La Couronne de Cuivre

Baptiste se détourna, toujours pivoine, un sourire aux lèvres, et pendant quelques secondes, il lorgna son papier, avant de le replier et de le ranger dans la poche de sa chemise.
" Tu me donneras un coup de main, tu crois ? Pendant le voyage, je veux dire... J'aimerais bien... essayer d'écrire la suite, et puis d'en faire quelque chose... Mais sans que tu me l'écrives, évidemment... Juste... un regard avisé."

-Ce sera avec grand plaisir, répondit-il. Et je n'écrirai rien à ta place. Je me contenterai de te donner quelques conseils généraux, de te faire quelques suggestions si tu es vraiment calé... Mais c'est important que tu restes le seul auteur.
Son regard se fit lointain, son sourire nostalgique.
-Dieux, ça va me ramener un siècle en arrière...

Baptiste parut satisfait et hocha la tête avec un sourire, toujours un peu gêné.
" Merci."
La mer demeurait tranquille, le soleil s'y reflétait en éclats éblouissants. Loin sur leur gauche, dans la direction approximative de Vert-Corail, ils virent la silhouette d'un petit bateau de pêche, une unique voile déployée. Un peu plus tard, les enfants explosèrent en exclamations ravies lorsqu'une bande de dauphins vint croiser autour des barques. Leurs dos gris, effilés, fusèrent autour de la coque des barques, sans jamais les toucher, et ils bondirent comme pour se donner en spectacle. Au bout d'un moment, Kerun céda les rames à Guéric et Polyanna, qui en prirent chacun une, et leur chaloupe commença à dériver de manière erratique, tandis que les deux rameurs essayaient de se synchroniser. L'ambiance à bord demeurait bonne, et les enfants les encouragèrent alors que Taliesin, qui avait relayé Judicaël, gagnait du terrain et menaçait de les dépasser (chose inutile car seul Kerun connaissait le chemin). Ils finirent par naviguer presque flanc à flanc, ce qui donna lieu à de polies conversations d'une embarcation à l'autre. Hippolyte avait nommé leur barque : "Le Fier Luménien", Baptiste appela l'autre "La Gloire de Luménis", et ils tentèrent d'inciter leurs rameurs à faire la course à nouveau. Kerun leur rappela que la Polissonne était un navire antelucien et qu'ils risquaient de se faire chambrer s'ils vantaient trop leur cité chérie à tout bout de champ car, bien qu'amicale désormais, la rivalité entre la capitale et Antelucas était une réalité historique.
Ils reprirent donc leur chemin jusqu'à ce que l'agent leur fit signe de s'immobiliser. Judicaël attrapa le plat bord de l'autre barque pour les stabiliser l'une contre l'autre. Kerun était manifestement en train de recevoir un message, car il murmurait à mi-voix. Son front se barra d'un pli, puis il lâcha un bref soupir.
" Bon, dit-il enfin. La Polissonne a été abordée par un patrouilleur manostien. En cette période tendue, ils ne sont pas contents de trouver un navire étranger dans leurs eaux, et les Anteluciens ont été sommés de lever l'ancre. Ils pensent pouvoir gagner un peu de temps, mais nous devons trouver un moyen de monter à bord sans être vus."

Le barde soupira. Sans être gravissime, c'était une péripétie dont ils se seraient bien passés...
-Comme rendre nos embarcations invisibles ou opter pour une solution sous marine paraît difficile, le plus simple est sans doute de s'arranger pour que la frégate se trouve entre le patrouilleur et nous. Et s'il y a des Manostiens à son bord, il faudra que nos amis fassent en sorte de détourner leur attention le temps que nous nous approchions puis grimpions sur le bateau...

" Ça me parait impossible, dit Guéric en croisant les bras. La mer est immense et vide. Il faudrait vraiment que la frégate soit idéalement placée, que les Manostiens soient distraits longtemps... Ils vont immanquablement repérer les barques.
— Je peux en rendre une invisible, mais pas les deux, intervint Judicaël. Je ne sais pas si les Anteluciens accepteraient que nous en abandonnions une en pleine mer...
— Tenir à quatorze dans une seule barque, même si les enfants sont légers, me parait rudement risqué."

-Si on me laisse une demi-heure, je peux convoquer trois coursiers fantômes : cela ferait trois personnes en moins sur l'unique barque, trois personnes qui pourraient rejoindre la frégate plus tard... et plus loin, hors de vue des Manostiens. Cependant, onze passagers, cela fait encore trop pour une seule embarcation, non ?
Nouveau soupir.
-Ou alors on se fait passer pour des Mélandiens et on capture le patrouilleur.

Cette proposition fit rire les enfants mais Kerun semblait songeur. Il se tourna vers Judicaël qui pinça les lèvres.
" L'idée de Taliesin n'est pas complètement ridicule, fit-il finalement. Nous pourrions nous faire passer pour des marins de la Polissonne qui reviennent de Vert-Corail.
— Nous n'avons pas d'uniformes, dit Guéric.
— Et c'est mieux. Jamais des marins hélonniens n'auraient posé le pied officiellement en territoire manostien. Mais nous avons tes emplettes, ce qui nous fait une bonne couverture.
— Bon. Imaginons qu'on mette tous les enfants sur la même barque, invisible, avec un bon rameur. Les adultes dans l'autre... et puis il faudra baratiner les Manostiens parce que le Capitaine de la Polissonne n'aura jamais dit aux patrouilleurs que nous allions revenir.
— Taliesin les baratinera sans soucis.
— Et ce sera crédible, parce que le Capitaine sait bien que c'est une faute monumentale d'envoyer des hommes à terre sans autorisation.
— On ne risque pas de gros ennuis ?
— C'est certain que ce sera un petit incident diplomatique..."

-Et si ces Manostiens sont des Helmites zélés, particulièrement à cheval sur le règlement, qui décident de nous arrêter ? Et si Héloïse, Tristan ou les deux à la fois se mettent à pleurer subitement, révélant la présence de l'autre barque et réduisant notre couverture à néant ?
Conscient que ses paroles un tantinet dramatiques allaient plomber l'ambiance, il s'empressa d'ajouter :
-Bon, souvenons-nous aussi qu'il y a le pipeau, que si on ne trouve pas d'idée probante, il nous sauvera la mise.

" Nous pouvons imaginer d'aborder la frégate par deux endroits très éloignés, dit Kerun. La barque officielle d'un côté, la barque invisible de l'autre.
— La mer devrait couvrir les pleurs des bébés.
— Si j'avais une idée de l'uniforme manostien, je pourrais métamorphoser quelqu'un en officier. On inventerait une justification propre à renvoyer les Helmites à leur navire...
— Je peux faire le mousse ?" demanda Baptiste.

-Je suis sûr que tu t'en sortirais très bien, mais à moins que la barque invisible soit surchargée, mieux vaut que tu restes avec les autres...
Il se tourna vers Judicaël.
-Je peux te décrire l'uniforme manostien, et c'est plus que probablement aussi le cas de Kerun. Il doit également m'être possible d'imiter l'accent de la cité, puisque j'y ai séjourné quelques temps...

" Très bien. Taliesin sera notre officier manostien, les autres seront des matelots de la frégate. Vu nos nippes, cela me semble plutôt crédible... Nous allons attacher les barques pour avancer plus vite. La barque aux enfants derrière...
— Je devrai la rendre invisible en dernière minute. Il faudra qu'elle se range contre le flanc de la frégate qui se trouve de l'autre côté du patrouilleur manostien, car l'invisibilité ne durera pas.
— Je peux ramer, intervint Galathée, si Baptiste et Polyanna prennent les jumeaux.
— Je vais le faire jusqu'à ce que nous soyons contraints de vous faire disparaître, dit Judicaël. Je devrai aussi modifier l'apparence de Taliesin au dernier moment mais je veux bien que vous m'expliquiez déjà ce qu'il faudra faire. J'imagine qu'un elfe du soleil ne fera pas très crédible...
— Donne-lui une apparence humaine, la quarantaine. Sérieux. Nous allons te décrire l'uniforme et puis nous changerons de barque."
Kerun et Taliesin s'attelèrent donc à rassembler leurs souvenirs de l'uniforme manostien, tâchant d'imaginer à quoi pourrait ressembler celui d'un officier haut gradé. Les connaissances de Kerun en la matière étaient un peu poussiéreuses, mais il connaissait mieux les galons que le barde, et ensemble, ils parvinrent à donner une image appropriée du personnage. Le clerc leur apprit qu'une fois la transformation effectuée, ils n'auraient qu'une dizaine de minutes devant eux et qu'il ne faudrait donc pas lambiner. Ils procédèrent ensuite au changement de barque.
" J'ai l'impression que je les vois, les bateaux, en fait..." dit alors Gurvan.
Il n'avait pas tort. Il y avait une tache noire à l'horizon, se dandinant sur les flots.
" Nous avons le soleil derrière nous... C'est l'idéal... Ils ne pourront pas nous voir approcher précisément...
— En route."
Et les barques reprirent leur mouvement.

Espérant que Corellon n'en viendrait pas à se vexer qu'il abandonne aussi souvent son elfique apparence, Taliesin se concentra pour entrer dans la peau de son personnage, pour se remémorer les manières, le phrasé, l'attitude générale des militaires manostiens. Il s'efforça aussi de parfaire son accent, rassemblant ses souvenir puis s'exerçant à voix haute, demandant à Guéric ce qu'il en pensait et essayant de tenir compte de ses conseils pour s'améliorer. Vu le peu de temps qui leur serait imparti, son interprétation devait être pertinente, sinon percutante de réalisme et d'efficacité.

Ils se rapprochaient. Bientôt, ils aperçurent la silhouette de la frégate hélonnienne, un petit vaisseau élancé à deux mâts qui rappelait la Liberté, en un peu plus gros, et le patrouiller manostien, de taille plus modeste, ancré à une vingtaine de toises. Kerun fit infléchir leur trajectoire tandis qu'ils s'approchaient, petit à petit. Judicaël passa les rames à Galathée et se mit à incanter. Ils entendirent des cris, signalant qu'ils avaient été repérés. La barque des enfants disparut.
" Bonne chance." leur dit la rôdeuse, invisible, en les doublant.
Judicaël s'était remis à psalmodier tandis que Kerun reprenait les rames. Poussés par les vagues, ils furent rapidement au contact de la frégate.
" Le capitaine luménien s'appelle Aurélien Ventepont, murmura l'elfe des bois. C'est l'homme relativement jeune qui se trouve à droite de l'officier manostien. Guéric, dès que tu es sur le pont, il faut envoyer quelqu'un pour aider les enfants."
Plusieurs personnes étaient penchées au bastingage, parmi lesquelles trois patrouilleurs en uniforme et quatre marins luméniens, dont le capitaine, Aegir le clerc de Valkur, et une femme plus âgée, à la mine pincée, qui portait aussi un uniforme militaire. Tous paraissaient complètement incrédules de voir apparaître le petit quatuor.

Évidemment, les Manostiens ne pourraient manquer de remarquer la surprise de l'équipage de la frégate. Néanmoins, lorsqu'il aurait servi son mensonge éhonté, celle-ci pourrait leur apparaître comme tout à fait logique. Après tout, les Luméniens pouvaient ne pas s'être attendus à un retour si prompt des embarcations...
Arborant déjà son expression sérieuse, concentrée et en rien nerveuse, il s'apprêta à saisir l'échelle de corde qu'on ne tarderait pas à leur lancer. En effet, il voulait être le premier à monter à bord, ce qui était le plus crédible.

C'est effectivement ce qui se passa. Tandis que Judicaël stabilisait la barque, l'échelle de corde fut jetée et Taliesin put amorcer son ascension. Il était véritablement métamorphosé, cette fois, et ses perceptions s'étaient modifiées, comme le poids de son corps, sa force et son agilité. Mais il possédait ce nouveau corps comme s'il avait toujours été sien et n'eut donc nulle difficulté à se hisser jusqu'au pont. Kerun était dans son ombre, puis Guéric, tandis que Judicaël terminait d'amarrer la barque.
Ils posèrent le pied sur un pont rutilant. Les Manostiens étaient cinq à bord, toujours stupéfaits, tandis que le capitaine de la Polissonne, un homme d'une quarantaine d'années, grand et martial, s'était recomposé un visage plus ou moins neutre. Les quelques matelots hélonniens présents essayaient de l'imiter. Aegir faisait partie du nombre.
" Colonel... murmura l'officier manostien. Nous ne nous attendions pas..."

-C'est on ne peut plus normal, répondit-il posément après l'avoir salué conformément aux règles en vigueur dans l'armée manostienne. Le capitaine Ventepont avait pour consignes de n'en rien dire en cas de contrôle. Je suis satisfait de constater qu'il a respecté les ordres, comme je suis satisfait de voir que vous avez parfaitement fait votre travail. Cependant, cette opération devant rester secrète, je vous demanderai de ne pas mentionner notre rencontre et l'ensemble de cet événement dans votre journal de bord, et de n'en point parler. C'est également valable pour l'ensemble de votre équipage.

L'officier, un simple capitaine, acquiesça vivement, rougissant.
" Je... heu... Bien sûr, mon colonel... Nous... hum... allons partir dans l'instant... A moins que nous puissions nous rendre utiles d'une manière ou d'une autre ?"
Il avait l'air désireux de bien faire.
" Voulez-vous que nous vous attendions ? Si vous devez rentrer à Vert-Corail, nous pouvons vous y ramener... plus vite qu'en barque..."
Sur le pont, personne ne pipait mot.

-Merci, mais ce ne sera pas nécessaire, car l'opération n'est pas encore tout à fait terminée, fit-il mettant dans son ton la once de gentillesse qui était tout ce que pouvait se permettre un gradé manostien face à un subordonné irréprochable. De surcroit, il est impératif que votre bâtiment ne se détourne pas de sa propre mission. Par les temps qui courrent, la vigilance doit plus que jamais être notre maître mot.
Et d'espérer que l'autre n'insisterait pas et tournerait les talons sans tarder, satisfait d'avoir plu à son supérieur et désireux de ne rien faire susceptible de ternir cette bonne impression.

" Bien sûr, mon colonel." dit l'officier, en faisant signe à ses hommes de se préparer à l'embarquement.
Leur propre chaloupe se trouvait également contre le flanc de la frégate, et les marins manostiens commencèrent à descendre.
" Mon colonel, avec tout votre respect... Les hommes se demandaient si les rumeurs étaient vraies... par rapport au Grand Emissaire... Nous n'avons plus de nouvelles officielles depuis plusieurs veilles..."

Des rumeurs ? Impliquant le Grand Émissaire ? Il ne savait ce que cela signifiait mais, surtout, il ne devait rien en montrer.
-Malheureusement, je ne suis pas autorisé à vous divulguer ce genre d'information,[/collor] dit-il. Néanmoins, ni vous ni votre équipage ne devez vous inquiéter : votre hiérarchie ne tardera pas à vous tenir informée.
Ce qui était sans doute vrai : laisser ses troupes dans l'incertitude était le meilleur moyen d'y semer le trouble et la désorganisation.

Le Manostien parut déçu, mais acquiesça avec un sourire qu'il voulait reconnaissant. Il salua militairement le colonel, puis le capitaine hélonnien.
" Pardonnez mon intrusion, capitaine. Je vous souhaite des vents propices.
— Vous n'avez fait que votre devoir, répondit Ventefort. Vous n'avez rien à vous reprocher."
Le capitaine helmite acquiesça.
" Qu'Helm le Vigilant veille sur vos périples.
— Que Lathandre bénisse vos lendemains."
Puis le Manostien disparut le long de l'échelle de corde. Taliesin sentit ses membres picoter comme la métamorphose commençait déjà à s'altérer.

Taliesin ne fit ni une ni deux.
-Je vais aller me mettre à couvert jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus rien voir du pont, souffla-t-il.
Si atteindre le château arrière était inenvisageable, il irait simplement se poster derrière un mât. Tout s'était passé comme sur des roulettes jusqu'ici, ce n'était donc pas le moment de risquer un revirement de situation certes improbables mais néanmoins plausible.

" Par ici." dit le capitaine Ventefort, en le précédent vers le château.
Il lui ouvrit la porte pour qu'il puisse entrer, Kerun le suivit, puis le capitaine entra et referma la porte. La métamorphose s'étiolait, Taliesin sentait son corps reprendre sa forme originelle, une sensation désagréable, comme s'il était affligé de ballonnements sous la peau.
" Bonne intervention, dit l'Antelucien, sans sembler s'émouvoir de la scène. Espérons qu'il s'en tiendra à vos directives.
— Il avait l'air plutôt convaincu.
— Je l'étais moi aussi, je dois dire. C'est le genre de surprises dont je vous imagine sans peine me gratifier, Maître Tervan.
— Je vous jure que je vous ai dit tout ce qu'il y avait à savoir, Capitaine : des Luméniens libérés à leurs entraves mélandiennes, rentrant au pays."
Taliesin avait retrouvé son apparence.

Et de se demander ce que Kerun lui avait dit à son sujet. La vérité, sans doute. Car il n'avait pu espérer garder son identité secrète, sachant que tous les autres l'appelleraient par son nom, sachant qu'Aegir le connaissait...
-Capitaine, dit-il simplement en saluant l'officier.
Il croisa mentalement les doigts pour que l'embarquement des autres se déroule sans anicroche. Faire monter les bébés sur la frégate ne serait sans doute pas une mince affaire, même avec les bandes de tissu permettant de les maintenir contre quelqu'un...

La porte du château se rouvrit peu de temps après, sur la femme que Taliesin avait entraperçue plus tôt.
" Ils manoeuvrent, mon capitaine. Tous les civils sont à bord.
— Laissons-les s'éloigner avant de lever l'ancre, répondit-il. Dès qu'ils sont à bonne distance, prévenez-nous. Veillez à ce que nos invités aient à boire et à manger. Ils ne peuvent pas circuler sur le pont avant que toute alerte soit levée. Et récupérez les chaloupes
— Bien, mon capitaine."
Sur un salut, la femme ressortit. Le Capitaine entraîna Kerun et Taliesin dans la coursive et les invita à entrer dans ses appartements.
" Un de mes hommes vous montrera vos quartiers dès nous serons débarrassés de ces Helmites. Comme Maître Tervan vous l'a sans doute dit, nous sommes un navire militaire et nous ne disposons pas de chambres à proprement parler, mais nous avons arrangé une pièce pour les jeunes parents et le reste du groupe sera réparti dans deux dortoirs. Les vents paraissent cléments, nous devrions atteindre Hélonna en quinze à vingt jours."

-C'est une bonne nouvelle, fit-il, sincère.
De deux à trois semaines... Très long, d'un certain point de vu. Mais extrêmement bref, sur un plan plus général.
-Et permettez moi de vous remercier dès à présent pour tous ces aménagements, reprit-il. Nous ferons en sorte de ne point trop déranger votre quotidien.
Passer totalement inaperçu ne serait pas possible, évidemment. Mais sans doute l'animation serait-elle accueillie favorablement par les marins, comme elle l'avait été par les faux Moandrins.

Le capitaine s'autorisa un sourire.
" Nous sommes venus pour vous chercher, messire. Notre quotidien est fatalement bouleversé. Mais notre rôle est de servir les intérêts hélonniens, et l'évacuation de civils est une de nos missions officielles. Vous n'avez donc à vous excuser de rien."
Il leur fit signe de s'asseoir.
" J'espère pour ma part que vous ne souffrirez pas trop des conditions de bord. Nous ne sommes pas exactement habitués à convoyer autant d'enfants et des nourrissons... Même si en réalité, ce n'est pas la première fois. Nous intervenons régulièrement pour sauver les équipages de navires en détresse et certains marchands vivent à bord, avec toute leur famille... "

-Sincèrement, vous n'avez aucun souci à vous faire. Chacun d'entre nous a vécu de rudes moments, passé des semaines voire des mois entiers dans des conditions plus que précaires. La vie à bord de la Polissonne nous sera donc très agréable. Quant aux jumeaux, et bien... Il n'est pas impossible que le roulis leur donne l'impression d'être bercés en permanence, si bien qu'ils se montreront peut-être encore plus paisibles qu'à l'accoutumée.
Il n'y croyait guère mais... Sait-on jamais.

" Les marins sont généralement habitués à dormir avec des ronflements plus que sonores aux oreilles, plus le va-et-viens des hommes de quart... Surtout, ne vous inquiétez pas des bébés." dit le capitaine.
On frappa à la porte et la femme rentra à nouveau.
" Les Manostiens ont mis les voiles, capitaine.
— Très bien. Remontez les filets et les cages à homards, ensuite nous appareillerons. Dites aux visiteurs de descendre et appelez Mayeul pour qu'il les installe."
Il se tourna vers Taliesin.
" Je vous souhaite la bienvenue à bord de la Polissonne, messire. Soyez en paix, avec la bénédiction de Valkur et Lathandre, nous vous rendrons bientôt tous à vos foyers."

A nouveau, il se demanda si son interlocuteur connaissait son identité réelle. Mais c'était forcément le cas : des elfes nommés Taliesin, il n'y en avait pas tant, et même des ressortissants d'Antelucas avaient dû entendre ce nom, sans compter que l'ordre de recherche avait forcément dû leur être transmis. Alors peut-être jouissait-il d'une certaine popularité dans la marine, suite aux événements de Mersant. A moins, tout simplement, qu'Aegir ait parlé en sa faveur.
Et au fond, peu importait la raison de cette bienveillance à laquelle il n'était pas insensible. Comme il n'était pas insensible au grand service qu'on leur rendait.
-Merci beaucoup, dit-il, sincère.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Et bientôt la mer...