La Couronne de Cuivre

La maman de Violette paraissait toujours très inquiète de ce plan farfelu.
" Aide-moi à mettre des champignons dans les tourtes, veux-tu..." finit-elle par murmurer dans un soupir.
Elle se leva et tendit un saladier à la petite fille.
" Ecoute. Je veux bien te faire confiance cette fois-ci mais... tu dois arrêter de rentrer toute crottée et avec une robe déchirée... La robe de grand-mère Anne ! Si papa s'en rend compte, je n'ose pas imaginer dans quel état il va se mettre..."
Elle secoua la tête.
" Et comment comptez-vous vous déguiser en fantôme, au juste ?"

Bien sûr, il s'était empressé de faire ce qu'elle lui demandait.
-Maman... commença-t-il d'un ton chagrin. Tu sais, ça m'amuse pas de me faire déchirer mes habits ou d'être couverte de boue... Et j'ai pas non plus envie de faire de la peine à papa ou de le mettre en colère... Mais j'y suis vraiment pour rien : je te mens pas quand je te dis que ces garçons ils s'en prennent à nous tout le temps. Moi, j'aimerais arrêter de devoir fuir sans arrêt, j'aimerais pouvoir me balader et rester présentable... Et c'est justement pour ça qu'on a imaginé le plan. Pour le déguisement, je vais monter sur les épaules de Guéric, et on se recouvrira d'un drap. Pis on aura une lampe aussi, sur laquelle on aura dessiné un œil. Et je te promets qu'elle sera pas volée : déjà, le vol, c'est mal, je déteste ça, et ensuite, vu ce qu'on m'a appris à l'école, si on fait un truc aussi injuste et qu'on évoque ensuite le nom de Helm, ben, on aura des ennuis... Oh, et pour le drap... Je vais l'acheter avec mon argent de poche, je voudrais pas en abîmer un de la maison.

" Par les dieux, ma fille, qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Tu devrais être barde, quelle imagination ! s'exclama-t-elle en gloussant. Mais ne dis pas de bêtises : je sais bien que tu économises depuis des mois pour t'offrir ce chat en tissu rembourré que tu as vue dans la vitrine du magasin de Dame Cassandre... Je vais te donner un de nos vieux draps. Ton fantôme sera peut-être un peu grisâtre, mais dans le noir, ça ne se verra pas trop, si ?"

Il lui adressa un sourire radieux.
-Oh merci, merci maman ! Ce sera parfait ! Je te promets que j'essaierai de pas trop l'abîmer, parce que je sais que le gaspillage c'est pas bien. Et je serais hyper prudente, aussi !
Il l'enlaça brièvement, estimant que ce geste s'imposait, puis, avec une application et une délicatesse accrues, s'affaira à placer des champignons dans les tourtes. Ce faisant, il établit son programme de l'après-midi : filer se changer le plus vite possible, aider sa mère avec enthousiasme, essayer de vois s'il était capable de déplacer des draps par magie... En somme, il avait largement de quoi s'occuper d'ici la nuit !

Le travail prit fin assez rapidement. La halfeline expliqua deux ou trois choses à sa fille, comment doser la viande par rapport aux légumes, comment relever la sauce, puis lui confia la tâche de refermer les tourtes, en improvisant des petits dessins de pâte sur le dessus avec les déchets de l'opération. Elle l'envoya ensuite se changer et lui apporta, peu après, plusieurs draps. Le plus grand était grisâtre et avait été rapiécé avec un carré de tissu vert... Ce n'était peut-être pas très sérieux. Le second était en meilleur état mais elle n'était pas certaine qu'il serait assez grand pour dissimuler deux halfelins sans qu'on voit les pieds de celui qui se trouvait en-dessous. En réalité, la maman de Violette paraissait plutôt amusée par la situation, même si elle tentait de le cacher. Elle finit par laisser sa fille faire son choix et proposa — petit miracle ! — de l'aider à s'évader à la nuit tombée.

Étonné - et ravi - d'une telle coopération, il ne manqua pas de la remercier comme il se devait. Puis, après quelques hésitations, il opta pour le plus petit des draps : s'ils se tenaient tout près du lit, leurs victimes ne pourraient voir les pieds de Guéric et, au moment de partir, il suffirait de leur jeter un vêtement ou une couverture sur le visage pour qu'ils soient aveuglés le temps que le "fantôme" ait disparu. Cette décision prise, Taliesin se changea et, en attendant que la mère de Violette revienne, essaya à nouveau son sortilège de télékinésie.

L'expérience fut complexe, épuisante, mais relativement fructueuse, tout bien considéré. Parvenir, mentalement, à entrer en contact avec le drap requérait déjà une concentration sans failles. Comme Violette était inquiète de voir débarquer un adulte au milieu de son tour de magie, le moindre bruit la faisait sursauter, réduisant ses efforts mentaux à néant. Mais petit à petit, elle parvint à trouver le calme nécessaire et à relativiser les effets d'une intrusion, ce qui lui permit de se laisser absorber par sa tâche invisible. Au bout d'une quinzaine de minutes, elle était capable de "sentir" le tissu rêche du drap à distance, c'était un premier pas. Mais il lui fallut une heure avant de parvenir à l'agripper. Tirer dessus lui demanda encore un peu de travail, mais celui-ci porta ses fruits et elle vit le tissu se tendre, puis se déplacer lentement, puis plus vite. Elle dut par contre accepter un détail problématique : si le drap était bordé, elle ne parviendrait pas à l'arracher au matelas. Il lui faudrait donc d'abord prendre soin de le décoincer avant de pouvoir le faire bouger efficacement. Il était possible, cependant, que des garçons comme Domi et Carl ne soient pas du genre à avoir des lits bien faits le soir avant d'aller se coucher. Elle s'entraîna encore jusqu'à ce que la fluidité de son rapt de literie soit fluide et donc... spectral.
Quand elle fut enfin satisfaite de son résultat, la petite halfeline, et l'elfe à l'intérieur, se sentaient épuisés.

S'il s'était écouté, il se serait offert, en manière de récompense pour sa réussite, une petite sieste fort bienvenue. Cependant, ne voulant pas se montrer ingrat envers la mère de Violette, ne souhaitant pas, non plus, manquer à d'éventuels devoirs dont il ignorerait l'existence, il préféra d'abord descendre à la cuisine pour voir si on avait besoin de lui. Si ce n'était pas le cas, et bien, il remonterait s'étendre un moment : mieux valait qu'il soit en pleine forme pour leur mission nocturne !

La maman de Violette parut surprise de voir la tête de sa fille et pour cause : elle la souleva devant le miroir de l'entrée et Taliesin put constater que son épuisement se dessinait en cernes noires sur son visage. Refusant d'en savoir davantage sur les activités nocturnes de sa fille (elle supposait sans doute qu'elle avait papoté avec Guéric jusqu'à l'aube), elle la renvoya immédiatement se coucher, et la petite halfeline put donc profiter d'une excellente sieste, tranquille, dans un lit douillet, et sans les pieds froids de son comparse pour la réveiller.
Ce fut d'ailleurs à nouveau sa mère qui survint, en ange gardien, pour l'arracher à sa torpeur un peu avant le repas. Elle lui recommanda de tout faire pour ne pas brusquer son père, sous peine de compromettre ses projets pour la soirée.
Le souper se déroula sans accrocs, heureusement, car le halfelin était d'excellente humeur : l'Ordre du Coeur Radieux venait de lui passer commande d'une centaine de tourtes pour un banquet devant avoir lieu la veille suivante. Violette apprit ainsi qu'elle était réquisitionnée en cuisine, et ce, dès le lendemain. Elle avait intérêt à bien se reposer et à se préparer à apprendre les ficelles du métier.
On l'envoya ensuite se coucher, signe qu'elle pouvait... passer à la phase suivante de son plan...

Une fois dans sa chambre, il se changea pour enfiler une vieille tenue qui ne craindrait pas trop les péripéties auxquelles il la soumettrait. Puis il attendit. La mère de Violette ayant promis de l'aider, il ne voulait pas filer sans l'attendre. Et puis, mieux valait être prudent, si d'aventure son père décidait de venir lui souhaiter la bonne nuit. Il ne paraissait guère en avoir l'habitude, bien sûr, mais au cas où, Taliesin se tint prêt à se glisser sous ses couvertures. Il espérait que cela n'arriverait pas et que la halfeline ne tarderait pas à se présenter : en effet, il devait admettre que l'expédition nocturne l'amusait beaucoup. Sans compter que c'était sa mission, il le savait, le moyen par lequel il devait aider Guéric...

Elle ne tarda pas mais prit une chaise et s'assit près du lit.
" Violette. Tu as entendu ton père, n'est-ce pas ? Ce soir est ta chance de te débarrasser de ces tourmenteurs mais... si jamais tu causais du grabuge et que cela arrivait aux oreilles des paladins... Tu sais que nous avons besoin de cette commande, ma chérie... Tu ne peux pas prendre de risques. Si jamais les choses ne tournaient pas comme prévu... Promets-moi que tu renonceras. Nous trouverons un autre moyen de nous débarrasser de ces... enquiquineurs. "

Plutôt que de sourir, il se fit très sérieux.
-T'inquiète pas, maman : au moindre problème, on abandonne. De toute façon, si on rate, ça fera qu'empirer les choses... Et puis, je préfère encore qu'ils continuent à nous embêter plutôt que les paladins retirent leur commande ! Mais rassure-toi, les enquiquineurs, ils nous reconnaîtront pas : comme je serai sur les épaules de Guéric, on sera trop grands pour un halfelin. Et il y aura le drap, la lampe... Et puis, même s'ils connaissent pas ma voix, je réfléchit à un moyen pour la changer. Peut-être en parlant dans une boîte ou une bouteille.

La maman de Violette grimaça.
" C'est sûr qu'Helm ne pépie probablement pas comme une petite halfeline, même en version fantôme... Mais tu trouveras, j'en suis sûre."
Elle soupira et gratifia sa fille d'un baiser sur le front.
" Sois prudente, ma chérie. Prudente, prudente, prudente..."
Elle leva les yeux au ciel, comme si elle était consciente que sa participation à cette aventure était une pure folie.
" Allons-y, maintenant. Ton père est dans son bureau, en train de faire de la comptabilité... En passant par la cour, il ne nous verra pas."
Elle ouvrit ensuite la porte, jeta un oeil à l'extérieur, puis lui fit signe de suivre. Ensemble, la mère et la fille remontèrent le couloir, se glissèrent dans l'escalier, traversèrent la cuisine, puis une pièce que Taliesin n'avait pas encore vue, où étaient entreposés les moules et les légumes, et enfin, la porte s'ouvrit sur la nuit.
" Bonne chance, petit spectre..." lui souffla la halfeline.

-Merci, maman. Promis, je serai très très prudente ! Et je rentre le plus vite possible !
Un sourire, un salut de la main puis, son drap sous le bras, il s'en fut vers la chapelle. Cependant, il ne confondit pas vitesse et précipitation : ce n'était pas le moment d'être repéré par un membre de la bande attardé au-dehors, de faire une mauvaise rencontre ou d'être renversé par un passant pressé. Il progressa donc à une vitesse raisonnable, ses yeux fouillant l'obscurité, les sens en alerte.

Tymora, à défaut de Helm, était pour l'heure avec lui car Violette put cheminer sans être inquiétée. Sa petite taille lui permit de se faufiler le long des murs, derrière les charrettes et à l'abri des tonneaux, elle évita un rassemblement devant une taverne, reçut quelques conseils avisés d'une bande de prostituées éméchées, dut rester immobile un moment, le temps d'un groupe de gardes dépasse sa cachette. Puis elle retrouva la forge, la ruelle, la chapelle, et ses ténèbres. Guéric y était déjà et s'amusait à trimballer un oeil projeté par sa lanterne sur le mur. Concentré, il ne l'entendit pas entrer.

La tentation était grande de se revêtir du drap et de se fendre d'un "Bouh !" tonitruant. Toutefois c'eut été le meilleur moyen pour que son ami lance la lanterne, qu'elle ne se brise au sol... et ne fasse voler en éclats tous leurs espoirs, par la même occasion. Il s'abstint donc, préférant faire un tout petit peu de bruit pour que Guéric le remarque sans sursauter. Moins drôle, mais autrement plus avisé. De toute façon, ils passeraient les heures à venir à terroriser leurs ennemis : ainsi n'était-ce que partie remise.

" Super, tu es là !" s'exclama Guéric avec un sourire.
Il posa la lanterne sur un des bancs et vint la décharger de son drap.
" Je dois dire que j'avais peur que tes parents ne t'enferment à double tour pour les trois prochaines veilles... J'imagine qu'on est parés ?"

-Mon père était de très bonne humeur, et j'ai réussi à cacher le coup de la robe déchirée. Ma mère, elle l'a remarqué tout de suite, mais je lui ai expliqué que c'était à cause des garçons humains, je lui ai reparlé de notre plan pour qu'ils arrêtent de nous embêter... Et non seulement elle a été d'accord pour que je le fasse, en me disant d'être quand même prudente, mais en plus, elle m'a aidé à sortir et elle m'a prêté un drap ! Bon, il risque d'être un peu petit, alors faudra qu'on se tienne tout près des lits pour pas qu'ils voient tes pieds. Pis les aveugler quand on partira. Enfin, on va s'en sortir, j'en suis sûre ! Et donc, oui, on est parés, Et, au fait, génial, l’œil que tu as dessiné !

" J'suis pas mécontent..." avoua Guéric avec un sourire ravi.
Puis il redevint sérieux.
" Bon, on y va, alors ? J'ai pris un grand sac pour tout mettre, mais en fait, si on met la viande avec le drap, ça va faire des taches... Donc ça sert à rien, en fait, ce sac. Hum. J'ai pas l'esprit pratique, hein !"
Il sourit.
" On va commencer par Domi, parce que c'est lui le chef. Sa maison, elle est près des quais. Il y a les filets qui sèchent devant, et ça pue terriblement. La chambre de Domi, je crois qu'elle est au premier étage. Mais je suis jamais allé, tu penses bien. C'est pas très haut, je ne sais pas ce que tu penses : on entre par la fenêtre ou par la porte de devant ? Les parents vont se coucher très tôt le soir, parce que la pêche, ça commence très tôt le matin. Donc tout le monde dormira, dans cette maison. Tu crois que je fais mieux de laisser la viande pour le chien de Carl après ?"

-Si elle est hors de portée des chats, vaut mieux la laisser ici, je crois... Et on aura qu'à essayer la porte de derrière : c'est plus discret, et faudra moins d'acrobaties pour entrer par là. Si elle est fermée, on tentera la fenêtre ! Enfin, pour le sac, c'est pas bête du tout : on peut mettre dedans le drap, la lampe, pis mes chaussures, puisque tu as les épaules fragiles !
Il lui adressa un clin d’œil.

" Gnagnagna..." fit Guéric en lui tirant la langue.
Il désigna une statue de guerrier qui traînait dans un coin, le visage vermoulu et l'épée brisée.
" J'ai mis la viande dans le compartiment secret... Tu savais qu'il y avait des compartiments secrets dans ces statues ? C'est mon père qui me l'a dit. C'est là que les prêtres, ils planquent les richesses, dans les sanctuaires et les chapelles où il n'y a pas de gens en permanence. Des objets du culte, je crois qu'on appelle ça. Mais bon, les voleurs un peu expérimentés, ils savent ça. Tandis que les chats, ils savent pas dévisser la tête."
Il fit signe à la petite fille de le suivre puis grimpa sur l'appui de fenêtre et se laissa glisser dans la rue.
" Mais je crois pas que y'a de porte de derrière, chez Domi, cela dit... reprit-il une fois qu'ils furent dans l'ombre. On entrera par devant. Y'aura peut-être un loquet mais... je me débrouillerai."
Puis, la mine embarrassée, il mit le cap sur les quais.

Il fut tenté de rebondir sur ce que venait de dire son ami, de lui conseiller de cesser au plus vite ses petits larcins, sous peine de s'attirer de graves ennuis avec les autorités et, un jour, d'être contraint à fuir Manost. Mais le moment était assurément mal choisi : il aurait le temps d'y revenir plus tard, une fois leur mission accomplie. Pour l'heure, mieux valait se concentrer sur celle-ci et ne pas relâcher sa vigilance : faire preuve d'imprudence sur le trajet, c'était risquer de voir leur beau projet s'écrouler avant même d'avoir débuté... Ce serait dommage, pour le moins.

Les deux garnements filèrent donc à travers les rues, à petits pas de souris, évitant tout ce qui rassemblait de près ou de loin à un être humain (ou apparenté). Ils atteignirent les masures qui jouxtaient le front de mer, à quelque distance des quais principaux, et l'odeur de poisson et d'algues envahit l'atmosphère, presque suffocante. Guéric y était habitué, Violette peut-être aussi, mais Taliesin beaucoup moins. Des barques vétustes dodelinaient sur l'eau grise, une lune morne se reflétait sur l'eau. Ils dérangèrent quelques mouettes, un vieux chat malingre, puis Guéric s'immobilisa, désignant l'une des façades, identique à ses voisines.
" On y est. Cache-toi derrière ces caisses, là... Dès que j'ai ouvert la porte, je te fais signe." chuchota le halfelin.
Il n'y avait nulle lumière dans la masure. Des filets pendaient devant l'entrée, comme l'avait annoncé Guéric, mais il en pendait d'autres devant toutes ces maisonnettes flétries.

Il se cacha sans se faire prier, mi inquiet, mi impatient. Surtout impatient, en réalité, il devait le reconnaître. Ce qui ne manquait pas de l'embarrasser quelque peu : n'était-ce pas idiot, voire cruel, qu'un adulte trouve amusant de faire peur à un gosse ? A un sale gosse, cependant, car Domi s'en prenait sans vergogne aux plus petits que lui. S'ils parvenaient à leurs fins, il cesserait d'ennuyer les deux jeunes halfelins. Peut-être même amenderait-il sa conduite. Dans ce cas, cette opération nocturne serait doublement une bonne action. Et puis, bon, les bardes adorent jouer la comédie : alors se déguiser en fantôme avec les moyens du bord et se faire passer pour un envoyé de Helm, cela ne pouvait pas le laisser indifférent...

Guéric lui fit bientôt signe comme la porte s'ouvrait, grinçant légèrement sur ses gonds. Une fois la petite fille sur ses talons, ils entrèrent et refermèrent rapidement la porte. Silencieux quelques secondes, ils demeurèrent aux aguets, mais rien ne bougeait dans la masure. Le sol de terre battue étouffait leurs pas et ils progressèrent dans ce qui devait être la pièce de vie. L'âtre était encore un peu rouge, trois chaises entouraient une petite table, Guéric manqua se prendre les pieds dans un tapis élimé et jura à voix basse. Des odeurs de cuisine flottaient dans l'air... Du poisson, évidemment. Au fond de la pièce se trouvait l'escalier, qu'ils empruntèrent, circonspects. Chaque marche craquait avec bonheur sous leur poids plume, mais une fois encore, ils n'entendirent rien tandis qu'ils grimpaient. Trois portes donnaient sur le palier, ainsi qu'une alcôve d'où les observait une saisissante statue représentant Helm. C'était un objet sans charme, une reproduction bon marché du dieu, mais c'était surprenant de le trouver là et il avait des yeux vaguement phosphorescents qui semblaient les suivre comme ils se déplaçaient. Guéric désigna une des portes avec un haussement d'épaules.

Fallait-il voir en cette statue un encouragement, un avertissement ou un pur hasard ? Il n'aurait su dire et le moment n'était guère approprié pour de telles réflexions. Une chose était sûre, en revanche : on vénérait Helm dans cette maison, et leur petite mascarade n'en aurait que davantage de poids...
Sans plus tarder, Taliesin s'approcha silencieusement de la porte et colla son oreille au battant. Il voulait s'assurer que ne proviennent pas de l'intérieur une paire de respirations, ce qui signifierait qu'il s'agissait de la chambre des parents. Dans le cas contraire, il tournerait la poignée : autant ne pas perdre de temps.

Il n'y avait qu'une seule respiration à l'intérieur et lorsque Violette eut ouvert la porte, Guéric glissa son visage dans l'embrasure, juste au-dessus du sien. Il lui fit ensuite un petit signe de tête et ils se glissèrent à l'intérieur.
La chambre de Domi était petite et sommairement meublée. Il y avait tout juste un lit, une armoire et un coffre. Aucun jouet, quelques vêtements épars, une paire de bottes oubliées. Rien d'autre. Domi ronflait doucement dans son lit, à moitié sous sa couverture, à moitié en dehors. Guéric jeta un regard mauvais à Violette, manifestement impatient d'entamer les hostilités.

-Vu que la chambre de ses parents est juste à côté, ce serait plus prudent de l'attacher et de le bâillonner non ? murmura-t-il à l'oreille de son ami. On pourrait se servir de ses habits... Mais est-ce que tu crois qu'on peut y arriver sans le réveiller ?
Ces précautions, pour drastiques qu'elles soient, lui semblaient nécessaires : s'il prenait envie à Domi de crier ou de détaler, ils seraient dans de beaux draps. Et c'était le cas de le dire.

" On n'a pas trop le choix..." fit le halfelin avec un haussement d'épaules, manifestement parvenu aux mêmes conclusions que son amie.
Il avança à pas de loups jusqu'au pantalon de son tourmenteur et sourit en exhibant une ceinture. Il fit encore quelques pas, récupéra un pull, une chemise, puis rebroussa chemin.
" J'ai jamais fait ça, moi... Je sais pas ce qu'on peut utiliser... La ceinture, c'est sans doute le plus pratique... mais pour le reste..."
Il avait l'air passablement décontenancé.
" On n'aurait pas plus facile à le saucissonner dans sa couverture ?"

-On pourrait lui attacher les pieds avec la ceinture et les mains avec autre chose... Ce serait moins risqué que de le saucissonner, parce qu'il faudrait qu'on le soulève pour ça, non ? En plus, j'ai prévu mon petit tour pour que ses draps glissent comme par magie, mais il marchera que s'ils sont pas bordés et que rien pèse dessus... Bon, on peut aussi laisser tomber cette idée, même si je la trouvais marrante...
De fait, après avoir passé des heures à maîtriser le sortilège, il espérait bien avoir l'occasion de s'en servir, d'autant qu'il lui semblait de nature à terrifier Domi.

La Couronne de Cuivre

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