La Couronne de Cuivre

En suivant la direction indiquée, le décor changea brusquement et du tout au tout. Ce n'était plus l'environnement des vastes zones inhospitalières d'Ombreterre mais bien l'intérieur d'une habitation svirfnebline d'après l'architecture qui lui était familière. Et plus précisément, le gnome se trouvait maintenant dans une bibliothèque, face à une étagère comportant nombre de livres de magie. L'un d'entre eux attira particulièrement son attention : un épais traité d'illusionnisme dont la couverture iridescente attirait immanquablement l'attention.

« Ça n’a aucun sens... »
Si, un sens symbolique, cela lui sautait aux yeux. Mais comment envisager cette suite d’événements dans la réalité ? Il ne pouvait que délirer, ou justement être en proie à des illusions. Devait-il prendre ce livre, faire ce qu’on attendait peut-être de lui ? Ne tombait-il pas dans un piège ?
« Vas-y ! Qu’est-ce que tu attends ? » le pressa Dalius qui ne se posait pas tant de question et laissait du coup libre cours à sa curiosité.
Alchem haussa les épaules. Au point où il en était... Il s’avança, prêt à une mauvaise surprise, et tendit les mains vers le livre avec l’intention de le prendre, de l’ouvrir.

Le livre semblait extrêmement lourd mais il n'eut aucune difficulté à l'ouvrir. La tentation de lire la première page était très puissante mais une alarme s'alluma tout de même dans son esprit : il sentait que se lancer dans cette lecture pouvait être un chemin sans retour. Un chemin qui le changerait profondément. Mais il n'oubliait pas que sa mère l'avait guidé vers ce livre. C'était une conviction qui dépassait les incertitudes de cette étrange expérience.

Alchem hésita. Le livre toujours ouvert dans ses mains, il releva la tête. Ses yeux se posèrent sur Dalius, assis sur l’étagère.
« Alors, ça dit quoi ? demanda le rat avec intérêt.
- Je ne sais pas si c’est très prudent...
- Bah, c’est de la magie, c’est toujours risqué. Ta mère ta formé, non ?
- Je ne comprends pas ce qui se passe...
- Moi non plus, mais c’est pas grave ! Alors, ça dit quoi ? »
Alchem rebaissa les yeux sur la première page et se résolut à lire. En dépit de sa méfiance instinctive, pour ne pas dire maladive, il était lui-aussi très curieux.

Plutôt que de déchiffrer les étranges symboles ésotériques présents sur la page, Alchem comprit que les mots se formaient directement dans son esprit comme si le livre s'affranchissait de la lecture pour imposer sa propre compréhension au lecteur. L'expérience était en tous points déstabilisante mais pas désagréable hormis cette perte de contrôle.

En tous cas, le message était clair : le livre évoquait Alchem. Ou plutôt ce qu'il pourrait être, ce qu'il pourrait devenir. S'il l'acceptait. Mais les images étaient terriblement plaisantes, montrant un potentiel qu'il n'exploitait qu'imparfaitement. Si c'était une ruse drow, elle était terriblement séduisante.

Plongé dans l’expectative, Alchem tourna lentement les pages du grimoire. Il tentait de prendre mentalement des notes sur ce qui se passait, sur ce qu’il vivait, pour s’en rappeler, pour pouvoir le noter, l’analyser, le comprendre. Cette expérience était tout à fait déroutante et il espérait que ce ne soit pas le fruit de la sorcellerie Drow. L’envie de refermer le grimoire était forte. Il se méfiait des voies toute tracée. Ce qui l’en empêcha, ce fut le souvenir de Théass, son frère défunt, celui qui avait marché sur les traces de la Grande Mystificatrice, celui qui aurait été un grand mage en ce jour. Le gnome secoua la tête, soupira. Dalius s’était penché sur le livre.
« Les runes sont si jolies. »
Et si c’était une opportunité ? Pouvait-il la laisser passer ? N’allait-il pas s’en vouloir ? Il avait un grand respect pour la magie. Elle représentait tellement pour lui. Et si c’était un piège, alors tant pis, il était déjà tombé dedans. Autant persévérer.
« Oui, elles sont jolies, on peut dire ça comme ça. »
Il poursuivit sa lecture, cherchant à s’en imprégner.

S'en imprégner était si facile, si naturel. Il mit un long moment à comprendre qu'à chaque page qu'il tournait, le livre devenait moins épais. C'était comme s'il se consumait à mesure que lui-même absorbait tout ce savoir, toute cette connaissance. Ces runes ne disparaissaient pas, elles se transféraient simplement dans un nouveau réceptacle : son propre esprit. Un esprit qui y était si bien prédisposé par des années passées dans le sillage de la Grande Mystificatrice.

Maintenant qu’il avait commencé, Alchem n’allait pas s’arrêter. Avec une crainte et un enthousiasme croissant, drôle de paradoxe, il entreprit de continuer de lire jusqu’à ce que, peut-être, le livre fonde complètement. Dalius observait, depuis son rayonnage, la scène d’un regard brillant. Qu’adviendrait-il après cela ?

Comme Alchem l'avait pressenti, le livre se consuma complètement jusqu'au moment où il atteignit la dernière page. Le tome avait semblé extrêmement volumineux mais le svirfneblin avait l'impression - peut-être trompeuse - qu'il ne s'était écoulé que quelques minutes depuis qu'il avait entamé sa lecture.

Ce fut Dallius, affamé et passablement impatient qui lui fit comprendre qu'il n'en avait rien été. Le temps - incertain - s'était écoulé et Alchem se sentait étrangement serein. Comme si son corps et son esprit avaient été lavé des impuretés et des soucis qui l'encombraient. Il était fatigué, avait un peu faim et surtout soif mais il avait le sentiment d'avoir accompli quelque-chose de bon, de décisif. Il lui faudrait probablement prendre du repos car pour l'heure il se sentait incapable du moindre effort supplémentaire mais il avait la conviction que le livre avait révélé un nouveau potentiel en lui.

Un peu perdu, Alchem se lissa l’arrête du nez et regarda autour de lui. Maintenant qu’il avait accomplie cette étrange lecture, il devait envisager la suite. Et pour cela, il devait savoir s’il se trouvait toujours dans la bibliothèque. Tout ici était si étrange qu’il s’attendait presque à découvrir un tout autre paysage. Dalius sauta sur son épaule et gagna la poche de son manteau.
« Moi, je vote pour un casse-croute ! »

Comme s'il suffisait d'y penser - ou peut-être était-ce un effet secondaire de la lecture du livre - le décor changea subitement, redevint familier. Alchem se trouvait dans un lit. Dans une chambre svirfnebline. Il y avait plusieurs chandelles allumées sur sa droite - une extravagance comme on en trouvait chez sa mère. Dès qu'il esquissa un mouvement, il sentit une présence s'approcher brusquement et entrer dans son champ de vision. C'était le visage de Dotha :

- Vous nous avez fait une de ces frayeurs, Dallius et vous !

Alchem cligna des yeux, puis fixa Dotha. Il était toujours assez stupéfiant de constater à quel point il savait conserver son impassibilité. Il semblait juste un peu perdu alors qu’il remettait dans sa tête les pièces du puzzle en place.
« Une frayeur ? Ce sont les risques du métier, je présume. J’ai dormi pendant combien de temps ? »
Déjà il cherchait à se redresser. Il avait du travail... et aussi un mystère à élucider, celui de ce rêve atypique. Cela ne l’empêcha pas de se dire qu’il était plutôt content de se retrouver ici, en compagnie de la prêtresse.

Dotha n’était pas dotée du même flegme et son attitude tranchait clairement avec l’impassibilité ineffable de son cousin des profondeurs. On sentait d’ailleurs qu’elles avaient les émotions à fleur de peau. Elle s’était manifestement beaucoup inquiétée et elle l’exprimait maintenant que le réveil d’Alchem avait brisé la barrière de son angoisse :

- Dormir n’était pas le mot : vous étiez inertes Dallius et vous. A tel point que votre escorte vous a cru morts. Ils vous ont ramené hier matin et personne n’a réussi à vous faire réagir depuis lors. Alors ? Dans quoi vous êtes vous encore fourré, Alchem Murmure ?

Cette dernière question passait clairement pour un reproche.

Alchem ne fut pas surpris par la réaction de Dotha, ni ébranlé d’ailleurs.
« Je ne sais pas. Un phénomène étrange. Je gage qu’une prêtresse de Mystra devrait être intéressé par celui-ci. Il n’était pas sans rapport avec la magie, me semble-t-il. Allez chercher ma mère. Je n’aimerais pas devoir faire deux fois le même récit. »
Il se leva et commença à s’habiller. Dalius, à côté de lui, bailla et s’étira. Le gnome finit quand même par se tourner vers Dotha et par ajouter :
« À part ça, je vais bien. Et cette histoire m’est tombée dessus sans que je n’y sois pour quelque chose. La faute à pas de chance, peut-être. Le tout est d’en être certain. Souriez, ici vous allez avoir votre lot de mystères. »

Dotha répondit d'un ton taquin - mais avec une pointe d'acidité peut-être - :

- Vous essayez de faire diversion en me prenant par les sentiments avec cette histoire de mystères mais vous ne m'amadouerai pas facilement. Vous attirez plus sûrement les ennuis improbables qu'un fromage attire des rats. Avec tout le respect que je dois à Dallius, cela va sans dire !

La prêtresse s'exécuta tout de même et quitta la pièce. Quelques minutes plus tard, elle revenait en compagnie de la mère d'Alchem. Il y avait une pointe d'inquiétude et de tristesse dans ses yeux mais elle se montra tout de même très digne en lui demandant comment il se sentait.

« Bien, enfin me semble-t-il. Durant mon inconscience, j’ai eu une vision étrange. Elle n’avait à priori aucun rapport avec les Drow ou le Despote, mais ce ne sont que des apparences. »
Il livra ensuite une description fidèle du rêve, attachant une importance particulière aux détails. Sa manière d’exposer était typiquement celle d’un magicien. Il en restait au fait, ne cherchait pas à interpréter, désireux de faire de ce récit une base de travail pour d’éventuelles recherches.

Tandis que Théâya analysait les informations à son propre rythme, cherchant sans doute à décrypter un schéma d’ensemble avant de se hasarder en conjectures, elle fut sans surprise devancée par la spontanéité et l'impétuosité de Dotha :

- Ce livre - la façon dont vous l’avez absorbé en quelque sorte – cela me fait penser aux légendaires tomes d’augmentation. D’après les rapports, il existe des livres qui se consument lors de leur lecture et gravent ce qu’ils contiennent dans l’esprit – et même parfois le corps – de lecteurs ayant les capacités d’y accéder. Certains pensent qu’ils ne font que réveiller des pouvoirs latents mais le processus décrit est toujours le même : le lecteur accède à un savoir ou évolue après avoir compulsé le livre et ce dernier disparaît ou devient vierge de toute trace écrite. Est-ce que vous ressentait un changement en vous ? Une langue qui vous était inconnue vous est-elle devenu familière ? N'importe quoi ?

« Hum... je ne sais pas. J’en aurai le cœur net après avoir étudié mon grimoire, ça me permettra de faire le point, en magie tout du moins, ce sera un bon début. Il faudra aussi que je couche par écrit cet incident. »
Il avait plusieurs heures de travail en perspective. Mieux valait avant boire, manger et se tenir informé des dernières nouvelles.
« Que s’est-il passé durant mon... absence ? Des nouvelles des Drow ? Des nains ? Ou des cristaux ? Ou encore du bracelet magique qu’on a trouvé sur l’assassin ? »

Dotha lui recommanda de ne pas quitter son lit et de prendre le temps de s'y alimenter. Elle proposa même de lui amener son carnet pour qu'il prendre des notes. Autre signe de sa bonne volonté - et peut-être aussi qu'elle s'inquiétait de sa santé - elle ne chercha pas à marchander ses nouvelles en les conditionnant au fait qu'il accepte son programme :

- Aucun signe d'activité drow n'a été répertorié mais cela semble beaucoup inquiéter les patrouilleurs sous vos ordres et surtout les nains que le général a dépêché en délégation. Ils semblent tous penser que les drows cherchent à se faire oublier pour préparer une de leurs mauvaises surprises. Pour le bracelet, je l'ai étudié personnellement : il reste beaucoup d'expériences à faire mais je peux déjà vous affirmer que cet objet permet de voyager sur de très courtes distances à travers un plan connu sous le nom de Gisombre. Le plus inquiétant est qu'il semble pouvoir se déclencher depuis n'importe quel endroit. Y compris ici, à Ornegemme.

« L’assassinat du général nain avait peut-être pour second but de tester cet objet. Ils cherchent à percer les défenses de notre ville. Mais... »
Alchem se tourna vers sa mère.
« ...c’est assez peu commun d’utiliser le plan de Gisombre pour se déplacer par magie, non ?
- En effet. Normalement les plans transitoires et surtout le plan astral sert pour tout ce qui est téléportation. Mais on a affaire à des Drow. Leur amour pour la toile d’ombre peut expliquer ce choix.
- Quoi qu’il en soit, je ne compte pas attendre qu’ils finissent tranquillement leur projet. Ils finiront par trouver notre cité et dès lors nous ne seront pas à l’abri d’un assaut.
- Je peux bloquer le déplacement planaire dans une certaine zone...
- ...dans tout Ornegemme ?
- Non. Dans les lieux sensibles. Cette tour, notre académie de magicien, etc. Protéger toute une ville demande des ressources dont je ne dispose pas.
- Donc...
- Laisse-moi terminer, tu veux ? Je peux protéger certaines zones. Je peux aussi jouer mon rôle de mystificatrice et attirer les Drow dans des leurres, ralentir leurs recherches. Bref, je peux gagner du temps. On est encore très loin d’être aculé.
- Ce serait bien de ne jamais l’être. On doit agir, finir ce qu’on a commencé lors de la dernière guerre.
- Tu comptes aller chez eux ? Encore ? Et pour faire quoi ?
- Découvrir ce qu’ils trament et occire leur grande prêtresse.
- Ils n’abandonneront pas, pas comme ça. Là, tu leurs donne juste des arguments pour poursuivre.
- Si on les affaiblit assez, d’autres Drow profiteront de leur faiblesse pour les exterminer.
- Si on gagne assez de temps, ils devront arrêter de nous attaquer car ils se feront attaquer par d’autres. »
Le ton était monté entre la mère et le fils. Il était assez peu commun que Téâya soit partisante de la passivité, elle qui était si impulsive, mais en vérité elle avait peur qu’Alchem se relance dans ses entreprises ô combien risquées.

Dans une inversion des rôles qu’un observateur extérieur aurait sans doute jugé amusante et même cocasse, la prêtresse gnome prit le parti de calmer la situation en tentant de ramener les deux svirfneblins à plus de pondération :

- Alchem, il me semble que nous ne savons pas où se terrent les drows à l’origine de ces attaques. Ou, en tous cas, je crois qu’il faut partir du principe qu’ils nous attendront là où nous penserons le plus les trouver…

Avant qu’il ne puisse reprendre la parole, elle ajouta d’un ton bien plus conciliant :

- Mais il y a certainement moyen d’agir sans les attendre et de les amener à se découvrir. En visant le général, ils ont démontré qu’il accorde une valeur à vos figures d’autorité. Vous y compris. N’y-a-t-il pas moyen de leur envoyer un leurre de vous-même qui pourrait devenir leur perte ?

« On pourra piéger un assassin ou deux, peut-être, mais pas toucher ceux qui décident, Dotha. Et détrompez-vous, on sait très bien où se trouvent les Drow. Eux ne cachent pas leurs cités, ils les fortifient.
- On ne sait pas quel clan nous attaque, objecta Téâya.
- Non mais sans blague, tu fais preuves de mauvaise foi ! Un seul clan se trouve assez proche de nous pour avoir un intérêt de nous attaquer ! S’il y avait eu des changement majeurs dans le sous-sol, je le serais. Ce n’est pas pour rien qu’on fait parfois un peu de reconnaissance hors de nos frontières.
- Et tu comptes lancer un assaut ?
- Non, bien sûr que non, rien de frontal, je ne suis pas stupide. Mais pourquoi ne pas tenter de prendre les informations à la source ? S’il y a quelque part où on peut tout apprendre, c’est là-bas.
- Et bien sûr, tu dois faire partie des espions, personne d’autre ne peut s’en charger.
- Je me suis déjà rendu là-bas.
- Tu n’es pas le seul. »

De son côté, Dotha n’avait pas l’intention d’abandonner si rapidement son point de vue. Elle avait cependant conscience qu’elle ne disposait d’aucun pouvoir de décision et que seule une certaine courtoisie – plus que son domaine d’expertise - lui permettait d’assister aux réunions au sujet de la guerre.

- Nous savons déjà que les drows cherchent à nous attaquer, non ? Je ne nie pas que nous pourrions en apprendre bien plus sur comment ils comptent s’y prendre et sur les forces qu’ils peuvent mobiliser… Mais n’avez-vous pas un moyen de les forcer à attaquer ? Vous êtes des maîtres de l’illusion : vous pourriez peut-être faire croire aux drows ce à quoi ils aspirent. La localisation d’Ornegemme ou d’une partie exposée des armées que vous levez contre eux.

« Bien des choses sont possibles. Le tout est de s’y prendre correctement. Quoi qu’il en soit, il est trop tôt pour prendre une décision. Alchem, tu dois d’abord tirer au clair ce qui t’est arrivé. Si je peux t’aider, tu sais où me trouver. Dotha, venez. Je suppose que mon fils a besoin de tranquillité. De tranquilité et de se restaurer également. »
Alchem semblait prêt à poursuivre le débat, mais il se rangea à l’avis de sa mère. Il devait se remettre sur pieds avant de songer à autre chose. Manger, étudier, rédiger, il avait devant lui plusieurs heures de travail et il avait hâte de commencer.

On avait apporté à Alchem une composition de ses champignons préférés, à la fois nourrissants et roboratifs. Le tout accompagné d’un lait de rothé fermenté. De quoi se remettre sur pied au plus vite. Le svirfneblin découvrit que le plateau avait était organisé avec un certain sens du goût qui tranchait avec la mentalité purement utilitaire de ses compatriotes, signe que Dotha avait contribué à le dresser en signe d’attention. En tous cas, la prêtresse ne réapparut pas pour le dissuader de travailler à la compulsion de son grimoire.

Alchem prit le temps de se restaurer avant de passer au travail ce qu’il fit avec son sérieux coutumier. Il coucha par écrit sa vision étrange. Il serait peut-être utile d’en conserver l’exactitude. Alors qu’il procédait, il parvint à assez s’intéresser au phénomène pour, un temps, mettre de côté la guerre et les Drow. Ses notes prises, il ouvrit son grimoire et l’examina en détail, faisant autant attention aux runes sur le papier qu’à l’écho qu’elles avaient en son esprit. Il était en quête d’un changement. Pendant ce temps, Dalius finissait le lait fermenté avant de se mettre à jouer sur le bureau de son maître.

Le grimoire d’Alchem lui parut étrange. Désagréablement enfantin dans son style et… incomplet. Un grimoire d'enfant. Un jouet. Ses notes, les sorts qu’il avait soigneusement rédigé pour les compulser – même ceux qui lui avaient toujours parus abscons et complexes – semblaient être des concepts vulgarisés destinés aux apprentis. Il ne put résister à l’impulsion de se lancer dans la correction de la page consacrée à son sortilège le plus abouti, y détectant des erreurs grossières qui nuisaient gravement à leur intensité et à leur efficacité. Comment avait-il pu en commettre de pareilles et surtout ne jamais n’en prendre conscience ?

Étrange, effectivement... Alchem ne s’était pas attendu à cela. Réalisant qu’il était déjà en train d’effectuer des corrections, il s’arrêta et entreprit de compléter ses notes au sujet des phénomènes suspects. Puis, au lieu de retoucher son grimoire, il en prit un vierge et entreprit de retranscrire tous les sorts qui lui venait à l’esprit. Dalius, intrigué, lui demanda :
« Tu fais quoi ? Tu cherches à réécrire le livre du songe ?
- Peut-être. On verra bien... »

Alchem se rendit compte qu’il n’avait même pas besoin de consulter son grimoire actuel pour copier les premiers sorts qui y figuraient. Et, à mesure de sa progression, de nouveaux sortilèges s’imposaient à son esprit sans qu’il n’ait aucun souvenir de les avoir consultés nulle part. Alors qu’il noircissait consciencieusement sa dixième page, on toqua discrètement à la porte signe que le temps avait passé, mine de rien.

« Entrez ! » dit-il, sans relever la tête de son grimoire, sans cesser non plus de travailler.
Il craignait que cette inexplicable inspiration ne soit limitée dans le temps et comptait donc tirer de celle-ci tout ce qu’il pouvait avant son terme. Dalius, lui, ne manqua par contre pas de se tourner face à la porte pour voir qui venait.

La Couronne de Cuivre

Ornegemme, cité svirfnebline