La Couronne de Cuivre

-Être secouru n'est en rien chose humiliante : c'est permettre à d'autre de démontrer leur altruisme, vertu essentielle s'il en est... Mais soit, je vais réfléchir à autre chose. De toute façon, je n'avais pas l'intention de vous demander de poser ce soir : je voulais juste m'assurer que vous n'aviez pas oublié vos engagements... Hum, sinon, Albérich, compte-tu réintégrer les rangs de l'Académie ? Nous avons estimé qu'il était important que, dès ce premier soir en cette cité de beautés et de savoirs antiques, elle se rassemble ne serait-ce que pour dormir...

" Je ne sais pas... Est-ce que je ne suis pas censé dormir avec les clercs, maintenant ? En fait, je ne sais même pas s'ils logeaient ensemble."
Il eut un haussement d'épaules.
" Pour cette première nuit, je dormirai à l'Académie, oui. Ensuite, nous verrons bien, je suppose. Peut-être que je me joindrai à un groupe un peu plus matinal... Je ne voudrais pas vous déranger quand je me lève pour saluer le soleil."

Le barde grimaça.
-Ah mince, j'avais oublié cet aspect des choses... Bah, mais je suis sûr que tu sauras être discret ! C'est la cinquième porte sur la gauche en quittant la salle du banquet par l'issue du fond. Tu ne peux pas te tromper, il y a une statue de nu juste à côté !
Il se tourna vers le paladin.
-Evidemment, tu es le bienvenu si tu souhaites venir, Hubert. Nous n'avons pas oublié que tu as été des nôtres...

Hubert sursauta en s'entendant interpeller. Il ouvrit brièvement les yeux, les referma aussitôt. Etait-ce toutes ces statues et ces mosaïques qui rendaient les gens si impudiques ?
" C'est gentil mais je crois que je dois... dormir avec les chevaliers... mon écuyer... ce genre de choses."
Cet homme était sans pitié. Il fallait croire qu'en ce domaine comme en bien d'autres, les cordonniers étaient les plus mal chaussés. Il ne l'approcherait plus jamais de son plein gré.

Le Sunite haussa les épaules.
-Il n'a jamais été de coutume au sein de la Communauté de loger ensemble les membres du même profession, et le rassemblement des chevaliers n'était bon que du temps où vous aviez une tente d'état-major au beau milieu de nos cercles de chariots... Mais soit, à ta guise. Dans la même veine... Albérich, les clercs n'ont jamais logé ensemble, sache-le. Hormis Barthélemy et vous savez qui, mais c'était uniquement lié au dispensaire... Enfin, si toi aussi tu préfères bouder notre compagnie...
Il haussa derechef les épaules et s'esquiva sur un salut, rejoignant le couloir.

Albérich sourit.
" Bon, j'ai assez trempé, je te laisse... mais je crois que la zone va perdre de sa tranquillité...
— Je sors dans un moment.
— A ton aise. Bonne nuit.
— A toi aussi... Merci pour... la petite conversation.
— De rien."
Le Luménien alla retrouver sa pile de vêtements. Il n'était pas encore sec, aussi se contenta-t-il de passer sa chemise. Avec un peu de chance, il retrouverait ses affaires dans la pièce dévolue à l'Académie, sinon il devrait se mettre en quête de son sac.

Albérich constata avec soulagement que les Académiciens avaient veillé sur ses possessions, les déposant dans la salle qu'ils sétaient choisie comme local provisoire. Il découvrit aussi qu'on n'allait pas se perdre en longue conversations, ce soir-là : tout le monde paraissait fatigué, ce qui n'avait rien d'étonnant. Toutefois, une tradition jadis respectée avec soin fut remise au goût du jour, puisque ses quatre compagnons lui réclamèrent, en chœur... Une histoire.

***

Hubert comprit pour sa part que son ami avait vu juste. Certes, dans l'immédiat, il ne partageait le bassin d'eau chaude qu'avec des soldats pour le moins tranquille. Mais, sur le rebord, les écuyers et leurs amis, tout en devisant avec animation, jetaient des regards de plus en plus fréquents dans sa direction et l'un ou l'autre, mine de rien, commençait à se débotter. S'ils avaient - sciemment ou inconsciemment - décidé de ne pas ennuyer les adultes, ils ne tiendraient plus très longtemps...

Hubert songea à sa matinée, au massacre des Ecorcheurs sur ce morceau de Lande grise, et quelques secondes plus tard, il sortit de l'eau. Il regagna les petites salles latérales, s'assit un moment sur un banc de pierre, pour rassembler ses idées, puis renonça. Il était fatigué, ce n'était plus le moment de réfléchir à quoi que ce soit. Pendant un instant, il songea à accepter l'invitation de Giovanni, à aller se glisser dans l'Académie, à prolonger encore un peu le soulagement qu'il avait ressenti plus tôt, quand Albérich s'était ouvert de la valeur qu'il accordait à leur amitié. Mais il renonça. Il fallait qu'il assume ses fonctions de paladin, qu'il encadre Alban, qu'il se place à un endroit où on pourrait aisément le trouver en cas d'alerte. Le plus logique était de rejoindre Ezéchiel ou Etienne. Les chefs du dispositif de sécurité. Les militaires. L'Académie était loin de ces préoccupations, avec raison. Une fois rhabillé, il se mit donc à la recherche de ses fontes. Ensuite, il se poserait au premier endroit adéquat qu'il dénicherait.

***

Albérich, de son côté, fouilla dans son sac un moment, puis s'appuya contre le mur et sourit.
" On m'a dit ce soir que j'étais interdit de prosélytisme."
Il ignora les railleries qui suivirent.
" Pourtant, en l'honneur de mon retour à la lumière, je vais vous parler de Lathandre. Je sais que tôt ou tard, la cité virera sunite, tout est calibré pour, mais peu importe. Pendant quelques minutes, je vais imaginer que j'ai face à moi un auditoire réceptif et vous exposer en détail la position lathandrite sur la question fondamentale qu'est la culture de la betterave."

Un silence de mort s'abattit sur les lieux.
-En tant que Sunite, je ne peux écouter de discours religieux que s'il touche au dogme de ma déesse.
-En tant qu'institutrice, je dois m'abstenir de parler ou d'entendre parler de religion, afin de respecter la diversité de mes élèves en ces matières.
-Itou.
Philibert, pour sa part, s'était déjà mis un oreiller sur la tête et faisait mine de dormir.

" En tant que clerc de Lathandre, je dois répandre la bonne parole !" s'exclama-t-il.
Il lâcha un soupir sonore.
" Bon. Vous l'aurez voulu."
Il sortit son livre et l'ouvrit.
" Article 28. Alinéa 7. En cas de conflit entre les voisins au sujet d'un mur mitoyen, le juge examinera les cas de figure suivants, présentés par ordre de priorité. Petit a, le mur a-t-il été construit par l'un des deux partis ? Petit b. Un appentis / bergerie / poulailler / cabanon est-il appuyé au mur ? Le cas échéant, le mur forme-t-il une des parois constitutives du bâtiment ? Petit c. Le mur est-il surplombé par un arbre fruitier autre qu'un cerisier tardif ? Petit d. Le mur menace-t-il de s'écrouler ? Si oui, il conviendra de tenir compte de l'orientation probable de l'éboulis futur et des dégâts causés aux habitations, plantations et animaux. Petit e. Le mur est-il âgé de moins de trente-trois ans ? Petit f. Peut-on remplacer le mur par une barrière de bois sans causer de tort à l'esthétique du paysage ? Les réponses à ces questions devront être pondérées et examinées selon la loi de Smirfnebkin, révision de l'an 678 CV. Alinéa 8. Un mur mitoyen détruit ne peut être reconstruit pendant les huit mois qui suivent sa destruction. Sa construction fera l'objet de l'introduction d'une demande de permis..."

-Aaaaaaah, que ça m'avait manqué !
-Oh que oui ! Merci, MERCI Giovanni d'avoir rappelé à ce cher Albérich qu'il pouvait dormir avec nous !
-Moi, ce texte me laisse tout de même dubitatif car, nulle part, il n'est fait mention du matériau dans lequel est construit le mur. Je veux dire, qu'il soit de pierres sèches, de pierres jointoyées, de pizay, ça change quand même beaucoup de choses...
Philibert, lui, s'était endormi pour de bon.

***

De son côté, Hubert avait regagné la salle du banquet. Les tables et les bancs étaient toujours en place, mais la plupart des colons avaient disparu, sans doute pour aller se coucher. Il repéra néanmoins Étienne et Gaspard, devisant à mi-voix autour d'une coupe de vin.
-Toujours pas au lit ? s'enquit le premier.

Hubert sourit et se glissa à table près des deux amis. Il songea un peu trop tard qu'il faisait un peu figure d'aîné s'incrustant dans la conversation de deux camarades. Mais il ne s'attarderait pas.
" Non. Il faut que je retrouve mes fontes, d'abord. Ensuite, sans doute essaierais-je de me trouver un coin quelque part..."
Il jeta un coup d'oeil vers les portes.
" Si j'ai bien compris, chacun s'installe un peu où il veut... Est-ce qu'il y a toujours une sorte de... rassemblement de chevaliers ?"

Ils sourirent.
-Même si nous dormions tous ensemble, je crains que nous ne soyons pas assez nombreux pour mériter le nom de rassemblement...
-Personnellement, je dors dans la même pièce qu'avant votre arrivée, avec les hommes de mon escouade...
-Pareil, avec mon escouade.
-Tu peux donc t'installer où tu le souhaites. Oh, et il me semble que tes fondes sont à l'écurie... Ce n'est pas très loin, je vais t'indiquer l'itinéraire...
Une porte, un couloir, un tournant... Et il y serait.

Bon, et lui qui n'avait pas d'escouade, où allait-il dormir ?
Il remercia Etienne et se mit en quête des écuries et de ses affaires. Ensuite... Il pousserait une porte, déposerait son paquetage, et dormirait. Il restait peut-être une pièce vide quelque part, ou alors il demanderait à quelqu'un d'encore réveillé où Edgar s'était installé — avec son escouade, bien sûr — et irait le rejoindre. Tout bien réfléchi, il était sans doute censé récupérer son écuyer aviné... mais Alban avait peut-être opté pour la solution de facilité, et accompagné Ruth, pour cette première nuit.

Les écuries étaient au bout de l'itinéraire indiqué et, comme promis, ses fontes s'y trouvaient. Les chevaux, eux, avaient comme de coutume été choyés par les palefreniers. Lesquels, à en croire de sonores ronflements, dormaient dans une pièce adjacente. Enfin, quant à la question cruciale du lieu où il s'étendrait lui-même, les salles vides ne manquaient pas, c'était même tout le contraire : il y en avait à foison. Mais de gens éveillés, en revanche... Les derniers qu'il avait croisés s'attardaient sur les lieux du banquet.

Hubert était trop fatigué pour se poser encore mille questions aussi s'arrêta-t-il dans la première salle de taille modeste qu'il trouva. Il aurait sans doute pu rejoindre l'Académie — cinquième porte à gauche, avec une statue de nu à côté de l'entrée — mais ils dormaient probablement et il ne voulait pas les déranger. Il ne se sentait de toute façon pas de taille à affronter les quolibets des uns et des autres. Il était trop tourneboulé pour faire bonne figure.
Il déroula son paquetage, se changea rapidement puis s'emmitoufla dans ses couvertures. Malgré sa lassitude, il peina à trouver le sommeil. Trop de choses s'entrechoquaient dans son esprit, réjouissantes et moins réjouissantes, des images du passé, des visions du futur, des possibles qu'il ne parvenait pas à saisir. Peut-être aurait-il dû, vraiment, rester à Solarcis... et puis il finit par sombrer.

-Ah, mais décidément, il y en a vraiment de partout !
Une voix. Aussi familière que sonore.
-Allez, debout, mon capitaine !
Le Sergent Clairon, évidemment.
-Mon capitaine, expliquez-moi : vous vous êtes planqué tout seul dans cette salle pour m'échapper ou pour échapper à votre écuyer ? Dans le premier cas, c'est une échec : comme vous pouvez le constater, nul dormeur ne passe entre les mailles de mon filet ! Dans le second cas, par contre, ça a fonctionné : on a retrouvé Alban endormi au beau milieu d'un couloir, sans doute après vous avoir cherché des heures et des heures, en vain...

" Misère." dit simplement Hubert en émergeant.
Il ne se sentait pas vaillant la veille au soir, ce n'était pas avec ce genre de nouvelles de grand matin qu'il allait se sentir mieux. Et il avait manqué l'aube, pour couronner le tout. Il en connaissait au moins un qui se fendrait d'un commentaire. Mais ce serait sans doute la bonne excuse pour aller dormir dans l'Académie la nuit suivante : besoin d'un compagnon lathandrite pour ne pas déroger aux nécessités de la foi.
Il allait falloir qu'il s'excuse auprès d'Alban, de surcroît. Mais ce gosse était-il à ce point buté qu'il n'avait pas pu abandonner au moment où il avait réalisé qu'il avait disparu ? Ça devait être le vin. Mais tout de même ! Ruth aurait pu faire quelque chose.
Vaseux, il décida de gagner les remparts. Malgré son retard, il devait prier.

Edgar avait peut-être commencé par réveiller les palefreniers tout proches, à moins qu'il n'ait pensé à la prière matinale de son supérieur. Toujours est-il que lorsque celui-ci gagna l'extérieur, il constata d'emblée que l'aube commençait à peine, nimbant la forteresse et la cité d'une lueur encore chiche. Nul doute, toutefois, qu'elle serait sous peu magnifique : le ciel était sans le moindre nuage. Autre point positif : Albérich et Gabriel étant debout sur le rempart est, plongé dans leurs prières respectives, ils ne remarqueraient nullement sa venue et ne pourraient donc se moquer de lui... Du moins, pas tout de suite.

Hubert se glissa rapidement à leurs côtés et entama son propre rituel, tandis que les couleurs de l'aube commençaient à déferler autour de lui. Clairétoile serait magnifique dans la lumière matinale, mais pour l'heure, il devait se tourner entièrement vers Lathandre, et il fit le vide dans son esprit pour accueillir la présence de son dieu. Il loua sa magnificence, le remercia pour cette nouvelle journée, et toutes celles qui suivraient, pour leur arrivée à Clairétoile, pour leurs victoires contre l'adversité, pour la beauté de la vie, les gens qui l'entouraient, les perspectives, le futur, et l'espoir formidable que les choses continuent à progresser vers un mieux.
Tout entier absorbé par sa transe, il perdit la notion du temps, se laissa imprégner par l'énergie de l'aube, sentit sa détermination et son courage enfler et enfler encore, jusqu'à ce qu'il rouvre les yeux. Le soleil s'était levé. Albérich rayonnait lui aussi et, comme il était arrivé plus tôt, il avait déjà terminé de prier. Il lui sourit et Hubert eut, un instant, l'impression que la lumière émanait directement de lui.
" Bien dormi ?
— Profondément.
— Il parait que tu as oublié Alban dans les couloirs ?
— Ah misère. Oui. J'étais crevé, il était aux Thermes avec ses camarades... Je me suis couché. J'ai pensé qu'il opterait pour une solution de facilité, c'était la première nuit. Je ne suis pas fait pour ce boulot de garde d'enfants."
Le Luménien lui décocha une tape amicale sur l'épaule.
" Arrange-toi mieux la nuit prochaine. C'est un brave gosse. C'est un peu moche qu'il ait dû dormir comme ça.
— Je sais. Je m'excuserai et je ferai mieux ce soir.
— Je n'en doute pas."

Gabriel avait lui aussi terminé de prier, mais il n'intervint pas dans leur échange, plongé qu'il était dans la contemplation de la cité. Ce n'était pas la première fois qu'il la voyait, certes. Cependant, l'on comprenait aisément qu'il soit encore et encore absorbé par le spectacle qu'elle offrait aux regards, surtout sous les chaudes lueurs du soleil levant. De jour, les outrages - limités - du temps et l'omniprésence de la végétation frappaient davantage ; toutefois, c'était sans aucune mesure avec ce qu'inspiraient les bâtiments toujours debout, les rues toujours bien tracées... Colonnes, dômes, escaliers monumentaux, tours et autres avenues, s'étendant jusqu'à la ligne sombre et lointaine des remparts, constituait une vision à couper le souffle.
Une ville antique que l'on aurait dit abandonnée depuis quelques décennies seulement, préservée au cœur des terribles Landes... Il y avait de quoi se croire en plein rêve.
C'était la réalité, pourtant.

Les deux amis se laissèrent un moment absorber par cette contemplation, eux aussi. Hubert trouvait le spectacle magnifique mais un peu inquiétant. Trop de rues, trop de bâtiments, une cité trop vaste, simplement, et cela lui donnait une impression de petitesse qu'il n'était pas certain d'apprécier. Comment allaient-ils pouvoir investir un tel espace, le vider de ses morts-vivants, le rénover, alors qu'ils étaient si peu nombreux ? Où étaient les survivants du cataclysme, pourquoi n'étaient-ils jamais revenus réclamer cette ville incroyable, comment avaient-ils pu se contenter de villages boueux dans la campagne lointaine ? Des questions, toujours des questions, et peu de lumière. De surcroît, il n'était pas certain de voir comment sa vocation de paladin allait s'intégrer dans les nécessités de cet endroit. Réparer des fissures et arracher des plantes ne le tentait qu'à moitié.
Albérich s'interrogeait nettement moins : il se contentait d'admirer, sans arrière pensée, sans le moindre pragmatisme, à la seconde présente. La cité était belle, ancienne, les érudits d'Hélonna tout entière, qu'ils soient mage profanes, historiens, artistes ou clercs de divinités curieuses afflueraient rapidement. Le futur promettait d'être bordélique, mais le bordel, c'était la vie.

Logiquement, ce fut Gabriel qui s'arracha le premier à l'admiration du panorama.
-Messieurs, je suis désolé de nous ramener à des considérations triviales et immédiates mais je crois que si le gang des Lathandrites souhaite déjeuner, il vaudrait mieux qu'il rallie sans tarder notre merveilleuse cantine...
Ils se mirent donc en route, regagnant l'intérieur du château par une entrée latérale puis la salle du banquet par une enfilade de couloirs. Les lieux étaient bondés, quoiqu'il demeurât encore quelques places libres. Albérich remarqua les Académiciens, encore à demi-endormis, tandis qu'Hubert repéra son état-major, disséminé de-ci, de-là. De ses écuyers, en revanche, nulle trace : peut-être étaient-ils aux écuries.

Hubert et Albérich se séparèrent à l'entrée de la salle. Tandis que le Luménien partait vers la table de l'Académie, où régnait l'habituelle ambiance grognonne des petits matins, le paladin rejoignait Etienne. Il se pencha sur le jeune chevalier.
" Si tu as un moment, j'aurais voulu te parler avant le conseil..." lui souffla-t-il.
Il avait l'intention d'attraper un morceau de pain et une tasse de thé, et de se sustenter à l'extérieur tout en conversant.

L'intéressé lui jeta un regard soucieux avant d'opiner du chef.
-Bien sûr.
Lui-même prit de quoi terminer son petit-déjeuner et tous deux se retrouvèrent bientôt sur le porche monumental du château.
-Alors, que voulais-tu me dire ? Il n'y a rien de grave, j'espère ?

" C'est à propos d'Alban." dit le paladin.
Il reporta son regard sur la cité et poussa un bref soupir.
" Quand Robert est mort, vu la confiance qu'il m'avait faite, dans le torrent d'émotions qui a suivi... Il m'a semblé logique, presque obligatoire, de reprendre son écuyer. Alban et moi avions un bon contact, nous avions déjà bavardé, Robert parlait parfois d'en faire un paladin... Mais à présent que tout ça est un peu retombé..."
Il secoua la tête.
" J'aime beaucoup ce gosse, entends-moi bien, mais... je ne suis pas à la hauteur. Ni de ce dont il a besoin, ni de ce dont il désire. Je ne voulais pas d'écuyer, les paladins n'en ont pas vraiment, et je ne suis pas rompu à tout ce qui fait... qu'un chevalier est un chevalier. Les seuls enfants que j'ai fréquentés, récemment, je me suis contenté de les former aux armes... Bref. Il ne se passe pas un jour sans que je fasse une erreur, ou que je me montre décevant. Cette... inadéquation est pesante pour lui comme pour moi. Il espère davantage et ces échecs répétés me plombent le moral."
Il refit face au chevalier.
" Si je t'en parle, c'est que je ne veux pas pour autant qu'il se retrouve subitement abandonné... or je sais que ton écuyer est déjà âgé, probablement en fin de formation... Je me demandais si tu accepterais de reprendre Alban sous ton aile, au cas où je décidais de... faire le nécessaire."

Étienne grimaça.
-C'est à cause de ce qui s'est passé cette nuit, c'est ça ? Allons, tu étais épuisé, ton écuyer aussi et, de surcroit, il avait descendu cul sec une pleine coupe de vin... Ça ne t'es jamais arrivé de ne pas retrouver ta chambre après avoir un peu trop bu ? Bon, sans doute que non mais à moi, si... Pour le reste, de ce que j'ai entendu, Alban prend la chose à la rigolade et n'a de cesse de répéter que c'est de sa faute, qu'il a fait l'idiot... Bref, ça n'a absolument rien de grave. Après...
Il soupira.
-Après, si tu décides finalement de te séparer de lui, c'est volontiers que je le prendrai comme écuyer : c'est un garçon attachant, bienveillant, doué... Mais il faudra que tu trouves un moyen pour qu'il n'envisage pas cet événement comme... un désaveu ou un rejet de ta part, parce que ça, je pense qu'il le vivrait très mal.

" Je sais. Et je n'ai pas encore pris de décision ferme le concernant. C'est un échec pour moi aussi, tu imagines bien... Simplement, cette nuit... Si ce n'était qu'un épisode isolé, je n'en ferais pas toute une histoire. Mais ce n'est pas le cas. C'est la énième fois que les choses se grippent. Je ne sais pas. Je verrai bien."
Il haussa les épaules, reporta son regard sur la ville.
" Savoir qu'il y a une solution de ton côté m'ôte déjà un poids. Je te remercie et je te tiendrai au courant."

-Très bien.
Il soupira à nouveau, termina ce qu'il lui restait de thé.
-Bon, j'imagine que nous allons rapidement réunir le Conseil ? J'avoue que j'appréhende un peu, parce que cette première réunion va rendre certaines choses... certaines événements... terriblement concrets. Mais il faut bien en passer par là et dépasser ce qui s'est produit.

" Je ne pense pas que d'autres mauvaises surprises t'attendent, dit Hubert d'un ton compatissant. Mais il est vrai que ce sera juste nous quatre... et la question, probablement, de l'élargissement, à présent que nous sommes arrivés en ville et que d'autres types de défis se profilent. Mais je ne devrais pas anticiper... Albérich et Ezéchiel ont certainement leur avis sur cette question, sans compter que le retour prochain de Marthe et de Frida bouleversera à nouveau les équilibres. Nous devrons surtout définir nos priorités."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue