[Quête] Montequine

[Galathée]

Malheureusement, pour avoir un aperçu de ce qui se trouvait autour du feu, Astrée devait prendre le risque de rouler sur elle-même ce qui, même si elle bougeait lentement, petit à petit, s'armant de patience, risquait d'alerter ses ravisseurs. Les feuilles mortes, même humides, qui formaient sa couche naturelle, n'étaient pas réputées pour leur silence. D'un autre côté, ses poignets liés étaient, eux, exposés à la flamme, et donc bien visibles. Là encore, un rongeur serait extrêmement exposé au regard de celui ou ceux qui parlaient encore autour du brasier. Cette lumière vive semblait d'ailleurs effrayer l'esprit des souris qu'Astrée parvint à frôler, lesquelles rechignaient à s'approcher, et elle percevait leur peur terrible de cette fleur qui brûle dans les ténèbres.

[Voyageuse]

Astrée sentait la frustration l'envahir. Le feu était trop proche pour qu'elle puisse parvenir à convaincre un rongeur de ronger ses liens. Elle ne pouvait pas non plus tenter de bouger, trouver une pierre coupante pour les couper elle-même : on l'aurait vue. Non, elle n'avait aucun moyen de s'enfuir dans l'immédiat. Ou aucun qui lui venait en tête, du moins.
Elle s'efforça au calme. Elle pourrait peut-être tenter de se libérer plus tard dans la nuit, lorsque le feu n'effrayerait plus les rongeurs, et, qui sait, que ses ravisseurs dormiraient. Elle pouvait, en attendant, faire semblant d'être toujours inconsciente. Cela dit, elle avait l'esprit tellement embrumé qu'elle risquait fort de s'endormir pour de bon.
Elle se tint un moment à cette résolution, s'obligeant à rester immobile. Ses pensées tournoyaient dans son esprit, plus nettes que lorsqu'elle avait repris connaissance. Elle revivait l'attaque subite, revoyait le chasseur se faire heurter par la femelle, le mâle furieux la pourchasser, décidé à la tuer, et cette seule évocation la paralysait de peur. Elle inspira profondément, chassant cette image pour se concentrer sur la situation présente. Elle ne comprenait pas ce qui s'était passé après. L'avait-il laissée pour morte ? Et qui -ou quoi- l'avait capturée ? Pourquoi ? Pour la dévorer peut-être ? Mais pour le savoir, il aurait fallu qu'elle ose se retourner...
Elle hésita, prise entre sa curiosité et son désir de rester discrète pour peut-être s'évader plus facilement. Elle avait mal partout, et l'immobilité n'arrangeait rien. Et elle mourrait de soif... Et... non, vraiment, elle voulait savoir qui l'avait capturé. Bah, peut-être qu'en se retournant tout doucement, lentement... Ils étaient plus loin, pris dans leur discussion, peut-être qu'ils ne verraient rien ?
Elle finit par céder à la curiosité : lentement, précautionneusement, elle se laissa rouler sur elle-même. Juste assez pour se retrouver à plat ventre et pouvoir tourner la tête discrètement vers le feu.

[Galathée]

Astrée parvint à se retourner... lentement... discrètement... seconde après seconde, furtive... et...
C'étaient les centaures qui étaient autour du feu. Le grand mâle roux était couché, la mine sombre, et à la lueur des flammes, Astrée put mieux l’observer. A en juger de son apparence humaine, ce qui était probablement trompeur, il semblait avoir une vingtaine d’années, le visage taillé à la serpe, emprunt d’une rage qui transparaissait sur ses traits comme s’il l’avait clamée. Il avait les cheveux longs, aussi roux que sa robe, et les bras croisés sur une poitrine bardée de cuir. La femelle avait l’apparence d’une jeune femme aux cheveux noirs noué en un chignon approximatif. Elle paraissait plus jeune que le mâle, mais son visage recelait la même violence tout juste contenue. Elle était vêtue, elle aussi. Ils devisaient à voix basse, mais la rôdeuse ne pouvait lire les mots échangés sur leurs lèvres. Un peu à l’écart, reposait le mâle gris. Il était étendu sur le flanc, corps équin et torse humain, et respirait rapidement. Elle ne pouvait voir son visage, mais sa queue noire battait régulièrement l’air froid, vive, avant de retomber dans les feuilles mortes.
Aucune trace de Madeleine dans le cercle de lumière.
Le centaure mâle leva alors brusquement les yeux et croisa son regard. Elle mesura l’ampleur de sa haine en une fraction de seconde. Il était trop tard pour refermer les paupières... Il dit quelque chose à la femelle qui se remit sur ses sabots d’un mouvement souple et vint vers Astrée, l’expression glaciale.

[Voyageuse]

Les centaures... La première réaction d'Astrée fut un sentiment de panique complète, alors qu'elle reconnaissait le mâle roux, revivant en une fraction de seconde la poursuite, le choc, la mort dans son regard, tout à l'heure. Elle tremblait de tous ses membres et sentait une sueur glacée dégouliner de son front. Il lui fallut se répéter, encore et encore, qu'il ne l'avait pas tuée, et qu'il ne comptait sans doute pas le faire puisqu'il avait choisi, plutôt, de la capturer. Elle se demandait pourquoi, avec la haine qui bouillait en lui... mais puisqu'elle était vivante c'est qu'ils n'avaient pas l'intention de la tuer, non ?
Il lui fallut un peu de temps pour retrouver suffisamment de calme et pouvoir détailler le reste de la scène. Trop de temps : ils l'avaient vue. La femelle approchait, et elle sentait leur colère, leur haine. La terreur revint aussitôt, irrationnelle. Elle tenta de se répéter qu'ils n'allaient pas la tuer, qu'elle ne risquait rien. Peine perdue. Elle était terrifiée. Elle regarda la créature s'approcher sans faire un geste, sans un mot, paralysée pas la peur.

[Galathée]

La femelle se pencha et attrapa la rôdeuse par les épaules, la soulevant de terre. Pendant un instant, elle la dévisagea, ses yeux bruns, meurtriers, dans ceux de la jeune femme. Puis elle l’entraîna vers le feu. Une seconde, Astrée eut l’impression qu’elle allait l’y jeter, sans autre forme de procès, comme une simple bûche. Mais le centaure bifurqua vers son congénère gris, couché, et lâcha la rôdeuse sur le sol, sans ménagements. Elle détacha ensuite un couteau à sa ceinture et lui saisit les poignets, qu’elle libéra d’un geste brusque. Elle lui jeta finalement un sac entre les bras. Astrée reconnut sa besace médicinale.
« Tu le soignes. S’il meurt, je te briserai les os un par un. » dit la femelle centaure.
Le mâle roux n’avait pas bougé de sa place, ne les regardant même pas, le regard fixé dans les flammes. Astrée ne put que baisser les yeux sur le centaure gris, allongé près d’elle. Il avait les yeux mi-clos, le visage couvert de sueur, et il baignait dans une flaque de vomi jaunâtre. De son côté jaillissait toujours l’empennage de la flèche qui l’avait touché plus tôt. Une flèche à l’empennage vert. Empoisonnée par les bons soins d’une herboriste expérimentée.

[Voyageuse]

La menace de la femelle la glaça jusqu'au sang. Elle se sentit vaciller sur ses jambes, en partie peut-être à cause de son immobilité prolongée, mais surtout à cause de la terreur qui lui vrillait le coeur. Elle baissa les yeux sur le centaure gris, peinant à analyser ce qu'elle voyait, l'esprit brouillé par la peur. Elle se souvenait. La flèche verte. Empoisonnée... Et ils voulaient qu'elle le soigne. Elle était prête à coopérer, bien sûr... mais avait-elle la moindre chance d'y arriver?

Elle s'efforça de rassembler ses idées. Elle devait commencer par ralentir le poison dans son organisme. Cela, elle pouvait le faire, en se concentrant, en posant la main sur sa blessure, avec un sort... Mais ça ne suffirait pas, elle en était certaine. Il fallait extraire la flèche, qui continuait de diffuser le poison. Et essayer de purger son organisme, avec des herbes appropriées. Et même comme ça...
Elle grimaça. On n'enlevait jamais comme ça une flèche d'un organisme, pour éviter tout risque d'hémorragie mortelle. D'ordinaire, mieux valait laisser un corps étranger en place, jusqu'à trouver un clerc expérimenté, ou jusqu'à ce que le corps l'assimile si l'objet était petit. Mais dans le cas d'une flèche empoisonnée... et bien elle n'aurait sans doute pas le choix. Il lui faudrait s'efforcer de tirer parfaitement droit, en espérant qu'aucune artère importante n'ait été touchée.

Elle tendit ses mains vers le centaure, réalisant qu'elles tremblaient. Elle inspira profondément.
- Je vais utiliser un sort de ralentissement du poison, je ne peux pas mieux... Il faudra extraire la flèche, mais je le ferai après, pour qu'il soit moins affaibli. Et ce serait mieux si vous pouviez le maintenir, à ce moment-là, qu'il ne bouge pas, pour que la flèche sorte bien droit et éviter une hémorragie.
A la réflexion, ces mots étaient peut-être trop compliqués pour un centaure. Elle ne savait pas s'ils parlaient bien le commun. Mais les prononcer lui faisait du bien, à elle, comme s'ils pouvaient raffermir son emprise sur la situation. Simple illusion. Quoiqu'il en soit, elle avait réussi à les prononcer d'une voix neutre, basse, presque calme. Machinalement, sans l'avoir consciemment décidé, elle avait tenté de retrouver le ton qu'elle aurait employé avec un cheval fou de rage. Isaure avait dit que leur part animale était plus importante qu'on le croyait...

Elle n'avait pas levé les yeux, les gardant fixés sur la flèche : croiser le regard des deux autres risquait de lui faire perdre instantanément le semblant de sang-froid qu'elle s'efforçait de conserver. Elle n'attendit même pas de réponse.
Elle posa doucement ses mains sur sa peau, entre la flèche et l'emplacement du coeur, et se concentra de son mieux, faisant le vide dans son esprit. Elle ne devait penser qu'à ce poison qui circulait, s'efforcer de le ressentir, de percevoir ses effets, de guider l'organisme pour qu'il le repousse... et oublier tout ce qui l'entourait.
Astrée --> ralentissement du poison --> centaure

[Galathée]

La femelle resta debout, la surplombant de son ombre, tandis qu'elle incantait. Elle sentit une légère chaleur envahir ses paumes, puis une énergie douce s'y concentrer, mille petites fourmis à la surface de sa peau, avant de se diffuser dans le corps du centaure. Il tressaillit au moment où le sortilège le frappa, ouvrant un moment des yeux ronds, avant de lâcher un gémissement qui se mua en soupir. Il essaya de se dérober à son emprise, sans y parvenir, et sa main gauche se dressa brusquement pour agripper la hampe de la flèche.

[Voyageuse]

Astrée pâlit, et réagit aussitôt, agrippant le poignet du centaure.
"Non ! s'exclama-t-elle, vous allez vous faire mal ! "
Sa seconde main vint se poser sur la flèche, là où elle s'enfonçait dans le corps, s'efforçant de la maintenir en place.
"Aidez-moi à le tenir, il ne faut pas que la flèche bouge !" ajouta-t-elle à l'adresse de la femelle.
Le geste du centaure était un réflexe de survie normal, prévisible. Mais vu sa force, elle aurait du mal à le contenir seule, et il n'était pas sûr qu'il ait entendu ses paroles.

[Galathée]

Le centaure gris relâcha sa prise et sa main glissa jusqu'au sol. Il saisit une poignée d'humus dans sa paume et l'écrasa jusqu'à ce qu'elle se fasse boue. La femelle n'avait pas bougé.
" Tu le soignes." répéta celle-ci d'un ton sourd avant de se retourner et de partir vers le feu, où elle se recoucha, aux côtés du mâle roux toujours immobile.
Ils y demeurèrent impassibles, les yeux dans la flamme, comme si un des leurs n'était pas en train d'agoniser à quelques mètres.

La tunique déchirée du centaure empêchait Astrée de bien voir le contour de sa blessure. Il avait désormais tourné son visage contre la terre et elle l'entendit grincer des dents. Les deux autres avaient repris leur conversation, usant d'inflexions que la jeune femme n'avait jamais entendues : ils ne parlaient pas le commun. La respiration du gris s'était faite plus tranquille, cependant, sa queue noire avait cessé de battre l'air glacé, et il semblait glisser vers le sommeil. Il murmura quelques mots incompréhensibles, frissonna, puis vomit à nouveau, un mélange de bile, de sang, et du restant d'un repas ancien.

[Voyageuse]

Astrée soupira. Il fallait sortir cette flèche de là, tout de suite, sinon le poison continuerait à se diffuser. Et elle allait devoir le faire seule...
Le centaure glissait dans le sommeil. Ou dans l'inconscience, peut-être. Mais elle pouvait au moins profiter de son calme et de son immobilité pour extraire la pointe empoisonnée.
Elle lui parla à voix basse, doucement, décrivant ce qu'elle faisait sans se soucier qu'il écoute ou non, tout en déchirant précautionneusement sa tunique autour de la blessure. Si ses geôliers avaient eu l'amabilité de lui laisser un couteau à sa disposition, sa tâche en aurait été facilitée, mais bien sûr ils le lui refuseraient. Pourtant ils étaient tellement plus fort qu'elle qu'ils n'avaient eu rien à craindre... Ses chevilles liées la gênaient, également. Elle aurait eu besoin d'assurer ses appuis pour pouvoir tirer fermement sur la flèche. Mais là aussi, ils ne semblaient en avoir cure.
Elle grimaça. C'était le moment fatidique. Elle posa l'une de ses mains sur la peau, ferme, et prit la hampe de l'autre main. Il fallait juste... tirer parfaitement droit. Et prier pour que la flèche n'ait pas touché une artère et que ne jaillisse pas un flot de sang impossible à contenir.
- Attention, ne bougez surtout pas...
Elle tira, d'un coup, brutalement, jeta la flèche de côté et comprima immédiatement la blessure des deux mains. Tenir, quelques minutes. Pourvu que le sang ne gicle pas quand elle lâcherait... Et qu'il se laisse faire.

[Galathée]

Le centaure n'avait pas bronché pendant toute la préparation de l'intervention. Il était cependant animé de grands spasmes, qui le saisissaient de la croupe aux épaules, et de temps en temps, un de ses postérieurs se contractait presque contre son ventre. Des plaques de sueur marbraient son poil argenté.
Lorsqu'Astrée arracha la flèche, il sursauta violemment, ses yeux verts s'ouvrirent, semblant fixer le néant, et sa bouche se contracta en un cri qu'il étouffa dans l'humus. Ses cheveux noirs paraissaient mouillés comme s'il avait été surpris par une averse et la rôdeuse nota, distraitement, qu'il s'était entaillé les paumes en serrant les poings. Plus important, le sang qui sourdait entre ses doigts semblait en quantité relativement limitée. Elle ne pourrait cependant passer la nuit les mains pressées sur son flanc...

[Voyageuse]

Astrée exhala un soupir de soulagement. Apparemment, il n'y avait pas de trop grosse hémorragie. Il fallait qu'elle tienne, quelques instants encore.
"Tenez bon, murmura-t-elle. Ça va aller..."
Puis, doucement, elle relâcha la pression, guettant l'évolution du flot sanguin et son aspect. Il était normal que la blessure saigne encore un peu, pourvu que ce soit de façon modérée. En revanche, si le sang avait une couleur suspecte, il faudrait qu'elle essaie d'évacuer le reliquat de poison, accentuant provisoirement la perte de sang, ce qui l'affaiblirait davantage et risquait de l'achever... mais avec un peu de chance, son sortilège avait réduit suffisamment la quantité de poison présent dans l'organisme.

[Galathée]

Le sang se remit à couler doucement, rouge sombre. La blessure était profonde et la plaie vilaine : l'acier de la pointe avait déchiré les chairs juste sous les côtes, et il n'était pas impossible qu'un organe ait été touché. Vu sa position, l'estomac, l'intestin, ou un autre de ces replis mystérieux du ventre, dont Astrée savait peu de choses. Même si les Montequins avaient affirmé que le torse humain abritait les fonctions vitales de la bête, il n'était pas impossible que les centaures soient différents, car leur corps chevalin ne pouvait être constitué uniquement de muscle. Le sang qui suintait sur la peau blême du jeune mâle était plus sombre que celui des humains, mais là encore, cela pouvait être normal, ou pas. Sans compter que le poison pouvait avoir emprunté d'autres voies, désormais. Il avait été touché de nombreuses heures plus tôt.
L'animal était désormais presque immobile, seuls ses flancs équins continuaient à se soulever, et il poussa un profond soupir.

[Voyageuse]

Astrée soupira. Elle n'avait aucun moyen de savoir si un organe vital avait pu être touché. Mais il n'y avait pas d'hémorragie, c'était déjà une bonne chose.
- Ne dormez pas tout de suite... Il faudrait avaler quelque chose pour purger votre organisme...
Elle fouilla dans sa sacoche médicinale. Du chardon marie... ça ne suffirait pas mais ça pouvait aider. Bardane, Echinacée surtout. Elle sélectionna rapidement les trois ou quatre simples qui, en synergie, avaient une chance d'aider le corps de la créature à éliminer le reste du poison.
Elle prit un rhizome de petit galanga, en approcha la moitié, doucement, des lèvres du centaure.
- Ouvrez la bouche... et mâchez ça pendant que je prépare une infusion...
Elle inspira profondément pour se donner le courage d'affronter le regard des deux autres. Le mâle, surtout, la terrifiait. En quelques sautillements, elle se tourna vers eux, évitant le roux du regard :
- Il me faudrait de l'eau... et un récipient pour la faire bouillir...
Elle avait réussi à parler d'un ton neutre, calme. Comme si elle n'était pas leur prisonnière, comme si elle ne lisait pas tant de haine dans leurs yeux, comme s'ils ne risquaient pas à tout moment de la tuer. Mais le filet de voix qui s'échappait de ses lèvres lui semblait bien ténu. Restait à espérer qu'ils avaient de quoi cuisiner... Elle se surprit à se demander ce que mangeait, au juste, un centaure.

[Galathée]

Lorsqu'elle prit la parole, le mâle tourna un regard meurtrier dans sa direction et si elle garda les yeux baissés, elle vit cependant les muscles de son corps équin se crisper brusquement. Il ne bougea cependant pas, demeurant couché dans les feuilles mortes. La femelle, par contre, se redressa, dépliant d'abord les antérieurs puis les postérieurs pour se relever. Elle dévisagea Astrée une seconde, l'expression à peine moins haineuse que le mâle, puis se détourna et alla au pied d'un arbre, où ils avaient entassé quelques affaires. Elle revint ensuite vers la rôdeuse, une outre de cuir à la main et la lui tendit.
" Nous n'avons rien pour faire bouillir de l'eau, lâcha-t-elle, durement. Il faudra faire sans."

[Voyageuse]

Astrée grimaça. Bon, et bien elle ferait sans. Elle hocha la tête, un peu raide, et se tourna à nouveau vers son "patient".
Elle prit une petite bourse de cuir, dans laquelle elle rangeait ordinairement certains simples plus fragiles, qui lui servirait de récipient, et y versa un peu d'eau. Le simple fait de voir le liquide couler lui rappela sa soif. Seraient-ils furieux si elle buvait ? Juste une gorgée ? Elle s'aperçut que ses mains tremblaient à nouveau, et attendit quelques instant que son calme revienne. Elle avait peur, affreusement peur, surtout du mâle roux. Elle s'efforça de chasser cette idée insidieuse qu'il risquait fort de la tuer, de toute façon, même si elle réussissait à sauver leur congénère. Elle devait se concentrer sur sa tâche.

Elle s'assit sur ses talons, aussi confortablement que possible, posa soigneusement son récipient de fortune sur une souche, et déchira chaque feuille, fleur, racine sèche, en morceaux aussi petits que possible. Dans l'eau froide, ils auraient bien du mal à infuser, aussi ne lésina-t-elle pas sur la dose. Il en fallait de toute façon beaucoup plus pour soigner un centaure qu'un être humain. Peut-être cinq ou dix fois plus... Et ça aurait été plus simple si elle avait eu la moindre idée du poison utilisé par l'herboriste. Elle se trouvait contrainte d'utiliser des antipoisons plus généralistes, sans la moindre garantie qu'ils soient efficaces.
Elle rajouta un peu d'eau, et finit par se dire que penchée ainsi pour préparer sa décoction, ils ne pourraient voir si elle buvait ou versait de l'eau... aussi s'autorisa-t-elle enfin à avaler une goulée de liquide.
Pendant que les plantes infusaient, il lui fallait s'occuper de la blessure. Elle y fit couler un peu d'eau claire pour la laver, puis, aussi doucement que possible, elle l'enduisit de baume cicatrisant. Les chairs étaient à vif et la douleur devait être difficilement tolérable, mais il le fallait. Elle continuait à lui parler, doucement, expliquant ce qu'elle faisait, chaque fois qu'elle le voyait tressaillir.
Elle sélectionna d'autres herbes qu'elle mâchouilla un peu pour les assouplir, et les plaça au contact de la plaie. Elle avait, comme toujours, une ou deux bandes de coton propres, qui lui servirent à maintenir l'emplâtre. Puis elle déchira un morceau du vêtement du centaure pour lui faire un bandage sommaire.

Elle revint finalement à sa décoction. En prit quelques gouttes au bout de son doigt, huma. Et décida que ce n'était pas assez infusé. Cela allait prendre un temps fou... Et pendant ce temps, le poison continuait à faire de l'effet. Mais peut-être que le centaure pouvait avaler un peu de ce mélange, herbes comprises, dès maintenant. Même non infusées, elles commenceraient à faire de l'effet dans son estomac. Pour un humain, elle y aurait ajouté beaucoup de miel... mais un centaure, si proche du cheval, ne rechignerait sans doute pas à les prendre ainsi.
Fouillant dans sa besace, elle y trouva une petite cuillère avec laquelle elle prit un peu de décoction riche en débris végétaux.
- Essayez d'avaler, ça vous fera du bien, murmura-t-elle en approchant la cuillère de sa bouche.
Du lait, également, pourrait certainement aider à le soigner. Il était peu probable qu'ils en aient...

[Galathée]

Le centaure était resté presque inerte pendant qu'elle le soignait. Il était très pâle et une écume rosâtre perlait au coin de ses lèvres. Ses yeux s'ouvraient de temps en temps, se révulsaient parfois, et son souffle rauque était de plus en plus ténu, du moins dans sa partie humaine. Il semblait à Astrée qu'il devait avoir deux paires de poumons, car le corps équin, qui se soulevait à un rythme plus rapide, semblait également animé d'une respiration. Son poil était à présent intégralement couvert de sueur. Il ne broncha pas lorsqu'elle déchira ce qui restait de sa tunique de lin grossier, se contracta une seconde quand elle nettoya la plaie et y disposa sa mixture. Le sang qui perlait à ses lèvres était peut-être dû davantage à une blessure qu'il s'était infligée en tentant de retenir ses cris qu'au poison, difficile de le savoir. Il se montrait en tout cas plus stoïque qu'un humain dans les mêmes circonstances, peut-être moins sensible à la douleur, peut-être conscient que ses cris briseraient le silence protecteur de la nuit. Heureusement pour Astrée, il ne perdit en tout cas pas connaissance et put donc ouvrir les lèvres lorsqu'elle lui présenta sa cuillère. Son expression indiqua qu'il trouvait la potion franchement mauvaise, mais il la mâcha consciencieusement.
La femelle noire s'était recouchée mais Astrée sentait son regard dans sa nuque.

[Voyageuse]

Astrée soupira. Elle le trouvait en bien piteux état. Trop pâle, trop faible. Ses soins arrivaient trop tard, et n'étaient peut-être pas suffisants. Mais elle ne pouvait faire plus. Il aurait fallu un guérisseur plus expérimenté, il aurait fallu connaître le poison utilisé. Il aurait fallu un prêtre, surtout...
Elle ajouta à sa mixture un peu de camomille, de menthe et de serpolet, pour tenter d'en atténuer l'amertume, mélangea, lui en donna une nouvelle fois, bouchée par bouchée. Elle en réserva plus de la moitié : elle lui en donnerait dans une heure ou deux, et attendrait peut-être la fin de la nuit pour le reste. Sauf si son état semblait s'aggraver.
Elle était arrivée au bout de ce qu'elle pouvait tenter, elle le savait. Il ne restait plus qu'à attendre. Espérer. Elle essuya doucement la sueur qui lui dégoulinait sur le visage, puis nettoya les blessures qu'il s'était faites aux mains. Il puait le poison, la mort, à en avoir la nausée. Elle avait l'estomac noué à l'idée qu'il ne survive pas...
Elle se tourna à demi vers la femmes noire, évitant toujours soigneusement de regarder le mâle roux au regard brûlant de haine.
- J'ai fait ce que je pouvais... Mais je vais encore lui donner de la potion, plusieurs fois dans la nuit...
Elle reporta son regard vers l'animal blessé. Y avait-il la moindre chance qu'il survive ?

[Galathée]

La femelle centaure ne lui répondit rien et retourna auprès du mâle roux.
Et la nuit déroula ses heures sombres et froides.
Ses geôliers avaient cessé de parler. De temps en temps, l'un d'entre eux remettait une branche dans le feu, repoussant les ténèbres dans un tourbillon d'étincelles. Ils ne semblaient pas vouloir dormir. Le centaure gris louvoyait, de son côté, entre veille et sommeil. Il avait de la fièvre et tremblait, gémissait de temps en temps, ses postérieurs venaient frapper sa panse, puis sa main frôlait le pansement sans le toucher, il parlait dans sa langue étrange, grinçait des dents, vomissait sa bile et il urina dans les feuilles. Il prit encore la mixture, une seconde fois, plus difficilement car il délirait, puis sombra dans l'inconscience.
Le ciel grisait doucement vers l'est. La nuit touchait à son terme.

[Voyageuse]

Astrée avait la sensation que son état s'aggravait. Peut-être était-ce juste l'épuisement d'avoir tant lutté contre le poison qui le faisait sombrer ainsi dans l'inconscience ? Ou peut-être qu'il était en train de mourir...
Pas une seule fois elle n'avait regardé derrière elle, par crainte de ce qu'elle lirait dans le regard des centaures. Elle avait eu le temps de réfléchir pendant la nuit, malgré l'épuisement et l'inquiétude, de tenter d'analyser la situation. Sans guère y parvenir. Était-ce simplement pour défendre leur territoire qu'ils attaquaient ainsi tous les êtres humains qui s'y aventuraient ? Au point de kidnapper une enfant pour leur tendre une embuscade ? Madeleine... Isaure avait raison, ils l'avaient sûrement tuée. Elle n'avait servi que d'appât. Cette idée la révoltait.

Mais l'heure n'était pas à analyser ces choses. Le jour allait se lever, et le centaure n'allait pas mieux, bien au contraire. Il n'était pas encore mort, certes, mais serait-ce suffisant pour empêcher la colère des deux autres de se déchaîner sur elle ? Non, elle ne devait pas y songer, surtout pas. Découragée, et complètement épuisée par sa nuit de veille, elle touilla une nouvelle fois sa mixture. Il fallait qu'elle continue à le soigner, de toute façon. Jusqu'au bout. Et du mieux possible. Elle mouilla un morceau de tissu, et à nouveau essuya la sueur qui l'inondait. Elle s'efforça de nettoyer la bile et le vomi dont il était maculé, chercha à attraper quelques branchages propres à glisser sous sa tête, pour la surélever et pour l'isoler de toute cette puanteur.
Elle attendit qu'il reprenne suffisamment conscience pour ingurgiter encore un peu de potion, n'osant interrompre ce qui était peut-être, en fait, un sommeil réparateur. Elle le réveillerait pour le forcer à boire si elle avait la sensation que son état s'aggravait.

[Galathée]

La lumière se déversait doucement sur la forêt. Les premiers oiseaux du matin chantaient, l'air commençait à se réchauffer et à se gorger d'insectes. Le feu crépitait toujours. Astrée commença à mieux discerner l'environnement autour d'elle. Ils étaient dans un bois de feuillus, relativement dense, où de nombreux troncs tombés et couverts de mousse parsemaient le sol, donnant aux lieux un aspect ancien, presque féérique. De grands rochers émaillaient la partie gauche, plus sombre, de la forêt, et elle se demanda si elle ne parvenait pas à distinguer l'ombre de la falaise. Difficile à dire.
Près d'elle, le centaure gris était toujours endormi. Sa respiration était plus ample et il n'avait plus vomi depuis un moment. Ses bras étaient couverts de chair de poule, il les avait serrés autour de son corps, et de temps en temps, il grommelait.
Puis la jeune femme entendit l'un des centaures se lever et une ombre la surplomba à nouveau. Cette fois, à son souffle, elle devina que ce n'était pas la femelle. Mais la créature ne dit rien, ne bougea pas, se contentant de demeurer juste derrière elle. Elle sentait presque les antérieurs contre son dos.

[Voyageuse]

Astrée sentait la peur lui nouer les entrailles. Ce mâle hargneux la terrorisait sans qu'elle puisse s'en défendre. Il l'avait traquée, coursée, failli la tuer. Il la haïssait, elle le savait. Juste parce qu'elle était humaine, sans doute. Et il était juste derrière... Elle ferma les yeux et sentit la chair de poule hérisser ses poils. Il pouvait, d'un geste, la tuer. Elle n'aurait pas la moindre chance de lui échapper.
Elle s'efforça de faire abstraction de sa présence, de se concentrer sur le blessé. Il lui semblait aller mieux. Si elle avait pu, elle aurait posé une couverture sur son corps pour le réchauffer, mais les centaures ne semblaient pas en utiliser. Lorsqu'il ouvrirait les yeux, elle lui donnerait encore de la potion. Peut-être qu'il faudrait en faire davantage, mais elle n'avait presque plus d'herbes.
Elle soupira, consciente que ces pensées futiles n'étaient là que pour la détourner de son angoisse.

Tourner la tête vers le mâle roux était au-dessus de ses forces. Elle le ressentait comme un animal fou de rage. D'ordinaire, elle pouvait tenter de calmer un animal en colère. Mais là c'était peine perdu : ce n'était pas vraiment un animal, et il était trop plein de haine. Elle se sentait incapable de lui faire comprendre qu'elle n'était pas hostile, qu'elle reconnaissait sa supériorité, qu'elle voulait juste qu'il la laisse partir.
- Il commence à aller un peu mieux, finit-elle par souffler d'une toute petite voix, toujours retournée, tête baissée. Enfin, je crois...
Ce qui signifiait aussi, réalisa-t-elle un peu tard, qu'elle ne leur était plus de la moindre utilité. Qu'elle pouvait mourir. Elle sentit un frisson la parcourir, et ferma les yeux, priant de toutes ses forces sans trop savoir qui ou quoi elle suppliait ainsi.

[Galathée]

Mais le mâle se contenta de s'écarter, sans rien dire, ni faire. S'il avait l'intention de la tuer, ce n'était pas encore pour tout de suite.
La femelle noire surgit peu après, reprit l'outre désormais presque vide, et Astrée l'entendit s'éloigner dans le bois, les feuilles mortes craquant sous ses sabots. Il faisait jour, à présent, et la rôdeuse commençait à percevoir les effets de cette nuit sans sommeil. Le centaure gris respirait mieux. Au bout d'un moment, elle le vit papillonner des yeux et pousser un soupir. Il prit ensuite appui sur un coude et passa une main lasse sur son visage. Ce mouvement lui arracha une grimace comme il tendait la peau blessée de son flanc et il reposa le bras sur le sol. Son regard vert croisa celui d'Astrée, une expression de surprise, puis de peur, le traversant comme ses yeux descendaient vers son ventre puis ses jambes humaines.

[Voyageuse]

- Je ne vous veux aucun mal, souffla Astrée. N'ayez pas peur...
Ainsi, il n'avait pas eu conscience qu'il n'était pas soigné par l'un des leurs. Peut-être ne s'était-il même pas aperçu qu'elle lui parlait le langage commun et non le dialecte de leur espèce. Du sylvanien, peut-être...
Elle saisit la petite bourse de cuir sont elle s'était servie comme récipient de fortune, et lui tendit le reste de la potion.
- Il faut boire ça, pour aider votre corps à éliminer le poison. Tenez...
Elle essayait de lui faire comprendre, par le regard, l'attitude, l'intonation, qu'elle n'avait aucune mauvaise intention. Il l'effrayait moins que les deux autres. Certes, sa stature était impressionnante, et elle voyait combien il se défiait des humains. Sans doute aurait-il lui aussi tenté de la tuer, s'il en avait eu l'occasion. Mais cela ne s'était pas présenté, elle n'avait pas eu à l'affronter, à le fuir, terrorisée et désespérée. Là, devant elle, il était juste un animal blessé, effrayé, qu'elle essayait de soigner. Et rien d'autre. C'était de la peur qu'il y avait dans son regard, et non une rage meurtrière. Mais peut-être s'accrochait-elle à cette sensation simplement pour résister à sa propre peur. Et puis de toute façon, elle était bien trop épuisée pour y réfléchir.
Elle se sentait bien incapable de se retourner vers le roux, en revanche.

[Galathée]

Il se redressa légèrement, basculant sur le ventre. Le mouvement lui arracha une grimace mais il put saisir la bourse entre ses mains pâles et porter la fin de la mixture à ses lèvres. Derrière eux, Astrée entendit les pas de la femelle noire qui revenait. Le regard du gris passa au-dessus de son épaule.
" Mellan'messa." déclara-t-il d'une voix cassée.
Astrée vit l'ombre de la femelle se rapprocher, puis l'outre passer au-dessus d'elle comme elle lui tendait l'eau. Le centaure gris l'attrapa de la main droite, Astrée vit le spasme dans sa poitrine, mais il ne broncha pas. Il but ensuite longuement, avant de rendre le breuvage à la femelle noire, qui n'avait pas bougé.
Puis, de manière parfaitement imprévue, Astrée se sentit soulevée de terre. Le centaure gris lui adressa un léger sourire, comme embarrassé, tandis que la femelle noire l'écartait de lui et la ramenait vers un arbre voisin. Avant d'avoir pu protester, la rôdeuse s'y retrouva attachée, poignets liés derrière le tronc, assise dans l'humus, en face du mâle roux qui, depuis l'autre côté du feu, semblait ne lui prêter aucune attention.

[Voyageuse]

Astrée sentit le soulagement l'envahir : ils ne l'avaient pas tué. Enfin, pas encore. Mais ils l'auraient déjà fait si telle avait été leur intention, non ?
Elle appuya sa tête contre le tronc, derrière elle, et ferma les yeux. Elle avait soif, mal partout, et elle était épuisée. L'odeur de vomi dont elle avait été environné toute la nuit lui avait en revanche fait passer toute envie de nourriture solide.
Elle aurait voulu pouvoir détendre ses muscles, mais bien sûr ils l'avaient attachée à nouveau. Elle se demandait bien pourquoi ils prenaient cette précaution : n'était-il pas évident qu'elle n'avait aucun espoir de pouvoir s'échapper, même s'ils la laissaient libre de ses mouvements ? Ils le lui avaient largement démontré la veille. Et elle savait que si elle tentait de fuir sans leur permission, ils la tueraient. C'était certain. Aussi ne tenta-t-elle même pas de contacter un quelconque rongeur pour lui venir en aide. Mieux valait rester soumise et obéissante, et attendre qu'ils daignent lui rendre sa liberté. Ce qui ne tarderait sans doute guère puisqu'elle ne leur était plus utile. Ou bien ils s'éloigneraient simplement, l'abandonnant à son sort, en ce cas elle se débrouillerait. Ou bien ils avaient l'intention de la tuer... Non : elle s'accrocha de toutes ses forces à l'idée qu'ils ne l'avaient pas laissée vivre jusque-là pour la tuer ensuite.

La fatigue brouillait ses idées. Elle avait sommeil. Ses pensées se faisaient plus confuses. Le mâle gris semblait moins haineux. Reconnaissant, peut-être, pour ses soins. Le mâle roux n'était que rage. Peut-être que la femelle qui avait été grièvement blessée par les montequins était... sa compagne ? Quelle drôle d'idée... les centaures avaient-ils des compagnes attitrées ? Et ainsi, la femelle noire l'aurait épargnée pour qu'elle soigne son compagnon ?
Décidément, elle divaguait, prêtant aux centaures des mœurs qui étaient ceux de sa propre espèce. L'épuisement, sans doute. Elle n'avait pas envie d'ouvrir les yeux. Pas la force. Peur de croiser le regard du roux. Et Madeleine, qu'en avaient-ils fait ? Morte ? Ses pensées tournoyaient. Malgré l'inconfort de sa position, malgré la peur, elle se sentait glisser doucement vers la somnolence.

[Galathée]

Somnolence qui la surprit finalement et malgré son angoisse.
Elle s'éveilla lorsqu'elle sentit des mains s'affairer près de ses poignets. La faim était maintenant une douleur sourde au creux de son ventre. Sa bouche était sèche, ses muscles endoloris. Le feu brûlait toujours devant elle et le mâle roux n'avait pas bougé. Le mâle gris reposait sur le flanc, sous une couverture, mais manifestement vivant. C'était une fois de plus la femelle noire qui l'avait délivrée. Elle était déjà en train de contourner le tronc pour revenir devant elle. Comme auparavant, son visage ne reflétait qu'une franche hostilité. Elle se coucha cependant devant Astrée, souple sur son fin corps de coursier. Elle lui tendit ensuite une écorce blanche et un morceau de bois à l'extrémité charbonnée.
" Tu écris, annonça la femelle, la regardant droit dans les yeux. Tu sais écrire ?"

[Voyageuse]

L'hostilité qui se lisait dans ses yeux, dans son attitude, ravivait l'angoisse d'Astrée. D'autant plus qu'elle avait la sensation de n'avoir rien fait pour mériter une telle haine. Elle avait beau se dire qu'ils en avaient après les humains en général, et non elle en particulier, elle ne pouvait se départir d'un sentiment d'injustice. Mais elle parvint à soutenir son regard.
L'esprit embrumé, il lui fallait quelques instant pour réaliser le sens de la question qui lui était posée. Elle hocha la tête, affirmativement.
- Oui, articula-t-elle difficilement, la gorge desséchée. Dieux qu'elle avait soif...
Oui, elle savait écrire. Mais pourquoi voulaient-ils donc écrire quelque chose ? A qui ?
Elle saisit l'écorce blanche et le morceau de bois, et leva les yeux vers la femelle, attendant ses ordres.

[Galathée]

Le mâle roux dit alors quelque chose à voix haute, dans sa langue étrange. C'était un ordre, le ton ne laissait pas de place au doute. La femelle grommela mais s'exécuta dans l'instant. Elle fit le tour du feu, abandonnant une seconde Astrée, ramassa quelque chose près de son congénère et revint vers elle. C'était l'outre d'eau, qu'elle lui tendit. Elle la regarda tandis qu'elle étanchait sa soif, puis lui reprit le précieux liquide.
" Maintenant, tu écris, dit la femelle. Ecris : nous tuerons l'enfant si la faille n'est pas rouverte. Vous avez deux jours."

[Voyageuse]

Astrée regarda l'outre tendue, stupéfaite. Le mâle roux avait donné l'ordre... de la laisser boire ? Malgré sa haine ? Renonçant à se questionner davantage, elle avala le liquide à grosses goulées. Jamais une eau ne lui avait paru aussi délicieuse.
Puis elle reprit le morceau de bois, prête à écrire. Mais la teneur du message la laissa interloquée.
- Quelle faille ? questionna-t-elle spontanément, levant des yeux plein d'incompréhension. Mais elle baissa très vite le regard sur la planche pour y inscrire la phrase. Elle devinait que ses questions seraient mal accueillies. Les Montequins sauraient, sans doute.
Et puis la bonne nouvelle, la chose la plus importante du message, était que la petite fille était vivante.