La Couronne de Cuivre

Kasumi s'en voulut de s'être ainsi laissé abandonné et le rappel à l'ordre de Tilmandil lui donna un regain d'énergie. Il se redressa tout de même à contrecœur pour répondre à son demi-frère d'abord puis pour se diriger vers son sac.

- Oui, elle est au fond de mon sac. Ai-je dormi longtemps ? Comment va papa ?

Il se doutait de la réponse à la seconde question sans quoi il n'aurait pas lu cette urgence dans la voix de Tilmandil mais il voulait aussi s'en rendre compte par lui-même. Il avait promis d'être là pour Elryndel à son réveil et c'est ce qu'il allait faire. Aussi dure à supporter que ce soit de le voir dans son état actuel.

- Tu as dormi quelques heures... Et papa... est réveillé. Mais très faible.
La fiole confiée par leur grand-mère contenait un liquide d'une étrange couleur bleu nuit. Elryndel fit la grimace en l'apercevant. Kasumi put constater sa maigreur, et surtout son extrême faiblesse. Il parvint à s'asseoir, avec l'aide de Galawen, mais il ne semblait puiser aucune vigueur dans la tisane qu'Eärundra lui avait concoctée.
Il sourit à Kasumi, d'un sourire sans joie, résigné, puis il leva les yeux vers Tilmandil.
- Encore cette potion... Tu sais bien qu'elle ne me guérit pas, Tilmandil.
- Oui... mais elle évite d'aggraver les choses, d'après grand-mère...
- Ça, on n'en sait rien...
- Oui, mais vous allez la boire tout de même puisque pour le moment, c'est tout ce qu'on a, intervint Eärundra avec autorité.
Elle prit la fiole des mains de Kasumi et la lui tendit. Il la prit avec un profond soupir, mais en but le contenu.

Kasumi s'approcha avec circonspection et adressa un sourire timide à son père avant d'attendre qu'il ait fini de boire sa potion. Il peina ensuite à trouver des mots tout en contenant une partie des émotions qui le frappèrent à la vue de l'elfe si affaibli. L'angoisse et la tristesse de le voir ainsi se disputaient à la joie de le revoir après tout ce temps. Sans parler d'une part d'appréhension sur ce que serait sa réaction après être réapparu si soudainement dans sa vie. Elryndel serait-il dans les mêmes dispositions que dans le rêve ?

- Bonsoir père... J'avais promis d'être là à ton réveil. T'en souviens-tu ?

Son père hocha gravement la tête.
- Je me souviens, fit-il sombrement. De tout. Du rêve. Et j'aurais préféré y rester. Au moins j'étais guéri.
Il ne prêta aucune attention à l'exclamation scandalisée de Galawen. ,Il avait détourné les yeux et ne semblait pas désireux de parler. Puis, hésitant, il releva la tête.
- Tu avais parlé... d'un moyen de me soigner. C'était juste pour me convaincre de réintégrer mon corps, c'est ça ? Il n'existe pas, ce moyen...
Pas la moindre lumière d'espoir dans ses yeux. Juste une triste résignation.

Malgré l'effort que cela lui coûtait, Kasumi tenta d'accrocher le regard de son père et de parler d'une voix déterminée :

- Je ne t'en aurais pas arraché si je n'avais aucun espoir de te soigner. Non, nous n'avons pas encore trouvé le moyen de le faire mais il existe. J'en suis certain et nous avons des pistes à suivre. Nous devons d'abord parler à Celd qui me l'a demandé. Ce sera notre destination dès demain matin. Et si le l'arbre-gardien ne peut pas nous aider, j'ai une autre idée en tête. Peut-être un peu folle mais cela rejoint ce dont tu parlais dans ton rêve. Tilmandil et moi savons où se trouve un génie. Mais c'est assez loin...

- Celd me paraît plus fiable qu'un génie aux motivations incertaines, fit remarquer Eärundra d'un ton dubitatif. Mais c'est mon instinct de druidesse, sans doute, qui parle ainsi...
- Vous avez vraiment rencontré un génie ? intervint Galawen avec une pointe d'admiration dans la voix. C'est à peine croyable ! Et ils ont de tels pouvoirs... Je suis sûre qu'il pourrait faire quelque chose.
- Tout comme vous étiez sûre que cette racine allait agir..., rétorqua Eärundra d'un ton acerbe.
La magicienne rougit furieusement, ouvrit la bouche, mais mit quelques instants avant de trouver quoi répliquer.
- Il fallait bien essayer quelque chose !
Elryndel, de son côté, avait fermé les yeux, épuisé par la discussion.
- Il faut essayer tout ce qu'on a à notre disposition, lança à son tour Tilmandil. Et moi, ça m'étonnerait que Celd ait une solution, sinon il vous l'aurait donnée puisque vous l'avez vu !
Eärundra haussa les épaules.
- Il est parfois difficile de comprendre les motivations d'un druide, fit-elle, énigmatique. Mais j'ai confiance en Celd.

Le demi-elfe leva une main apaisante, espérant mettre fin à la discussion animée. Ces argumentations qui pouvaient à tout moment tourner à la dispute n'étaient certainement pas ce dont son père avait besoin. Il était une fois de plus visible qu'il existait une tension entre les deux elfes mais cela n'avait rien d'étonnant : Eärundra ne semblait pas avoir pardonné à Galawen de ne pas avoir attendu son retour avant de se lancer en quête de la racine et elle n'hésitait pas à le faire savoir, comme d'habitude.

- La question ne se pose même pas : Celd est sur notre trajet quoi que nous décidions. Voyons déjà ce qu'il aura à nous proposer. Ce génie sera une autre solution s'il n'a rien de concret à nous proposer.

Il n'avait pas envie de parler d'ultime recours mais cela y ressemblait fort. Inutile d'inquiéter son père quand ses dernières réserves de moral étaient peut-être tout ce qui le maintenait en vie.

Eärundra acquiesça avec un sourire approbateur, tout comme Sylvia et Tilmandil. Galawen pinça les lèvres, mais ne dit rien, préférant tourner les yeux vers Elryndel, si pâle et si frêle.
le rôdeur put constater que ses compagnons n'avaient pas chômé en son absence : ils avaient confectionné deux brancards, pour son père et lui-même, et les avaient apparemment emmené tous deux à distance de la barrière d'épines. Ils avaient défriché un bout de terrain, le débarrassant des ronces omniprésences qui avaient alimenté un bon feu, et avaient monté les tentes. Une tente deux places et une tente à une place. Ils étaient six... heureusement qu'il ne pleuvait pas. Et il finit enfin par sentir l'odeur appétissante qui émanait d'une gamelle posée sur le feu. Il avait faim... Elryndel, lui, semblait comme absent, et ne montrait aucun signe qu'il n'avait rien avalé depuis deux jours au moins.

Avant même de songer à se restaurer même si son estomac protestait du moindre délai supplémentaire, Kasumi s'approcha d'Elryndel et échangea un regard compatissant avec Galawen avant de parler d'un ton ferme et décidé à son père :

- Papa, il faut que tu manges un peu. Je sais que tu ne dois pas avoir très faim mais tu dois prendre ton mal en patience, ne pas le laisser te ronger alors que nous sommes peut-être proche du but.

Voir son père dans cet état catatonique avait de quoi lui couper l'appétit, à lui aussi.

Elryndel soupira tristement.
- Tu ne sais pas ce que c'est de devoir manger quand la nourriture n'a plus aucun goût... et qu'on a perdu le goût de vivre.
- Papa ! On est en train de chercher des solutions, mais si tu te laisses dépérir on les trouvera trop tard !
- Il faut que tu t'accroches... Jusqu'à ce qu'on ait épuisé toutes les ressources possibles, tu dois y croire !
Elryndel leva au ciel un regard désespéré, et, s'avouant vaincu, daigna prendre le petit bol de soupe qu'Eärundra lui tendait. Il le regarda comme s'il se fut agi de la répugnante des mixtures, ignorant le fumet délicieux qui s'en dégageait. Mais il finit néanmoins par en avaler quelques gorgées. Et même tout le bol, devant le regard insistant de toute la famille. Puis il se renfrogna à nouveau : on le devinait quelque peu vexé de faire l'objet de tant d'attention.

Kasumi esquissa finalement un sourire sans joie en voyant qu'il restait de la fierté et de la volonté de s'en sortir chez Elryndel, quoiqu'il en dise. Il s'intéressa alors à son propre bol de soupe, découvrant que son estomac criait famine. Leur situation était encore sombre mais les choses n'étaient plus si noires : ils avaient retrouvé son père, il était encore en vie. Ils avaient encore des pistes à suivre et un peu d'énergie pour le faire alors il ne manquait, au final, qu'une bonne nuit pour arrondir tout à fait les angles.

- Avez-vous vu des signes des araignées pendant mon... absence ? Je suis prêt à veiller une partie de la nuit vu que je n'ai fait que dormir ces dernières heures. Comment voulez-vous organiser les tours de garde ? Et une dernière chose : je pense que nous allons vous céder la grande tente, Galawen, Sylvia et moi avons l'habitude de dormir au grand air, tout comme Eärundra.

- Je leur avais déjà proposé notre tente, fit Sylvia avec un sourire. Enfin, sous réserve que tu te réveilles et que tu sois en état de dormir dehors, bien sûr. Mais ça m'a l'air d'être le cas...
- Et pour les tours de garde, faisons comme d'habitude. Puisque vous êtes en forme, prenez le premier quart. Nos n'avons pas encore vu d'araignées ni d'ettercaps, mais ce sont des êtres qui aiment l'obscurité. ils peuvent très bien attendre la nuit. Ou nous tendre une embuscade demain... ce serait là aussi tout à fait dans leurs habitudes.
- Je prendrai le second tour, intervint Tilmandil.
- Je peux guetter aussi, s'il faut, assura Galawen.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire... d'araignées ? questionna Elryndel, subitement inquiet, oubliant presque son abattement.

Kasumi adressa un sourire à Sylvia pour sa prévoyance et à son demi-frère pour s'être proposé de le relayer durant la nuit. Il ne savait en revanche pas trop comment accueillir l'offre de Galawen et se décida donc à la refuser le plus diplomatiquement possible tout en répondant aux inquiétudes de son père. Mieux valait le mettre au courant au plus vite des dangers auxquels ils s'exposaient. Connaissant le caractère d'Elryndel, il leur en voudrait peut-être de s'être ainsi exposés pour lui venir en aide mais cette adversité avait aussi une bonne chance d'affermir sa détermination. Le diplomate qu'il était ne s'était jamais montré aussi vivant et pugnace que lorsqu'il devait faire face à une situation épineuse.

- Merci Galawen mais je pense que nous sommes désormais assez nombreux pour alterner chaque nuit. Je pense qu'il vaut mieux que vous repreniez des forces cette nuit encore : je gage que vos sortilèges nous seront très précieux. Papa, nous vous avons trouvé dans un nid d'araignées géantes et d'ettercaps hier matin et nous n'avons pas pu le nettoyer de tous ses occupants. Nous pensons donc que les survivants chercheront à se venger et à récupérer rapidement les proies dont nous les avons privés. Cela devrait être gérable à condition de bien faire attention et je pense qu'elles ne nous suivront pas au-delà de ce bosquet donc nous devrions en être débarrassé demain soir.

- Ah... répondit simplement son père, écarquillant les yeux de surprise.
Il semblait avoir du mal à assimiler l'information. Kasumi le vit fermer les yeux un instant, se répétant sans doute les phrases prononcées, cherchant à évaluer la situation.
- Ma foi, c'est vous les spécialistes de la nature, je ne peux donc que vous faire confiance et suivre vos propositions, conclut-il finalement avec un haussement d'épaules fataliste. Il était visiblement trop las pour réfléchir.
Eärundra se leva et se dirigea vers le feu, où cuisait une omelette délicatement parfumée, sans doute aux champignons et aux herbes.
- Puisque tout est clair pour tout le monde, je suggère que nous terminions notre repas et que nous allions rapidement nous coucher. Nous aurons besoin de toute notre énergie demain... ou peut-être même cette nuit.

Et ainsi fut-il fait : il était inutile de prolonger la veille quand tous avait grand besoin de repos, son père le premier. Kasumi adressa tout de même un sourire à Sylvia quand ils eurent achevé la délicieuse omelette. Il allait prendre le premier tour de garde et il n'était malheureusement pas question de déroger à son devoir de vigilance cette fois. Cependant, le fait de savoir qu'elle allait s'installer près du feu, tout près de lui, lui mettait du baume au cœur.

Tilmandil disparut rapidement sous sa tente, tout comme son père et Galawen, la seconde soutenant le premier. Eärundra disparut à son tour, sans qu'il ne parvienne vraiment à savoir où. Quelque part dans la forêt...
Sylvia avait apporté des couvertures et confectionné un couchage le moins inconfortable possible, et elle s'y allongea bientôt, les yeux grand ouverts, lui souriant dans l'obscurité. Elle était tout près de lui, et il lui suffisait de tendre la main pour caresser son visage.
- Au fond, il y a longtemps qu'on aurait dû songer à abandonner la tente. C'est fantastique de pouvoir dormir près de toi pendant que tu veilles, et de savoir que tu dormiras tout à l'heure tout près de moi à ton tour pendant mon tour de garde. C'est fantastique de ne pas me retrouver toute seule dans un lit vide et froid... et de pouvoir e contempler tout mon saoul après avoir eu si peur de te perdre.

Kasumi s'était assis, dos au feu et juste à côté de Sylvia. Il pouvait ainsi se consacrer à sa tâche de vigilance sans pour autant la délaisser. Conscient du regard qu'elle portait sur lui, il s'était tourné pour lui sourire. Son cœur avait battu un peu plus vite à ses paroles amoureuses et, sans même s'en rendre compte il avait commencé à lui caresser tendrement la joue tout en répondant dans un murmure :

- Je suis désolé de t'avoir inquiété mon amour. Et si réchauffer tes nuits est tout ce que tu réclames en symbole de contrition, je me ferai une joie de te donner satisfaction. Il me faut simplement veiller une heure ou deux avant de te rejoindre. Mais tu devrais dormir un peu ou tu vas abîmer tes si jolis yeux dans cette pénombre. Sans parler du fait que tu risquerais de me voir rougir !

- Pfff... De ce côté-là tu as un avantage indéniable et parfaitement injuste. Comme tu tournes le dos au feu, je ne peux même pas voir ce genre de chose...
Sylvia saisit doucement la main qu'il avait posée sur sa joue, et y déposa un léger baiser avant de la libérer.
- Mais tu as raison, je sais. Je dois dormir... Simplement, c'est tellement difficile de dormir alors que tu es juste à côté de moi, beau comme un dieu, que j'entends ta respiration que j'avais craint de voir s'arrêter toute ces heures où tu étais inconscient... J'ai eu tellement peur de te perdre, tu sais... Je crois que je pourrais passer la nuit à te contempler pour me persuader que tu es bien vivant...

Kasumi se tourna vers elle et lui adressa un sourire bien qu'il sache que l'effet de sa déclaration avait réussi à colorer son teint. Il déposa un baiser fugace sur ses lèvres avant de se redresser à nouveau et de répondre timidement :

- Si c'est juste pour me faire rougir que tu me dis des choses pareilles, c'est de la triche mais c'est réussi ! Tu exagères : tu es bien plus belle que moi ! A tel point que j'arrive à peine à en croire ma chance d'être avec toi.

Il reprit d'un ton plus badin au bout d'un instant :

- Mais si tu ne dors pas dans cinq minutes comme tu le devrais, je serai obligé de sévir. Et crois-moi, tu n'aimerais pas affronter mes terribles... arguments !

Sylvia rit.
- Je crois que j'adorerais les affronter, tes arguments ! fit-elle d'une voix qu'elle rendit particulièrement sensuelle.
Puis, reprenant son sérieux, elle ajouta :
- Mais je crois hélas qu'il vaut mieux attendre d'être en terrain sûr pour cela. Imagine de quoi nous aurions l'air si des araignées se pointent pendant que nous... Non, décidément, même si ce serait un plaisir de partager un cocon avec toi, je préférerais ne pas m'y retrouver du tout ! Il vaut mieux que je te laisse veiller tranquillement je crois...

Kasumi se prit néanmoins au jeu en feignant d'être étonné par ses sous-entendus :

- Mais qu'as donc tu été imaginé mon amour ? Moi qui ne songeait qu'à une jolie berceuse voire des chatouillis si tu n'y mettais pas du tien. J'ignore ce qui t'aurait fait le plus rire d'ailleurs !

Il se pencha tout de même pour l'embrasser tout près de l'oreille et ajouter dans un souffle :

- Mais quand le moment sera plus approprié, si tu doutes toujours que je sois bien en vie, je tâcherai de te le prouver. Encore et encore. Maintenant, tâche de dormir ma douce et que tes rêves soient aussi doux que les miens.

Sylvia s'était contentée de sourire, les yeux brillants.
- Bonne nuit mon amour...
Elle ferma les yeux, à contrecœur sans doute, mais il était évident qu'elle ne dormait pas. Kasumi dut attendre un long moment avant qu'enfin, sa respiration s'apaise et devienne plus régulière.

Autour, il ne se passait rien de particulier. Mais ce n'était pas rassurant pour autant. Les mille et un petits bruits des bois, rassurants en temps ordinaires, semblaient différents par ici. Omniprésents, et angoissants. Menaçants même. dans le calme nocturne, le rôdeur sentait plus que jamais combien leur présence était indésirable, combien le bosquet les rejetait. Il avait la sensation d'être observé, jaugé, par une entité malveillante.
Puis, petit à petit, ce ne fut plus juste une sensation. Il eût la certitude qu'on l'observait. Qui, quoi, il n'aurait su le dire. Mais il y avait quelque chose, là-bas, derrière une haie d'épineux. Quelque chose qui n'était pas le vent et faisait bouger légèrement une branche. Quelque chose qui lui hérissait malgré lui les poils de la nuque. Il vit Léo dresser l'oreille et gémir sourdement. Et comprit que le lion avait peur.

Kasumi se sentait mal à l'aise mais au moins cette sensation hostile et omniprésente parvenait à repousser l'attrait du sommeil. Il avait peut-être un peu présumé de ses forces et surestimé les effets réparateurs de sa durée d'inconscience précédente. Dans ce contexte, une menace, même si elle n'était pas clairement identifiée valait mieux que la langueur d'une nuit calme et solitaire. Percevant la nervosité de Léo, il préféra se focaliser sur celle de l'animal plutôt que sur la sienne et lui adressa quelques paroles apaisantes. Tant pis s'il ne les comprenaient pas, le ton devrait suffire. Et si ça ne le convainquait pas lui, au moins cela le rassurait un peu lui-même :

- Du calme Léo. Quoi qui se cache de nous, ce n'est rien que nous pourrons réduire en charpie d'un bon coup d'épée ou de dents dans ton cas. Eux aussi ont peur de toi.

Léo tourna brièvement la tête vers lui, ses yeux jaunes reflétant la lueur du feu. Puis il se tourna à nouveau vers la haie d'épineux, les poils hérissés. Kasumi sentait sa peur, indistincte, irrépressible. Et il avait, de plus en plus nette, la sensation qu'il y avait quelque chose là-bas. Et aussi, peut-être, derrière l'autre buisson qui jouxtait le premier. Il croyait voir bouger des ombres... mais c'était peut-être des branches. Ou peut-être pas.
Quoiqu'il en soit, la menace, si elle existait, semblait ne pas vouloir se préciser. Pas pour le moment. Quoi que ce soit, il répugnait visiblement à s'attaquer à leur campement... ou il attendait quelque chose, peut-être ? Mais peu à peu, le temps passait, et ce serait bientôt le moment de passer le relais à son demi-frère.

Kasumi avait conscience du temps qui passait et tant que la menace ne se précisait pas, cela aurait été les mettre tous en danger que de quitter son poste ou de jeter un brandon radon derrière le buisson pour en chasser les ombres et en révéler les mystères. Il avait décidé d'attendre que Tilmandil soit éveillé et puisse le relayer pour aller vérifier mais il se leva tout de même à plusieurs reprises quand les bruits de la forêt semblaient préciser la menace. Si elle avait peur d'attaquer, autant la maintenir dans cette disposition un moment encore. De son point de vue, chaque minute de sommeil de ses compagnons renforçait potentiellement leur défense. Les sorts de Galawen, de Tilmandil et surtout d'Eärundra dans ce contexte pouvaient s'avérer de très précieux auxiliaire à la force brute des armes de Sylvia et des siennes. A condition que tous soient assez reposés pour les lancer.

La sensation d'être observé par une présence malveillante ne décrut pas, bien évidemment. On pouvait même dire qu'elle se précisait de minutes en minutes. Et il avait l'impression qu'ils étaient plusieurs. Il y avait quelque chose derrière la haie, c'était une quasi certitude. Léo le percevait clairement. Mais peut-être aussi un peu plus à gauche. Et autre chose à droite. Et peut-être même dans son dos : il eût subitement la certitude que quelqu'un -ou quelque chose- s'avançait derrière lui.
- C'est moi, souffla la voix d'Eärundra avant qu'il n'ait le temps de se retourner pour vérifier son intuition. Elle n'était qu'à deux ou trois mètres de lui, et s'était approchée, comme à son habitude, sans qu'il l'entende.

Kasumi avait fini par dégainer son épée, moyen dérisoire pour se rasséréner mais surtout un temps précieux de gagné si un ennemi surgissait de derrière lui buisson si proche. Evidemment,si c'était un filet de bave et de colle des ettercaps qui fondait sur lui, elle ne lui servirait peut-être pas à grand chose mais c'était un soulagement de pouvoir compter sur Etincelle en toute circonstance. Il fut surpris par la brusque arrivée de la druidesse dans son dos et faillit, l'espace d'une seconde, l'assimiler à un ennemi et l'attaquer. Il contrôla heureusement sa nervosité quand sa raison reprit le dessus. Il désigna les buissons d'un geste discret et annonça dans un murmure :

- Heureux de vous voir debout ! Il y a quelque chose là derrière. Pouvez-vous savoir quoi ? Sinon j'irai vérifier pendant que vous me remplacez.

- Je sais, répondit la druidesse. Léo m'a prévenue. Ce sont des morts-vivants, ou quelque chose qui s'en rapproche. Du moins c'est ce qu'il ressent... Mais je ne connais pas leur nature exacte.
Elle gardait les yeux fixés sur la haie.
- Ils nous observent... Mais je pense que le feu les tient à distance. Pour combien de temps, je ne sais pas. On dirait qu'ils attendent quelque chose.

Kasumi serra d'instinct la poignée de son épée. Il aurait dû sentir la présence des créatures et les identifier si Eärundra avait raison. En toute autre occasion du moins car cette maudite forêt avait le don de brouiller ses sens. A moins que la druidesse ne se trompe, elle ne semblait pas tellement certaine de la nature exacte de ce qui les guettait après tout... Mais cela ne changeait pas grand chose : quelle que soit la menace, elle était bien réelle et attendait peut-être qu'ils ne relâchent leur vigilance. Ou des renforts peut-être. Dans un cas comme dans l'autre, il valait mieux agir avant qu'il ne soit trop tard, ne pas laisser l'initiative à défaut de l'avantage de la surprise aux monstres.

- Nous devrions réveiller les autres : c'est presque le tour de garde de Tilmandil et Sylvia n'a pas de sorts à reconstituer. Laissons dormir Galawen et mon père tant que la menace ne se précise pas. Et si le feu les maintient à l'écart, autant en allumer d'autres. Et s'ils passent à l'attaque, ils nous seront utiles.

Eärundra approuva de la tête.
- Je vais m'occuper d'allumer des feux. Peut-être près de la tente de votre père, justement, pour les éloigner. Allez réveiller les autres...
Réveiller Sylvia ne fut pas nécessaire : la discussion, même à voix basse, juste à côté d'elle, avait eu raison de sa torpeur, et elle se redressait déjà.
- Qu'est-ce qui se passe ? questionna-t-elle tandis que la druidesse se rapprochait de la grande tente pour installer un deuxième feu. Enfin, va d'abord réveiller Tilmandil, je suppose que tu ne veux pas répéter deux fois tes explications...

hrp : pas de souci pour réveiller Tilmandil

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines