[Quête] Le Refuge de Solossë

[Galathée]

Il fut surpris dans sa rêverie morose par une ombre qui le surplomba un instant. Se retournant, il aperçut Trent, juste derrière lui, souriant. L'étang était sur la route du village, et comme Jaeld l'en avait averti, l'assistant de Maebryn arrivait de l'extérieur.
" Bonjour. Comment vous sentez-vous ?"
Il s'accroupit près du barde, posa une main tiède sur son dos nu, sans en demander la permission.
" J'espère que votre installation se passe bien. Vous avez de la chance avec le temps... Le printemps est magnifique, cette année, ce qui ne rend l'enclave que plus merveilleuse."

[Taliesin]

Peut-être à tort, Taliesin interpréta les libertés prises par le nouveau venu comme un indice supplémentaire prouvant que les pensionnaires du Refuge n'étaient rien d'autre que des cobayes. Cependant, il ne s'offusqua pas, fit comme s'il n'avait pas relevé la chose.
-Indéniablement ! Et mon installation se passe très bien, je vous remercie.
Puisque l'heure était à la familiarité, il se permit de poursuivre sans détours rhétoriques alambiqués :
-Avez-vous pu obtenir des nouvelles de mon ami Calanon ?

[Galathée]

Trent posa une seconde main sur le dos du barde, puis les remonta doucement le long de ses omoplates.
" Comme je vous l'avais dit, il se trouve dans l'enclave des elfes sauvages. Il va bien. Il sera bientôt sorti."
L'assistant s'était agenouillé juste derrière lui.
" Vous êtes encore tendu. Je parie que vous avez essayé de sauter une prise du remède."
Ses pouces s'immobilisèrent de part et d'autre de sa nuque.
" Ne jouez pas avec votre santé, Belenn. Cela pourrait vous rendre fragile pendant longtemps."

[Taliesin]

A moins d'être complètement ingénu, il était impossible de prendre ces attouchements pour une simple marque de sympathie ou pour des gestes médicaux. Se demandant si l'individu agissait de même avec d'autres pensionnaires, Taliesin se releva sans brusquerie puis se retourna.
-Je crains que vous n'ayez fait erreur, Trent. Calanon est un elfe des bois. Je doute donc qu'on l'ait placé avec une autre sous-race, compte tenu des grandes disparités qu'il existe, pour chacune de celles-ci, en matière de convalescence et de persistance des spores dans le sang. Je vous remercie malgré tout de vous être renseigné.
Il y avait une différence entre paraître conscient et jouer les crétins finis : or, opter pour le deuxième option ne collerait guère au personnage qu'il prétendait incarner.

[Galathée]

Un léger sourire apparut sur les traits de Trent tandis qu'il se relevait, lentement, et faisait face à Taliesin.
" Elfe des bois. Bien sûr. Ma langue aura fourché. Mais il va bien, donc. Je ne suis pas certain qu'il s'attardera, cependant. L'enclave des elfes des bois est nettement plus peuplée et ils sont malheureusement rapidement les uns sur les autres. De plus, contrairement aux solaires, ils sont plus belliqueux, plus nerveux, moins contemplatifs."
Son sourire s'élargit.
" Mais le devoir m'appelle. Profitez bien du soleil."
Puis il fit deux pas en arrière, se retourna et repartit vers le village.

[Taliesin]

Continue donc à te payer ma tête... maugréa-t-il intérieurement. Si j'en ai l'opportunité, je le promets, je t'apprendrai ce qu'il en coûte de jouer ainsi avec les gens.
N'ayant rien de mieux à faire, il se rassit et reprit sa contemplation du lac. Il quitterait cet endroit dès qu'il aurait pu avoir un aperçu "aérien" du refuge. Peut-être même n'aurait-il pas besoin de passer par-dessus l'enceinte : il lui suffirait de se rendre invisible et de se glisser par la porte au moment où Trent entrerait ou sortirait. Ensuite, il se mettrait en quête de l'enclaves - il avait failli penser "l'enclos" - des elfes des bois. Là, il se mettrait en quête de Kerun. Et, qui sait, de personnes moins aveugles que les solaires.

[Galathée]

Taliesin ne se sentit capable d'entreprendre l'ascension de l'arbre que deux jours plus tard. Entretemps, Trent était revenu lui prélever du sang, ainsi qu'à deux autres des villageois, et Nithran était resté à l'écart. Il n'y avait apparemment pas eu de contact entre l'assistant de Maebryn et l'ancien esclave, ce qui constituait un soulagement pour le barde. Comme il allait mieux, on lui redemanda de raconter ce qu'il pouvait des cités elfes qu'il avait arpentées et les solaires du Refuge burent ses paroles comme si elles avaient été la source qu'ils attendaient depuis toujours. Mevian parvint aussi à lui soutirer quelques histoires. Son repos dans la chambre de Jaeld et Elbereth demeura agité, mais il reprit peu à peu des forces, veillant à prendre consciencieusement son remède. Aucune altération de l'esprit ne lui apparut : il demeurait aussi méfiant et attentif qu'au premier jour.
Aussi, au matin de son quatrième jour au Refuge, lorsque Delion lui proposa d'escalader le chêne, accepta-t-il.

[Taliesin]

Pour avoir déjà vu ce côté de l'arbre, Taliesin savait que les prises ne manquaient pas et ne se faisait aucun souci à ce sujet. Ce qui l'inquiétait, en revanche, c'était son propre état de forme. Aussi, au cas où il viendrait à être victime d'un accès de faiblesse durant l'escalade, prit-il soin de repérer au préalable des branches assez solides pour le supporter le temps d'une pause. Cette précaution s'avéra heureuse : quelques mètres seulement après avoir quitté le sol, il se sentit gagné par un léger vertige. Une halte bienvenue y remédia et, rasséréné, il put terminer l'ascension sans autre incident, rejoignait la petite cabane. Il fit mine de s'y intéresser, pour faire plaisir à l'enfant, tout en essayant de repousser les souvenirs d'édifices similaires bâtis par Victor et les petits Merlus aux frontières de la Lorien. Puis il se tourna vers le panorama qu'offrait ce précieux poste d'observation. Il espérait se faire une bonne idée de l'organisation du Refuge, afin de ne pas s'y perdre une fois sorti de l'enclave. Or, pour l'heure, il connaissait seulement le trajet menant à la Maison de Vie.

[Galathée]

De nombreux arbres étaient aussi hauts que le chêne des elfes du soleil, aussi la vue ne fut-elle pas aussi spectaculaire que Taliesin eut pu l'espérer. Leurs troncs et ramures dissimulaient partiellement les nombreuses enceintes qui émaillaient le paysage. Il repéra cependant la direction de la Maison de Vie et discerna deux autres enclaves, au bout des chemins qu'il n'avait pas empruntés avec ses guides. Une troisième était de l'autre côté de l'hospice, et il y avait également plusieurs bâtiments autour de celui-ci. Peut-être trois. La forêt demeurait dense auprès des différentes palissades et il était probable qu'ils n'étaient pas dans les environs immédiats de Mélandis, où le désert aurait régné. Taliesin était cependant trop bas, encore, pour apercevoir les limites des bois.

[Taliesin]

Un peu déçu mais refusant de s'aventurer en des parties plus élevées - et plus dangereuses - de l'arbre pour en voir davantage, Taliesin essaya de tirer le maximum de profit de sa situation, mémorisant le trajet jusqu'aux enclaves voisines ainsi que celui conduisant à celle située par-delà la maison de vie. Quand il crut les avoir assez gravés dans sa mémoire, quand il craint que son comportement finisse par devenir suspect aux yeux du petit garçon, il félicita à nouveau celui-ci pour sa cabane et affirma qu'effectivement, le paysage était superbe. Il avait désormais hâte de retourner sur le plancher des vaches, songeant à mettre en œuvre son projet d'évasion le plutôt possible, peut-être dès le lendemain. Toutefois, il ne se pressa pas pour descendre, ne voulant pas vexer Delion qui, probablement, était très fier qu'un adulte l'ait suivi dans son domaine.

[Galathée]

Delion était épaté par les prouesses de Taliesin et piailla pendant toute la descente. Ce n'est que lorsqu'ils mirent le pied à terre que l'enfant prit soudain un visage de conspirateur.
" Tu as relevé mon défi, alors tu es brave. Je peux te montrer quelque chose ? Un trésor secret ? Que si tu le vois, tu ne diras à personne ? Même pas à ton amoureuse ? "
Il paraissait plutôt agité et prit le barde par la main, l'attirant vers la forêt avant qu'il ait pu répondre quoi que ce soit. Taliesin reconnut le chemin emprunté, c'était celui qui menait au petit sanctuaire de Corellon. Le petit garçon s'immobilisa à proximité et fit signe au barde de l'attendre. Avant de disparaître derrière la chapelle, il s'immobilisa.
" Tu promets, alors ?"

[Taliesin]

Taliesin réprima une vive envie de répondre non et de tourner brusquement les talons. Visiter la cabane de Delion en sa présence avait été une grave erreur, et faire ce qu'il demandait maintenant en serait une sans doute plus grande encore. N'avait-il pas voulu éviter justement cela ? Que l'enfant lui fasse trop confiance, se rapproche trop de lui ?
Lui opposer un refus et s'en aller dans l'instant aurait été sage. Sage et terriblement cruel. Malheureusement, le barde ne se sentait pas le courage de faire de la peine, fut-ce pour son bien, à ce gamin prisonnier d'un piège sordide et, probablement, promis à un destin sinistre...
-Je te le promets, dit-il solennel. Et à contrecœur.

[Galathée]

Delion lui décocha un sourire ravi, puis jeta des regards scrutateurs autour d'eux, avant de se glisser un moment dans l'ombre du petit sanctuaire. Il reparut une seconde plus tard avec un paquet de toile déjà volumineux. Il fit signe à Taliesin de s'asseoir, puis le rejoignit dans l'herbe, déposant son fardeau entre eux deux. Il le déballa ensuite précautionneusement, en révélant le contenu.
C'étaient des os.
Il y avait là un crâne, dont la calotte manquait partiellement, un tibia brisé, mais dont Delion avait les deux parties, une dizaine de dents, et aussi des vertèbres, quatre ou cinq, les petits os d'une main.
Car ce n'étaient pas des os de mulot, de biche ou de renard, mais des os humanoïdes, et probablement des os d'elfe, à voir leur forme.
" J'aimerais bien trouver un grand fémur, une fois. Ou alors des côtes. Peut-être qu'un jour, j'aurai tous les morceaux qu'il faut, annonça le gamin avec un grand sérieux. Tu m'aiderais à chercher ?"

[Taliesin]

Le barde blêmit. Il s'était attendu à un objet anodin, à un trésor comme aimaient à en conserver les enfant, comme ceux que Victor avait gardés dans une poche de sa tenue de novice et lui avait montrés après leur évasion du pénitencier. Jamais il n'aurait imaginé qu'il puisse s'agir d'ossements... Le choc était donc brutal.
-Dieux... souffla-t-il.
Puis il se reprit. Ne pas imaginer le pire d'emblée. Examiner, d'abord, les autres possibilités.
-Pardon si ma question te paraît idiote, Delion, mais... je cherche juste à comprendre, d'accord ? reprit-il d'un ton qu'il espérait à la fois tranquille et rassurant. As-tu déjà vu quelqu'un se faire enterrer ici ? J'imagine que non mais.... je préfère demander.

[Galathée]

Delion sourit et déplaça un peu ses os, les arrangeant dans des dispositions fantastiques, tibia en travers du crâne, osselets formant comme une couronne, vertèbres sur les orbites comme un masque étrange.
" Oh non, ils viennent pas de la terre. Ils viennent de l'eau. C'est à cause des castors."
Son expression se fit chagrine.
" Mais il n'y a plus de castors, maintenant. C'était trop dangereux qu'ils mangent la palissade, alors on les a tous tués. Depuis, y'a plus qu'un seul petit trou, alors je ne trouve plus jamais d'os."

[Taliesin]

Il frissonna. Se pouvait-il que l'eau ait charrié, à travers les brèches creusées par les castors, les restes des pensionnaires censés avoir quitté le Refuge, censés avoir suivi la voie que leur avait tracée Maître Maebryn ? Était-il possible qu'une fois inutiles à ses expériences, il les supprime purement et simplement ? Il avait nourri pareils soupçons sans oser trop s'y attarder, à cause de leurs effroyables implications, plus effroyables encore que toutes les autres. Mais à présent, il devait en avoir le cœur net. Car peut-être tenait-il une preuve susceptible d'ouvrir les yeux de ses malheureux congénères...
-Et si tu me montrais ce trou, Delion ? Peut-être y a-t-il moyen de trouver d'autres ossements... Je serai ravi de t'y aider, en tout cas, et il vaut mieux que je le fasse alors que je suis encore en convalescence et qu'on ne me confie pas d'autres tâches...

[Galathée]

Delion parut ravi d'avoir un comparse dans sa chasse aux ossements et, une fois qu'il eut remballé et caché son précieux trésor, il entraîna le barde vers la palissade. Il ne chercha pas longtemps, car il savait exactement où se trouvait la brèche dans les remparts. Taliesin n'eut pas à se demander pourquoi on ne l'avait pas rebouchée : elle était dissimulée au coeur d'un buisson de houx particulièrement touffu, dans lequel il s'égratigna copieusement. Malheureusement, le trou était beaucoup trop petit pour qu'il puisse s'y faufiler tout entier. Il put tout juste y passer la tête et se retrouva, comme de bien entendu, au-dessus de l'eau grise des douves. Une tour de guet se trouvait un petit peu sur la droite, gigantesque quand on la regardait de si bas. Il ne vit nul ossement flottant sur l'onde sale.
" Avant je pouvais sortir tout entier, puis marcher un peu le long de l'eau, et puis alors je traversais vite... parce qu'il y a des animaux pas très gentils là-dedans... et alors je trouvais les os. Pas beaucoup d'os, cela dit. Mais tu as vu que j'ai quand même une belle collection."

[Taliesin]

-Et tu les trouvais où ? Sur le bord de la douve ? Ailleurs ? Tu as une idée d'où venait l'eau qui les a transportés ?
Il poussa un profond soupir déçu.
-C'est trop bête qu'on ait pas de quoi agrandir le trou. Bon, si je veux, je peux passer par-dessus le mur, mais rentrer, ça serait dur, puisque je n'ai pas de corde... Dommage, j'aurais été ravi de t'apporter de nouvelles pièces pour ta collection.
Il réfléchit un instant puis posa les yeux sur l'enfant.
-J'ai quand même peut-être une solution pour le trou. Mais il faut que tu me promettes de n'en parler à personne. Que tu me le jures, même. Car c'est un très, très grand secret.

[Galathée]

Delion dévisagea le barde, les yeux réduits à l'état de fentes. Il avait l'air très sérieux.
" Si tu gardes mon secret, je garde ton secret. Si tu trahis mon secret, je trahirai le tien." répondit le petit garçon.
Puis l'excitation revint sur ses traits.
" Les os, je les trouvais à l'endroit où l'eau s'écoule... Je pense que ce sont les rats qui les amenaient là. Parce que tu vois, parfois, ils les rongeaient encore et j'ai dû les chasser avec des pierres ou des bâtons. Mais c'était au début. Maintenant, je sais pas s'il y a encore des os. Peut-être pas."

[Taliesin]

L'elfe hésita. Il s'apprêtait à prendre un très gros risque mais le jeu en valait la chandelle. Et puis, si l'enfant le trahissait, il lui suffirait de disparaître : c'est ce qu'il ferait sous peu, de toute façon.
-Nous le saurons bientôt. Parce que je vais appeler un de mes amis qui nous aidera à agrandir le trou. Il se peut que tu sois surpris par son apparence mais ne t'inquiète pas : il est très gentil.
Et, avant que ses doutes ne le poussent à changer d'avis, il incanta.

Taliesin --> Convocation de monstres III (Scarabée géant céleste)

Avec un peu de chance, l'insecte serait à même de ronger le bois de la palissade...

[Galathée]

Delion ouvrit des yeux grands comme des assiettes au moment où Taliesin se mit à incanter, puis poussa des cris d'orfraie quand la bestiole apparut. Il sauta d'ailleurs sur le barde, qu'il escalada lestement jusqu'à se percher sur ses épaules. Il faut dire que l'animal était gigantesque et d'une laideur terrible. Il déracina aussi la moitié du buisson en surgissant de nulle part et se mit à agiter ses mandibules, ce qui arracha de nouveaux cris à Delion. Le gamin finit cependant par plaquer les deux mains sur son visage, demeurant secoué d'un fou-rire nerveux qu'il ne parvenait pas à contrôler.
Le scarabée bougea les antennes, puis se retourna en terminant d'aplatir le houx. Ses élytres frémirent et, brusquement, il cracha un jet verdâtre sur la palissade, autour du trou. Celle-ci se mit aussitôt à fumer et le bois se décomposa, victime d'un acide virulent.
" Oh la la... lâcha alors Delion, soufflé. On va se faire disputer."

[Taliesin]

Surtout si quelqu'un avait entendu les piaillements du môme...
-Pas si on garde le secret ! fit-il cependant. D'ailleurs, que dirais-tu d'aller monter la garde ? Si quelqu'un arrive, tu pourrais lui expliquer qu'on jouait... à cache-cache, ou au loup, par exemple, et tenter de l'entraîner ailleurs. Et si c'est vraiment beaucoup de monde qui arrive, tu n'auras qu'à courir me prévenir : je ferai disparaître notre ami et on tentera de remettre en place ce qu'il reste du buisson...

[Galathée]

" Mais c'est de l'autre côté, qu'on va voir le trou. La dernière fois que quelqu'un a fait une bêtise comme ça, Maître Maebryn l'a jeté dehors du refuge, tout de suite, sans même avoir d'endroit à lui proposer ! Il faudrait qu'on trouve du bois pour reboucher... Si on nous voit sortir, en plus... Moi j'ai vraiment pas envie de partir, tu vois. Même si j'ai aussi envie de trouver des os."
Il parut en proie à un dilemme intérieur complexe. Pendant ce temps, le scarabée avait suffisamment agrandi le trou pour que l'enfant, ou le barde, puissent l'emprunter pour sortir de l'enclave. La bestiole semblait d'ailleurs hésiter sur la marche à suivre.
" Je vais aller monter la garde, d'accord..."

[Taliesin]

-Un instant. Je pense avoir une mission encore plus importante pour toi. Ta cabane, tu l'as bien construite avec des planches, non ? Il doit donc forcément y avoir un endroit où vous en gardez en réserve. Ou un lieu où vous stockez du bois pour le feu. Si tu pouvais me rapporter deux morceaux, il serait facile de cacher les extrémités du trou. Il suffirait ensuite d'arranger un peu le buisson, de ce côté-ci. Et rassuer-toi, Delion : si notre secret est découvert, je dirai que c'est de ma faute, que tu n'y es pour rien. Tu as ma parole d'honneur.
L'instant suivant, il renvoyait le scarabée dans son plan d'origine, non s'en l'avoir, au préalable, mentalement remercié.

[Galathée]

" Je vais essayer de trouver des planches, dit Delion. Mais si tu trouves des os, tu me les donnes, c'est d'accord ?"
Sur un dernier sourire excité, le petit garçon détala dans la broussaille et Taliesin se retrouva seul auprès de la palissade encore fumante. L'odeur de l'acide était piquante et il devrait faire très attention en se faufilant par le trou s'il ne voulait pas abîmer ses vêtements. La forêt autour de lui était silencieuse, les buissons touffus. Un oiseau se posa à proximité, chanta une seconde, l'observa de ses yeux noirs et fuit. C'était le moment de décider de la marche à suivre... Car au-delà du canal d'eau sale se dressait une seconde enceinte... et des yeux scrutateurs.

[Taliesin]

Taliesin hésita... puis renonça à sortir. S'il le faisait dans l'instant, cette nouvelle issue serait sans nul doute découverte puis bouchée, et le petit Delion aurait des ennuis. Non, mieux valait d'abord se préoccuper de la dissimuler et ne l'utiliser que plus tard, pour explorer les environs immédiats et, qui sait, y trouver de nouveaux ossements. Quant à la fuite véritable, ses plans n'avaient pas changé : il se rendrait invisible avant d'emboîter le pas à Trent, ce qui lui permettrait de franchir les deux enceintes en une seule fois. Il disposait cependant d'un atout supplémentaire désormais : un moyen de revenir à l'intérieur de l'enclave. Peut-être cela lui rendrait-il service, tôt ou tard.
En attendant le retour du gamin, le barde essaya de voir s'il serait possible de replanter le buisson. Il en doutait mais s'en assurer ne coûtait rien. De surcroît, avec la densité du sois-bois, il ne manquerait assurément pas d'éléments végétaux pour peaufiner le camouflage...

[Galathée]

Le scarabée avait, en bonne vermine, ravagé le houx, mais il en restait suffisamment pour improviser un bon buisson. N'importe qui s'y intéressant de près remarquerait immédiatement que la plante était morte et déracinée, mais les feuilles resteraient vertes plusieurs jours et la palissade était tellement longue qu'il y avait vraiment peu de chance que le houx attire l'attention de qui que ce soit. D'autant que si l'arbuste avait des vertus, il y en avait plusieurs massifs plus proches du village. Non, il aurait fallu vraiment jouer de malchance.
Delion revint de longues minutes plus tard, chargé de planches, une mine de conspirateur plaquée sur les traits.
" Personne m'a vu !" annonça-t-il triomphant.
Puis il eut une grimace.
" Enfin si... Jaeld m'a vu, mais j'ai dit que c'était pour une nouvelle cabane. Et je suis sûr qu'il m'a cru !"

[Taliesin]

Le barde sourit au gamin, même si la nouvelle dont il était porteur ne le réjouissait guère. Enfin, ç'aurait pu être pire : comme il logeait chez Jaeld et était par conséquent susceptible de le croiser encore plus souvent que les autres, peut-être serait-il en mesure de dissiper plus aisément ses doutes, si l'ancien combattant en avait...
-Bien joué ! fit-il néanmoins.
L'instant suivant, il examinait le trou dans l'enceinte. Avec un peu de chance, il pourrait à présent s'y engager et placer les planches sans crainte d'abimer sa vêture ou de se blesser. Toutefois, si l'acide n'avait pas totalement disparu, il lui faudrait attendre. Taliesin n'imaginait pas un seul instant charger le gamin de cette tâche, surtout si elle recelait ne serait-ce qu'un soupçon de risque.

[Galathée]

Taliesin put sans difficultés replacer des planches de part et d'autre de l'ouverture : le liquide corrosif avait fini son oeuvre et ce qu'il en restait avait séché. Il lui était bien sûr impossible de savoir quelle allure avait sa réparation depuis les hauteurs de la tour de guet : sans doute n'y verrait-on rien du tout. De plus, c'était davantage vers le sommet de la palissade que vers sa base que se tournaient sans doute les regards. Une fois le trou bouché, il ne restait plus au barde et à l'enfant qu'à retourner vers le village. Delion était cependant un peu déçu qu'ils n'aient pas immédiatement entamé leur recherche d'ossements oubliés et voulait savoir quand ils organiseraient leur expédition.

[Taliesin]

-Delion, je pense que ce serait mieux si tu ne sortais pas, répondit-il. J'en suis certain, même. Si on te remarque au-delà de la palissade, tu seras disputé, et peut-être qu'on te renverra du Refuge, comme les autres personnes qui ont fait des bêtises. Parce que sortir, à mon avis, c'est totalement interdit. Alors si tu veux vraiment rester ici... Suis mon conseil et n'emprunte jamais ce passage, d'accord ? C'est moi qui me chargerai de ces expéditions. Je sais ne pas me faire remarquer.