La Couronne de Cuivre

« Peut-être est-ce les morceaux de poterie... Auquel cas ils doivent être les morceaux de quelque chose de spécial. Je vais chercher le parchemin qui accompagnait le médaillon et on peut y aller. »
Kmir commença à s’éloigner et revit sa charrette. Il la désigna :
« Ho, j’oubliais. Pourriez-vous, s’il vous plait, la conduire derrière l’une des granges ou derrière votre maison ? Je la trouve un peu trop visible, présentement. »
Bien sûr, il pouvait à nouveau apporter son aide, une aide qui serait loin d’être risible, sa petite taille ne laissant pas présager de sa force. Les svirfnebelins, c’était presque des nains sur le plan physique. Et Kmir était un svirfnebelin particulièrement robuste.

Du point de vue de la force physique, Bruno n'avait rien à envier à personne. Il prit en main les courroies et tracta la charrette jusqu'à l'arrière de l'une des granges, comme le lui demandait Kmir.
Celui-ci, de son côté, put récupérer le parchemin semblant contenir un peu de magie.
Bruno le rejoignit dans la petite cour devant la maison. Il tenait l'âne par la longe, sa haute taille contrastant avec celle de l'animal.
" Si vous avez besoin de récupérer une couverture, des vêtements de rechange, je vous laisse les mettre dans l'une des deux sacoches. Sinon, je peux vous fournir ce qu'il faut. Je vais prendre mon arbalète, m'équiper un peu mieux... et nous prendrons la route."

« Entendu. Mais je suis prêt. Je voyage souvent et... léger. »
Oui, léger. Il ne pouvait pas se permettre d’avoir plus qu’un sac sur le dos lorsqu’il s’embarquait en des lieux périlleux. En revanche, il ne s’éloignait jamais longtemps de la civilisation, quelques jours par excursion, tout au plus. Le reste du temps, il dormait dans des auberges, très essentiellement.
Il attendit donc que Bruno finisse de se préparer, tout en se demandant si cette excursion serait aussi prometteuse qu’il l’espérait.

Bruno reparut peu de temps après, une arbalète accrochée dans le dos et une masse à la ceinture. Il avait revêtu un gilet de cuir également, par-dessus sa tunique. Il prit la longe de l'âne en main et fit signe à Kmir de se mettre en chemin. Ils rejoignirent la route principale, à une bonne demi-lieue, et partirent vers le nord, refaisant le chemin que Kmir avait fait la veille dans l'obscurité -et qu'il avait parcouru en sens inverse ce matin.
Mais Bruno s'arrêta un peu avant d'arriver au village.
" D'habitude, je prends les chemins de traverse, expliqua-t-il. C'est plus long mais plus discret. Surtout aujourd'hui où ils sont tous à la fête, il n'y aura personne dans les champs pour chercher à se renseigner sur notre destination... D'ailleurs, à propos de fête... Vous disiez que vous voulez récupérer le bijou. Mais ils sont sans doute tous partis là-bas, non ? Ou mon beau-frère est-il si mal qu'il ne puisse pas se déplacer ? Quel égoïste je fais, je n'ai même pas songé à vous demander des nouvelles...

« Sa femme n’a pas voulu qu’il sorte. Il n’est effectivement pas très en forme, expliqua Kmir. Nous le trouverons donc à l’auberge. Ses fils sont néanmoins chargés d’aller voir le clerc qui, si j’ai bien compris, vous avez conseillé. Passez par où vous préférez, c’est vous l’habitué du coin. »
Une masse, une arbalète, Bruno Desplaces était assurément capable de se défendre. Tant mieux. Personne n’était à l’abri d’une mauvaise surprise sur la route.

" Passons par le village alors. De toute façon, il n'y aura pas grand-monde..."
Bruno, menant l'âne par la bride, s'avança donc entre les premières maisons, se dirigeant vers la place où se trouvait le grand four à pain communal. Kmir reconnut l'auberge un peu plus loin, avec un panneau indiquant qu'elle était fermée. Panneau qui y était peut-être la veille, mais qu'il n'avait pas remarqué, étant entré par la porte arrière, côté écurie.
Bruno accrocha l'âne à un anneau fiché dans le sol et poussa la porte principale sans se préoccuper du panneau, appelant Martin d'une voix forte. Celui-ci mit quelques minutes à descendre, et Kmir le trouva plus faible et plus courbé que le matin même. Il faut dire que le contraste entre les deux était saisissant.
" Je vois que vous vous êtes trouvés..., fit Martin alors que son regard allait de Kmir à Bruno. Et alors, verdict ? Vous avez une piste intéressante ?"
Il y avait dans son ton un espoir non dissimulé.

« Et bien, Monsieur, après examen des objets conservés par votre beau-frère, je suis presque certain d’avoir identifié des inscriptions en dialecte drow. La sinistre réputation des elfes noirs est ô combien méritée. Être frappé par une malédiction en ayant visité des ruines drow n’est en fin de compte guère étonnant. Y retourner, ce qui est notre projet, permettra peut-être de trouver un moyen de briser ladite malédiction. Je ne peux cependant rien promettre, si ce n’est de faire de mon mieux. »
Il n’ajouta rien de plus, laissant Bruno demander le bijou. La vue de l’aubergiste ne le laissa pas tout à fait indifférent. Il avait beau être cupide et en apparence très détaché, il préférerait quand même que l’expédition, en plus d’être rentable, puisse quand même servir à aider pour de vrai.

" Faire de votre mieux, c'est sans doute déjà beaucoup, fit remarquer l'aubergiste avec gratitude.
- Il nous faudrait le médaillon, poursuivit Bruno. Pour emmener là-bas. On ne sait jamais, si ça peut aider à trouver une piste.
- Bien sûr, prends-le, il est à toi."
Martin sortit le bijou de sa poche et alla fouiller dans un coffre, dans un angle de la pièce. Il en sortit une petite pochette de tissu.
" Pour éviter que vous le touchiez involontairement à main nue, précisa-t-il à l'adresse de Kmir, en enveloppant le rubis. Ça me semble plus sûr. Ce serait trop bête que vous soyez victime du même mal..."
Il tendit le bijou à son beau-frère, tandis que sa femme, qui était descendue à son tour, ajoutait.
" Je vais vous donner quelques provisions pour la route. C'est loin, à ce que tu disais...
- Te fais pas de souci, Odile, on a tout ce qu'il faut.
- J'insiste", rétorqua-t-elle.
Elle disparut dans la cuisine.
" Bon.... on devrait peut-être filer, souffla Bruno d'un air faussement apeuré. On va se retrouver avec trois tonnes à transporter !
- Vous voulez pas boire un verre ? proposa Martin.
- Ce n'est pas nécessaire", répliqua Bruno, avant de lancer tout de même un coup d'oeil interrogatif à Kmir.

« Non, en effet, ce n’est pas nécessaire. Plus tôt nous partirons, plus tôt nous arriverons. Mais si nous parvenons à briser cette malédiction, c’est avec plaisir que je prendrais un verre. »
Kmir était pressé, même s’il le cachait bien par son attitude très calme. Des ruines prometteuses et dangereuses l’attendaient. Il avait bien fait de prier Tymora la veille au soir. Et sans doute devrait-il encore la prier avant de débuter les fouilles. Avec la bienveillance d’une déesse, ainsi que ses talents personnels, il mettrait toutes les chances de son côté.

Bruno salua son beau-frère et poussa la porte de l'auberge, entraînant Kmir à sa suite. Ils n'avaient pas plus tôt détaché l'âne qu'ils furent rattrapés par Odile, échevelée d'avoir couru.
" Vous allez tout de même emporter ça !, s'exclama-t-elle en fourrant d'autorité un sac de toile dans les mains de son frère. Et bonne route..."
Le regard exaspéré qu'elle reçut en réponse lui arracha un sourire amusé, mais elle n'insista pas et disparut dans l'auberge.

Ils se mirent en route sous un ciel d'un bleu éclatant, menacé par quelques nuages sombres à l'horizon. Ils ne croisèrent personne dans le village, tout le monde étant sans doute à la fête. Mais Bruno préféra quitter la route aussitôt que possible, bifurquant vers le nord-est par un petit chemin de terre. Ils traversèrent une zone de maraîchage, puis des pâturages, et Bruno salua de la main quelques bergers. Puis, petit à petit, la nature devint plus sauvage, des terrains en friche voisinant avec de petits bosquets, dans un relief plus vallonné.
" Là-bas, expliqua Bruno en désignant une ligne plus sombre à l'horizon, courant sur le sommet des collines, c'est la Forêt Maudite. C'est là-bas qu'on va..."

« Je m’en suis déjà approché, mais jamais je n’ai franchi sa lisière, répondit Kmir, tout en fixant cette ligne sombre. Elle a une sinistre réputation. Si des drows ont fréquentés ce coin, ça ne m’étonne guère. »
Le gnome, grand voyageur, parlait peu et savait conserver une certaine vigilance en dépit des distances parcourues cherchant à distraire l’esprit à grand renfort de calme et d’apparente sécurité. Même s’il vivait très essentiellement à la surface, la méfiance induite par les profondeurs restaient marquée dans son être, dans sa nature.
Pour autant, cela ne l’empêchait pas de songer à bien des choses. L’idée qu’il puisse être le dernier espoir de salut de l’aubergiste lui avait frôlé l’esprit et le dérangeait. C’était se mettre une pression inutile sur les épaules et en dépit de ce qu’il avait assuré, il y avait plus de chance qu’il déniche d’autres trésors plutôt qu’il trouve une solution à cette malédiction. Ils ne savaient même pas si c’en était vraiment une. Non, le salut de l’aubergiste viendrait du clerc, voilà tout.

" Je n'ai jamais entendu parler de drow dans le coin, fit Bruno. Enfin, jusqu'à ce qu'on explore ces ruines. La réputation de cette forêt est surtout liée à l'existence de morts-vivants en grand nombre en son sein. Certains disent qu'il y a peut-être une sombre magie en son coeur, qui peut-être vient d'ailleurs. On dit aussi qu'elle n'a pas toujours eu cette souillure en elle, qu'elle était autrefois tout à fait ordinaire, qu'il s'est passé quelque chose il y a très longtemps, trop longtemps pour que des humains ou même des elfes se souviennent. Personne n'en sait rien..."
De là où ils étaient, la forêt paraissait tout à fait ordinaire
"Mais en ce qui nous concerne, on va rester près de la lisière, donc on ne risque pas grand-chose. On est de toute façon trop mal équipés et trop peu nombreux pour s'y enfoncer profondément. Ce serait suicidaire. Mais si je comprends bien, vous n'y avez jamais été, vous-même. J'en déduis qu'il y a peu de temps que vous arpentez cette région ?"

« Plus ou moins. Ça fait des années que je voyage sur Hélonna, mais je connais mieux les terres manostienne. Les régions que je fréquente le plus sont celles où œuvre ma gilde. Et puis, il faut bien avouer qu’une réputation aussi sinistre n’attire pas vraiment. »
Bien au contraire, la forêt maudite l’attirait. Et que les ruines soient à proximité était une raison de plus pour s’y rendre. Toutefois, même si cela faisait assez longtemps que la réputation de la sinistre forêt était arrivée à ses oreilles, l’occasion de s’y rendre ne s’était jamais présentée.

" Vous parlez d'une guilde ?, s'étonna Bruno. Je n'ai pas entendu parler de guilde dans la région, en-dehors de celle de pêcheurs côtiers, qui œuvre dans les villes du bord de mer. Mais il faut dire que je ne m'intéresse pas à ce genre de chose.... Il s'agit d'une guilde de marchands je suppose ?"
Tout en parlant, il bifurqua vers la droite, suivant un sentier étroit qui s'élevait doucement à flanc de colline. Malgré sa haute stature, il maintenait une allure mesurée, peut-être pour attendre son compagnon aux jambes plus courtes.

« Tout à fait, une guilde de marchand. Elle est essentiellement implantée dans les grandes villes, mais ça n’empêche pas ses membres de ratisser plus large. En ce moment, c’est un peu compliqué néanmoins. Pour rendre service à des connaissances, j’ai repris une affaire qui m’est plutôt étrangère. Le vin, ce n’est vraiment pas mon domaine de prédilection. Je pourrais dire que j’ai joué de bonne fortune puisque j’ai découvert votre liqueur et qu’il y aurait moyen, sans doute, de la valoriser. Mais autant je pourrais vous indiquer des dizaines d’adresses où revendre votre bijou, autant pour les liqueurs mes tuyaux s’appauvrissent. »
Les meilleurs mensonges sont ceux qui se drapent de vérité. Le récit de Kmir était donc presque exact, à une nuance près : il n’avait jamais repris d’affaire liée au vin, il ne faisait plus partie d’aucune guilde.
Tout en parlant, il suivait le rythme. Puisque son compagnon du moment avait l’amabilité de ne point le pressé, il pouvait marcher ainsi jusqu’à être arrivé à bon port, point besoin de halte, où alors de très brèves pour boire un coup et avaler un morceau.

" Ce n'est pas grave, on ne compte pas le commercialiser un jour. C'est un produit typiquement local, et généralement, les citadins à qui on en propose font une drôle de tête..."
Il éclata d'un rire sonore.
Ils firent une halte peu après au bord d'un ruisseau, pour remplir les gourdes et manger un bout. Midi était largement passé. L'endroit était paisible, bucolique, avec des pierres de tailles diverses qui seraient parfaites pour s'y asseoir. Bruno attrapa le sac de toile donné par sa soeur et en tira une grosse miche de pain frais, du rôti froid, du fromage, des fruits... et même une petite bouteille de vin rouge ainsi que deux gobelets de métal. Il leva des yeux amusés au ciel, mais se servit abondamment en vin et s'empara d'une bonne moitié des provisions, laissant l'âne s'éloigner librement pour boire et brouter.
" Prenez ce qui vous fait envie... le pain est de cette nuit, visiblement, et connaissant ma sœur, tout est délicieux. Enfin, peut-être pas pour quelqu'un qui vient de vos contrées... Mais vous devez être habitué à nos nourritures depuis toutes ces années. Et ce vin.... C'est une spécialité d'Antelucas. Absolument divin !"
Il lui en servit une bonne rasade.
" Mais vous parliez tout à l'heure d'adresses pour vendre le rubis... Je le dis que ça permettrait sûrement de se payer les services d'un clerc pour soigner Martin. Mais s'il est maudit, si le mal vient de lui... alors on ne peut pas le vendre..."

Kmir prit quelques gorgées de vin.
« Hum, oui, effectivement, c’est meilleur que l’immonde vinasse qui constitue mon chargement. Votre sœur est bien bonne de nous offrir tout cela. »
Il prit du pain, du fromage aussi.
« Pour le bijou... Je doute que ce soit lui qui soit à l’origine du maléfice. Votre collègue demi-elfe a été affecté par le mal et pourtant, il ne l’a pas touché, il ignorait même son existence. Pour autant, dans le doute, si vous voulez le vendre, il faudrait le faire examiner par un clerc ou un magicien afin d’être fixé. Et si malédiction il y a belle et bien, vous pourrez toujours le vendre à certaines personnes qui se feront un devoir d’éviter qu’il tombe entre de nouvelles mains. »
Il commença à manger après s’être assis sur une des pierres à disposition.
« Un délice, vraiment... La nourriture de la surface est plus goûteuse que celle des profondeurs. Quand on a profité de la première, supporter la seconde n’est pas une mince affaire. »

Bruno eut un rire joyeux.
" Vous voilà donc condamné à rester vivre à la surface pour ne plus avoir à les supporter ! Je comprends mieux que vous soyez parmi nous depuis plusieurs années ! Mais une chose me surprend. J'imaginais, bêtement, que les habitants des profondeurs n'étaient pas adaptés à la lumière du soleil, que cela leur brûlait les yeux ou la peau, ce qui expliquait pourquoi ils restent dans l'Outreterre. Or vous n'avez pas l'air d'en souffrir... "

« Ho, il m’a fallut quelques jours pour m’habituer à la lumière du soleil, la première fois où je l’ai vu. Mais bien d’autres habitants de l’Outreterre ne peuvent s’accoutumer aussi vite, ou aussi bien. Les elfes noirs, par exemple, seront toujours aveuglés en plein jour. C’est pour ça qu’ils font leurs rapts de nuit. Certaines créatures sont tout simplement aveugles, elles n’utilisent que le son ou les vibrations pour s’orienter. »
Kmir vida son verre et engloutit quelques bouchées de fromage. Puis, il reprit :
« En fait, au final, ce qui m’a le plus troublé en venant à la surface, ce n’est pas la lumière. Non, c’est l’espace, l’immensité. Il y a des cavernes gigantesques dans l’Outreterre, et des gouffres insondables, mais tout est dans le noir. La vue, sous terre, ne rend pas compte des distances excessives. Mais sous le ciel... sous le ciel, on voit à des kilomètres. Même après toutes ces années, je suis encore parfois stupéfait par certains panoramas. »

" En fait... nous autres habitants de la surface, il peut nous arriver d'être un peu claustrophobes, mais vous... vous êtes... espaceophobe ? Enfin... je ne sais pas s'il y a un mot pour ça..."
Bruno se mit à rire.
" Mais donc, vous avez dû voir la mer, on n'est pas loin. C'est sûr que c'est à couper le souffle ! Puis il y a les couleurs, aussi, qui doivent vous éblouir. Vraiment... C'est beau ici. Après, j'ai été dans des grottes des Montagnes de Fer, on n'est pas très loin, je sais que ça a aussi une certaine beauté... Mais tout de même, l'Outreterre, ça ne me ferait pas du tout envie de m'y aventurer ! Il parait que des nains y commercent un peu... Il doit y avoir des minerais, forcément ça les attire. J'imagine que c'est ça, votre métier d'origine, Monsieur Longpioche ? Vendre le minerai des profondeurs ?"

« Ha, les couleurs... Oui, il y a les couleurs, de belles couleurs par ici. Les miens vivent dans le noir. Or, notre perception du monde, en absence de lumière, n’est que nuance de gris. J’ai ainsi vécu dans le gris une bonne partie de mon enfance. J’aurais du mal à m’en contenter, désormais. C’est comme la nourriture. En fait, soyons franc, je ne compte pas me réinstaller un jour dans les profondeurs. »
Kmir avait engloutit pain et fromage. Il entama un fruit. Alors qu’il mangeait, alors qu’il parlait, il gardait un regard prudent envers les environs.
« Pourtant, comme je l’ai dit hier à votre jeune neveu, les profondeurs ne sont pas dépourvues de merveilles... et surtout de richesse. Les filons de métaux et de pierres précieuses abondent par endroit. Et certains coins semblent sortir tout droit d’un rêve. Les hommes de ma famille sont tous des mineurs. Moi, je me suis vite dirigé vers le commerce. Et mon domaine d’expertise, c’est la joaillerie. »
Il jeta son trognon de pomme et ajouta :
« Si vous voulez mon avis, l’Outreterre, il ne faut pas y vivre, ce n’est pas une vie, mais y faire des excursions, avec un bon guide, ça, ça vaut le coup. »

" Je dois dire que ça pourrait me tenter, une excursion là-dedans. Pour voir un peu ces merveilles. Mais je crois que je n'ai pas la taille adéquate pour me faufiler dans les galeries. Elles sont trop étroites pour mon gabarit : je sortirais couvert de bleus. Enfin, sauf si ce fichu maléfice finit par me donner une peau de pierre comme la vôtre ! Ce serait bien son seul avantage..."
La nature autour d'eux respirait le calme et la tranquillité. On n'entendait que le bruit de la rivière et le chant des oiseaux. Ils n'avaient pas dépassé de hameaux depuis deux bonnes heures et le sentier qu'ils avaient suivi jusqu'ici s'égarait dans un paysage de garrigue sauvage à perte de vue.
" Un dernier verre pour la route ? Ma gnôle personnelle... ça ne vaut pas le rouge, cela dit."

« Non merci, Monsieur Desplaces. Cet endroit a l’air des plus calmes, mais je préfère néanmoins conserver toute ma vivacité d’esprit tant que je suis en déplacement. »
Kmir se leva. Il alla se rincer les mains au cours d’eau, puis repris son sac.
« Vous n’êtes pas trop grand pour les profondeurs. Certes, certains passages peuvent vous êtres inaccessibles, mais ce sont une minorités, je vous assure. L’Outreterre compte des résidents à côté desquels vous êtes un lutin. Puissiez-vous ne jamais les rencontrer, ou alors juste de loin. »
Il était prêt à reprendre la route. La pause avait été agréable.

" Oh, je me doute qu'il y a là-dessous des monstres bien pire qu'ici, et que la Forêt Maudite, à côté, c'est du pipi de sansonnet, s'exclama Bruno avec bonne humeur en rangeant les provisions restantes dans la sacoche de l'âne. Finalement, il vaut mieux n'y jamais mettre les pieds."

Ils reprirent leur route paisible, suivant un sentier qui paraissait errer au hasard des collines, mais qui, en réalité, s'obstinait à les mener vers le nord-est. Ils traversèrent un minuscule hameau de bergers, plantés de quelques légumes et de quelques vignes avec des moutons sur plusieurs hectares aux alentours, et Bruno salua quelques vagues connaissances. Puis les traces de civilisation se firent plus rares. Et au détour d'un tournant, la ligne sombre qui marquait la lisière des bois parut beaucoup plus proche.

Le sentier disparut, se fondant dans les hautes herbes, devenant simple sente laissée peut-être par un chevreuil. Mais Bruno semblait savoir exactement où aller dans ce paysage monotone de buissons ras et d'herbes sèches. Ils grimpèrent lentement à flanc de colline, et abordèrent les premiers arbres.

" La ruine est à une bonne heure d'ici encore, dans les bois. Mais nous allons bivouaquer dans une clairière tout près d'ici. Il est dangereux de s'enfoncer trop profondément après la tombée de la nuit, il vaut mieux reporter l'exploration à demain. Cela dit, il doit rester une bonne heure de soleil, deux heures avant la nuit noire. Il est possible de s'y rendre si vous le souhaitez, pour repérer les lieux, de l'extérieur. Mais... je vous déconseille d'y entrer tout de suite."

« On peut faire effectivement un peu de repérage, mais vous avez raison, n’entrons pas de nuit. La précipitation n’est jamais une bonne option. »
Ce n’était pas parce que Kmir n’était pas dérangé par l’obscurité qu’il appréciait les visites nocturnes dans ce genre de lieu. Bien des monstres profitaient de la nuit pour marauder. Autant s’en tenir à distance.
Depuis qu’il était entré sous les arbres, son attitude n’avait cependant pas changée. Il manifestait autant de prudence, autant de calme. Sa curiosité, cependant, le démangeait de plus belle. Où cette histoire allait-elle le mener ? À la base, il s’était imaginé visiter cet endroit seul. Or Bruno Desplaces était avec lui. Il lui était sympathique mais l’empêchait d’agir en toute liberté. Serait-ce un problème ? Pas pour l’instant. Peut-être ne le serait-ce jamais.

" Alors, poursuivons par là, fit Bruno en désignant une sente qui s'enfonçait dans les bois. Je vais simplement laisser l'âne et nos provisions dans la clairière : la ruine est trop difficile d'accès pour lui."
La clairière en question était proche de l'orée des bois, mais si bien dissimulée que Kmir aurait été incapable de la découvrir seul. Elle n'était qu'un petit espace dégagé au milieux de grands arbres imposants, mais tout autour poussaient ronces et buis, en épais taillis quasiment infranchissables. Une petite source murmurait au pied d'un chêne, et on devinait les traces d'un feu de camp déjà ancien.
L'âne fut attaché près de l'eau, là où se trouvait également un peu d'herbe tendre, et Bruno prit le temps de décharger leurs provisions et matériel de bivouac sur le sol. Il n'y avait aucun risque, selon lui, que quiconque vienne les dérober ici.

Il ne prit avec lui que ses armes et une sacoche d'objets divers, et conseilla à Kmir de s'alléger lui aussi autant qu'il l'osait, puis l'entraîna à sa suite, tournant le dos au soleil déclinant, droit versles profondeurs de la forêt maudite.

Quête : De pierres et d'or pur.

Kmir et Bruno, laissant sans regret la masse sombre de la Forêt Maudite derrière eux, avancèrent d'un bon pas, sous un soleil de plus en plus chaud.
Ils parvinrent au village en début d'après-midi. Celui-ci était presque aussi désert que lors de leur départ la veille. Bruno expliqua que la fête à Murols se prolongeait souvent sur deux jours.
" Je propose qu'on s'arrête à l'auberge manger un bout, donner des nouvelles. Puis je me charge de nous trouver deux montures. Le maréchal-ferrant a toujours des chevaux à louer. Ce ne sont pas des chevaux de race, mais ils sont endurants à défaut d'être très rapides. On pourra les pousser un peu pendant les quelques jours de route qui nous attendent, sans crainte de les épuiser. Et je pense qu'il peut prendre votre mule en pension pendant ce temps, également. Mais j'ai besoin de savoir si vous avez déjà une petite expérience en temps que cavalier..."

« Il m’est arrivé de monter un poney, à quelques reprises. Vous en faites pas pour moi, je m’en sortirai », assura Kmir.
Après, la plupart du temps, il allait soit à pied, soit en charrette, il n’était pas un grand cavalier. Il ne fit pas de remarque au sujet des propositions de Bruno. Toute lui allait. Le repas à l’auberge, la pension pour sa mule. Mais il avait beau être de retour au village, il continuait de songer à Lumenis. Il savait qu’ils atteindraient la ville, ils avaient encore du temps devant eux. La grande inconnue, se serait l’aide qu’ils pourraient obtenir là-bas et la vitesse à laquelle ils pourraient l’obtenir.

La salle principale de l'auberge était déserte, mais on les entendit entrer, et la porte de la cuisine s'ouvrit rapidement sur la soeur -ou plutôt la demi-soeur- de Bruno.
" Ah, je me doutais que je vous reverrai aujourd'hui. Je vous ai gardé du ragoût. Je présume que vous n'avez rien avalé à midi ?
- Tu présumes bien, répondit Bruno avec un sourire.
- Alors installez-vous là... Mais avant que j'aille en cuisine... dites-moi juste... vous avez trouvé quelque chose ?"

« Nous avons une piste, répondit Kmir avec détachement. Nous savons d’où vient le mal et nous avons peut-être un moyen de le guérir. Mais il va falloir se hâter. »
Sur ce, il se dirigea vers la table montrée par la belle-sœur. Il était prêt à tout expliquer, lorsqu’elle le demanderait. Il n’avait aucune raison de dissimuler quoi que ce soit, les choses étaient devenues trop... risquées pour qu’il puisse en plus faire des coups tordus. Il était maintenant bel et bien embarqué dans cette histoire, pour le meilleur ou pour le pire.
Pourvu qu’il s’en sorte avec quelques gains, que tout ceci n’ait pas été vain. Encore qu’en l’instant, se savoir libéré de la malédiction pouvait paraître très suffisant.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Route de Lumenis à Antelucas