La Couronne de Cuivre

Sa déclaration arracha au malarite un rire sarcastique.
" Fuyez donc tant qu'il est temps. Ou vous le paierez de votre vie.
Et en quelques instants, il se transforma, son corps se ramassa sur lui-même pour se transformer en un quadrupède énorme, hybride entre un loup et un humain, qui bondit vers le rôdeur avec un grondement menaçant... Mais sans l'attaquer, réellement. Son objectif était clairement de le faire fuir.

Le rôdeur se replia promptement vers la forêt où il aurait de meilleures chances de semer la créature maudite si elle faisait mine de le poursuivre. Mieux valait fuir que se risquer dans une escarmouche aussi périlleuse : il avait promis de se montrer prudent et il se savait en position de faiblesse. Il n'avait pas protégé ses arrières... Non, il ne combattrait le loup garou que s'il n'avait pas le choix.

Mais la créature ne le poursuivit pas longtemps, se contentant de le chasser hors de vue du sommet de l'éminence, dans les profondeurs des bois. Il devina bientôt qu'il n'avait plus personne à ses trousses et qu'il pouvait ralentir le pas, et décider de ce qu'il devait faire ensuite.
Le loup-garou, lui, était certainement retourné à son temple maudit.

Kasumi n'était pas armé pour combattre efficacement le monstre mais il n'avait pas l'intention de relâcher sa vigilance pour autant. En se montrant discret, il pourrait parvenir à se rapprocher à nouveau et à observer ce qui allait se passer. Avec de la chance, il pourrait apprendre de précieuses informations sur ses ennemis. A commencer par leur nombre. Mais il fallait surtout ne pas se faire repérer et cela commençait par trouver une position dans le sens du vent. Et si possible en hauteur.

Le vent soufflait du nord, il lui suffisait donc d'opter pour une approche par le sud -ce qui expliquait que son adversaire ne l'ait pas perçu plus tôt : il arrivait du sud-ouest.
En revanche, trouver un point de vue en hauteur était impossible. La colline dominait les bois alentours. En outre, les dernières toises précédant l'arrivée au sommet étaient dépourvues de végétation : le cercle de pierre se dressait au milieu des herbes et des cailloux.
De là oùil se trouvait, le plus près qu'il ose s'approcher, il vit une silhouette bouger entre les pierres -peut-être celle du loup-garou ayant repris forme humaine. Il entendit psalmodier une mélopée répétitive, dont le vent lui portait quelques relents incompréhensibles. Puis il n'y eut plus rien : l'homme s'était vraisemblablement enfoncé dans les profondeurs de son dédale souterrain.

Kasumi aurait pu prendre le risque de s'approcher pour bloquer l'issue et piéger les malarites à l'intérieur du tertre mais le risque qu'ils puissent s'échapper était tout de même bien réel car il ne pourrait pas surveiller toutes les ouvertures restantes. Alors, il préféra attendre en s'embusquant dans les fourrés et en continuant à observer ce qui se passait. Il adressa aussi une prière silencieuse à Mielikki comme pour contrer les effluves maléfiques provenant du site maudit.

Il attendit longtemps, tandis que l'après-midi avançait, peu à peu. Il finit par y avoir de nouveau du mouvement au sommet de la colline. Il était trop loin pour voir nettement ce qui se passait, mais il lui sembla qu'ils étaient plusieurs, cette fois-ci. Trois, peut-être. A nouveau, ils entamèrent des chants et mélopées répétitifs, qu'il ne percevait que par bribes. Et la cérémonie semblait partie pour durer.
Le soleil commençait à décliner à l'horizon : le soir allait tomber.

Kasumi aurait pu attendre que les cultistes se dispersent pour tenter d'en apprendre plus mais il y avait un risque qu'il le fasse en pure perte si les malarites retournaient dans le tertre ou de prendre des risques inutiles s'ils décidaient de partir dans sa direction.

En somme, il n'avait quasiment rien appris de sa journée, sinon que les malarites représentaient toujours un danger et une meilleure identité de leur chef. La chance n'étant pas vraiment avec lui, il préféra se retirer aussi discrètement qu'il était arrivé. Peut-être faudrait-il remettre en cause l'expédition du lendemain...

Il rentra donc au village, et y parvint alors que la nuit était tombée. Le temps était demeuré stable, et la lune dans son premier quartier n'était pas encore apparue.
Martha et Sylvia l'attendaient, la première sereine, la seconde visiblement inquiète : elle se précipita vers lui à son arrivée pour l'étreindre avec un soulagement évident.
" Alors ? Tu rentres tard...Il s'est passé quelque chose ?"

Kasumi s'en voulut que son choix d'attendre près du tertre ait pu inquiéter Sylvia aussi s'empressa-t-il de la rassurer après lui avoir rendu son étreinte.

- Oui et non. J'ai trouvé les malarites à l'éminence. J'ai préféré ne pas me frotter directement à eux mais rester là bas à les observer. Malheureusement, je ne suis toujours pas certain qu'ils décideront de décamper. Je devrais aller prévenir Mylène qu'il est imprudent de s'y rendre à nouveau dès demain.

" En même temps, s'y rendre à nouveau est le meilleur moyen de savoir s'ils sont partis...", remarqua Sylvia, songeuse.
Martha acquiesça d'un hochement de tête. Elle n'avait pas perdu de temps pour lui servir une bonne assiette de soupe et du pain frais qu'il pouvait beurrer.
" Et à deux... c'est plus sûr... mais moins discret... Tu as peur qu'ils ne t'y attendent ? Ils t'ont repéré ? Ou tu seras davantage certain de leur départ dans trois ou quatre jours peut-être ?"

Le rôdeur remercia Martha pour sa prévenance avant de répondre à sa fiancé d'un ton tout aussi songeur :

- Oui, j'ai été repéré et j'ai échangé quelques mots avec leur chef. Je crois que la présence de Mylène ne changerait pas grand chose contre eux et je répugne à l'exposer sans bonne raison. Peut-être que je me contenterai de l'emmener à la résurgence pour éliminer les quelques mort-vivants qui s'y trouvent certainement : ce sera une bonne façon de la jauger et je saurais la protéger si les choses tournent mal.

" C'est utile aussi, en effet..."
Martha, de son côté, lâcha un soupir.
" Ainsi, ils sont encore là. Moi qui les espérais partis le plus lion possible... Non mais vous croyez vraiment qu'ils vont s'en aller ? Laisser notre village tranquille ? Quand je pense... Il y a eu trois morts en cinq ans... Vous auriez dû tuer leur chef au lieu de bavarder avec lui !"

Kasumi n'était pas loin de penser de manière aussi vindicative que Martha et il entreprit de justifier son choix :

- Je devais évaluer la menace qu'il représentait encore. Et je crois que j'ai bien fait : il s'est avéré qu'il est un loup-garou. Je ne suis malheureusement pas équipé pour blesser une telle créature. En tous cas pas assez pour que le combat soit équilibré. Mais je ne vous laisserai pas tomber : s'ils ne partent pas après cette nuit, je trouverai un moyen de les chasser définitivement.

" J'espère que vous y arriverez. On ne peut pas continuer à les laisser faire tant de mal..."
Elle soupira.
" J'irais bien avec vous si je savais me battre, tiens !
- Hum... Vous n'avez plus vraiment l'âge...
- Mais c'est qu'on devient impertinente, ma p'tite demoiselle ?
- Moi ? Sûrement pas..."
Le ton était devenu plus léger et la conversation dévia. Il était évident que Sylvia était terriblement frustrée de ne pas l'accompagner elle-même, et qu'elle serait inquiète tant que cette histoire ne serait pas terminée. Mais elle le dissimulait de son mieux et préféra parler de leurs projets d'installation, auxquels elle semblait se raccrocher pour meubler son quotidien.

Le demi-elfe voulait lui aussi se raccrocher à cet espoir merveilleux. Il devait s'occuper des malarites, de la résurgence, de la meute de loup et bien sûr de son arbre mais pouvoir emménager et prendre soin de leur future maison était vraiment un projet personnel. Un projet qui lui tenait énormément à cœur.

- Je sais que Sylvia doit encore faire très attention mais peut-être qu'il sera possible de marcher jusqu'à la cabane d'ici quelque temps ? Qu'en pensez-vous Martha ?

Martha réfléchit, hésitante.
" Son état s'est bien stabilisé... Mais tout de même, le col est trop ouvert. Je préfère donc vous le déconseiller encore, sauf nécessité. Pour être plus précise, je pense qu'elle pourrait s'y rendre, en marchant lentement... mais il faudrait ensuite qu'elle se repose tout le reste de la journée et je ne suis pas sûre qu'elle serait en état de revenir. je ne peux jurer de rien, cependant. C'est à vous de voir si vous voulez prendre le risque...
- Tu vois, c'est comme ça depuis le début, compléta Sylvia d'un ton léger -mais peut-être un peu frustré tout de même. Je ne peux pas faire plus de dix pas...
- Non, un peu plus, tout de même. Une cinquantaine au moins !, répliqua Martha, à demi-sérieuse.

Kasumi esquissa une grimace désolée à l'adresse de Sylvia mais Martha connaissait son affaire et prendre des risques était exclu. Il se hasarda tout de même à proposer une autre hypothèse :

- Il faudra bien que je transporte tôt ou tard tous ces magnifiques meubles que nous a dégotté Sylvia. Et pour cela, il faudra que j'emprunte un chariot : est-ce que vous déconseillerez un trajet par ce moyen ? Il me semble que le chemin n'est pas trop chaotique jusqu'à la cabane...

" Pas trop chaotique... c'est quand même trop ! répliqua immédiatement l'ex sage-femme, apparemment sûre de son fait.
- Mais si on installe des coussins ? Beaucoup ? Ou si... si je m'allonge sur un matelas ?"
Martha hésita.
" Allongée sur un matelas, peut-être, oui. En allant lentement. Mais le matelas vous allez le laisser là-bas pour emménager... Et donc... vous revenez comment ?"

Kasumi était persuadé qu'ils trouveraient une solution et ce, en tenant compte des conseils avisés de Martha.

- Nous verrons... Peut-être en ramenant le matelas tout simplement : il nous faudra certainement plusieurs voyages d'autant que je ne compte pas monter tous les meubles en une seule journée ! Vous n'allez pas me mettre à votre entier service jours et nuits aussi facilement, non mais !

Il avait volontairement employé un ton léger comme pour mieux changer les idées de Sylvia et la détourner un peu de sa frustration.

" De toute façon, monter les meubles ne suffira pas, il faut réparer les volets, les repeindre, tailler les arbustes...
- Sans compter qu'il faudra ranger ensuite tout le matériel et les vêtements que vous avez commencé à rassembler... Mais toute plaisanterie à part, je vous déconseille d'y aller plusieurs jours d'affilée. Un aller-retour de temps en temps allongée sur un matelas, ça peut se concevoir, mais il faut du repos entre.
- Bah, une fois le lit monté, je peux aussi faire l'aller un jour et le retour un autre jour... Ou même rester là-bas, suggéra Sylvia.
- Rester là-bas serait sans doute bien plus sage que de faire des trajets plusieurs fois, si vous voulez mon avis.
- Et bien c'est parfait ! J'irai allongée sur un matelas, on mettra le matelas en question dans la chambre et j'y resterai allongée ensuite ! Et Kasumi sera obligé de faire la cuisine, la vaisselle, le ménage, d'aller au ravitaillement...
- Intéressant, comme projet... A votre service nuit et jour, vous disiez?
- Tout à fait ! On y va quand alors ?"

Kasumi éclata de rire et échangea un regard entendu avec Sylvia : malgré le ton plaisantin, cela lui semblait être un programme tout à fait stimulant. Malheureusement, avant de pouvoir se consacrer aussi exclusivement à sa compagne et aux travaux domestiques, il aurait à régler ses autres engagements. Il faudrait donc patienter encore de longues veilles avant de concrétiser ce rêve mais il n'était pas exclu qu'il puisse se rendre bientôt à la cabane et préparer un peu le terrain.

Il se faisait tard, et ils ne tardèrent pas à mettre fin à la veillée, se retrouvant seuls dans leur chambre. Sylvia se blottit contre lui avec un soupir de bien-être.
" Dis... Tu crois qu'on pourra y emménager quand, dans la cabane ? Non que je veuille fuir Martha mais... De temps en temps, je me dis que ce serait bien de se sentir chez soi."
Elle sourit.
" Je sais que ce n'est pas pour demain, je te rassure... Mais... On ne va quand même pas attendre l'automne ?"

Les questionnements de Sylvia faisait écho aux siens et le demi-elfe prit le temps d'apprécier la chaleur de ce moment en l'entourant d'un bras protecteur avant de répondre d'un ton paisible.

- Moi aussi j'ai très envie d'emménager chez nous. Mais ce ne serait pas très prudent de t'isoler tant que je dois passer la majeure partie de mes journées à la clairière. Je ne peux rien promettre mais je me disais que le bon moment serait certainement juste après la Longue Nuit. Le chêne sera alors pleinement mâture et je pourrai certainement rentrer toutes les nuits, voire même rester à la cabane un jour sur deux sinon davantage.

Sylvia acquiesça.
" Bon, ça va, c'est bientôt, la Longue Nuit. Dans une veille et un jour. Mais je me demande ce que ça veut dire, cette histoire de maturité... Ton... sylvanien... t'a expliqué ? Tu crois que tu n'auras plus besoin d'y aller ensuite? Et là, au fait, tu ne devrais pas y être davantage ?"

Kasumi lui expliqua ce que le sylvanien lui avait confié : l'arbre serait de plus en plus à même de se défendre contre les menaces naturelles. C'est donc des malarites et des mort-vivants qu'il fallait avant tout se méfier et c'est pourquoi il s'employait à chasser les premiers pour pouvoir purifier efficacement la résurgence qui attirait les autres. Certes, il prenait un risque en restant à Peyregorde la nuit mais le sylvanien avait accepté de veiller sur l'arbre durant quelques jours et lui avait révélé qu'il serait prévenu si ce dernier se trouvait en danger. Il avait fini avec la voix passablement ensommeillée, signe qu'une vraie nuit de sommeil lui serait extrêmement utile.

Sylvia ne chercha pas à poursuivre plus avant la conversation. Elle était fatiguée, elle aussi, à cause de son état, et ils s'endormirent tous deux très vite, la rôdeuse dans les bras de son fiancé, paisible.

Et les rêves commencèrent. Les cauchemars, plutôt. Un chêne qu'on tente de déraciner - un cor assourdissant qui sonne à ses oreilles - une hache qui frappe la base du tronc...
Il se réveilla aussitôt, avec un sentiment d'urgence absolue. Et à en juger par la luminosité, il devait dormir depuis moins d'une heure...

Complètement trempé de sueur et hébété pour avoir à peine dormi, le demi-elfe se leva néanmoins immédiatement et sentit un vertige à peine debout. Et pourtant, il ne pouvait pas ignorer cette alerte, ce sentiment que son arbre allait mourir sous peu. La vision n'était que trop claire : les malarites comptaient le détruire avant leur départ. Il n'aurait jamais dû se reposer dans son confort et déserter la clairière.

En panique, il s'habilla en hâte, enfila ses bottes puis se précipita dehors tout en étant certain d'arriver trop tard. La clairière était bien trop éloignée...

Il courut donc, aussi vite qu'il l'osa, dans le sous-bois obscur. Sa vision de demi-elfe lui permettait de distinguer trous et racines, branches basses et ronces, et ses réflexes de rôdeur l'aidaient à se faufiler un peu partout, quittant parfois les sentes pour couper droit dans les broussailles. Il devina la présence de sangliers en maraude, celle moins réjouissantes de goules et autres créatures du même acabit.
Il parvint en un temps record en bordure de la zone incendiée, atteignit la résurgence -où un groupe de goules semblait dévorer quelque chose-, et porta immédiatement son regard vers l'endroit où se trouvait le chêne, désormais clairement visible par-dessus les buis brûlés.

Il atteignitle village vers trois heures de l'après-midi. Il fut étonné de voir une silhouette brune et svelte s'avancer vers lui alors qu'il était encore à quelques centaines de toises, et mit quelques temps à reconnaître Mylène.
" Sylvia m'a dit que vous alliez arriver, donc je suis venue à votre rencontre... Pour vous gronder de m'avoir posé un lapin ! C'est vraiment pas très gentil à vous de courir seul l'aventure sans penser aux autres !"
Son ton était celui de la plaisanterie.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde