La Couronne de Cuivre

Surya fronça les sourcils en apercevant le drow. Qu'est-ce qu'un drow pouvait bien faire là, au sein de l'armée manostienne ? Bien sûr, ça n'était pas impossible, après tout il y déjà le conseiller qu'elle avait vu l'autre jour, lors de leur débarquement, et qui était un demi-drow si elle se souvenait bien des rapports lus autrefois. Deux drows se battant sous les couleurs de Manost, il lui semblait tout de même que ça commençait à faire beaucoup. Ou alors cet homme était-il le conseiller ? Mais non, c'était absurde : qu'est-ce qu'un haut dignitaire viendrait faire ici, à jouer les enquêteurs sur un massacre ? Elle se surprit à dévisager son vis à vis, cherchant à déterminer s'il était drow ou demi-drow, s'il avait les traits du conseiller qu'elle avait entraperçu l'autre jour. Oui, il lui ressemblait, bien sûr. Cela dit, à ses yeux d'humaine, tous les drows et semi-drows avaient une fâcheuse tendance à se ressembler. Difficile dans ces conditions de l'identifier avec certitude. Mais tout de même... Il venait de prendre la parole, comme s'il commandait le détachement, comme s'il était haut placé, et la voix lui semblait la même. Absurde...

Elle réalisa subitement que tandis qu'elle continuait d'observer avec un peu trop d'insistance le drow, personne ne prenait l'initiative de lui répondre. Elle lança un regard peu amène au soldat qui lui avait suggéré tout à l'heure de mener la discussion. Elle persistait à trouver ça absurde : elle n'était ni luménienne, ni soldat, ce n'était pas son rôle de parler en leur nom. Mais à bien y réfléchir, ce n'était le rôle de personne : il n'y avait aucun officier de quelque sorte que ce soit dans leur petit groupe.
Et bon sang, ça ne se faisait pas de rester plantés comme des souches sans répondre à une question aussi simple que directe. Et laisser planer indéfiniment un tel flottement n'était pas dans son caractère, aussi Surya finit-elle par prendre la parole, après avoir poliment salué d'un signe de tête :
- Bonjour à vous... Je suis Surya, barde auprès de l'armée luménienne. Mes compagnons et moi revenons effectivement de Chêne-aux-clercs...
Elle s'interrompit et grimaça légèrement.
- Et il y a eu un massacre, là-bas... Assez horrible. Nous n'avons retrouvé que deux survivants, que voici -elle désigna l'adolescente qu'elle portait en croupe et le soldat manostien à l'uniforme en loques sur la monture voisine-. Il y en a probablement d'autres, d'après les traces, qui ont été emmenés, comme prisonniers ou peut-être comme otages. Le reste de notre détachement est parti sur leur piste. Notre petit groupe était chargé de retourner à Graëlon pour rapporter ce que nous avons vu, et y raccompagner ces deux rescapés. Le père de cette jeune fille y est probablement, c'est un officier de votre armée...

Lucinda choisit ce moment pour seconder la petite barde, réunissant son courage pour parler à ces inconnus. Des années d'éducation de qualité ne s'oubliaient pas aussi facilement mais il fallait reconnaître une certaine force à l'adolescente qui venait de vivre des heures cauchemardesques :

- Oui, il s'agit du vicomte Ferbois, commandant du détachement de Chêne-des-Clercs. Mon père. Il a dû rejoindre Graëlon il y a deux veilles avec nos troupes. Savez-vous s'il s'y trouve encore ?

L'autre rescapé semblait bien plus silencieux, contemplant avec un intérêt manifeste un oiseau décrivant des cercles dans le ciel jusqu'à ce qu'il se manifeste bruyamment :

- Et je suis le caporal Fortdubras, première escouade des courriers ! Et vous vous ressemblez au conseiller Lothringen mais en un peu moins beau ! On ne vous l'a jamais dit ?

Cette dernière remarque lui arracha un sourire. C'était effectivement une réflexion qu'il se faisait souvent, ces derniers temps : cette terrible impression d'imposture...

« Si, car tous les drows se ressemblent, pour vous autres... Mais j'ai une excuse de choix à ma mauvaise mine, après la nuit que nous avons passée. »

Il dévisagea quelques instants le caporal Fortdubras, qu'il ne croyait pas avoir eu l'occasion de rencontrer personnellement. Ce devait être le capitaine Bacramad qui l'avait envoyé sur cette mission, pendant les quelques jours où il avait été inconscient. Quant au vicomte Ferbois, il n'en avait jamais entendu parler non plus. Avait-il réussi à rejoindre la ville, ou bien avait-il plutôt succombé aux attaques des mercenaires en chemin ? Faute de connaître la réponse avec certitude, il préférait laisser parler sire Rowan - mais il n'était pas optimiste. Se tournant vers le cavalier qui se tenait à sa gauche, il demanda donc :

« Avez-vous eu des nouvelles du détachement du vicomte Ferbois, messire ? »

HRP*: fossy, j'ai un peu avancé pour abréger les situations où ton perso ne peut intervenir, mais je lui laisse le soin d'interroger Surya.

hrp : vous avez bien fait d'avancer, week-end chargé et je n'ai pas pu passer plus tôt, désolé

Les survivants paraissaient en état de fatigue avancée, mais ils avaient suffisamment d'énergie pour conter les faits, ce qui était une bonne chose : le temps pressait sans doute, s'il fallait se mettre à la poursuite des pillards mélandiens à travers la campagne. La situation était particulière, et il se demanda si ces rescapés allaient oser se rendre sans escorte jusqu'à Graëlon. Bien sûr, la voie était normalement libre, mais les pillards n'étaient peut-être pas loin. Sans parler des orques qui s'étaient enfui cette nuit. D'un autre côté, pouvaient-ils se permettre de perdre un temps précieux à les raccompagner jusqu'en ville ? Ou diviser la Garde en deux ? Il doutait que Lothringen prît cette décision, mais pour l'heure, mieux valait collecter un maximum d'informations.

S'adressant à la jeune barde au teint halé, qui donnait l'impression de pouvoir s'exprimer avec moins de réserve que les autres, Mornagest lui demanda :

"Combien étaient-ils, ces bandits ? Et combien d'hommes sont partis à leurs trousses ?" Il craignait que le détachement luménien ne fût pas suffisant pour prendre le dessus sur ces maudits pillards. S'ils étaient mus par la haine ou la simple envie de répandre le mal, ils pouvaient se montrer très dangereux.

Surya se tourna vers le soldat qui venait de l'interroger, et répondit aussi précisément qu'elle le put, se remémorant les paroles du sous-officier.
- D'après les informations que m'a données le sergent avant de partir à leur poursuite, ils seraient entre trente et cinquante, tous avec des montures, probablement des mercenaires. Je sais, la fourchette est large... Et ils auraient avec eux deux prêtres et un mage, au moins. Et les luméniens partis sur leurs traces ne sont que neuf, dont un prêtre...
Le déséquilibre des forces lui arracha une grimace, puis elle poursuivit.
- On ne sais pas exactement quel était leur objectif en commettant ce massacre, on ne sait pas s'il s'agit d'autre chose que de miner le moral des troupes. Mais d'après Lucinda, ils étaient bien renseignés. Ils avaient les noms des personnes du village ayant des proches dans l'armée manostienne, de préférence des gradés. Et ils les ont obligés à écrire des lettres décrivant ce qui se passait...
Elle se tourna vers ses compagnons, une interrogation dans le regard, au cas où le sergent leur ait donné davantage d'informations qu'à elle-même.

Trois à cinq fois moins d'hommes pour châtier ces bandits, c'était du suicide... même en admettant qu'ils fussent particulièrement expérimentés. Et ils ne bénéficiaient pas de l'appui du moindre magicien. Mornagest écarquilla les yeux malgré lui.

"Comment se fait-il qu'ils aient tenté de les pourchasser avec un effectif pareil ? C'est bien trop risqué..."

Des bandits bien renseignés. Cela confirmait l'hypothèse comme quoi ils étaient bien membres de l'armée mélandienne. Ils devaient faire usage de magie divinatoire, ou disposer d'excellents espions. Sur ce point, il avait quelques informations... qui dataient malheureusement, et étaient donc sans doute en grande partie inutiles.

Pour l'heure, il fallait régler ce problème. L'idéal aurait été de prêter main-forte aux luméniens, mais avaient-ils une chance de les rattraper ?

"Quand les luméniens sont-ils partis ?"

Il reprit une voix plus calme, peu désireux de laisser penser qu'il était fâché contre ces réfugiés. Il ne parvenait pas à comprendre l'inconscience des soldats luméniens. Avaient-ils une botte secrète à leur disposition ?

C'est ce moment que choisit le soldat qui avait déjà fait office d'agent de liaison pour intervenir de la voix de celui peu habitué à parler librement en présence de ce qui ressemblait clairement à des officiers :

- Le groupe de reconnaissance est reparti hier soir : les mercenaires mélandiens avaient à peu près deux jours d'avance mais ils ont forcément été ralenti par leurs prisonniers. Le sergent avait pour ordre de repérer l'ennemi et de faire son rapport pour obtenir des renforts si besoin. Autant dire que vous tombez à pic, sauf votre respect.

Surya acquiesça.
- Oui, il me semble qu'ils comptaient simplement suivre la piste tant qu'elle était fraîche, pour repérer où ils se rendent avec leurs otages. Je ne pense pas qu'ils tentent quoi que ce soit de risqué, ils savent qu'ils vont obtenir des renforts de Graëlon.
Enfin, c'était ce qu'elle avait cru comprendre. Elle espérait qu'ils ne se feraient pas bêtement repérer, il s'agissait juste de pister l'ennemi après tout...
Elle jeta un coup d'oeil circulaire au groupe de manostiens, et soupira. Une dizaine... Ajoutés aux luméniens, ça ne faisait de toute façon pas assez. A moins qu'ils ne soient tous des guerriers particulièrement expérimentés, et que ceux d'en face ne soient que des mercenaires moins puissants. Même au niveau des lanceurs de sort, le déséquilibre étaient en leur défaveur. Et pourtant, ils ne pouvaient pas ne pas agir...
Mais elle n'était pas soldat, et ce n'était pas à elle de prendre ce genre de décision.

De Graëlon ? Un aller, un retour... Graëlon n'aurait jamais le temps de les rejoindre assez vite.

Lothringen écoutait les échanges en tentant d'évaluer la situation au mieux. Il continuait de penser que si l'objectif avait été de plomber le moral des troupes, c'était se donner beaucoup de mal pour pas grand chose... Chêne-des-Clercs n'était pas le berceau de l'ensemble, ni même de l'élite de l'armée helmite, loin de là, les informations auraient bien de la peine à rejoindre l'armée en marche, et pour un manostien découragé, trois auraient la rage. Alors, quoi ? Faire chanter les quelques malheureux gradés grâce à leurs proches détenus en territoire mélandien ? Comme si on n'allait pas les surveiller de près, à présent... Mais il se posait sans doute beaucoup trop de questions. Son habituel défaut. Il restait qu'un massacre avait été commis, et qu'on ne pouvait abandonner à leur sort les personnes enlevées.

Sur ce point, le problème principal reposait dans leur méconnaissance du nombre des adversaires. De trente à cinquante, on pouvait difficilement faire plus vague... S'ils réussissaient à rejoindre les Luméniens, puis les fuyards - et avec deux jours et demi de retard, ce n'était clairement pas gagné - il n'était pas certain du tout qu'ils soient alors en mesure de faire quoi que ce soit. A deux contre trois, c'était jouable. A un contre deux voire pire, beaucoup moins, et ce en dépit de l'expérience de la garde blanche et de la présence parmi eux de plusieurs lanceurs de sorts profanes pas exactement débutants. Cela dit, les apprentis terroristes s'étaient avancés profondément en territoire manostien. Si la situation l'exigeait, le conseiller pourrait éventuellement envoyer un message magique pour demander des renforts à l'une des agglomérations qu'ils dépasseraient...

"Quelle était la direction prise par ces mercenaires ? Suivaient-ils une route ou un azimut ? Et où pourrions-nous rejoindre la piste suivie, si nous décidions de partir à notre tour à leur poursuite ?"

Ce fut cette fois le soldat qui prit le relais de la jeune barde qui n’avait pas été mise au fait de ce genre d’informations :

- Le groupe de reconnaissance se dirigeait vers le nord à la suite des mercenaires mais c’était hier soir. Ils ont pu changer de trajectoire à tout moment ou, au contraire, filer directement vers le territoire sous contrôle mélandien. Notre sergent a toutefois la possibilité de communiquer une fois par jour avec notre état-major. Peut-être ont-t-ils déjà dépêché des renforts ou transmis les informations à votre conseiller et à ses généraux ? La priorité du sergent sera toutefois de repérer l’ennemi et voir si les prisonniers peuvent être exfiltrés avant l’arrivée de nouvelles troupes. Un groupe trop important pourrait mettre la vie des otages en danger, vous comprenez…

Mmmhh. Si les preneurs d'otages entendaient s'en servir comme de monnaie d'échange ou de boucliers humains, ils allaient avoir une très mauvaise surprise. Car s'il y a bien un principe avec lequel la théocratie helmite n'a jamais transigé, c'est celui-ci : on ne négocie pas avec les terroristes. Evidemment, Lothringen n'était plus helmite, et plutôt du genre à tenter de ruser et se mettre en péril pour sauver tous ceux qui peuvent l'être - mais il n'était pas tout seul non plus, et il comprenait parfaitement l'utilité d'un tel principe, tout particulièrement en temps de guerre.

Histoire de vérifier l'état d'esprit de ses troupes, il demanda à sire Rowan ce qu'il en pensait. Il ne fut nullement surpris d'entendre le capitaine de la garde se faire l'expression de la pensée manostienne typique.

« Messire, sauvons les otages si nous le pouvons, mais je pense que notre priorité doit être de châtier les auteurs de ce massacre. Pour ce qui est des renforts, nous pourrons aviser en route. Partons tout de suite, afin de ne pas leur laisser la moindre chance de s'en tirer. »

Le semi-drow interrogea alors Mornagest du regard. Il doutait que son amant partage tout à fait ce point de vue...

Les fuyards tenteraient probablement de les semer, mais le fait qu'ils transportaient des otages les ralentiraient à coup sûr. Si le groupe de luméniens avait un moyen de communiquer, ils pourraient peut-être réussir à les rattraper... il fallait de toute façon tenter le coup.

"Si je devais donner mon avis, messire, je mettrais la vie des otages en priorité. Certes, les actes de ces mélandiens sont à punir sévèrement, mais cela ne fera pas revenir les morts... tandis que si l'on sauve ceux qui peuvent encore l'être, nous aurons une plus belle victoire. La décision vous revient évidemment, messire."

Il parlait en essayant de ne pas laisser transparaître ses émotions, mais il sentait qu'elles lui faisaient déformer la voix. Colère ? Commisération ? Mélange des deux ? Lui-même ne le savait exactement. Quelle importance, au fond ?

Bien qu’il n’ait pas reconnu sa véritable identité, le soldat luménien reprit la parole avec une déférence certaine, celle destinée à un officier ou – en tous cas - au chef naturel de la colonne alliée :

- Sauf votre respect, vous perdriez beaucoup de temps à vous rendre à Chêne-des Clercs et vous pourriez en perdre tout autant à chercher la piste des mercenaires ou de notre unité de reconnaissance. Evidemment, si vous aviez la possibilité de communiquer avec le quartier général, l’un de nos Appariteurs pourrait vous renseigner efficacement sur la position de notre groupe. Mais sinon, je vous offre mes services pour vous aider à le localiser : nous avons nos propres codes…

Il se tourna ensuite vers Surya et le second soldat qui transportaient l’un et l’autre les rescapés de Chêne-des-clercs :

- Je répugne à vous laisser mais à partir d’ici, la route ne devrait pas être dangereuse.

Surya n'était pas sûre de comprendre ces histoires de communication à distance. Il semblait y avoir des mages qui s'en chargeaient dans l'armée luménienne... Mais dans le groupe qu'elle avait quitté à Chêne-aux-clercs, qui donc pouvait en être capable ? Le clerc ? Et en quoi le soldat pouvait-il aider à localiser le groupe ? Sans doute parce que ses compagnons d'armes laisseraient des signes permettant de suivre leur piste ?
Quoiqu'il en soit, ça ne la concernait pas directement. ce qui comptait, pour elle, c'était de se retrouver à Graëlon, auprès des hautes instances décisionnelles de préférence, pour en apprendre autant qu'elle pouvait sur la situation Dorrandine et transmettre son rapport aux ménestrels. Sauf... sauf que le drow qui lui faisait face était peut-être le conseiller Lothringen. Dans ce cas, il aurait peut-être mieux valu qu'elle reste ?
Non, c'était absurde, ça ne pouvait pas être le conseiller, que diable ferait-il ici ? D'accord, il lui ressemblait, il avait la même voix, mais il l'avait dit lui-même, c'était simplement dû à son manque d'habitude à côtoyer des drows.

Bon, et puis de toute façon, la question ne se posait pas : le second soldat et elle-même devaient convoyer les deux rescapés à Graëlon. Pas jouer les héros à tenter de libérer des otages contre un ennemi deux fois supérieur en nombre. Il fallait deux personnes "valides", et deux montures. Le choix était vite fait.
- Ne vous en faites pas, nous saurons nous débrouiller je pense..., répondit-elle spontanément au soldat, avec un sourire confiant. Un peu trop confiant peut-être... Les manostiens n'avaient-ils pas raconté avoir été attaqués ? Etait-ce bien prudent de faire ce trajet à deux ?
Retenant une grimace, elle se tourna vers le drow.
- Vous dites que vous avez eu à combattre lors de votre trajet jusqu'ici... Vous pensez qu'il y a encore des risques sur cet itinéraire ?

"Il y a des risques certains si vous chatouillez les collines de trop près. La horde qui nous a attaqués était nombreuse, organisée, et le chef ogre a pris la fuite avec une partie des siens. Au matin, cependant, en quittant la grotte, nous n'avons plus croisé âme qui vive... Si cette grotte était visible depuis la route, alors l'inverse est aussi vrai. Il serait prudent de faire un détour."

Il continuait de penser à leur traque. La stratégie avait été entendue dès que Mornagest s'était exprimé sur le sujet. Au ton de son compagnon, il avait compris que ce dernier prenait le sort des otages à coeur, et il ne voudrait pas le décevoir. Ils allaient donc essayer de ne pas prendre de front leurs ravisseurs. Quant à la façon de pister le groupe des mélandiens... Il s'adressa cette fois au soldat luménien :

"Nous ne pourrons pas contacter Graëlon avant le prochain repos." Le temps pour lui de mettre à jour sa liste de sorts. Il sourit. "Si vous pouvez nous guider d'ici là, votre aide sera la bienvenue."

Le soldat se redressa non sans une certaine fierté de pouvoir ainsi se rendre utile. Toutefois, son éducation militaire était bien trop ancrée pour qu’il délaisse quelque question de protocole et de hiérarchie de commandement en cet instant :

- C’est un honneur pour moi d’aider mes alliés. Cependant, sauf votre respect, vous ne ressemblez aucunement à une unité conventionnelle de l’armée manostienne. Non pas que j’y entende grand-chose notez bien. Puis-je tout de même savoir à laquelle j’ai affaire ? Non pas que la question soit primordiale mais ce sera plus facile pour moi de savoir comment je dois vous appeler, messire officier.

Il s’adressait évidemment à Lothringen qui semblait se comporter comme le chef de l’expédition. Pendant ce temps, le second luménien s’empressa de tenter de rassurer Surya sur sa capacité à leur faire éviter la plupart des ennuis communs même en cette région pratiquement inconnue.

« Je vois. Notre unité est effectivement un peu particulière, et c'est pourquoi je ne puis évoquer librement notre mission devant toute cette assistance. Un instant...»

Le semi-drow incanta brièvement.

Lothringen ==> message

La voix du conseiller résonna soudain, claire, distincte, mais par lui seul audible, dans la tête du soldat luménien.

« Je suis le conseiller Lothringen, et vous voyez avec moi la garde blanche, qui était jusqu'il y a peu la garde rapprochée du Grand Emissaire. Vous comprendrez que, par les temps qui courent, si nous laissons des civils crier sur tous les toits de Graëlon qu'ils ont croisé le conseiller en petit comité, et qu'ils peuvent même prédire où il se rend, nous allons avoir beaucoup de peine à le garder en vie. »

Le soldat eut grand peine à masquer son étonnement. Peut-être n’avait-il tout simplement guère l’habitude d’entendre une voix dans sa tête ou était-ce le sentiment bien compréhensible de se retrouver au milieu de nulle part en présence du dirigeant des forces alliées. Il eut toutefois le mérite de se reprendre bien vite et de faire jouer ses réflexes de soldat en répondant :

- Bien entendu. La maîtrise de l’information est une donnée essentielle de ma propre unité. Mais nous aurons tout le temps de deviser en chemin et j’imagine que vous avez grande hâte à vous remettre en route.

Le moment des adieux était proche et il ne restait sans doute qu’à se séparer pour que chacun poursuive sa route dans une direction opposée.

Surya grimaça intérieurement. Un sort de message, apparemment. Le drow avait de toute évidence des choses à cacher, à commencer par son identité. Bon, ça ne prouvait pas que ce soit le conseiller, bien sûr, mais c'était plus que suspect. Et puis, peu importait qui il était, finalement. Le simple fait de se trouver en présence d'un secret suffisait à éveiller la curiosité de la barde. Elle avait décidément très envie d'en savoir plus. Sauf... sauf qu'elle qu'elle n'avait aucune raison décente de subitement faire demi-tour et de rester avec les manostiens. Elle ne leur serait d'aucune utilité, probablement : sa présence auprès de Lucinda leur paraîtrait bien plus importante. Et si elle manifestait la moindre vélléité de rejoindre le groupe, on jugerait son attitude passablement louche et elle n'avait absolument aucune envie de se trouver prise pour un agent mélandien infiltré. Non, décidément, elle n'avait pas d'autre choix que de poursuivre sa route...
Aussi se contenta-t-elle de hocher la tête, se creusant la cervelle pour trouver un éventuel moyen d'en savoir plus, sans y parvenir. Elle dévisagea un instant les autres personnes présentes, tous portant cette étrange cape blanche. Il faudrait qu'elle se renseigne, une fois à Graëlon, pour savoir qui ils étaient. Cette cape semblait une sorte d'uniforme, de signe distinctif, qui avait sûrement une signification...
- Si nous ne vous sommes plus utiles, nous allons vous laisser poursuivre votre route. J'espère que vous rejoindrez vite les nôtres, messire officier...
A défaut d'un nom, autant reprendre l'appellation utilisée par le soldat précédemment.

Pour Lothringen et Mornagest :

Tous - à commencer par leur nouvel éclaireur – avaient hâte de se remettre en route après le départ des réfugiés de Chêne des Clercs et de l’étrange barde à leur tête. Le soldat luménien approcha du conseiller et, de fait, de son garde du corps après une demi-heure de course dirigée vers un azimut nord, nord-est.

- Messire, je vais bientôt devoir faire une halte de dix minutes : c’est bientôt l’heure pour l’un de nos Appariteurs de me contacter. Nous avions convenu avec le sergent que je ferai office de contact parmi notre petit groupe. J’obtiendrai certainement des informations précieuses sur la destination que nous devons atteindre mais je pourrai aussi lui transmettre quelques mots si vous avez des idées à ce sujet.

Pour Surya :

La barde était seule avec ses pensées après trois bonnes heures de chevauchée depuis qu’ils avaient quitté la troupe manostienne. Il était inutile de compter sur l’ancien messager manostien et guère plus sur le soldat pour meubler la conversation. Même Lucinda semblait plongée dans un profond mutisme inquiet. Et son inquiétude ne fit que se renforcer quand le militaire annonça qu’ils allaient devoir contourner les grottes et bivouaquer dans la lande une fois le soir venu.

Lothringen prit quelques instants de réflexion. Il contacterait lui-même le capitaine Bacramad pour lui parler de leur propre expédition, mais certains détails ne pouvaient trop attendre.

"Il faut avertir les autorités manostiennes de ce qu'il s'est passé à Chêne-des-Clercs. Il me semble urgent de leur demander d'envoyer un détachement enterrer les morts et sécuriser le village, afin d'éviter qu'il ne devienne le terrain de jeu des orques de la région ou des brigands en maraude."

Si Graëlon n'avait plus assez de troupes pour cela, on ferait ce qu'on avait fait ailleurs : tout brûler. Mais il se garda bien de le dire.

Pour Lothringen et Mornagest

L’homme se permit de répondre d’un ton un peu gêné :

- Messire, si je puis me permettre... Notre clerc a pris la liberté de brûler les corps qu’on a pu retrouver. Mais nous n’avons pas pu fouiller les maisons et la cave du temple et de nombreux morts-vivants ont été créés sur place. Nous étions trop peu pour les affronter. Peut-être faudrait-il y détacher des prêtres ou des paladins…

Des prêtres ou des paladins... Lothringen retint une grimace. D'helmites, il n'y en avait guère d'utiles, bien entendu. Il s'était fait une joie d'envoyer les paladins de toutes obédiences, avec et sans sorts, et surtout ceux avec sorts, d'ailleurs, sur les différents fronts - pendant qu'ils feraient la guerre aux mélandiens, au moins oublieraient-ils leurs visées politiques. Il en avait fait autant de bien des prêtres, mais il était conscient qu'une partie d'entre eux étaient restés, sous différents prétextes : les tyrites parce qu'ils boudaient leur bannissement de Manost, les ilmates parce que la population nécessitait leurs soins, les tormites - parce qu'ils mentaient sur leurs effectifs réels. Il ne manquerait plus que le nettoyage de cette cité martyre devienne le lieu d'une propagande pour l'un ou l'autre culte...

"Ils réquisitionneront deux prêtres de chaque faction présente en ville."

Pour Surya :
Et la barde y parvenait avec un succès certain : Lucinda avait cessé de trembler dans son dos et s’était même légèrement redressée à l’arrière du poney. Surya surprit le manostien dément en train de fredonner un air qui n’avait certes pas grand-chose à voir avec sa mélodie mais lui aussi semblait sensible à ses vertus apaisantes. Dans ces conditions, le dernier soldat du groupe devait trouver difficile de les priver de ce réconfort ou alors ne le jugeait-il pas de nature à les mettre en danger. Leur route se poursuivit ainsi entre moment de calme et mélodie optimiste jusqu’à ce qu’enfin le militaire repère un bosquet à l’allure prometteuse.

Pour Lothringen et Mornagest :
Le soldat s’inclina devant le conseiller :

- A vos ordres, je ne manquerai pas de transmettre ces recommandations à mes supérieurs afin qu’ils puissent en tenir compte avant que vous n’ayez pu transmettre des ordres plus formels par vos propres moyens. Si vous voulez bien m’excuser un instant…

Le luménien s’éloigna quelque peu du groupe tout en restant visible. Nul doute qu’il cherchait à ne pas être espionné sans pour autant retarder leur progression.

Lothringen ne quitta pas des yeux le soldat qui s'écartait à cheval, au petit trot, ayant apparemment renoncé à s'arrêter tout à fait. Sans qu'il en ait conscience, le conseiller se détendit un peu, et c'est d'une voix beaucoup plus douce qu'il s'adressa à sire Rowan et Mornagest, qui chevauchaient toujours à ses côtés.

« Je lui ai révélé qui nous étions, tout à l'heure. Je me suis fait la réflexion qu'il ne tarderait pas à comprendre, s'il devait chevaucher avec nous. Évidemment, en un instant comme celui-ci, je me dis aussi que, peut-être, je me montre encore trop confiant... »

Sire Rowan ne répondit rien, mais Lothringen le vit poser machinalement la main sur sa garde, et le semi-drow pouvait traduire sans paroles : d'où que vienne le danger, il serait prêt. Mais il savait que même Rowan pouvait le trahir, comme il l'avait du reste déjà fait. La garde toute entière pouvait se retourner contre lui. Au fond, tout le monde ici pouvait le trahir, et il ne pouvait vraiment compter sur personne... personne, sauf Mornagest.

Cinq minutes plus tard à peine, le soldat luménien revenait vers eux au petit trot et venait se placer tout près du conseiller sans avoir manifestement besoin d’utiliser ses rênes pour placer son cheval exactement là où le désirait.

- Messire, j’ai avisé nos mages de la situation et Maître Franchedigue, notre mage de guerre en chef souhaiterait s’entretenir avec vous si vous le permettez.