La Couronne de Cuivre

La créature féérique inclina la tête avec une grâce quasi divine.
" Jeune Cerf de Printemps, je suis honorée de servir ici la volonté de la Dame. Et heureuse de ressentir la foi sincère qu'elle a su faire naître dans ton coeur. Tu as la volonté de servir et de te rendre utile, ainsi que la force et la foi nécessaires pour cette mission qui t'est confiée. Tu seras un bon clerc, j'en suis certaine, et tu aideras ce bosquet à redevenir aussi puissant qu'il l'était. Même si, en cela comme en toutes choses, l'avenir est imprévisible et les desseins des dieux souvent obscurs... Mais j'ai foi en cette renaissance."

Les compliments et les encouragements d'une créature aussi divine ne pouvaient que rendre le jeune clerc euphorique et transporté de joie. Il n'avait aucune intention de la décevoir, ni elle ni sa déesse et de se démener pour faire prospérer le fragile sanctuaire qui reprenait peu à peu ses droits.

- C'est un plaisir de vous servir. Et cela le sera encore si vous avez d'autres tâches à me confier.

" Il est tard.... La végétation s'endort, comme je ne vais pas tarder à le faire."
Il semblait d'ailleurs qu'elle parlait plus lentement que d'habitude.
" Mais la vie se poursuit la nuit, pour une multitude d'animaux nocturnes. Je souhaite simplement que tu veilles à satisfaire leurs besoins. Ils ont un rôle important dans la régulation des équilibres et sont souvent méprisés. Sois simplement là, pour eux, et ils viendront à toi s'ils sont blessés."
Il eut la sensation que la dryade, s'appuyant contre le chêne, était sur le point d'y disparaître.
" As-tu des questions à me poser avant que j'aille me reposer au sein de mon arbre ? J'en ai besoin après cette première journée complète hors de lui..."

Kasumi percevait la fatigue de la dryade aussi ne chercha-t-il pas à la retenir alors qu'elle avait grand besoin de repos. Il se contenta de la remercier avec sincérité pour sa présence et ses conseils pour servir la déesse au travers d'elle. Il demeura assis en tailleur au pied du chêne pendant que la créature s'y fondait puis murmura une prière qu'il avait apprise dans le recueil d'Hortense. Il s'agissait d'une ode à la nature endormie qui se régénère pour revenir encore plus florissante. Le demi-elfe savait maintenant devoir veiller toute la nuit et c'est ce qu'il entreprit de faire après s'être désaltéré auprès de la source. Ses pensées dérivèrent un peu, l'amenèrent à penser à Sylvia, à leur emménagement, à la naissance. Les soucis étaient relégués au second plan grâce à la quiétude du bosquet.

La quiétude était totale. Il entendait les petits bruits nocturnes des bois, cri d'un hibou, crissement des rongeurs. Rien d'inquiétant. Tout invitait à la détente. Il songeait à Sylvia, à leur avenir qui s'annonçait merveilleux.
La dryade avait disparu dans les profondeurs de son arbre, laissant comme un chant derrière elle, une vague mélodie qu'il percevait sans trop savoir d'où elle venait. Une mélodie qui accompagnait son rêve éveillé, alors qu'il songeait à l'enfant qui naîtrait bientôt, au bonheur qui serait le sien ce jour-là. Il lui sembla que l'air au-dessus de la source était presque lumineux, et que c'était de là que venait la mélodie. Mais ce n'était pas une lumière isolée, à la réflexion, c'était plutôt des myriades de petites bulles de lumière qui se dirigeaient vers lui, chantant une mélodie qu'il entendait de plus en plus nettement. Et ces bulles lumineuses étaient en réalité des fleurs, des fleurs vivantes et volantes, un peu comme des papillons merveilleux... ou plutôt des fées minuscules, il apercevait leurs corps délicats. Elles tourbillonnaient autour de lui en chantant gaiement, et il se sentait incapable d'esquisser le moindre geste. Leur chanson parlait de repos et de la beauté de la nature, et rendait ses paupières lourdes, si lourdes...

***

Le cri d'un bébé, le contact d'une peau contre son torse... Le visage rougi d'un nouveau-né, juste devant ses yeux embrumés.
" Ah, je savais bien que tu allais te réveiller en entendant ton fils !"
C'était la voix de Sylvia, énergique et joyeuse.
La scène avait quelque chose d'irréel : il ne savait plus trop ce qui avait pu se passer avant, ni pourquoi il dormait. Tout était parfaitement naturel, sans doute s'était-il simplement assoupi quelques instants. Voir ce bébé devant lui le remplissait d'un bonheur un peu incrédule.... jusqu'à ce que l'enfant ouvre les yeux et qu'il aperçoive leur couleur jaune d'or : les yeux d'un loup. Il tressaillit, s'efforça de chasser la brume de son esprit, regarda mieux, et remarqua une marque étrange sur son front.
Mais alors qu'il s'efforçait de l'identifier, tout s'embrouilla à nouveau.

***

Quête : Des Hommes et des Loups

Il sentit le contact d'une truffe froide et humide contre sa joue, qui le poussait comme pour le réveiller. Et entendit le feulement colérique d'un félin. Il ouvrit les yeux sur une vision féérique : la clairière, sous la lumière argentée de la pleine lune, semblait était parée d'un tapis de pétales de fleurs. Il reposait là où il s'était endormi, entièrement nu, paré de guirlandes de fleurs. Un coup de langue acheva de le ramener à la réalité : c'était Première Neige. Et face à eux se trouvait une panthère noire à l'allure agressive.

Il émergea difficilement dans la brume embrouillée de son esprit. Depuis combien de temps était-il allongé là ? Pourquoi est-ce que Première Neige était présente ? S'agissait-il d'une autre partie du rêve ? Tout était confus sauf une impression diffuse de sécurité induite par le bosquet. Kasumi ne tenta même pas de remettre de l'ordre dans ses pensées. Non, il devait réagir comme il l'avait toujours fait : laisser son instinct parler. Alors, réunissant ses forces, il se redressa lentement, sans geste brusque. Il présenta une main devant lui, murmura un prière et souffla en direction de la panthère des paroles apaisantes : il n'était pas son ennemi. Il ne voulait pas se battre.

Il sentait la colère de la panthère, mais il y avait aussi de la peur et de la souffrance. Elle était blessée. Et elle fixait sur Première Neige, davantage que sur lui, un regard inquiet. On la sentait acculée, décidée à vendre chèrement sa peau, épuisée aussi. Ramassée sur elle-même, elle était prête à bondir.
Les paroles de Kasumi apaisantes, sans complètement la calmer, la rendirent hésitante. Elle n'avait plus d'intention belliqueuse envers lui. Il y avait juste la présence de la louve qui l'incommodait encore.

Kasumi en était désolé mais mieux valait pour le moment demander à Première Neige de s'écarter. Alors qu'elle l'aidait d'ordinaire à entrer en résonance avec la nature et à mieux la comprendre, l'antagonisme naturel entre les deux prédateurs était un obstacle. Un loup ne pouvait comprendre une panthère tout comme la réciproque : leurs visions du monde étaient par trop différentes. Alors, d'un geste tendre, il caressa la tête de la louve tout en lui demandant de l'attendre un peu en arrière. Il aurait du temps pour elle, il voulait le lui assurer.

Mais il était de son devoir de soigner la panthère pour qu'elle puisse retourner vaquer à ses occupations. Une fois la louve un peu en retrait, il escomptait amener le félidé à plus de confiance. Suffisamment pour qu'il puisse s'approcher et déterminer la nature de ses blessures.

Il sentit une vague incompréhension chez sa louve. De la frustration, de l'inquiétude aussi. Elle acceptait de s'éloigner à contre-cœur, méfiante. Du reste, elle ne recula que jusqu'à la bordure de la clairière.
La panthère demeurait sur le qui-vive, inquiète à cause de la proximité de la louve. Mais elle ne montrait plus d'agressivité envers Kasumi qui put s'approcher. Les fleurs qui ornaient son corps achevèrent de tomber au sol, lui rappelant qu'il était nu comme un ver, sans avoir vraiment d'idée de l'endroit où se trouvaient ses vêtements, ses armes et son sac.
Elle était blessée à la cuisse arrière droite, vestige probable d'une lutte avec un autre prédateur. La blessure s'était infectée.

Il était désolé d’avoir repoussé la présence de sa compagne animale surtout après une aussi longue période de séparation. Il comprenait donc bien le désarroi que devait éprouver Première Neige et espérait pouvoir se rattraper, la rassurer. Mais avant cela, l‘urgence allait à la panthère qui était venu solliciter des soins. Le demi-elfe n’avait cure de se retrouver nu et désarmé : il ne l’était pas vraiment dans son bosquet et en possession de ses sortilèges. Il tourna néanmoins la tête en direction de l’arbre dans le but de retrouver son sac et les onguents qu’il contenait. Il préférait ne pas avoir à s’en passer étant donné l’infection dont souffrait la panthère.

Il ne vit pas son sac, mais Première Neige, devinant ce qu'il cherchait, lui signala obligeamment sa présence derrière les buis, pas très loin d'elle. Il y trouva aussi ses armes et ses vêtements.
La panthère, le voyant s'éloigner -et se rapprocher de la louve-, avait retrouvé son attitude pleine de défiance. Il dut s'approcher à nouveau avec avec prudence et diplomatie. Elle recula, refusant tout don de nourriture. Mais elle était affaiblie, elle avait soif, et finit par se rapprocher de la source, sans le quitter des yeux, refusant de le laisser approcher au point de pouvoir la toucher.
Ce n'est qu'après avoir lappé un peu d'eau qu'elle parut s'apaiser, et se laissa enfin soigner.

Une preuve de plus du pouvoir apaisant et même pacificateur de l'eau enchantée. Kasumi ne manqua pas de remercier silencieusement sa déesse pour ce don magnifique puis procéda avec méthode et efficacité pour traiter la blessure du félin. Appliquer l'onguent ne fut pas sans peine car il s'agissait d'une opération délicate et douloureuse qui mettait à rude épreuve l'instinct de l'animal. Mais il acheva l'opération par un sort de soin qui ne manquerait pas de soulager la douleur et refermer suffisamment la blessure pour n'envisager qu'un simple bandage en guise d'ultime traitement.

La panthère se laissa soigner avec une défiance visible dans les yeux. Mais elle devait sentir que c'était dans son intérêt, ou était trop faible pour chercher à s'enfuir. Kasumi put opérer sans opposition de sa part, même si déposer un peu d'onguent sur la plaie fut une opération particulièrement délicate. Il devinait qu'au moindre doute, au moindre signe de danger, il écoperait d'un coup de dent. Heureusement, Première Neige avait compris la situation et restait à l'écart.
La panthère demeura méfiante tandis qu'il lançait son sort de soin, et fila sans demander son reste dès qu'elle se sentit capable de courir. Peut-être y avait-il un peu de reconnaissance dans son esprit pour son soigneur, mais elle n'en montra rien, demeurant distante jusqu'au bout. Elle disparut dans les buis. Première Neige, enfin autorisée à s'approcher, parut hésiter, intimidée.

Cette fois c’était clairement à lui de faire le premier pas et de s’approcher pour faire comprendre à la louve qu’il souhaitait rétablir le lien qui les unissait mais qui s’était distendu au cours des dernières veilles. Kasumi récupéra un morceau de viande séchée dans son sac et vint le présenter à la louve tout en posant un genou à terre pour diminuer sa taille et ainsi moins l’intimider. Il voulait maintenant lui consacrer exclusivement quelques instants avant même de s’interroger sur l’endroit où se trouvaient ses vêtements ou sur ce qui avait amené Première Neige à venir le rejoindre au bosquet.

Passé le premier instant d'hésitation, Première Neige accepta de s'approcher, non seulement pour dévorer le morceau de viande mais aussi pour renouer le contact physique. Il sentit du soulagement en elle, comme si elle avait craint d'être rejetée, quelle qu'en soit la raison. Il y avait un léger reproche aussi, peut-être, pour l'avoir laissée si longtemps sans nouvelles. Ses sentiments étaient confus, tiraillés entre deux loyautés, celle envers la meute et celle envers son compagnon rôdeur. Mais elle était assurément heureuse et soulagée de le retrouver.
Quant aux vêtements de Kasumi, ils étaient soigneusement pliés... dans son sac. Et cachés derrière le rideau de buis. Rien ne semblait manquer, matériel et armes étaient intacts.

C'était à son tour d'éprouver un peu de confusion même s'il était en grande partie à sa joie de partager un moment avec Première Neige : qu'avait-il pu arriver pour qu'il se retrouve nu et couvert de fleurs mais n'en ait gardé aucun souvenir ? Etait-ce lié à la cérémonie qu'il avait menée ? Ne craignant plus de commettre un impair par mégarde ou méconnaissance, il choisit de se rhabiller et choisit de conserver son aube de circonstance. Quand aux armes, il les laissa où elles se trouvaient : il devait rester disponible pour les animaux nocturnes qui se présenteraient et n'avait nulle crainte les concernant.

Première Neige était bien incapable de l'aider à comprendre comment il s'était trouvé dans cette situation. Elle avait pressenti un danger pour lui et accéléré sa course, mais elle l'avait trouvé dans cet état étrange : endormi, nu et orné de fleurs. Elle n'avait d'ailleurs rien trouvé d'anormal à cela, ne voyant pas l'utilité de vêtements. Elle avait eu peur pour lui en voyant la panthère qu'elle avait tenté de faire fuir, tout en s'efforçant de le réveiller...
Puis, très vite, les images mentales qu'elle envoyait devinrent plus floues : "raconter" de cette façon lui demandait un effort intellectuel, intense par rapport à ses facultés. Elle préférait exprimer ses émotions : joie de le revoir, curiosité et inquiétude -avait-il changé et leur lien était-il toujours le même? Et effectivement, après tout ce temps passé au loin, il constat de son côté qu'elle lui était un peu moins familière : il lui fallait faire à lui aussi un plus gros effort pour comprendre ce qu'elle s'efforçait de transmettre, même au niveau émotionnel. Il comprit tout de même très vite qu'elle restait en lien avec la meute, et qu'elle se trouvait là, en quelque sorte, pour leur rendre service.

Kasumi se rendait compte qu'il n'avait vraiment pas consacré beaucoup de temps à sa louve avec tous les chamboulements qui étaient arrivés dans sa vie depuis plusieurs mois. Le temps perdu l'était définitivement mais il avait la volonté de redresser le tir. Il voulait parvenir à lui faire comprendre qu'il avait changé, oui, mais qu'il demeurait aussi attaché à son amitié. Sa fidélité était digne de louanges et il prit - pour la première fois depuis longtemps - le temps de l'écouter. Il devait demeurer cette nuit dans la clairière mais il lui consacrait toute son attention tandis qu'il n'y avait pas d'autres animaux susceptibles de réclamer son aide. Il tenta donc de comprendre les besoins de la meute que Première Neige était venue exprimer. Cela faisait partie de son rôle mais, plus encore, c'était le devoir d'un ami.

Les besoins de la meute étaient simples : chasser. Trouver de nouveaux terrains de chasse pour la meute qui s'agrandissait, au moins le temps que les jeunes louveteaux s'en aillent vivre leur vie d'adulte ailleurs. Le fait qu'on lui confie ce genre de mission prouvait que la louve s'était bien intégrée à la meute, que les autres lui faisaient confiance.
Il apprit également que les loups ne s'étaient pas souvent approchés du village, craignant une mauvaise rencontre. Certes, il leur était arrivé de se diriger vers Peyregorde, d'y apercevoir des humains -plus rarement d'être aperçus-, mais le lieu était clairement perçu comme dangereux. Ils avaient bien compris que ce n'était pas un terrain de chasse sans risque, et en cette saison, il y avait du gibier ailleurs.

Autour, tout semblait calme. Mais peut-être la présence de la louve dissuadait-elle certains animaux de s'approcher. Il lui semblait en effet apercevoir un mouvement à la lisière des buis. Rien de dangereux, apparemment, puisque Première Neige n'y accordait pas d'attention.

Kasumi était heureux pour Première Neige et la félicita pour avoir réussi à gagner la confiance de la meute. Il prit aussi du temps pour lui expliquer qu’il serait en mesure de l’accompagner le lendemain pour tenter de repérer une zone de chasse et plus encore : un nouveau foyer pour la meute. Son aide lui serait très précieuse et lui aussi lui faisait pleinement confiance pour aider la meute.

Le demi-elfe était aussi conscient de la présence éventuelle d’animaux ayant besoin de son aide. Il chercha à transmettre cette idée à la louve puis entreprit de patrouiller autour de la clairière pour venir à leur rencontre.

La louve ne semblait pas percevoir que sa présence était une gêne. Elle s'était allongée près de la source, sereine, et même heureuse, d'après ce que Kasumi ressentait de ses sentiments.
S'éloignant de la source, il ne tarda pas à découvrir la source du mouvement qu'il avait perçu dans les buis : une fouine, méfiante, l'observait avec anxiété. Elle était légèrement blessée, mais ce n'était rien d'inquiétant : une simple écorchure, un peu profonde, qui lui faisait mal mais pouvait guérir seule avec le temps. Il pouvait toutefois l'y aider grâce à son onguent. Il entendit peu après le bruit caractéristique d'un hérisson, qui se promenait fort peu discrètement au milieu des buis. L'animal avait une partie de ses piquants abîmés, que ce soit à la suite d'une mauvaise chute dans une ornière ou d'une rencontre avec un prédateur. Il découvrit enfin un hibou à l'aile légèrement amochée, incapable de voler droit et efficacement et donc de chasser.

Le cas du hibou était de loin le plus délicat. L'oiseau devait pouvoir continuer à voler pour se nourrir mais son aile avait besoin de temps pour se remettre. Kasumi procéda à une sorte d'emplâtre à partir de boue pour rigidifier la partie froissée de l'aile. Il insuffla ensuite une quantité relativement importante d'énergie divine pour effectuer le plus gros de la guérison, conscient qu'il ne pouvait pas laisser agir uniquement le temps dans un cas aussi délicat.

Le hibou n'était pas vraiment enchanté par l'emplâtre qui lui immobilisait l'aile et l'empêchait quasiment de voler. Il était même franchement mécontent, et le fit clairement comprendre : ainsi immobilisé, il se sentait à la merci des prédateurs terrestres. Il fallut à Kasumi trouver un compromis entre la rigidification nécessaire et le besoin de mobilité.
Il lui sembla ensuite que le ciel s'éclaircissait à l'est, annonçant l'aube. Il sentait d'ailleurs le sommeil lui embrouiller légèrement l'esprit. La louve n'avait pas bougée, paisible, semblant endormie : il savait qu'elle n'en avait que l'apparence.

Kasumi tenait encore à s'assurer que l'emplâtre disparaîtrait de lui-même au cours des prochaines heures et aussi que le hibou pourrait trouver un endroit sûr où se percher en attendant. Il sentait néanmoins les signes de la fatigue qui le rattrapait et savait intuitivement que l'oiseau serait son dernier patient. Avant d'aller dormir quelques heures sous la garde de Première Neige, il tenait à adresser une prière à Mielikki pour lui avoir permis de la servir durant cette cérémonie du Chant de l'arbre.

Il trouva sans peine un endroit sûr pour le hibou : sur l'une des branches les plus hautes du chêne. L'arbre avait en effet suffisamment grossi et forci pour ne plus se distinguer de ses congénères adultes.
Sa prière fut entendue, il en avait la certitude. Ce moment intense de communion avec sa déesse était si fort et si magique qu'il en sortit, comme chaque fois, revigoré. Le cœur trop plein de reconnaissance et d'adoration pour trouver le sommeil, il assista à l'aube aux côtés de sa louve. Il sentait la paix qui émanait d'elle, écho à la sérénité de la clairière. Tout était parfait. Le tapis de pétales de fleurs multicolores apparu pendant la nuit était toujours là, et l'aube fut magique.

Il ne se rappelait pas vraiment s'être endormi, mais il émergea pourtant bien plus tard, à la fin de la matinée. Rien n'avait changé dans la clairière. Première Neige s'était éloignée de lui pour boire à la source, et s'approcha d'un pas lent en le voyant ouvrir les yeux.

Il prit le temps de saluer comme il convenait la louve avant de se changer : ses habits sacerdotaux furent soigneusement pliés dans son sac et il retrouva une tenue plus adaptée pour se fondre dans la nature. Il était déjà relativement tard mais son planning était chargé pour la journée : il avait l'intention d'accompagner Première Neige vers la zone où Hortense lui avait suggéré de commencer ses recherches d'une nouvelle tanière. Il comptait aussi passer par Peyregorde avant la nuit pour prévenir Sylvia de ses intentions à moins que son oiseau ne le trouve en premier.

Peu après son réveil, alors qu'il terminait un petit en-cas bien mérité, il devina un mouvement du côté du chêne et vit la dryade s'en extirper, lentement.
" Je t'ai vu dormir tout à l'heure, je n'ai pas voulu te réveiller, expliqua-t-elle en guise de salut. J'ai fait la connaissance de ton amie louve. La nuit a été belle pour toi,comme pour elle, puisqu'elle t'est revenue. Et j'ai vu que tu as eu la visite des pétales..."

Le demi-elfe sourit à la dryade sans même s'en rendre compte. Il ne s'était pas attendu à la voir et il lui fallut quelques instants pour saisir le sens de ses paroles. Pris de l'impulsion d'apparaître sous un jour favorable, il s'essuya les mains et s'épousseta pour chasser les miettes de son déjeuner avant de répondre d'un ton indécis mais curieux :

- Les pétales ? Que voulez-vous dire ? J'en étais couvert quand je me suis réveillé. Vous savez donc d'où elles venaient ?

Il avait nombre de questions mais il s'en voulait de toutes ses lacunes. Il aurait dû savoir de quoi il retournait.

La dryade sourit.
" Les pétales sont de minuscules fées facétieuses. Elles apparaissent ici ou là, dans des lieux paisibles et enchanteurs, venant parfois d'autres plans. Elles reviendront souvent, elles aiment les bosquets comme celui-ci. Leur surnom vient de ce qu'elles ressemblent de loin à de petites fleurs volantes. Elles ont la réputation de vouloir apporter le repos et la sérénité aux voyageurs... Ce qui dans leur esprit signifie endormir, dévêtir et décorer le corps de la personne, ainsi que les lieux, avec des fleurs, pour le rendre encore plus magnifiques. Mais elles ne se soucient guère des conséquences éventuelles de leur farce. Je crois que la plupart de leurs "victimes" n'apprécient guère. J'espère que tu n'as pas été trop pris au dépourvu par la situation..."

Kasumi était au contraire ravi que le bosquet qu'il avait contribué à faire renaître puisse attirer des êtres fantasmagoriques de cette sorte. C'était comme un petit bout de féérie dans un lieu déjà très spécial pour lui. De plus, même si leur farce avait été surprenante, il ne s'était jamais senti en danger et cela n'avait pas perturbé sa cérémonie. Certes, il n'aurait peut-être pas été aussi flegmatique s'il n'avait pas été seul mais il ne gardait pas un mauvais souvenir de l'expérience.

- Elles n'ont rien fait de mal et elles ont parfaitement le droit de profiter elles aussi du bosquet. Je ne vois aucune raison de leur en vouloir !

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Aubépine