère de son sommeil magique de trois jours, si inquiétant s'il venait à se reproduire, mais en l'absence d'éléments à étudier sur le sujet il n'était pas fâché de s'atteler à d'autres tâches.

On ne faisait pas attendre le conseiller. Et cette vérité relative était d’autant plus vraie que la chaîne de commandement militaire faisait preuve d’une belle unité quand il s’agissait de déléguer la gestion d’un problème épineux à son supérieur hiérarchique…

Les deux civils furent donc promptement convoqués et amenés discrètement jusqu’à un bureau improvisé idéalement placé pour éviter toute indiscrétion. Malgré ce cadre plutôt simple, les deux jeunes gens – une fille et un garçon tous justes adolescents en réalité – étaient plutôt intimidés d’être ainsi reçus par une sommité. On leur avait fourni de nouveaux vêtements prélevés dans les stocks militaires mais ils paraissaient cruellement amaigris et passablement hagards quand on le soldat qui les escortait prit congé.

Si le soldat repartit d'où il venait, un membre de la garde blanche demeura à l'intérieur du bureau, près de la porte. Il s'agissait d'Aeron. Ces derniers temps, Lothringen ne prenait plus guère le risque de s'isoler avec des inconnus. D'une certaine façon, la présence de ce paladin silencieux rassurerait sans doute les deux jeunes gens, car les gens du peuple avaient tendance à oublier rapidement le titre du Conseiller lorsqu'ils découvraient la couleur de sa peau...

Conscient de leur gêne, le semi-drow demeura à bonne distance, à demi adossé au bureau.

"Bonjour..."

Ils n'étaient décidément pas bien vieux, et il ne serait pas facile de les détendre.

"Je sais qu'on vous l'a déjà demandé, mais cela m'aiderait vraiment que vous racontiez à nouveau ce qui vous est arrivé. Vous faisiez partie d'un groupe de réfugiés, m'a-t-on dit ?"

Le fait que le conseiller manostien ait une bonne part de sang drow et toute l’apparence de ce peuple à la sinistre réputation était un fait largement connu et répandu, même dans les campagnes dorrandines. Cependant, avoir entendu des rumeurs lointaines et se trouver confronté à leur confirmation étaient des choses bien différentes. Et ce n’était pas fait pour rassurer les deux jeunes gens déjà passablement intimidés.

Mais Lothringen avait lancé la conversation et les deux adolescents étaient bien élevés et donc habitués à ne pas ignorer une question directe de leur aîné et – quelque part – suzerain. Ce fut le garçon qui répondit toutefois pour eux deux, devançant la jeune fille dont les yeux étaient écarquillés de stupeur :

- Euh… Bonjour… Oui conseiller. Nous voyagions avec les autres villageois de Pont-Epine. On nous avait donné l’ordre d’évacuer vous comprenez… Tout le monde était triste d’abandonner sa ferme mais on savait qu’il le fallait alors on a marché vers le sud…

La jeune fille intervint à ce moment, la voix éraillée avant que les deux réfugiés ne se lancent dans un récit pour le moins décousu :

- Pendant trois jours et une partie des nuits aussi. Nous pensions nous en sortir et pouvoir revenir après…
- Mais on a été surpris sur la route.
- Il y avait une vingtaine de cavaliers…
- Peut-être plus…
- Jonas et moi, on a tout juste eu le temps de se cacher dans le fossé, derrière les fourrés.
- Et ensuite on a rampé mais… Les gardes qui nous défendaient ont été débordés en quelques secondes…
- Et puis on a entendu les cris. Les cris n’arrêtaient pas…
- Notre… Notre père a tenté de défendre notre mère mais il s’est fait tuer parmi les premiers. J’aurais dû l’aider mais je ne pouvais pas abandonner ma sœur.

L’autre adolescente lui serra la main pour l’encourager à poursuivre :

- Seuls les hommes ont été achevés tout de suite… Je ne voulais pas que Sarah entende ça mais on ça a duré des heures et on ne pouvait pas ramper plus loin.
- Les cavaliers ont tout fouillé mais ils ne nous ont pas trouvé.
- Ceux qui s’étaient caché dans les chariots n’ont pas eu cette chance…
- Vous leur ferait payer, n’est-ce pas ? A ceux qui ont fait ça ?

« Dès qu'on leur aura mis la main dessus », promit-il. Le seul récit des exactions commises l'avait passablement écoeuré. A vue de nez, il s'agissait d'un de ces groupes de hors la loi qui fleurissaient comme par enchantement dans les zones de guerre, mais il fallait peut-être creuser davantage. Une vingtaine de chevaux de selle dressés pour les combats ne se dénichaient pas si facilement que cela. Ce pouvait être un groupe de déserteurs, ou encore une troupe d'armée régulière se faisant passer pour telle. Et puis, l'acharnement de ces cavaliers à éliminer tout survivant était un peu étrange. Des pillards se moquaient bien de laisser quelques témoins terrorisés derrière eux, d'autant qu'à cheval ils auraient vite fait de s'éclipser...

« Mais il me faut d'abord en savoir plus à leur sujet. Parlez-moi de ces cavaliers. De quoi avaient-ils l'air ? Comment étaient-ils habillés ? Avaient-ils un accent ? Et puis... A vous entendre, ils massacraient pour le plaisir. Ont-ils seulement pillé le convoi ? »

Se replonger dans de tels souvenirs était assurément difficile pour des jeunes gens qui souhaitaient sans doute les oublier ou les enterrer au plus profond de leur inconscient. Mais ils savaient que c’était le seul moyen pour identifier et localiser leurs agresseurs. Ils firent donc preuve d’un grand courage en tentant de répondre au mieux de leurs capacités, livrant les détails qui leur revenaient à tour de rôle :

- Il n’y avait que des hommes.
- Tous des guerriers en armure. Enfin, je crois. Difficile d’être sûr…
- Leurs chevaux étaient rapides et obéissants…
- Ils ne portaient pas d’uniforme ou de blasons mais ils parlaient comme des soldats.
- Oui, il y en a un qui donnait des ordres. Il avait un accent bizarre mais je ne m’y connais pas moi…
- Et les autres lui obéissaient.
- C’est lui qui a ordonné de réunir toutes les femmes. Puis il les a réparties entre ses hommes.
- Comme du bétail…
- Et il a ordonné de fouiller les chariots. Pour tuer tout le monde. Et piller.
- Quand on a osé aller voir, ils avaient emporté tous les vivres mais laissé certaines des richesses.

Un groupe organisé, bien équipé, sans uniforme, autonome dans son ravitaillement et dénué de tout scrupule ? Ce devaient être des mercenaires. L'idée ne lui plaisait pas particulièrement parce que c'était encore sa profession trois ans plus tôt, mais les faits parlaient d'eux-mêmes...

Restait que des mercenaires n'allaient nulle part sans y avoir été invités par une promesse de récompense sonnante et trébuchante, dont le montant était toujours suffisamment exorbitant pour que rares soient ceux pouvant se l'offrir. Ce qui signifiait qu'il y avait quelque chose de toute autre envergure derrière l'attaque de ces réfugiés. Peut-être ces guerriers n'étaient-ils d'ailleurs pas le réel problème de Chêne-des-Clercs, et seulement le service d'ordre chargé de le masquer...
Le fait qu'ils aient un accent ne l'avait guère surpris. A Manost, la principale guilde recrutant les mercenaires indépendants était sous contrôle officieux, et on avait purement et simplement interdit l'entretien de troupes stipendiées. Mornagest pourrait peut-être le renseigner sur les pratiques de Melandis et de ses généraux à l'égard des compagnies de mercenaires ?

« Je vois. Sarah, Jonas, je vous remercie de ces précisions, elles nous seront très utiles... Après ces atrocités, il vous a fallu beaucoup de courage pour poursuivre la route sans vivres et parvenir jusqu'ici. Avez-vous des parents chez qui vous réfugier ? Je peux vous faire réserver des places sur l'un des navires qui font la liaison avec Manost. »

Les deux jeunes gens s’échangèrent des regards un peu perdus suite à la question du conseiller. Apparemment, ils ne s’étaient pas vraiment projetés au-delà de la perspective de rallier les troupes manostiennes suite à leur traumatisme. C’est du moins ce que pouvait déduire le conseiller du ton incertain que prit le dénommé Jonas pour répondre :

- Non, toute notre famille vivait à Pont-Epine… Je pensais… Je ne sais pas… Que je pourrais rejoindre l’armée.
- Et moi aussi ! De toute façon on n’a nulle part où aller…
- C’est possible, Conseiller n’est-ce pas ?

« Sûrement pas ! » les arrêta un Conseiller alarmé à l'idée qu'ils puissent repartir au front.

Pas tant qu'il y aurait des soldats de métier et des adultes en état de manier des faux, pas tant qu'il n'y aurait pas de mélandiens dans les rues en train de les menacer directement... Bon sang, sauraient-ils seulement empoigner une épée par le bon bout ? Évidemment, il avait recruté Brus quelques semaines plus tôt et Brus n'était pas forcément plus âgé qu'eux, mais le petit voleur de la Vierge d'Argent était infiniment plus expérimenté.
Bon, maintenant il s'agissait de faire passer la pilule.

« Hors de question de vous joindre à l'armée en marche. Sans formation préalable, vous seriez un danger pour vous-mêmes et pour les autres », expliqua-t-il plus calmement. « Je vais plutôt vous envoyer à Manost ; ils vous mettront chez les cadets de la garde - ça vous laissera le temps d'apprendre quelques rudiments avant de revoir la guerre. »

Lothringen s'installa au petit bureau pour rédiger une lettre de recommandation adressée à Guiguemar d'Aulfray. Il n'accordait certes au paladin aucune confiance, mais seulement sur les sujets importants. Tout en la cachetant, il ajouta :

« Voici une lettre que vous pourrez présenter au gouverneur de Manost. La Daumesane mouillera au port jusqu'au crépuscule avant de poursuivre vers Manost. Si vous voulez, il y aura deux places pour vous. »

La façon dont le conseiller leur avait opposé un refus catégorique laissa les deux jeunes gens perdus et au bord du gouffre. Mais le demi-drow était quelqu’un de trop important pour qu’on le dérange par des protestations inutiles et il leur avait déjà accordé beaucoup de temps alors qu’il était certainement débordé par les affaires de la guerre. Jonas s’empara donc de la lettre qu’il lui tendait avec une certaine révérence incrédule. Cela signifiait-il qu’un avenir pouvait les attendre même après les horreurs auxquelles ils avaient assisté ? Ni lui ni Sarah n’étaient vraiment prêts à y croire mais ils se confondirent en remerciement en quittant le bureau, laissant Lothringen seul avec ses réflexions et un membre de la garde blanche.

Après le départ des deux jeunes gens, Lothringen sentit la fatigue retomber lourdement sur ses épaules. S'il voulait éclaircir davantage cette affaire, il faudrait se rendre sur place - mais l'idée d'envoyer des petits groupes d'enquêteurs n'était manifestement pas la bonne, puisque l'ennemi, quel qu'il soit, les tuait à la file. Combien de temps devait-on attendre avant de pouvoir considérer que les luméniens avaient échoué sans froisser toute la chaîne hiérarchique alliée ? Leurs émissaires avaient encore moins d'une journée de retard, c'était peut-être un peu tôt...

"Aeron, savez-vous où se trouve Hugues Montfort ?"
"Je crois que notre capitaine l'a renvoyé à l'entraînement, messire... Souhaitez-vous le faire mander ?"
"Oui, je vous prie. J'aimerais discuter avec lui de cette étrange sorcellerie qui nous a plongés dans l'inconscience trois jours durant... Je me demande pourquoi lui seul de la garde a été frappé, et si ce n'est pas un indice sur la nature de l'agresseur. Je peux le recevoir ici."

L'endroit avait été choisi pour sa discrétion, et c'était exactement ce qu'il leur fallait.

Non loin de là, suant à grosses gouttes, Mornagest s'échinait à répondre aux assauts d'un autre membre de la garde, dont la dextérité à l'épée longue était indéniable. Il peinait à esquiver ses coups, et il risquait une fois encore de souffrir de nombreuses contusions avant longtemps s'ils ne faisaient pas une petite pause. Cela dit, il parvenait à donner à son adversaire un peu de fil à retordre, mais il n'était pas de taille. Il avait encore des progrès à faire, et ce n'était pas aujourd'hui qu'il en ferait : son esprit était trop occupé à vagabonder vers ce mystère opaque qui les entourait, Lothringen et lui. De quoi avaient-ils été les victimes ?

Le répit arriva lorsqu'Aeron vint le trouver ; le conseiller souhaitait justement s'entretenir avec lui. Prenant congé de ses camarades, il grimaça un sourire à l'encontre de son adversaire d'entraînement, lui promettant une revanche sous peu. Rodomontade, évidemment, mais il avait un minimum d'amour-propre pour motiver son acharnement à l'entraînement.

D'un pas rapide, il arriva au bureau de Lothringen. Tout semblait indiquer qu'il était seul à l'intérieur, aussi frappa-t-il discrètement, puis entra suite à l'invitation du conseiller. Ce dernier était effectivement seul, et son visage semblait trahir sa préoccupation. Cette histoire de réfugiés disparus, probablement. À moins qu'il n'eût appris une autre mauvaise nouvelle entretemps. Mornagest préféra ne pas y songer.

"Messire.", fit-il, prudent. Il ignorait si l'on pouvait les entendre.

"Hugues."

Lothringen se voyait à son tour contraint de surveiller ses mots. On pouvait probablement les entendre depuis le couloir qu'Aeron et un autre de ses collègues surveillaient, et le devin n'aurait pu cette fois-ci recourir à ses sorts, s'il l'avait voulu. Information qu'il s'empressa de transmettre au guerrier, sans le laisser paraître...

"Je voulais tout d'abord revenir avec vous sur les événements étranges qui nous ont frappés tous deux, ces derniers jours. Comment allez-vous, depuis ce matin ? Pour ma part, je n'ai aucune séquelle, aucun souvenir. N'étaient la fatigue qui me tenaille et mes sortilèges que je n'ai pu mémoriser, on pourrait croire qu'il ne s'est rien passé..."

Le souvenir de ce qui avait frappé leur esprit reviendrait-il au fur et à mesure ? Rien n'était moins sûr. Mais le plus grave, pour Lothringen, était ailleurs ; si Mornagest avait été pris pour cible avec lui, comment ne pas y voir le signe de ce qu'ils étaient découverts ? Et si quelqu'un tenait leur secret au creux de sa main sans l'avoir encore dévoilé... le pire pouvait suivre.

Il opina du chef aux propos du semi-drow.

"J'ai moi-même ressenti une certaine fatigue... physique et mentale. Cette séance d'entraînement que je suivais lors que vous me faisiez convoquer était éprouvante. Il m'était impossible de me concentrer plus de quelques instants sur le combat... avec les conséquences que cela peut avoir", conclut-il en grimaçant d'une douleur feinte.

"Je n'ai pas encore compris pourquoi nous étions les deux seules personnes à avoir été touchées", poursuivit-il, tout en faisant un léger signe de la main à l'adresse de Lothringen ; leur ancien langage gestuel leur avait servi à de nombreuses reprises, et ici, il lui fit clairement comprendre qu'il n'en était évidemment rien. Leur lien était clair, au contraire de la cause de ce sommeil forcé. Il n'avait que très peu de connaissances en magie, et son esprit ralenti par la fatigue ne l'avait pas aidé à concevoir la moindre hypothèse quant au pourquoi du comment.

"Ce qui est d'autant plus étrange, c'est que personne dans votre entourage n'ait pu déterminer l'origine de ce sommeil prolongé. Aucun prêtre, aucun magicien n'en a été capable... à moins que vous n'ayez reçu d'autres informations sur cette histoire..." Il lui lança un regard interrogateur. Il était certain que la magie était responsable de cela. Mais s'imaginer que personne, ici, n'était suffisamment doué pour avoir au moins une ébauche d'explication ? Impensable.

« Vous avez entendu parler de l'archimage Eloern ? C'était le mentor du Grand Emissaire.... Il m'a laissé une note pour le cas où je me réveillerais de moi-même, dans laquelle il m'affirme avoir procédé à toutes les détections de la magie possibles et imaginables, tous les exorcismes, et m'assure que ce sommeil ne se poursuivait pas sous l'influence d'un rituel malveillant. Selon lui, nos esprits devaient être prisonniers d'un plan externe d'où ils ne pourraient sortir que par leurs propres moyens. Un plan du Rêve. Si je ne connaissais son niveau de maîtrise, j'aurais peine à le croire... Mais ce n'est pas parce qu'aucune magie extérieure à ce plan ne nous y maintenait plus qu'aucune magie ne nous y avait envoyés, bien sûr. »

Il n'osait en dire davantage. Il avait bien mené lui-même quelques recherches sur ces plans du Rêve, par le passé, et c'était pour constater qu'on en savait fort peu à leur sujet. Pire, alors qu'il avait voulu rejoindre l'un d'entre eux, quelques temps plus tôt, il avait lamentablement échoué.

« Ce sont des plans assez mystérieux, et d'accès difficile. Seul une entité puissante saurait les atteindre... ne serait-ce que pour elle-même. Alors, y envoyer autrui... nous devons avoir eu affaire à quelqu'un de redoutable. »

Dorson Jaell'ym ? C'était le premier nom de mage redoutable qui lui venait en tête, évidemment, mais il lui semblait que cela ne ressemblait pas vraiment aux façons d'agir de son maître. Dorson se serait arrangé pour qu'il se souvienne de tout...

Les détails techniques de la magie l'embrouillaient parfois, mais Lothringen s'arrangeait pour vulgariser son explication pour qu'il pût suivre. Un Plan du Rêve... il n'aimait pas beaucoup l'idée de se promener sur un autre plan que le Matériel ; son dernier - et seul - séjour ailleurs ne lui laissait pas un souvenir formidable. Évidemment, celui-ci ne lui en laissait strictement aucun, donc il pouvait difficilement affirmer qu'il avait subi une expérience désagréable... mais tout de même, le fait de ne se souvenir de rien ne devait pas devenir une habitude.

"La question qui suit est évidente, dans ce cas. Qui aurait pu nous envoyer dans ce plan ? Et dans quel but ? Vous croyez à une manœuvre politique ?" C'était tordu, mais pourquoi pas ? Les stratagèmes complexes n'effrayaient ni les traîtres, ni les ennemis mélandiens. Mais la probabilité était faible. Qui, alors ? Ou quoi ? Lothringen parlait d'une entité... cela lui évoquait les démons, les diables, les anges et les planaires. Il avait une connaissance extrêmement limitée sur la question, n'ayant eu que rarement l'occasion de rencontrer des Extérieurs. Et, une fois encore, la question de savoir pourquoi lui-même avait été plongé là-dedans le laissait perplexe. La théorie politique ne tenait vraiment pas debout... à moins que quelqu'un ne fût au courant pour eux deux... il secoua la tête. Se perdre en conjectures, voilà tout ce à quoi il était bon. Misère...

« L'hypothèse de la manœuvre politique vient en tête de liste. Le moment, la cible... Sans compter qu'une telle magie permet d'atteindre son but à bonne distance sans avoir à se dévoiler le moins du monde. Nous aurions très bien pu ne jamais nous réveiller de ce sommeil forcé. »

Il soupira.

« Quant à savoir qui... Un praticien de la magie divine ou profane de très haut niveau – je parle d'un niveau de grand-prêtre ou d'archimage. Un extérieur l'aurait pu également. Pour le parti qui le commandite, en revanche, on a l'embarras du choix... »

Même si les mélandiens venaient en tête, évidemment. Mais comment auraient-ils appris pour Mornagest ?...

« Ce qui m'étonne, c'est que mon sommeil n'a apparemment pas été mis à profit par mes ennemis. Peut-être espéraient-ils qu'il durerait davantage... Ah, à propos d'ennemis, sur un autre sujet... J'ai interrogé les survivants d'un convoi attaqué près de Chêne-des-clercs par ce qui ressemble à une compagnie de mercenaires à cheval. Viols, massacres, pillages, mais le tout avec un bon équipement et une organisation de type militaire. Vous qui avez vécu près de la frontière, peut-être en savez-vous davantage sur les compagnies de mercenaires mélandiennes et leur rapport avec l'armée ennemie... »

L'espoir de voir Mornagest identifier aussitôt le groupe de cavaliers était mince, mais on ne savait jamais... de toute manière, c'était une façon de le mettre au courant.

Effectivement, leur sommeil n'était pas arrivé à un moment stratégique : les manœuvres n'étaient pas encore terminées, la gestion de l'armée était confiée aux généraux, et les sujets politiques n'avaient visiblement pas été si urgents que cela puisque Lothringen parlait maintenant de l'attaque de ce convoi. Quel était l'intérêt de mettre le conseiller dans cet état ? Mystère, mystère...

"Hum... des mercenaires ? Les mélandiens en recrutent régulièrement, comme toutes les nations du monde. Je n'ai jamais entendu dire qu'ils portaient l'uniforme, en revanche. En général, ils sont plutôt engagés pour effectuer quelque basse besogne de manière officieuse... histoire d'éviter de faire porter ouvertement les soupçons vers le pouvoir, je présume. Mais la guerre a peut-être changé la donne, et les mélandiens ne prennent-ils plus de pincettes ? Ce convoi était gardé, j'imagine ?" À cet endroit, l'inverse aurait été surprenant.

Mornagest ne revint pas sur le fait que les luméniens avaient commencé leur propre enquête avant Manost. Ils devraient en discuter de façon plus discrète, probablement. Le sujet était sensible, et les traîtres pouvaient se cacher partout, même si leur trahison pouvait se réduire à espionner pour le compte de leurs alliés.

Lothringen avait laissé parler Mornagest sans l'interrompre, mais il n'était pas d'accord ; jamais Manost n'avait recruté des mercenaires autrement que par petits groupes et pour des missions d'appoint. Des compagnies organisées, aguerries... venaient forcément d'ailleurs, ou alors elles se cachaient du pouvoir depuis des années.

« C'était un convoi de réfugiés en route vers le sud... et oui, il était gardé, mais pas assez, il faut croire. Ils ont été attaqués par plus d'une vingtaine de cavaliers qui ont méthodiquement massacré tout ce qui bougeait, comme s'ils redoutaient de laisser le moindre témoin. Ces agresseurs ne portaient pas d'uniformes - c'est moi qui ai fait l'hypothèse qu'ils pouvaient agir pour l'ennemi... Que ce soit le cas ou non, il doit y avoir quelque chose d'important à cacher dans cette région.

J'attends encore un hypothétique retour des enquêteurs luméniens, puis il faudra nous en mêler. L'évacuation est déjà suffisamment difficile sans que ce genre d'attaques ne viennent semer la panique dans les campagnes... »

Quand il disait "nous", il entendait, lui, la garde blanche, et éventuellement, une compagnie de combattants si l'on pouvait en trouver assez de disponibles à Graëlon. Avec leur mise hors jeu de ces derniers jours, ils avaient pris du retard sur l'armée en marche, de toute manière. Ils pourraient les devancer en se téléportant, mais plus les rejoindre par la route...

Une vingtaine de cavaliers lourdement armés, sans signe distinctif et soucieux de ne laisser aucune trace ? Peu commun. Il commençait à douter de l'hypothèse des mercenaires, d'autant qu'il voyait mal ce qu'ils pouvaient faire aussi près du front alors que le gros de l'armée mélandienne était bien plus loin, pour l'instant. Des pillards, sans doute attirés par les proies faciles que constituaient les convois ou les villages isolés, espérant faire porter leurs crimes sur quelque compagnie franche.

"Si je puis me permettre... cela m'étonnerait qu'il s'agisse là de mercenaires. Pourquoi risqueraient-ils de se trouver aussi loin des mélandiens ? À moins qu'ils ne soient des espions se cherchant une couverture de pillards, mais dans ce cas, ils sont rusés et prennent de gros risques, car pour nous alerter, il n'y aurait pas mieux que ce genre d'attaques."

En résumé, il demeurait aussi perplexe que depuis le début. S'ils devaient intervenir dans cette affaire, il leur faudrait sans doute redoubler de prudence. Une manœuvre de l'ennemi n'était pas à exclure, sans parler de leur sommeil forcé. Ces faits étaient-ils liés ? Rien ne permettait de le dire, mais il était bien placé pour savoir que les apparences étaient souvent trompeuses.

"C'est à vous que reviendra la décision, messire.", conclut-il sur un ton banal.

« C'est la description de leur équipement lourd et de leur organisation rigoureuse qui m'a fait penser à des mercenaires. Une troupe de chevaux bien dressés, cela ne s'improvise guère... Mais vous avez raison, il ne sert à rien de spéculer davantage sans plus d'informations. »

Autant se rendre compte par soi-même, d'autant que ces assaillants n'étaient vraisemblablement pas ce qu'ils semblaient être. Peut-être les luméniens partis inspecter la région en sauraient-ils davantage ? Ou peut-être ces derniers étaient-ils déjà morts, et il ne faisait que perdre un temps précieux à attendre leur hypothétique retour... Ah, s'il avait ses sorts, il aurait pu lancer une divination pour tenter de dissiper un peu le mystère, mais il n'y fallait pas songer avant le lendemain matin.

Lothringen se tut quelques instants, dévisageant son compagnon passablement marqué par son entraînement. Ils se trouvaient une fois de plus contraints de jouer la comédie, et d'éviter les seuls sujets qui leur tenaient vraiment à cœur... Un petit jeu cruel, et qui lui pesait. Mornagest méritait mieux que de jouer les gardes du corps sous ses ordres. Mais puisque c'était le prix à payer pour pouvoir être ensemble... - ainsi soit-il.

« Je vois que je vous ai arraché à votre entraînement, et mon bavardage vous retient depuis trop longtemps déjà. Je vous tiendrai au courant des possibles suites de cette affaire. Vous pouvez disposer... »

Un pauvre sourire accompagna les mouvements rapides de sa main droite, qui ajoutaient en signes muets : « Désolé... Je t'aime. »

Effectivement, des chevaux de guerre, surtout en ce moment, ça ne courait pas les rues. La plupart faisaient partie de l'armée, et les rares montures capables de tenir un combat sans ruer de terreur avaient dû être réquisitionnées depuis belle lurette. Des mercenaires, peut-être... mais quel était leur but ? Ils se faisaient peut-être passer pour tels afin de... ah ! Foin de ces supputations vaines ! Il serra les mâchoires imperceptiblement, et écouta son compagnon le congédier. Certes, ils n'avaient guère le choix que de jouer la comédie, mais... cela lui fit un pincement au cœur lorsqu'il s'entendit lui répondre : "Bien, messire", avant de le saluer.

Nullement rancunier, sachant pertinemment qu'ils auraient d'autres moments à eux, il lui répondit de la main : "Pas de quoi. Moi aussi", avant de sortir de la pièce. Reprendre son entraînement ? Il lui permettrait de penser à autre chose. Mais il était fourbu et moulu... il caressa l'idée de faire une petite pause avant de reprendre, afin de faire le vide dans son esprit et aborder la suite avec plus de sérénité.

Lothringen laissa le jour filer jusqu'au soir, tout en finissant de traiter son arriéré d'affaires courantes. Cette histoire de convoi attaqué lui trottait dans la tête, et aucune nouvelle ne leur parvenait des émissaires luméniens, au point qu'il était raisonnable de supposer qu'ils avaient échoué. Il discuta dans la soirée avec le capitaine de la garde, sire Rowan, de l'opportunité d'intervenir. Ce dernier avait des réticences, parce qu'il n'y avait plus beaucoup d'hommes disponibles à Graëlon.

"Conseiller, si vous voulez monter une expédition, vous ne trouverez pas beaucoup de soldats à enrôler. Ils sont tous partis avec l'armée, et Graëlon n'a conservé que le minimum nécessaire à la défense de ses murs..."
"Et si nous y allions, nous ? Avec la garde ?"
L'humain pâlit un peu.
"Ce n'est pas très prudent, messire... Vous savez que sans vous, hem..."
Il s'interrompit comme Lothringen lui faisait signe de le faire. Sans être paranoïaque, les murs de l'hôtel de ville n'étaient pas sûrs ; il était trop facile d'y procéder à des espionnages magiques. Et il ne fallait surtout pas que la nouvelle de la disparition de Ravestha s'ébruite.
"Vous voyez ? Je passe mon temps à surveiller ce que je dis, à changer de salle et à brûler mes notes : je ne supporte déjà plus ce palais. Alors que si je pars là où on ne s'attend pas à me trouver... j'évite déjà la majorité des possibles espionnages et attentats. Je n'ai pas très envie de refaire un séjour prolongé au pays des songes."
L'argument avait de quoi faire réfléchir le capitaine de la garde blanche. Il connaissait assez le conseiller pour savoir qu'il ne tiendrait pas en place longtemps ; s'il ne se lançait pas dans cette expédition, il voudrait rejoindre l'armée en marche, ce qui, à compter avec la téléportation, signifiait de se rendre à cinq ou six en pleine zone de guerre. De deux maux choisissant le moindre...

"Très bien, je donne les ordres à la garde pour un départ à cheval demain à l'aube."

Nouvelle qu'il avait sans doute déjà annoncée à ceux qui étaient de garde quand il fit irruption dans les dortoirs de ses hommes. Mornagest commençait à peine à s'endormir quand il l'entendit tonner.

"Faites tous vos bagages pour un départ à cheval demain à l'aube. Prenez toutes vos affaires. Les renseignements sur la destination vous seront donnés en route."

Il commençait à se refaire au rythme militaire, mais le fait de se faire houspiller au moment même où il s'apprêtait à prendre un repos bien mérité après toutes ces émotions et cette journée d'entraînement intensif lui donna l'envie de déserter, l'espace de quelques instants. Qu'ils aillent aux Neuf Enfers ! Après tout, cette guerre n'était plus la sienne, n'est-ce pas ? Cependant, il se reprit rapidement, non sans grogner tout bas à quelques reprises. Suivant les conseils de Sire Rowan, Mornagest empaqueta l'ensemble de ses affaires, ce qui comprenait son équipement de combat, bien sûr, mais aussi quelques menus ustensiles et objets dont il aurait sans doute besoin, et qu'il avait collecté depuis leur départ de Manost : une besace, bien sûr, dans laquelle il fourra de la ficelle, quelques bougies, du savon et un rasoir, un marteau d'outillage et une paillasse, bien entendu. Au cas où ils auraient quelques heures pour dormir, ce qui était loin d'être gagné. Lui avait de gros soupçons sur leur destination : sans aucun doute le village attaqué par les bandits. Il s'abstint de vendre la mèche, ce qui aurait été contrevenir aux souhaits de son supérieur. Et puis, rien ne servait de montrer qu'il était dans les petits papiers du conseiller...

"Messire, avez-vous quelque idée de ce qui nous attend ? Mieux vaut bien se préparer tant que nous disposons d'un peu de temps et de ressources..." fit-il à Sire Rowan. Peut-être avait-il eu des informations plus récentes et complètes, car pour sa part, il ignorait jusqu'à l'emplacement précis de ce village, sans parler de la topographie des lieux.

« Ce qui vous attend ? »

La question prenait son supérieur un peu au dépourvu. Comment y répondre sans dévoiler le but de leur voyage, ce qu'il ne souhaitait pas faire, pour éviter une éventuelle fuite prématurée de l'information ?
Un instant tenté d'esquiver, Rowan répondit tout de même, à la cantonade :

« Nous allons accompagner le conseiller dans un trajet à travers la campagne qui durera au minimum plusieurs jours. Il n'a pas été préparé et nous ne serons donc pas attendus, ni logés. Si nous devons nous battre, le seul adversaire identifié pour l'instant est un groupe de cavaliers aguerris qui se livrent à des massacres et des pillages. Si expérimentés qu'ils puissent être, ils ne devraient pas poser de difficultés à la garde blanche. Mais à en croire le nombre de disparitions dans la région, et notamment celle des éclaireurs, il y a de raisonnables chances que ces hommes ne soient là que pour masquer le véritable problème... Il faudra donc rester particulièrement sur ses gardes, jour et nuit. »

Il ajouta un ton plus bas, pour Hugues seul.

« Je saurais situer notre destination sur une carte - et il n'y a rien d'extraordinaire à en dire, c'est un endroit peu peuplé, arboré, vallonné - mais j'ignore tout à fait ce qu'il s'y passe, et c'est en partie pour cela que nous nous y rendons. Il va falloir essayer d'être prêts à tout. »

Situation que les collègues de Mornagest semblaient accueillir avec plus de flegme que lui. Après tout, demeurer vigilants face à une menace inidentifiée susceptible de frapper à n'importe quel moment, c'était l'essence même de leur travail...

"Je crois qu'Hugues s'inquiète de notre équipement matériel", intervint Haldir en souriant. "Il n'y a pas lieu. Nous avons du feu alchimique, de l'eau bénite et des pieux, des poisons et des armes enchantées autant que nécessaire... Franchement, la créature immunisée à nos attaques devra sortir tout droit de l'esprit de son créateur."

Il se vantait, et on aurait pu nommer un certain nombre de démons pour lesquels leurs armes n'auraient pas suffi, mais en dehors de ce cas précis, il n'avait pas tout à fait tort.

La Couronne de Cuivre

Quête : Le Poing Levé / Guerre des plaines brûlantes : à Graëlon