[Everaska] Quête: Racines

[Voyageuse]

Tilmandil, conscient des difficultés qui les attendaient et de la nécessité pour lui de reprendre des forces, ou peut-être tout simplement affamé, ne se fit pas prier pour avaler tout ce que Kasumi lui tendait. Les provisions de Nilrem étaient largement suffisantes pour le petit déjeuner et un casse-croûte conséquent à midi, aussi n'avaient-ils nul besoin de se rationner.

Le départ se fit sous une pluie fine et glaciale, qui se transformerait sans doute en neige plus haut. Le rôdeur nota que Tilmandil était insuffisamment équipé pour un tel climat : sans doute n'avait-il pas pris la mesure de ce qu'impliquait le franchissement de cols d'altitude en cette saison. Néanmoins, le barde avançait, mètre après mètre, lieue après lieue, sans se plaindre. Trop silencieux même. A une allure un peu trop lente, certes, mais régulière.

Midi les trouva quelque part perdu entre ciel et roches, les vêtements trempés, surtout ceux de Tilmandil. Tant qu'ils marchaient, ils se réchauffaient, mais ils avaient de plus en plus besoin d'une pause. Et ils avaient tant monté que la pluie se muait désormais en neige.

[Kasumi]

Avec son expérience des randonnées, Kasumi savait reconnaître les signes d’épuisement. Et ceux-ci étaient maintenant très nettement marqués chez son demi-frère. De plus, cette bruine entre pluie et neige n’arrangeait pas les choses : s’ils avaient escompté une étape moins difficile que la veille, ils en étaient tous deux pour leurs frais. Même si l’endroit ne s’y prêtait franchement pas, le demi-elfe dut donc se résoudre à marquer une pause :

- Arrêtons-nous sur ces rochers-là ! Un bon marcheur sait qu’il faut reprendre son souffle pour aller loin. Et tu aurais franchement besoin de changer de vêtements. Je pourrais t’en prêter quelques-uns au moins jusqu’à l’autre côté du col. Et puis comme ça, les gens qui nous croiseraient trouveraient qu’on se ressemble encore plus ! On pourrait échanger nos rôles : moi le barde beau parleur et séducteur et toi le rôdeur lève-tôt taciturne et psychorigide ! Sinon on va devoir appeler Eärundra pour qu’elle veille sur toi. Elle te mettrait certainement au chaud dans la grotte de Léo à bien y réfléchir.

[Voyageuse]

Tilmandil grimaça un sourire amusé. Sa réponse, en revanche, fut plus taciturne qu'à l'ordinaire, confirmant son épuisement.
- Tes vêtements ne seraient pas de trop, je pense... Mais me déshabiller par un froid pareil, j'avoue que je ne le sens pas... On pourrait peut-être trouver une caverne où s'abriter ? Faire un feu ? Non, tu penses qu'on n'a pas le temps ?

Le sentier qu'ils suivaient était bordé sur la droite par une falaise calcaire, et à défaut de grotte, il y avait quelques anfractuosités qui pouvait leur fournir un abri contre la neige. Mais pas contre le froid. Quelques buissons épars, quelques arbustes, pouvaient leur fournir du bois. Mais un peu trop humide.

[Kasumi]

La réponse de l’elfe et particulièrement son ton dépité ne lassait pas d’inquiéter le rôdeur. Tout d’abord, il avait eu l’intention de s’arrêter quelques minutes pour laisser Tilmandil souffler et changer rapidement de vêtements mais il se rendit à l’évidence : il devait réviser son plan. Il s’approcha de la paroi calcaire en quête d’un abri convenable pour les protéger de la pluie, et peut être même s’asseoir plus confortablement qu’à même le sol détrempé.

- Je vais tenter de faire un feu pour que tu aies moins froid sinon il faudra te contenter de mes couvertures. Tu as faim ? On pourrait en profiter pour manger aussi. La vue serait plus belle d’en haut mais je tiens à te faire expérimenter toutes les facettes d’une randonnée en milieu sauvage en compagnie d’un rôdeur. Et manger sur le pouce dans une caverne, sous la neige y figure en bonne liste !

[Voyageuse]

Ils n'eurent guère de mal à dénicher une anfractuosité suffisamment profonde pour les protéger de la neige et du vent. Le sol était sec, contrairement au bois : le rôdeur aurait des difficultés à allumer un feu, et de vaines tentatives risquaient de lui faire perdre beaucoup de temps. En même temps, réchauffer Tilmandil aurait été une bonne chose.
Tilmandil se déshabilla en quelques secondes, frissonnant, et enfila immédiatement les vêtements secs que le rôdeur lui tendait. Il s'assit sur le sol, s'enroula dans une couverture, et ferma les yeux quelques instants.
- Merci... j'ai juste besoin de me réchauffer un peu, ensuite on pourra partir. Ne te bile pas pour le feu... Mais si tu as des provisions, ce ne serait pas de refus.
il eut un rire forcé.
- Tu n'avais pas tort, je devrais peut-être demander à Eärundra une petite place auprès de Léo. Je suis sûr qu'il doit tenir bien chaud...

[Kasumi]

Kasumi déposa son sac pour en sortir ce qui leur restait. Si les difficultés du terrain les retardaient encore en les forçant à passer une nuit à la fraîche, il prendrait le temps de chasser et de chercher quelques plantes comestibles pour renouveler leur stock. Il était néanmoins plus sage de se garder un en-cas pour le milieu d’après-midi, quand ils auraient dépassé la plus grosse difficulté du trajet, du moins l’espérait-il encore.

Pendant le déballage, le rôdeur se mit à inspecter les parois de la grotte en quête de mousse plus ou moins sèche. A défaut de petit bois sec, cela ferait l’affaire s’il parvenait à en réunir assez. Ce faisant, il donna quelques conseils de survie à son demi-frère :

- La chaleur s’évacue principalement par les extrémités de ton corps. C’est donc elles qu’il faut le mieux protéger. Pourquoi ce regard ? Je parle de tes mains et de ta tête, rien d’autre ! Pour les pieds, ce que tu portes devrait suffire mais si tu veux une paire de chaussettes en plus, je dois pouvoir te trouver ça.

[Voyageuse]

Tilmandil lui adressa une nouvelle grimace. Mais accepta volontiers la paire de chaussettes...
Kasumi trouva quantité de mousse sur les parois les plus proches de l'entrée, suffisamment sèche pour s'enflammer facilement. Et bientôt, un petit feu flamba entre ses mains. Certes, il dégageait plus de fumée que de chaleur vu l'humidité du bois qu'il y avait ajouté. Mais Tilmandil aurait été bien ingrat de se plaindre. Le barde s'approcha d'ailleurs autant qu'il le put sans prendre le risque de mettre le feu à la couverture.
- Au moins, on ne risque pas de mourir de soif... Tu as de quoi nous faire un thé chaud ? Je me sens tellement glacé de l'intérieur que ça me ferait le plus grand bien. Et... attends, je vais t'aider à faire l'inventaire des provisions, ajouta-t-il en s'emparant d'une partie des victuailles.
- Manger nous fera du bien... Et ne t'en fais pas trop pour le reste du trajet. Je suis déjà passé par là. En été, précisa-t-il immédiatement. On ne doit plus être très loin du col, il me semble, si j'en juge par le temps qu'on a passé à monter. Alors certes, à l'époque j'avais un âne en guise de monture donc je ne me rends pas vraiment compte de la différence de vitesse, mais un âne, ça n'avance pas très vite... Et juste derrière le col, on descend tout droit sur la cité.
Il fronça un sourcil.
- Il vaut mieux que tu me laisses passer devant, au col. C'est la frontière, tu comprends, et ils ne laissent pas passer les étrangers facilement.

[Kasumi]

Le rôdeur sortit de son paquetage, victorieusement, un petit paquet de toile renfermant quelques feuilles et plantes qui feraient une excellente infusion revigorante.

- Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ! D’habitude c’est Astrée qui pense à ces choses-là : décidément, je ne suis pas autonome. En tous cas c’est une bonne nouvelle qu’on approche enfin de la frontière. Les voyages sous la pluie ne sont jamais très agréables surtout en cette saison. Je serai ravi de te laisser les commandes à partir de là : chacun son environnement, chacun son monde. Je serai ton guide jusqu’au col puis ton garde du corps !

Oui, il était un étranger, sans le moindre doute. Mais il avait eu le temps de se faire à cette idée. Restait maintenant à affronter la réalité et non plus que l'idée...

[Voyageuse]

L'infusion leur fit à tous deux le plus grand bien. Au-dehors, la neige tombait sans discontinuer, mais ils étaient au chaud et au sec, et Tilmandil paraissait aller nettement mieux.
Ils prirent le temps d'un en-cas consistant, sachant que le chemin restant était difficile. Et se remirent en route, grimpant lentement mais régulièrement.
Au bout d'une ou deux heure, un aigle les survola, puis fit demi-tour pour les survoler à nouveau. Il était absolument immense, et semblait porter quelqu'un sur ses ailes.
- Un des gardes volants, expliqua paisiblement Tilmandil, comme si c'était la chose la plus évidente au monde. On est repérés. Ils vont nous attendre là-haut...
Et effectivement, quelques centaines de mètres plus loin, deux elfes surgirent subitement de la brume neigeuse.
- Veuillez décliner votre identité.
- Tilmandil, fils d'Elryndel, citoyen d'Everaska. Et celui qui m'accompagne est mon demi-frère, Kasumi.
- Est-il citoyen de la ville ?
- Non.
- Veuillez nous donner les raisons de votre séjour ici, en cas, messire Kasumi.
Tilmandil s'effaça, conscient que les gardes attendaient une réponse directe du rôdeur.

[Kasumi]

Kasumi toisa les deux elfes en cherchant à les jauger. L’emploi du titre précédant son nom était Il ne voyait aucune raison de leur cacher la vérité aussi répliqua-t-il avec aménité et naturel :

- Juste Kasumi, citoyen de Luménis. Je rends visite à mon père malade, Elryndel ancien représentant de la Seldarine à Eauprofonde.

Le rôdeur venait de se souvenir que les elfes étaient encore plus férus de protocole que les humains et espérait ne pas avoir commis de bévue en citant l’ancienne fonction officielle de son père.

[Voyageuse]

L'un des gardes hocha la tête.
- Je connais Elryndel de nom, un nom respecté à Everaska. Mais je ne savais pas qu'il avait un fils... semi-elfe.
L'expression avait été utilisée avec un rien de mépris. Mais déjà l'autre garde enchaînait.
- En ce cas vous pouvez passer. Le sentier est un peu raide, mais d'ici quelques dizaines de minutes vous aurez quitté la zone neigeuse. Et vous aurez une vue imprenable sur la ville...
- Merci, répondit Tilmandil. Puisse Corellon veiller sur vous et vous assister dans votre mission.
- La seldarine veille, répondit cérémonieusement le garde avant de s'éloigner de quelques pas avec son coéquipier, reprenant leur faction un peu en retrait du chemin.
Tilmandil, que l'idée d'être de retour chez lui semblait avoir remis sur pied, entraîna son demi-frère à sa suite.

[Kasumi]

Kasumi s’était senti mal à l’aise sous le regard étonné et quelque peu condescendant des deux gardes. Et cette impression ne s’était pas dissipée depuis, le muant dans le silence. Au moins, Tilmandil semblait avoir repris du poil de la bête en franchissant la frontière bien perceptible de son pays. Tout en le suivant au même rythme, le rôdeur espéra que la vue époustouflante d’Everaska lui permette de partager une partie de ces sentiments. Mais il en doutait fort, lui qui ne s’était jamais senti chez lui dans la cité des elfes. L’échantillon dont il venait d’être témoin du mépris que pouvaient entretenir les fiers elfes pour les sang-mêlé n’y était pas étranger. Et ce serait pire une fois en ville. Bien pire…

[Voyageuse]

Il leur fallut franchir encore un ou deux virages avant de sortir de la zone neigeuse. Au-dessus d'eux, les nuages filaient à vive allure, se déchirant peu à peu pour laisser passer quelques timide rayons de soleil. C'est lors d'une de ces rares éclaircies que la cité leur apparut. A la fois grande et belle, myriades de jardins et de bâtiments à l'architecture aérienne, on aurait dit qu'elle se fondait dans la nature malgré son immensité. C'était l'un des joyaux de l'architecture elfique, et elle méritait amplement sa réputation.
- Là-bas, c'est le temple de Corellon, expliquait Tilmandil en désignant fièrement le plus important édifice. Ici, celui de Rillifane Rallathil, qui devrait peut-être mieux te correspondre. Là c'est le conseil des Anciens des Collines. Notre demeure n'en est pas très loin, je ne sais pas si tu te souviens...

Ils descendaient doucement, suivant le sentier qui s'élargissait peu à peu, devenant plus loin une route pavée. Autour de la ville elle-même se trouvaient champs cultivés et pâturages, comme autour de n'importe quelle ville. Ainsi que de nombreux bosquets, aux essences rares soigneusement sauvegardées. Et plus ils approchaient, plus ils croisaient de monde, elfes de lune qui auraient peut-être tous parus semblables à des yeux humains. la plupart leur jetaient un regard intrigué, certains fort peu amène en détaillent Kasumi.
- Ne t'en fais pas. Ils n'ont simplement pas l'habitude de voir des étrangers. Tu te souviens ?

[Kasumi]

Kasumi était loin de partager l’enthousiasme de son demi-frère mais il ne voulait rien moins que ternir ce bon sentiment, enfin retrouvé après le trajet qui avait du paraître une gageure à Tilmandil. Le rôdeur essayait donc d’admirer les chefs d’œuvres architecturaux autant pour goûter à son plaisir qu’à échapper aux regards inquisiteurs et hostiles de plus en plus nombreux. Kasumi aurait aimé visiter les bâtiments officiels que lui citait le barde mais il sentait que cela provoquerait plus de remous qu’il n’en était nécessaire. Finalement, à la remarque concernant les étrangers, il ne put s’empêcher de répliquer d’une voix maussade, à voix suffisamment basse pour ne pas être entendu des passants :

- Ne nous voilons pas la face : ce n’est pas d’où je viens mais ce que je suis qui me rend étranger à leurs yeux. Nous ferions mieux de nous hâter…

[Voyageuse]

Tilmandil soupira, et finit par acquiescer, sombrement.
- Tu as raison, admit-il. Mais n'y prête pas attention, va. Ils ne sont pas tous comme cela. Simplement, on ne remarque que les plus virulents...
Il avait beau tenter de se montrer convainquant, les quelques regards noirs qu'ils déclenchaient, au milieu d'une flopée de regards juste curieux, suffisaient à donner à Kasumi un sentiment de malaise.

Ils accélérèrent l'allure, évitant de leur mieux les regards désagréable, et finirent par se retrouver devant une demeure, un peu plus grande que les autres, à l'architecture aérienne, au milieu de jardins fleuris bien entretenus, que Kasumi reconnut aussitôt : celle de son père.

Une servante inconnue de Kasumi vint leur ouvrir. Elle poussa un cri de surprise et de joie à la vue de Tilmandil.
- C'est vous, enfin ! Entrez vite, votre grand-mère se faisait un sang d'encre... Je vais la prévenir que vous êtes là. Et votre mère aussi... à moins que vous ne soyez passé la voir ? Elle vient deux fois par veille demander si nous avons des nouvelles...
- Non, je ne l'ai pas encore vue...
Mais déjà la servante ne l'écoutait plus, jetant un regard interrogateur au rôdeur.
- J'imagine que vous êtes... messire Kasumi ?
Il n'y avait nul rejet dans son ton, seulement de la curiosité.
- Pouvez-vous l'installer dans la chambre verte ?
- Oui bien sûr... Venez, entrez, on va vous débarrasser de vos bagages, si vous permettez... Elvin ? Viens m'aider. Je vais aller vous chercher du thé, installez-vous dans le petit salon, là-bas. Tilmandil va vous montrer...
Un elfe s'était approché, tendant la main pour saisir leurs bagages.

[Kasumi]

Au moins la maison lui était familière et il devait avouer n’en conserver que de bons souvenirs : un refuge pour l’enfant perdu qu’il avait été au milieu d’une ville si gigantesque et inconnue. Bien sûr, la maison avait été souvent vide mais il avait toujours eu un caractère un peu solitaire aussi la chose ne lui avait jamais vraiment pesé.

Il ne ressentait aucune hostilité dans le ton de la servante, ni même de la curiosité et c’était là un soulagement. Ces deux sentiments ne tarderaient pas à se manifester quand les autres seraient prévenus de leur arrivée, il ne se faisait guère plus d’illusion à ce sujet. Mais autant profiter de ce moment de calme avant la tempête. Il remercia les deux elfes avant de suivre son demi-frère au salon :

- En effet, mais Kasumi suffira. Merci de votre accueil.

[Voyageuse]

Comme promis, on leur servit du thé, accompagné de petits biscuits au miel et d'un peu de lait. Tilmandil paraissait apaisé de se retrouve ici, chez lui. Il confia au rôdeur qu'il n'y vivait que depuis deux ou trois années seulement, depuis l'époque où son père avait daigné se souvenir qu'il avait un fils. Auparavant il vivait avec sa mère, un ou deux pâtés de maison plus loin.

Comme Kasumi l'avait pressenti, la tranquillité ne dura guère. Un glissement de pas rapides se fit entendre dans le couloir, et une elfe d'un âge avancé s'encadra dans la porte. Elle avait le teint pâle des elfes de lune, mais sa peau était ridée et ses cheveux noirs parsemés de fils blancs. Malgré cela, il émanait d'elle une impression de force, de volonté inflexible. Elle ressemblait beaucoup à Tilmandil, et à leur père bien entendu.
- Tilmandil...
- Grand-mère...
Tilmandil affichait un sourire heureux. La nouvelle venue jaugea du regard le rôdeur sans la moindre aménité.
- Kasumi, je présume... le retour de l'enfant prodigue... Je dois reconnaître que tu as bien grandi.
Son ton était sec, dépourvu de chaleur. Mais sans franche hostilité. quoiqu'un peu acide. Elle reporta son regard sur le barde sans plus s'intéresser à lui.
- Ca fait des mois qu'on est sans nouvelles ! Qu'est-ce qui te retenait ?
- J'ai mis du temps à le retrouver... je suis désolé..
- Être désolé ne sert à rien ! Vous arrivez deux veilles trop tard ! Il est parti...
- Parti ? questionna Tilmandil d'une voix blanche.
Mais l'elfe avait annoncé cela avec détachement, sans la moindre tristesse dans la voix. Il n'était pas mort.
- Parti... Disparu. Remarque, c'est peut-être pas plus mal que tu sois revenu, ajouta-t-elle à l'attention de Kasumi. Il paraît que tu es un homme des bois, et c'est exactement ce qu'il nous faut...

[Kasumi]

Kasumi n’était pas surpris par l’accueil frigide de sa grand-mère. Il ne l’avait jamais bien connue par le passé et elle n’avait rien fait non plus pour changer cet état de fait, lui reprochant sans doute la mésalliance de son fils qu’il représentait de la façon la plus criante. Le jeune demi-elfe qu’il était s’en était contenté à l’époque et il n’y avait pas de raison que cela ne lui suffise plus aujourd’hui. La nouvelle des plus étonnantes qu’elle apportait retint bien plus son attention, faisant germer mille questions qui ne pourraient pas toutes trouver réponse dans l’immédiat. Il répondit d’un ton parfaitement neutre sans marquer davantage de propension aux mondanités :

- Le temps passe vite sur ceux de ma race. J’ai l’habitude des forêts c’est certain. Mais dois-je en déduire que vous savez au moins par où est parti notre père ?

[Voyageuse]

L'elfe hocha la tête avec une grimace.
- Je sais seulement qu'il est parti à la poursuite de chimères... Où précisément, je ne sais pas, quelque part dans la Haute Forêt, non loin sans doute du secteur où tu vivais, enfant.
Elle soupira.
- Je l'ai prévenu que sa quête serait sans doute vaine, qu'il valait mieux qu'il reste ici... Qu'il ne devait pas faire confiance à un asabi... Qu'il devait au moins attendre la réponse de la fille de Mélith...
- Eärundra ? C'est la fille de Mélith ?
- Oui, c'est son nom maintenant que tu le dis. Mais bref... il n'a pas eu la patience d'attendre une quelconque certitude, il a préféré partir. Il disait qu'il y avait urgence... Il était obnubilé par cette histoire de racine.
Elle soupira, et dut se rendre compte que son récit n'était guère cohérent, puisqu'elle ajouta :
- Une racine d'une plante dont personne ici n'a jamais entendu parler, qui soi-disant pouvait le guérir... Il est parti à sa recherche.

[Kasumi]

Eärundra était plus impliquée qu’elle ne l’avait laissé entendre mais cela n’étonnait guère le rôdeur. C’était la façon de faire des elfes après tout… Mais au moins leur avait-elle livré la vérité concernant les tentatives plus ou moins désespérées de son père pour trouver un remède à son mal. Le discours décousu de sa grand-mère - bien qu’il ait beaucoup de peine à penser à elle en ces termes – lui révélait d’autres éléments auxquels il s’empressa de réagir. Il n’y avait pas une minute à perdre en tergiversations et en énigmes, n’en déplaise à l’elfe vénérable :

- Que cette racine soit réelle ou non, Elryndel en a forcément entendu parler par quelqu’un ou quelque chose. Cela nous indiquerait quelle destination il avait en tête de réunir ces sources. Et que devait vérifier la druidesse pour lui ? La véracité de cette information ou une autre piste ?

[Voyageuse]

La vieille elfe secoua la tête avec impatience.
- Il en a entendu parler par un asabi, je ne te l'ai pas dit ? Une sorte de shaman, je crois, qui accompagnait l'ambassadeur de leur peuple venu négocier des traités quelconques... je ne sais même pas comment il a appris qu'Elryndel était malade, mais il a débarqué un beau jour, lui a parlé... et depuis ton père brûlait de se mettre en quête de cette racine.
Elle se servit une tasse de thé et s'assit, réalisant sans doute que ses vieilles jambes ne la porteraient plus très longtemps.
- Je lui ai dit de se méfier des asabi, d'aller plutôt interroger Mélith... Enfin, Eärundra. Qu'elle lui dise si cette plante existait et si elle avait bien les pouvoirs que l'asabi lui attribuait. Il l'a fait, bien sûr, lui aussi hésitait à croire aveuglément un asabi. Mais Eärundra n'a pas la science de sa mère. Oh, je ne la dénigre pas, elle est très douée pour son âge et connaît mieux que quiconque toute la faune et la flore des montagnes alentours. Mais elle n'a pas la connaissance des choses rares et oubliées que possédait sa mère. Pas encore. Ce sont des choses qu'on n'acquiert qu'avec quelques siècles d'expérience...
Elle but une gorgée, puis reprit.
- Mais je m'égare. Eärundra, donc, n'a pas su lui répondre. Mais elle a promis d'aller trouver d'autres druides, qui en sauraient davantage qu'elle. Elle avait dit qu'elle serait de retour d'ici un mois ou deux. Il n'a pas eu la patience d'attendre, il ne supportait plus son état de faiblesse.

[Kasumi]

Les asabis… Encore ces ignobles créatures. Rien de ce qui venait d’eux n’était digne de foi particulièrement en ce qui concernait les arts de la guérison. Pourquoi ces monstres qui lui avaient pris sa mère revenaient-ils le hanter encore en fourvoyant son père ? Sentant que sa grand-mère semblait au moins partager ses convictions sur les créatures froides et sans expression qu’il honnissait, Kasumi répliqua sans chercher à masquer sa colère :

- Nous avons croisé une de leurs colonnes sur la route. Elle se retournait dans leur désert. Pour ce que j’en sais, ces créatures n’aiment pas s’aventurer dans la forêt. L’absence prolongée de soleil les affaiblit considérablement. Cela rend encore moins crédible leur histoire. Mais savez-vous ce qui aurait pu les motiver à attirer notre père hors de ses terres. En dehors de leur malveillance habituelle en tous cas…

Le rôdeur chercha à reprendre une partie de son calme pour réfléchir plus posément :

- La Haute Forêt est éloignée et s'il est si faible, j'imagine qu'il ne voyage pas seul. Savez-vous qui l'accompagne ou serait susceptible de le faire ?

[Voyageuse]

- Galawen....
- Sa compagne, précisa Tilmandil, ce qui lui valut un regard réprobateur de l'aïeule.
Le barde grimaça un sourire d'excuse pour lui avoir coupé la parole.
- A ma connaissance, elle devait le téléporter par là-bas... Ils sont partis il y a une veille et demie, largement. Elle y croyait, elle, à cette histoire de racine. Je pense qu'elle l'a convaincu.
Elle secoua la tête.
- Ce que cette greluche peut être naïve... Voilà ce que c'est de s'installer avec une femme trop jeune. Mais bref... Je crois qu'ils ont aussi engagé quelqu'un de confiance, qui sache se débrouiller en forêt. Ça aurait été toi si tu avais été là plus tôt, ajouta-t-elle d'un ton un peu acerbe.

[Kasumi]

Ainsi donc, non content d’avoir déjà deux veilles de retard, le groupe de son père disposaient-ils de moyens magiques pour voyager. La Haute Forêt était incroyablement vaste et même en partant maintenant, il leur faudrait effectuer un long périple pour y arriver et commencer leurs recherches. Sans tenir compte de la remarque acerbe sur son absence, le rôdeur répliqua sans détours :

- J’imagine qu’il sera possible de bénéficier de la même aide pour nous rendre sur place ? Sans cela, il nous faudrait plusieurs veilles de plus avant même de pouvoir chercher leur piste. Et d’ailleurs, la Haute Forêt est bien trop vaste pour s’y lancer à l’aveugle : disposons-nous d’un quelconque indice plus précis sur sa destination ? Ou au moins sur un lieu qu’il aurait pu vouloir atteindre. Sinon, l’ancien village de ma mère doit toujours exister et abriter des druides et des rôdeurs vénérables qui pourraient avoir connaissance de cette racine ou des légendes s’y rapportant. En cherchant la racine, on aura des chances de localiser notre père également.

[Voyageuse]

La grand-mère acquiesça.
- J'ai quelques amis mages qui ne demanderont pas mieux que de nous rendre ce service. Mais effectivement, il nous faudrait mieux connaître leur destination, et ça... il ne m'en a rien dit.
- Peut-être en a-t-il parlé à Eärundra ? intervint Tilmandil. S'il voulait qu'elle puisse le renseigner, il a dû lui donner toutes les informations dont il disposait...
- Oui, tu n'as pas tort. Mais je ne sais pas quand elle sera de retour, cela fait près de deux mois déjà...

[Kasumi]

Eärundra… Evidemment, elle pourrait peut-être encore les aider à condition de la retrouver. Serait-elle encore à proximité de la grotte de Léo ? C’était en tous cas à cet endroit qu’il serait le plus probable de la croiser. Kasumi espérait que le lion se souviendrait qu’ils n’étaient ni l’un ni l’autre des hors d’œuvres propres à lui faire regagner ses forces perdues la veille.

- Nous l’avons croisée en route. Si nous avions su… Mais je pense savoir où elle se trouve à moins bien entendu qu’elle revienne ici porter les informations qu’elle aura réuni.

Dans un cas comme dans l’autre, il semblait que leur séjour à Everaska allait vite s’écourter ce qui n’était pas tout à fait pour déplaire au rôdeur contrairement à Tilmandil, il le soupçonnait. Se tournant vers ce dernier, il ajouta d'un ton conciliant :

- Avec un bon cheval, je pourrais me rendre à la grotte dans la journée et la prévenir si elle s'y trouve. Et si elle vient ici, vous n'aurez qu'à venir me rejoindre.

[Voyageuse]

Tilmandil eut un sourire amusé.
- Mmmm... Dois-je comprendre que tu veux y aller... sans moi ? Dois-je comprendre... ce que je suis tenté de comprendre ?
L'aïeule, devinant une taquinerie, leva une main apaisante.
- Pour l'heure, je pense que vous avez tous les deux besoin de repos... Nous avons quelques montures à l'écurie, tu devrais aller choisir celle qui te convient. Un palefrenier te la préparera pour demain. Tilmandil te montrera.
Le barde semblait hésitant.
- Je peux aussi t'accompagner, fit-il.
On le devinait tiraillé entre la volonté de rendre service, de se sentir actif lui aussi, et la conviction qu'il n'était pas vraiment taillé pour les longues balades en montagne. Ou peut-être la peur de Léo.

[Kasumi]

Kasumi se garda bien de relever l’allusion de son demi-frère, surtout en présence de leur grand-mère. Il était du reste aussi partagé que Tilmandil : l’envie de se déplacer rapidement pour retrouver la druidesse et, bien entendu, les informations précieuses qu’elle ne manquerait pas de leur livrer était tempéré par la prudence : se déplacer seul, surtout dans un environnement peu connu n’était jamais un choix très judicieux. Si l’elfe avait été en pleine possession de ses moyens, il aurait sans doute opté pour qu’il l’accompagne mais les circonstances étaient différentes.

- Je ne serai pas très long et tu dois avant tout reprendre des forces. J’ai bien l’intention de ne pas poursuivre mon chemin sans toi mais il te faudra être au meilleur de ta forme pour retrouver notre père. Quant à moi, j’aimerais autant partir aussi vite que possible : nous avons déjà tant de retard… Enfin, si vous n’avez pas d’autres informations qui pourraient nous aider.

[Voyageuse]

L'elfe secoua la tête.
- Non, je ne vois rien d'autre. Mais je persiste à penser qu'il serait plus sage d'attendre demain. Enfin, je ne sais pas à quelle distance se trouve la grotte dont vous parlez. Simplement, je sais que sur ces sentiers parfois étroits, les chevaux ne vont pas aussi vite que sur des routes pavées... Je ne sais pas si tu pourras être de retour avant la nuit.
- Oh, il aime particulièrement bivouaquer dans la campagne, intervint Tilmandil. Il ne paraissait pas réellement vexé d'être mis à l'écart. Conscient que c'était le plus sage.
L'aïeule haussa les épaules.
- Je te laisse décider pour le mieux, tu es grand après tout... J'ai tendance à oublier que ceux de ta race mûrissent si vite. N'hésite pas à demander tout ce dont tu as besoin à Elvin, provisions, matériel,...

[Kasumi]

La journée était bien avancée et il fallait compter avec les difficultés de retrouver Eärundra. Si elle ne se trouvait pas immédiatement aux abords de la grotte à son arrivée, il devrait accepter l’idée d’y patienter un petit moment. Il y avait donc toutes les chances pour qu’il passe la nuit et peut-être au-delà dans les environs de la grotte. Il lui faudrait donc des vivres et probablement une couverture et quelques vêtements secs. Pour le reste, il aviserait et se débrouillerait. Et en cas d’imprévu, il pourrait compter sur son arc bien qu’il doute se retrouver en danger si près de la cité.

- Si je pars d’ici une heure, je pense arriver à destination juste avant la nuit. Je serai de retour demain soir si tout se passe bien. J’aurais besoin de vêtements chauds et de vivres pour quatre repas. Pour le reste je me débrouillerai. Si tu veux bien me montrer cette écurie, Tilmandil : un cheval montagnard vaudra mieux qu’un animal rapide mais j’imagine que vous n’en manquez pas.