La Couronne de Cuivre

- C'était...
Il grimaça, levant les yeux vers le ciel nocturne...
- Hum... il est difficile pour moi de me repérer sans le soleil. Mais je vous l'indiquerai demain...
- Bien sûr. Nous allons vous laisser vous reposer... Le milieu de la nuit n'est peut-être pas le moment idéal pour discuter.
- Mais si cela peut vous rassurer, nous avons échangé quelques mots... et il ne semblait pas avoir l'intention de poursuivre trop longtemps sa route en direction de cette maudite cité, heureusement.
La druidesse sourit.
- J'aime mieux ça, murmura-t-elle.
Elle se tourna vers Kasumi.
- Allons finir notre nuit... Nous aurons tout le temps de discuter demain...

Malgré son impatience, Kasumi devait bien convenir qu'ils avaient maintenant tous besoin de repos d'autant que les bergers et leurs précieuses informations ne risquaient pas de s'envoler. Avant de décider de suivre la druidesse, il hésita tout de même un instant et déclara tout haut aux bergers :

- Vous voudrez peut-être partager notre abri ? Il est plus abrité des vents. Enfin, à condition qu'Eärundra ici présente puisse convaincre nos montures de laisser vos chèvres en paix.

Le vieil homme parut hésiter, observant le ciel, écoutant le vent.
- La tempête a déjà bien faibli, elle ne durera plus guère. Et votre abri n'est pas très grand... Je ne suis pas sûr que nos chèvres soient tranquilles avec une telle menace à proximité.
- C'est comme vous voulez, vraiment...
- Merci de votre proposition, mais... je crois que nous allons dormir ici...
Ils les saluèrent d'une brève inclinaison de la tête, et les deux voyageurs regagnèrent leur abri sous un vent nettement moins fort, qui ne soulevait plus des myriades de grains de sable. La tempête était quasiment finie, en effet.
Opale sortit sa tête de ses plumes pour les regarder passer, et parut échanger un regard avec la druidesse avant de l'enfouir à nouveau. Il faisait froid, leur maigre feu étant éteint depuis longtemps, et ils n'étaient pas fâchés de retrouver l'abri de leurs couvertures. Eärundra restait silencieuse, plongée dans ses pensées. Ou peut-être était-elle un peu somnolente, ayant été dérangée en plein milieu de sa transe méditative.

Avant de prendre place aux côtés de la druidesse, le demi-elfe interrogea l'elfe à mi-voix :

- Est-ce que nos aigles ne risquent pas de s'en prendre aux chèvres ? J'avoue être un peu inquiet même si les bergers ne se sont pas approchés.

Il faisait toujours un temps glacial aussi le rôdeur s'installa finalement sous sa couverture avant qu'Eärundra n'ait pu répondre.

La druidesse s'était confortablement installée sous les couvertures, elle aussi. Elle haussa les épaules à la question du rôdeur.
- Ce sont des oiseaux diurnes. Tant qu'il fait nuit, ils ne bougeront pas. Et je me lèverai avant l'aube pour veiller à ce qu'ils ne fassent pas de bêtises. Donc il n'y a rien à craindre de ce côté-là !
Elle se retourna.
- Passez une bonne nuit ! La journée risque d'être chargée demain...

Le vent finit par tomber, remplacé par un silence total. Le désert n'avait rien de commun avec la nature à laquelle était habitué le rôdeur. Mais il finit par s'endormir.
Le petit jour le réveilla, glacé et lumineux. Le soleil apparaissait juste à l'horizon. Tout était parfaitement calme. Eärundra avait quitté leur abri, probablement pour rejoindre les aigles.

Kasumi n'avait pas eu tant de mal à trouver le sommeil qu'il l'avait craint, malgré le froid mordant. Sans doute la fatigue accumulée commençait-elle à peser sur son organisme. L'anfractuosité était trop étroite pour le protéger bien longtemps de la lumière et c'est ce qui l'avait réveillé, contrairement à Eärundra qui semblait savoir se faire aussi silencieuse qu'une ombre.

Le rôdeur enfila son manteau à la hâte, grimaçant à cause de la fraîcheur du tissu. Et dire qu'il la regretterait d'ici une heure ou deux... Mais il ne tergiversa pas : une longue journée les attendait en effet et elle ne serait peut-être pas vaine, au demeurant. C'est donc avec un certain enthousiasme que le demi-elfe se rendit "au dehors", à la recherche des aigles, d'Eärundra et des deux bergers.

Eärundra était en train de donner du grain aux aigles, leur parlant avec douceur. Elle semblait néanmoins soucieuse.
- Il faudra qu'on les laisse chasser, à nouveau, à midi, fit-elle remarquer. Peut-être même plus souvent. Dans ces montagnes, ils devraient trouver du gibier plus facilement qu'en plein désert, c'est un milieu naturel qui leur convient bien... et il faut qu'on économise le grain.
Elle avait fait un feu, et jeta machinalement une poignée d'herbes dans l'eau en train de bouillir. Kasumi vit qu'elle jetait fréquemment des regards en direction de la courbure de la falaise dissimulant les bergers et leur troupeau. Mais ce n'est qu'une fois qu'ils eurent tous les deux achevé leur déjeuner qu'une silhouette apparut.
- Je venais voir si vous étiez toujours là, fit le vieux berger.
- Bien entendu. Nous ne serions pas repartis sans vous saluer...
- Et... je suis sensé vous remercier j'imagine... pour m'avoir soigné...
- Ça n'est rien !
- Mais j'aurais préféré me passer de magie, vraiment !
- Je sais...
- J'ai la sensation de la sentir encore...

Kasumi avait hoché la tête et exprimé sa position, tout à fait d'accord avec Eärundra sur la nécessité d'économiser au maximum leur grain. Il lui faisait toutefois pleinement confiance pour gérer au mieux leurs réserves en fonction des besoins des animaux. L'arrivée des bergers les détourna de leurs préparatifs de départ et le rôdeur les salua avec courtoisie en laissant le vieil homme et la druidesse s'exprimer les premiers avant d'ajouter :

- Nous sommes désolé d'avoir dû heurter vos convictions mais c'était le seul moyen de vous venir en aide. Et les remerciements ne sont en effet pas nécessaires puisque nous vous l'avons apportée sans que vous nous la demandiez. Nous apprécierions tout de même si vous pouviez nous donner une indication plus ou moins précise de notre destination : nous allons devoir nous remettre en route, avant que le soleil ne soit trop écrasant.

Le vieil homme hocha la tête.
- Je comprends...
Il recula de quelques pas, étudia la position du soleil par rapport à la falaise.
- On est pratiquement à l'extrémité nord-ouest de cette branche du massif... Si vous le franchissez en direction de l'est, ou que vous le contournez par le nord, vous arriverez à la mer de la soif. La Cité de l'Ombre se trouve de l'autre côté de cette mer... mais ils la surveillent, paraît-il.
Il grimaça.
- J'ai rencontré votre ami de l'autre côté des montagnes, presque à l'extrémité nord de la chaîne... Donc, en fait, juste à une vingtaine ou une trentaine de lieues à vol d'oiseau dans cette direction, mais de l'autre côté des pics. Il était sur un plateau depuis lequel on domine cette mer et les terres qui l'entourent côté ouest. La vue ne porte pas jusqu'à la cité, bien sûr. Il m'a... fortement incité à ne pas m'en approcher davantage. Ce qui n'était pas mon intention effectivement. Mais si j'ai bien compris, lui comptait se rendre jusqu'au bord de mer; il n'a pas précisé pourquoi.

Ils allaient devoir s'aventurer en des terres bien dangereuses mais cela, ils le savaient déjà. Non, ce n'est pas l'inquiétude mais un certain enthousiasme qui primait et dessina même un sourire sur les lèvres du rôdeur. Il tourna la tête vers Eärundra pour s'assurer que ces précisions lui convenaient avant de répondre :

- En ce cas nous vous remercions. Nous n'avons pas non plus l'intention de nous aventurer trop près de l'autre rive. Et ce n'est pas étonnant que l'asabi ne vous ait pas révélé ses intentions : vous savez combien les druides aiment garder leurs secrets !

Il asséna un clin d'œil taquin à l'elfe, décidément d'humeur légère. Ta'sslant n'était peut-être plus bien loin. Restait à espérer que leur plan ne reposait pas sur des espoirs vains et que l'asabi pourrait et voudrait bien les aider à identifier l'empoisonneur.

Le vieil homme les salua d'une brève inclinaison de la tête, avant de s'éloigner en direction de son troupeau, resté prudemment hors de vue des aigles.
- Et bien, nous savons désormais où se trouve notre destination. La rive ouest de la mer de la soif. En observant bien tout ce que nous pourrons apercevoir avant de l'atteindre. Il peut se trouver n'importe où entre ici et le rivage... ou même ne plus être par ici et avoir repris sa route, en direction du nord probablement. J'espère que ce n'est pas en direction de l'est et de la cité...
Elle leva les yeux vers les sommets tout proches.
- L'inconvénient des montagnes, c'est que nous allons avoir froid lorsqu'il s'agira de franchir les pics les plus élevés... et que la vue y est bouchée. S'il se trouve dans une vallée et que nous en longeons une autre, nous pouvons le louper. Cela dit, plus nous approcherons de la mer et moins le terrain sera vallonné. Mais il rengorge de cachettes néanmoins. Il faudra ouvrir l'oeil. Mais du coup, j'hésite entre parcourir toute la zone montagneuse en long et en large, ou aller d'abord droit à cette mer de la soif en espérant avoir la chance de tomber sur lui...

Le rôdeur y réfléchit lui aussi un bon moment avant de répondre pour donner son avis :

- Je crois que notre meilleure chance de le repérer ou de trouver éventuellement des informations nous menant à lui serait de parcourir le même chemin que lui dans la mesure du possible. Je suis donc d'avis d'essayer de repérer et d'atteindre ce plateau dont nous a parlé le berger. Peut-être la route qu'il a suivi ensuite nous apparaitra évidente ensuite. Ou que nous y trouverons au moins des indices. Pensez-vous que nous pouvons traverser la chaîne de montagne dans la journée ? J'aimerais autant ne pas avoir à bivouaquer dans ces cols si nous pouvons l'éviter.

Eärundra hocha la tête.
- Nous pouvons traverser les montagnes dans la journée, oui. Sauf si nous décidons de traîner et d'explorer toutes les vallées... mais vous avez raison, on peut essayer de trouver ce plateau, on devrait l'apercevoir clairement depuis le ciel. Le souci est qu'il peut y en avoir plusieurs correspondant à la description, et pour chacun un itinéraire possible.
Elle soupira.
- J'imagine qu'il va falloir en suivre un jusqu'à son terme... puis aviser, en essayer un autre si ça n'est pas le bon. On pourrait aussi se poser sur ce plateau pour y chercher des traces... mais ce n'est pas le genre à laisser la moindre trace. cela dit, on trouverait peut-être du crottin de chèvre indiquant que les bergers y sont passés. En espérant qu'ils n'aient pas, de leur côté, fait plusieurs plateaux...

Kasumi n'en démordait pas malgré ses doutes : ils ne savaient pas par où le druide avait traversé les montagnes et n'avaient pas vraiment de moyens de le savoir. Pour lui, le salut se trouvait donc forcément de l'autre côté. Même s'il fallait passer en revue tous les plateaux correspondant à la description, ce serait toujours plus court, de son point de vue, que de chercher des indices dans tous les cols et vallées que l'asabi aurait pu emprunter. Sans compter qu'il serait peut-être envisageable d'obtenir des informations plus récentes une fois de l'autre côté.

- Je crois que traverser au plus vite les montagnes puis rechercher le ou les plateaux de l'autre côté est notre meilleure option pour aujourd'hui. Mais il faudra aussi trouver un endroit en cours de vol où faire une halte pour permettre aux aigles de chasser.

La druidesse acquiesça.
- On trouvera bien une vallée quelconque. C'est un peu plus délicat à négocier, au niveau de l'atterrissage, mais après tout c'est eux qui font tout le travail ! Il faut juste espérer que ce soit une vallée avec un peu de gibier, parce qu'ils ne pourront pas s'en extirper pour chasser ailleurs, ce serait trop long. A tout hasard, je vais leur donner encore un peu de grain. Juste au cas où on ne trouve rien avant d'avoir traversé le massif.
Les aigles ne se firent pas prier pour avaler le surplus de nourriture proposée.
- Je vais prendre la tête, à nouveau, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Si j'hésite à un moment entre deux itinéraires, j'essaierai de vous demander votre avis par geste... vous avez maintenant suffisamment confiance pour pouvoir lâcher vos mains, non ?

Le rôdeur n'en était pas tout à fait certain mais il acquiesça tout de même sans manifester un enthousiasme extravagant. Si le vent les laissait en paix et si Rubis ne prenait pas d'initiatives imprévues, il pensait pouvoir y parvenir mais il ne pouvait jurer de rien avant de se retrouver dans cette situation.

- Tant que vous ne virez pas avant que j'ai eu le temps de reprendre les rênes, cela devrait aller. Mais sinon, j'ai appris à me fier à votre instinct. Et je ne dis pas ça parce que j'ai peur de vous !

Le ton de Kasumi se voulait léger, comme s'il cherchait à évacuer la tension.

- Ca, c'est vous qui le dites... répliqua la druidesse sur le même ton léger. Mais vous devriez, pourtant... avoir peur de moi s'entend !
Elle fixa les derniers bagages sur le dos d'Opale et se hissa en selle. Dès que le rôdeur en eût fait autant, elle claqua des talons. L'oiseau décolla après quelques sautillements, battant des ailes, secouant sa passagère... et immédiatement après, il vira sur l'aile pour longer la falaise en direction de l'endroit où se trouvait le maigre troupeau. Rubis, sans attendre l'ordre de Kasumi, exécuta la même manoeuvre, manquant désarçonner son cavalier en virant brusquement de bord. Kasumi crut deviner que la druidesse saluait leurs voisins nocturnes, mais lui-même avait fort à faire pour se maintenir en selle malgré la déclivité de celle-ci...
Puis les oiseaux s'élevèrent, longeant la falaise, suivant l'inclinaison naturelle d'une strate de roche apparente. Kasumi nota qu'ils changeaient de direction et d'altitude bien plus fréquemment qu'au-dessus du désert, se laissant porter par les courants ascendants qui montaient vers les sommets. La vue était impressionnante, et le vol nettement moins statique que d'habitude : ils ne se trouvaient parfois qu'à quelques mètres des roches, puis subitement s'éloignaient de plusieurs mètres, virant sur l'aile, se penchant dangereusement à gauche, puis à droite, avant de retrouver une stabilité plus horizontale. Et à nouveau, à l'approche d'une falaise, ils viraient, montaient, ou peut-être descendaient, changeant si souvent de posture dans ce paysage minéral qu'on en venait à ne plus trop savoir où était le haut et le bas... Il y avait de quoi malmener le plus résistant des estomacs, et il n'était pas si facile de ne pas perdre de vue Opale, en tête.

Et puis, soudain -enfin-, il n'y eut plus que du bleu. La roche semblait loin en-dessous. On distinguait nettement les pics qui s'égrenaient vers le sud-est, on voyait la forme générale de la chaîne de montagne traversée de quelques vallées. Le vol, à nouveau, était statique. Et l'air franchement froid à cette altitude...
Au bout d'un temps qui lui parut infini, il vit l'elfe, en tête, ralentir, puis lui faire signe. Elle désignait une vallée un peu plus large que les autres, au beau milieu de la montagne. Il devait être près de midi, et elle proposait sans doute une halte. Mais l'atterrissage, tout comme le redécollage, promettaient d'être au moins aussi mouvementés que celui du matin.

Le début de journée avait été plus éprouvant que ce qu'il avait jamais enduré et le demi-elfe avait cru rendre le contenu de son estomac voire carrément perdre connaissance à chaque fois qu'il voyait la falaise se rapprocher dangereusement ou que l'aigle virait brusquement en le ballotant comme une marionnette. Plus d'une fois il avait eu envie d'appeler Eärundra pour l'enjoindre de s'éloigner et mettre fin à son supplice mais il avait serré les dents. Et il avait tenu bon.

Le spectacle qui l'attendait en survolant la chaîne de montagne valait certainement ces désagréments et le rôdeur avait été tout heureux de pouvoir enfin en profiter alors que le vol se faisait plus rectiligne et moins chaotique. Une fois encore il regrettait d'être seul à profiter de ce spectacle : Eärundra ne comptait pas vraiment : la druidesse semblait en avoir tellement vu déjà qu'elle ne montrait pas ses émotions devant ces tableaux à couper le souffle. Mais peut-être qu'il se trompait là aussi même s'il n'était pas très désireux de lui demander pour en avoir le cœur net.

En apercevant la vallée sur laquelle la druidesse semblait avoir jeté son dévolu, le rôdeur ne réprima pas une nouvelle grimace d'anticipation pour ce qui l'attendait. Pour l'heure son estomac criait famine mais il ne doutait pas que - dans un instant - il serait secoué par des sensations bien moins naturelles.

L'atterrissage fut aussi désagréable qu'escompté. Impressionnant, vertigineux, interminable aussi -alors qu'il ne dura probablement que quelques minutes.
Eärundra, qui semblait avoir le coeur étrangement bien accroché, sauta au sol aussitôt, déchargeant les bagages pour permettre aux aigles de s'envoler librement chasser.
- Hum... je crois qu'il va nous falloir une bonne demi-heure avant de pouvoir avaler quoi que soit... et ensuite, autant avant de redécoller... On aurait peut-être mieux fait de contourner les montagnes par le nord, en fait. Ça aurait été moins éprouvant.
Le cadre dans lequel ils avaient atterri était rocailleux et sec, mais quelques arbustes et touffes d'herbes prouvaient que les montagnes étaient moins arides que le désert alentours. Kasumi vit plusieurs petits animaux fuir à leur approche, moins vite cependant qu'à l'ordinaire, comme s'ils n'avaient jamais vu un être humain de leur vie.

Kasumi fut incapable de répondre pendant deux longues minutes qu'il mit à profit pour esquisser quelques pas sur des jambes bien mal assurées. Sentant son cœur reprendre un rythme normal et son estomac reprendre la place qu'il n'aurait jamais du quitter, il risqua une plaisanterie malgré un teint pâle démentant ses propos :

- Vous n'y pensez pas sérieusement : nous serions passé à côté de ces sensations uniques et délicieuses !

Esquissant un pauvre sourire après avoir jeté un œil à leur environnement, il ajouta d'un ton plus sérieux :

- Au moins nous pouvons refaire notre réserve de petit bois voire chasser notre repas puisque nous avons un peu de temps devant nous. En ne prélevant que le strict nécessaire bien entendu. Qu'en dites-vous ?

Eärundra grimaça.
- Nous pouvons chasser, oui, un peu de petit gibier, ça nous fera de la viande fraîche. Mais le bois est peu abondant... Il va falloir veiller à en prélever le minimum. Bien sûr, on peut ramasser les quelques morceaux secs qu'il y a au sol, mais je préférerais qu'on ne coupe pas d'arbre. On peut leur prendre quelques-unes de leurs branches en revanche, une bonne taille ne leur fera pas de mal...
Elle sourit.
- On a du temps devant nous... je propose de commencer par se faire une petite infusion médicinale qui devrait vous aider à retrouver un teint un peu plus... hum... ordinaire. Non que je veuille insinuer que vous avez mauvaise mine, je ne me permettrais pas...
Son sourire taquin démentait ses paroles, et elle commença à rassembler quelques branches sèches. Loin au-dessus d'eux, les aigles décrivaient des cercles, à la recherche d'une proie.

Kasumi était lui aussi d’humeur légère et puisque c’était lui qui avait commencé les « hostilités » au matin, il ne se priva pas d’apprécier la taquinerie et de déclarer d’un ton faussement surpris :

- Et moi qui comptais sur vous pour veiller sur ma santé à chaque instant ! Cela dit, j’ai toujours eu le teint un peu pâle : c’est très pratique dans certaines situations comme ne manque jamais de me le rappeler Sylvia ! Cela dit, on n’est jamais trop prudent alors j’accepter de coopérer et de prendre ce traitement que vous proposez si obligeamment !

Pour ce qui était de la collecte, le demi-elfe n’avait nullement l’intention de prélever des espèces en bonne santé : elles étaient trop rares en ce lieu et il fallait faire attention à ne pas perturber un équilibre très fragile. Il se contenta donc de prélever tout le bois mort qu’il put facilement trouver afin de mettre la décoction d’Eärundra à infuser. Pour ce qui concernait l’élagage, il s’en remettrait à son expertise pour savoir qu’elles branches couper.

Ils rassemblèrent suffisamment de bois pour un feu modeste, et purent même se payer le luxe de renouveler quelque peu leurs réserves. L'infusion eût un effet immédiat sur l'estomac de Kasumi qui cessa de s'agiter en tout sens, et il se sentit suffisamment bien pour chasser un peu de petit gibier et le cuisiner, et même manger. Il leur resterait suffisamment de viande pour au moins deux repas, et la druidesse repéra d'étranges fruits enveloppés de piquant qui s'avérèrent délicieusement sucrés une fois qu'ils eurent compris comment ôter leur protection. Ils en firent une bonne provision : leurs réserves de conserves et de viande séchée commençaient déjà à leur paraître fade. Il leur faudrait peut-être négocier quelques provisions auprès des nomades, s'ils en avaient l'occasion.

Les deux aigles chassaient non loin, ils les apercevaient parfois piquer en vrille vers le sol et remonter aussitôt. ils furent de retour plus rapidement que la veille, l'endroit étant nettement plus propice à la chasse. Et leur retour donna le signal du départ... qui se révéla encore plus vertigineux que le précédent dans cette vallée trop encaissée. Le rôdeur vit des roches de tout côté, au-dessus, en-dessous, et même si l'infusion d'Eärundra avait quelque peu stabilisé son estomac, il s'en fallut de peu qu'elle se révèle insuffisante.
Quelque part en fin d'après-midi, les montagnes se firent moins hautes, les sommets moins abrupts. Au loin se découpait l'immense étendue vide de la mer de la soif. Juste au-dessous d'eux, sur les contrefort des montagnes, alternaient vallées, cols et sommets, ainsi que quelques plateaux dont plusieurs paraissaient dominer le paysage à l'est. Il n'y avait pas vraiment de moyen de savoir lequel était le bon. Ils aperçurent un troupeau remontant l'une des vallées, des zébus apparemment. Puis un nouveau plateau, juste au-dessus. Opale avait ralenti, et Kasumi devinait l'hésitation d'Eärundra. Elle désigna un plateau derrière eux, immense, dominant la vallée, un autre devant eux, plus petit mais qui paraissait offrir une meilleure vue sur le lac, puis elle désigna aussi la vallée et le troupeau. C'était à lui de trancher...

Kasumi devait surtout s'avouer vouloir enfin atterrir après cette journée de voyage bien plus éprouvante que les précédentes. Cependant, l'idée de passer de plateau en plateau s'ils ne trouvaient pas rapidement le bon et - malgré tout - la perspective de bientôt pouvoir se reposer et surtout retrouver un moyen de locomotion bien plus naturel lui permirent de prendre le temps de réfléchir posément. Quelque part, le grand plateau était celui qui semblait offrir le plus de possibilités, tant de rencontres qu'en termes d'indices de passage mais l'instinct du rôdeur le poussait plutôt vers le plus petit plateau compte tenu de la nature d'ermite de celui qu'ils recherchaient. Evidemment, c'était un raisonnement bien ténu mais la meilleure exposition qu'il offrait acheva de le décider. Le demi-elfe préférait, pour l'heure, ne pas s'intéresser à la vallée : le troupeau n'allait pas s'envoler et il serait plus facile à repérer ainsi que les bergers qui l'accompagnaient certainement si la visite des plateaux ne donnaient pas de meilleures pistes à explorer.

L'atterrissage, dans ce relief moins à pic, fut nettement moins éprouvant qu'à midi. Presque aussi confortable, en fait, qu'un atterrissage en plaine.
Le plateau était désert. Rocailleux, aride, on y trouvait tout de même quelques pousses d'herbes rase. Nulle trace de passage humain. Quelques crottes de bestioles diverses et variées, mais ça ne ressemblait pas au crottin qu'auraient pu laisser les chèvres qui avaient dormi non loin d'eux. Bref, ça n'était probablement pas le bon plateau.
En revanche, il offrait une vue imprenable sur la plaine bordant la mer de la soif. Ils aperçurent au moins trois troupeaux d'importance variée, dont la nature était difficile à identifier vu d'ici. Mais ils avaient tous en commun de s'éloigner de la mer pour se diriger soit droit vers les montagnes, soit vers leur extrémité nord-ouest. Bien sûr, ils étaient trop haut pour distinguer un asabi seul, surtout si celui-ci avait pour habitude de se fondre dans cet environnement.

Les aigles avaient consentis de gros efforts et la journée de vol avait également été éprouvante pour les cavaliers. Kasumi ne se voyaient donc pas tenter sa chance sur l'autre plateau alors que la nuit n'allait certainement plus tarder. Mieux valait donc, de son point de vue, tâcher de repérer les prochaines destinations possibles et se fixer des priorités pour le lendemain après avoir bénéficié d'un temps de repos rallongé par rapport à la veille.

- Eärundra, je pense que nous devrions laisser les aigles chasser et aussi faire plus ample connaissance. Nous essayerons l'autre plateau demain matin et si nous faisons à nouveau chou blanc, il sera temps de se diriger vers la mer et tâcher de récolter des informations plus récentes auprès de ces bergers. Enfin, cela reste mon point de vue. Qu'en pensez-vous ?

- Sans doute, oui...
Eärundra observait les troupeaux, au-dessous d'eux, d'un air songeur, et semblait n'avoir écouté qu'à demi.
- Je me demande s'ils ont un berger, en fait, finit-elle par ajouter. Ils me semblent avancer trop vite, malgré l'heure tardive. Peut-être que je me fais des idées, puisqu'on est trop loin pour bien voir. Mais... ils me semblent en pleine débandade... Ou alors ils sont pressés d'arriver quelque part...
Elle n'avait pas tort. Les bêtes ne semblaient pas avancer de la démarche lente et tranquille habituelle des troupeaux.
- En fait, je suis assez curieuse d'aller voir ce qui se passe là-bas. Mais ils n'auront pas bougé tant que ça d'ici demain matin... donc nous pouvons dormir tranquille.

"Vous pensez qu'ils pourraient fuir un danger ? Ou un prédateur peut-être ?"

Le rôdeur s'était rapproché du bord du plateau pour observer le balai étrange des animaux mais tourna finalement son regard vers la druidesse et poursuivit d'un ton un peu inquiet :

- Vous semblez soucieuse... Nous pouvons aller vérifier ce soir si vous vous inquiétez pour la sécurité de ces animaux : ce sera toujours ça de gagné sur notre voyage de demain. Et si un danger menace la faune de ces lieux, en plus d'accomplir notre devoir en allant vérifier, nous avons de bonnes chances d'y trouver aussi votre druide.

La druidesse hocha la tête.
- S'il est encore dans le coin, il se peut qu'il soit associé à tout ça, oui... Après, la nécessité de descendre dès ce soir peut se discuter. Pour commencer, s'ils fuient un danger quelconque, c'est sûrement quelque chose de puissant contre lequel nous ne seront peut-être pas de taille. Ce n'est pas forcément un prédateur... En tout cas je n'en vois pas d'ici. vous me direz que ça pourrait être des bestioles minuscules, genre nuée de sauterelle, c'est vrai...
Elle soupira, jeta un regard au soleil.
- Il nous reste une heure ou deux de jour. On a le temps de descendre, oui. Les aigles peuvent se passer de chasser ce soir... mais le climat en-dessous est plus aride, on se retrouve à nouveau dans une zone de désert. Il faut dire que cette mer de la soif est extrêmement salée, trop pour que la vie s'y développe, et trop pour irriguer convenablement les terres. On peut donc, aussi, décider de rester confortablement ici pour cette nuit. De toute façon, même s'ils avançaient toute la nuit, les troupeaux seraient encore en vue demain. Ta'slan non plus ne pourra guère s'éloigner. Donc on ne perdra pas vraiment de temps sur nos recherches...
Elle hésitait, les yeux rivés sur les troupeaux, petites grappes de points minuscules qui avançaient.
- Ou alors... je me contente d'envoyer les aigles en éclaireur ?

Kasumi parut hésiter un instant encore mais finit par hocher la tête en signe de dénégation :

- Non, laissons les aigles profiter eux aussi de la halte : ils en ont besoin comme nous aurons besoin qu'ils soient au meilleur de leur forme dans les jours à venir. Rien ne presse vraiment comme vous l'avez dit et nous ne pourrons de toute façon pas agir avant demain quoiqu'ils apprendraient.

Il marqua une pause avant d'ajouter d'un ton léger :

- Et je ne dis pas seulement ça pour la perspective de passer une nuit entière à dormir pour une fois !

La Couronne de Cuivre

[Désert d'Anauroch] Quête : Racines