La Couronne de Cuivre

Les créatures se soucièrent peu de sa terreur ou de sa curiosité. Elles la jaugèrent un instant, puis la touchèrent, de leurs mains griffues, de leurs tentacules, sans qu'elle puisse se dégager de leur palpation. Il lui sembla, au delà de son dégoût irrépressible, qu'elles s'enquéraient de son état de santé. Puis des questions fusèrent dans son esprit, sans qu'elle puisse les repousser, s'intéressant à son âge, à ses origines, et les souvenirs affleurèrent à son corps défendant.

HRP : un nouveau D20.

HRP : 1

Astrée n'avait aucune intention de résister à leur inspection. Ce n'était pas en son pouvoir, de toute façon. Peut-être examinaient-ils ainsi tous les nouveaux venus. Au moins leur emprise empêchait-elle ses pensées de trop divaguer. en particulier de s'inquiéter de ce qu'ils pouvaient ainsi apprendre.
Elle s'appliqua, autant que possible, à ne penser à rien d'autre qu'aux souvenirs et informations qu'ils faisaient remonter dans son esprit.

Mais les créatures ne s'intéressèrent pas longtemps à son parcours. Ils l'interrogèrent sur ce qu'elle faisait dans les montagnes, avec qui elle était arrivée, et elle lâcha tout ce qu'elle savait, sans pouvoir s'en empêcher. Ils apprirent donc qu'il restait une personne dans les ruines et que d'autres s'apprêtaient à arriver, probablement en nombre.
Une ultime injonction la renvoya au bord du bassin et l'emprise se leva, laissant derrière elle une impression d'étau sur les tempes, et un picotement du crâne tout entier.

Elle sentit les larmes couler sur ses joues. Elle avait tout dit. Elle avait si peur qu'elle n'avait même pas su résister à leur injonction.
Et désormais, ils savaient pour Dimitri. Et pour les renforts. Ils allaient poursuivre leurs recherches, et sûrement réussir à débusquer Dimitri : elle les imaginait avoir une sorte de détecteur à intelligence ou à être vivant. Bien sûr, il se douterait du risque et se cacherait, mais combien de temps réussirait-il à les éviter ?
Elle prit l'un des récipients et se remit au travail, sans enthousiasme.
Elle se demandait s'ils attendraient également les renforts, s'ils se sentaient suffisamment forts pour les capturer, ou s'ils fuiraient dès qu'ils auraient trouvé le mercenaire. Combien étaient-ils ? Combien seraient les renforts ? Ils opteraient peut-être pour la prudence... sauf s'ils étaient suffisamment nombreux : il leur était facile d'obliger la moitié des renforts à massacrer l'autre moitié.
Elle fit une pause pour masser brièvement ses tempes endolories.
Il fallait qu'elle s'enfuie, qu'elle les prévienne...

Elle fut cependant contrainte à travailler pendant plusieurs heures, encore, avant qu'on ne les autorise à faire une pause. Certains en profitèrent pour boire dans le bassin. D'autres s'assirent à même le sol dans un soupir. Pendant un moment, tout le monde — humains, drows, nains — resta silencieux. Puis il y eut des regroupements par race, des petits groupes de deux ou trois, pas plus, et le murmure de conversations. Plusieurs personnes se roulèrent en boule pour dormir à même la pierre. Les créatures, elles, n'avaient pas bougé.

Astrée se sentait épuisée, et avait conscience que les émotions de ces dernières heures en étaient la cause probablement davantage que le travail physique. Cette pause était bienvenue, et elle se serait volontiers roulée en boule à même le sol pour dormir un peu, elle aussi. Mais elle était résolue à ne pas se laisser aller. Elle devait absolument s'évader, pour pouvoir donner l'alerte, et il s'agissait de ne pas se lancer dans une tentative spontanée semi-suicidaire. Elle devait réussir. Elle avait sûrement un peu de temps devant elle, jusqu'à ce qu'ils trouvent Dimitri. Il était doué pour se cacher. Mais elle devait tout de même agir le plus vite possible, avant d'être trop épuisée et effrayée pour en avoir la volonté.
Mais avant toute chose, il lui fallait savoir par où fuir. Elle regrettait de ne pas avoir retrouvé Kalju, qui avait sûrement un instinct pour ce genre de chose. A défaut, elle chercha du regard la femme avec qui elle avait déjà discuté, puis changea d'avis et décida de se rapprocher d'abord de Max pour tenter de lui parler quelques instants : elle se faisait du souci pour le jeune archéologue.

Max était assis parmi les autres, silencieux, les bras repliés autour des genoux. Il n'était pas gros quand Astrée l'avait rencontré mais la situation avait empiré. Ses vêtements étaient encore en relatif bon état, mais sales et froissés. Lorsque la jeune femme s'approcha, il leva les yeux, un peu méfiant mais Astrée devina qu'il ne la reconnaissait pas davantage. Il ne dit rien, se contenta de l'observer.

De plus en plus inquiète, elle s'accroupit près de lui. Bien sûr, il pouvait ne pas être physionomiste, manquer de mémoire visuelle, et après tout, elle n'avait été qu'une rencontre insignifiante parmi des dizaines, et ils n'avaient pas discuté longtemps. Mais outre son air perdu, son état physique était alarmant.
" Max... ? Vous ne vous souvenez pas de moi ? Je m'appelle Astrée, et on s'était rencontrés sur la route entre Erhedun et la Lorien. Je venais aussi dans les montagnes. Mais j'allais plus vite que vous..."

Il lui retourna un regard vide, puis parut hésitant.
" Ça me dit quelque chose... C'était il y a longtemps... Je suis désolé, je ne suis pas très physionomiste. Et j'ai rencontré tant de personnes depuis..."
Il haussa les épaules.
" Vous auriez mieux fait d'aller dans les montagnes. Les vraies."

Elle lui retourna un regard un peu interloqué. Ils se trouvaient pourtant bien dans les des montagnes.
" Comment ça, les vraies ? Vous voulez dire les hauts sommets au-delà du chantier de fouilles ? C'était bien là-bas que j'allais... Le chantier n'était normalement qu'une étape sur la route..."
Elle se décida à s'asseoir.
" Il y avait un génasi avec moi, il cherchait l'origine d'une faille, et apparemment c'était au chantier... sauf qu'il n'y avait plus personne. Qu'est-ce qui s'est passé ? Ils sont sortis du complexe pour vous attaquer ?"

" Oui." répondit-il simplement, un peu interdit.
Il écarquilla légèrement les yeux.
" Vous pensiez quoi ? Qu'on avait décidé de les chercher ? Je ne savais même pas que ces monstres existaient vraiment ! Je pensais que c'étaient... des créatures mythiques."

" Moi aussi, avoua-t-elle sombrement. Je me souviens vaguement d'une histoire horrible au sujet de monstres des profondeurs... Je ne pensais pas que c'était vrai."
Elle grimaça.
" Mais donc, ce sont bien eux qui sont à l'origine de la faille qui inquiétait le génasi."
Les archéologues n'y étaient pour rien, ils n'avaient pas creusé de tunnel d'aucune sorte. Ils avaient juste été victimes de malchance. Cela signifait sans doute, également, que ces créatures maniaient une magie capable de creuser de tunnels.
" Est-ce que vous vous souvenez par où vous êtes arrivés ici ? Moi, j'ai perdu connaissance..."

" La faille ? Je ne suis pas au courant d'une telle chose."
Il secoua la tête.
" Je n'ai aucun souvenir de rien, après l'attaque. Elle a eu lieu de nuit, en surface. Les drows étaient sous leurs ordres, ce qui est normal. Ça aurait pu être nous. Une fois qu'ils marquent leur emprise, plus personne ne sait contrôler ses actes. Ces créatures... Si les légendes sont vraies, elles peuvent changer de plan selon leur bon vouloir. Pour autant que je sache, nous ne sommes peut-être plus sur Toril."

Astrée pâlit. Elle avait un instant envisagé cela, en ne ressentant plus la présence de Prince. Mais c'était une perspective tellement angoissante qu'elle l'avait inconsciemment chassé de son esprit, préférant attribuer cette impossibilité aux pouvoirs de leurs geoliers.
" Si c'est ça.... ça va être compliqué de s'évader, lâcha-t-elle d'une voix un peu rauque.
Voyager d'un plan à l'autre était qu'elle que chose qu'elle ne parvenait pas à concevoir. Mais elle était d'un tempérament optimiste, et se reprit aussitôt, cherchant des espoirs tangibles auxquels se raccrocher.
" Mais tout de même... l'endroit où on est, ça ressemble à des ruines d'une ville drow, et la lumière verte pourrait être celle qu'on voit sur l'île... Et puis, ils vont sûrement rester pour essayer de capturer le seul membre de l'escorte qui reste à la surface. On est peut-être juste en-dessous du complexe... Donc on a peut-être encore une chance. Enfin, je n'y connais rien. Vous croyez qu'on peut être dans un autre plan tout en restant proches ?"

" Je n'y connais rien. Les Plans... Je n'ai jamais étudié ce genre de choses. Je n'ai aucune idée de comment on voyage entre eux, si ce n'est par magie..."
Il haussa les épaules.
" Il est vrai que ceci est une ruine drow... mais ça ne veut pas dire que ce n'est pas une ruine drow d'un autre plan. Je n'y connais vraiment rien."

" Cela voudrait dire que les drows auraient construit des cités dans d'autres plans ?", questionna-t-elle d'un air dubitatif.
Elle n'espérait pas de réponse : si lui, qui étudiait la magie et les drows, ne savait pas où ils pouvaient se trouver, alors aucun humain ici ne le saurait. Et tout le monde semblait avoir oublié comment ils étaient arrivés là...

Elle sentit une vague de panique la submerger. S'ils étaient dans un autre plan, elle serait prisonnière pour toujours... Elle frissonna et ramena ses genoux pliés contre son torse, serrant ses bras autour pour s'empêcher de trembler comme une feuille.
Non. C'était une idée trop atroce. Elle refusait de l'accepter. Elle préférait mourir plutôt que rester esclave avec la perspective de finir décapitée. Elle allait fuir dès qu'elle trouverait une occasion. Trouver la sortie de ce complexe. Et organiser l'évasion de tout de monde si elle y parvenait... ou au moins prévenir Dimitri, s'ils étaient toujours sur Toril. Elle n'avait rien à perdre, de toute façon. Enfin... Juste la vie.
L'autre option était d'attendre les renforts, mais puisque ces créatures connaissaient leur arrivée prochaine, elle ne pouvait pas compter dessus. Et elle avait besoin de de raccrocher à un espoir, aussi ténu soit-il.

Max ne répondit pas à sa question et n'en eut d'ailleurs pas l'opportunité : un ordre mental claqua dans leurs esprits, exigeant qu'ils se remettent au travail. Ce qu'ils firent. Quand un premier tonneau fut plein, quelqu'un en cloua le couvercle, puis trois d'entre eux le roulèrent dans la direction d'où ils étaient venus, tandis que les autres continuaient à remplir les autres. Tout se faisait sans le moindre mot échangé : les directives arrivaient directement dans leurs esprits : va ici, fais ça, recule, assieds-toi, viens, plus vite. Astrée ne pouvait que travailler et les créatures ne firent plus appel à elle. Elle comprit, tout en travaillant, que la notion de jour, de nuit, d'heures écoulées, était impossible à conserver. Il n'y avait aucune variation de lumière et sa baie l'avait rassasié pour un certain temps, la privant des indices de la faim pour mesurer le temps passé.
Au bout d'un certain temps, le second tonneau puis un troisième furent remplis. Astrée fut affectée au transport de ce dernier, avec un autre humain et un drow malingre. Ils roulèrent, tant bien que mal, leur fardeau jusqu'aux véhicules ovoïdes, endroit où attendaient trois autres créatures tentaculaires. Le trio d'ouvriers contraints fut ensuite renvoyé vers un endroit où étaient assis d'autres esclaves, près des cellules. Peu à peu, le groupe originel se reforma. Peut-être était-il déjà l'heure de retourner au trou...

Le travail était éreintant, et Astrée n'eut pas vraiment l'énergie de tenter d'établir le moindre plan d'évasion. Lorsqu'on l'envoya porter le tonneau près des étranges véhicules, elle se souvint qu'elle devait également chercher où se trouvaient leurs affaires, au cas où Prince y soit, mais elle ne vit aucun indice intéressant. Elle se demandait également où était Kalju, si toutefois il avait bien été capturé. Elle ne l'avais pas aperçu de toute la journée, et se demandait s'il y avait d'autres groupes d'esclaves travaillant ailleurs et, peut-être, dormant ailleurs. Mais peut-être, après tout, était-il encore à la surface...

Elle fut soulagée de rejoindre le groupe près des cellules : il lui semblait avoir travaillé toute une journée, à en juger par la fatigue dans ses membres. Puis elle se souvint qu'elle allait probablement retrouver son compagnon de cellule, et que le repos n'aurait rien d'agréable...

Kalju n'était pas davantage dans ce rassemblement qu'il ne l'avait été dans le premier. Deux des prisonniers rejoignirent le groupe avec des seaux emplis d'une mixture vert-gris, poisseuse, qui fut jetée à même le sol, en poignées répugnantes. Mais à la manière dont tout le monde se jeta dessus, Astrée comprit que c'était ce qui leur servait de nourriture. Il y eut quelques échauffourées, ici et là, des coups échangés, des insultes, mais les créatures n'intervinrent pas, laissant leurs esclaves se battre. Les humains étaient en meilleure santé que les nains et les drows et aussi en plus grand nombre, et ils eurent le dessus, se réservant les tas de gruau les plus imposants, tandis que les autres devaient composer avec les maigres restes. Il demeurait une certaine solidarité entre humains, cependant, et Astrée fut invitée à venir se servir.

Elle s'approcha avec une certaine hésitation. Elle n'avait pas besoin de manger, et aucune envie de goûter à cette mixture. Mais si elle ne mangeait rien, peut-être cela paraîtrait-il étrange à leurs geoliers. Même s'ils avaient l'air de s'en moquer complètement, elle ne voulait pas attirer l'attention.
" Je n'en prends qu'un tout petit peu, expliqua-t-elle à voix basse en se servant. Gardez le reste. J'ai pu manger ce matin."
Elle se souvint alors qu'il lui restait une baie magique en poche et décida qu'elle devrait en faire profiter Max, qui lui avait semblé terriblement amaigri.

Mais elle n'eut pas l'opportunité de l'approcher. Elle ressentit à nouveau une pression sur son esprit, comme si quelque chose manipulait l'intérieur même de son crâne, sans douceur. Mais les choses en restèrent là. Elle ne fut pas sommée de rejoindre les créatures, put demeurer assise en périphérie du groupe humain. Elle devina néanmoins qu'elle avait attiré leur attention, et de manière négative. La pression ne se relâcha que lorsqu'un nouvel ordre claqua, et Astrée comprit que la journée n'était pas terminée. On lui somma, à elle et à trois autres, de se rendre dans une autre partie de la grotte, du côté opposé au torrent. Bien sûr, deux créatures tentaculaires les accompagnaient. Ses compagnons de misère étaient tous humains, deux hommes jeunes, une femme plus âgée, et ils gagnèrent un nouvel espace dégagé, entre des maisons en ruines. Des humanoïdes enchaînés s'y trouvaient, d'une sorte qu'Astrée n'avait jamais vue. Ils étaient intégralement couverts de fourrure gris clair et ressemblaient vaguement à des ours ou des chats monstrueux. Lorsque les quatre humains passèrent à proximité, ils commencèrent à s'agiter, Astrée vit des crocs et des griffes se dresser, mais tous en même temps, ils reculèrent ensuite en gémissant, comme s'ils avaient été frappés par quelque chose d'invisible. Le petit groupe poursuivit sa route jusqu'à un début de tunnel obscur, éclairé par des mousses luminescentes, orangées. Dans les replis de ces mousses, Astrée devina le mouvement de petits insectes. La seconde suivante, elle sut ce qu'elle était censée faire : les attraper et en remplir les seaux abandonnés sur le sol.

Elle en fut, en quelque sorte, soulagée : elle avait craint un moment que leur expédition soit liée à une sorte de punition... mais punition pour quoi ? L'avaient-ils entendue chuchoter et n'en avait-elle pas le droit ? Avaient-ils entendu ce qu'elle disait ? Avaient-ils perçu qu'elle avait l'intention de donner une baie magique à Max, et était-ce répréhensible ? Ou tout simplement avaient-ils perçu une décision d'action ? Il allait être infiniment compliqué de fuir avec une telle surveillance... Et pourtant certain avaient pu tenter quelque chose.
Elle se mit au travail sans rechigner, attrapant les petits insectes aussi efficacement qu'elle le pouvait. Elle ne voulait plus attirer l'attention sur elle. Elle songeait que l'endroit était vaste et qu'il faudrait pouvoir l'explorer. Chaque découverte amenait un nouveau lot de questions : quels étaient ces créatures enchaînées ? Ils ressemblaient très vaguement à l'idée qu'elle se faisait des yétis qu'elle devait observer, mais peut-être venaient-ils d'un autre monde ? Pourquoi les gardait-on ici ? Et une interrogation demeurait, lancinante : où donc était Prince ?

Cette interrogation resta sans réponse. Prince était introuvable et chaque fois qu'elle lançait son esprit à sa recherche, Astrée sentait la pression dans son crâne s'intensifier. Elle ramassa des insectes grouillants pendant un temps interminable. Au fur et à mesure qu'elle travaillait, elle sentit ses doigts s'engourdir, signe qu'il y avait une substance toxique dans les mousses et à la faible lueur qui suintait dans le couloir, elle constata que sa peau avait foncé. La vermine qu'ils cueillaient essayait de s'échapper des seaux et Astrée nota que ses compagnons les écrasaient légèrement avant de les jeter dans les récipients. Leurs geôliers les firent travailler jusqu'à ce que tous les seaux soient pleins : deux par personne. Ensuite, il leur fallut les porter jusqu'aux créatures enchaînées. Il parut clair à Astrée que celles-ci attendaient leur pitance, mais à voir leur agressivité, approcher avec un seau présentait un certain risque...

Face aux créatures poilues, Astrée hésita. Lancer les insectes sur le sol lui semblait cruel : les bestioles, même à demi écrasées, allaient fuir sur le sol hors de portée des humanoïdes. Mais approcher était risqué.
Elle chercha à croiser le regard de l'un d'eux, s'approcha un peu et se pencha pour déposer le seau sur le sol, aussi loin que possible devant elle, estimant qu'elle devait être juste assez proche pour qu'il puisse l'atteindre. Elle jeta un regard en coin à ses camarades pour voir s'ils agissaient de même ou s'ils avaient trouvé une autre technique...

Ce qu'Astrée fit n'eut qu'un impact tout relatif, car les choses dégénérèrent brusquement juste à côté d'elle. Le premier de ses compagnons avait lancé le contenu de son seau parmi les créatures, provoquant un remue-ménage dans leur groupe. Le second prisonnier, un jeune homme malingre, s'apprêta à l'imiter mais trébucha et s'étala sur la pierre, à portée des griffes affamées. Il n'en fallut pas davantage : avant même d'avoir pu crier, il fut attiré parmi les êtres poilus et on entendit alors seulement son hurlement. Les deux créatures tentaculaires parurent surprises — s'il était possible de lire pareille chose sur leur faciès monstrueux, mais se ressaisirent rapidement. La première avança vers les poilus, la seconde recula vers les autres humains, et Astrée entendit l'ordre de rester en arrière.

HRP : 1d20

HRP : 12

Astrée, pour une fois, n'avait nullement l'intention de désobéir à cet ordre. Elle recula sagement d'un pas, observant avec horreur ce qu'il se passait devant eux. La scène, pour affreuse qu'elle soit, n'avait hélas rien de surprenant : il était évident que les créatures poilues avaient faim et étaient habituées à manger quelque chose de plus consistant que des insectes...
Pour sa part, elle n'avait qu'une envie : s'éloigner le plus possible. C'était ce que son instinct de survie lui dictait. Elle s'apprêta à reculer prudemment d'un pas de plus.

Brusquement, sans qu'Astrée ne voit que quoi que ce soit se produire, les créatures poilues poussèrent des cris perçants et reculèrent les unes sur les autres, certaines s'écroulant même sur le sol, les narines et la gueule en sang. Le corps du prisonnier resta sur le sol maculé, agité de soubresauts. Astrée devina qu'il était agonisant : il aurait fallu un sort puissant pour le sauver, compte tenu de ses multiples blessures. Soudainement, la femme plus âgée se dirigea vers lui, les gestes saccadés, et l'attrapa par les pieds pour l'arracher au cercle gémissant des fauves. Elle le tira en arrière, jusqu'à ce qu'il soit hors de portée, puis s'écarta. Pendant un moment, personne ne bougea, ni les créatures tentaculaires, ni les humains, ni les bêtes enchaînées. Seul le malheureux s'agitait encore sur la pierre, laquelle se tachait petit à petit de son sang. Puis Astrée reçut l'ordre de partir, avec les deux survivants, escortée par un seul des geôliers. L'autre resta en arrière avec le mourant.

Astrée aurait voulu tenter quelque chose pour soigner le mourant. Mais c'était certainement hors de portée de ses capacités, et puis, elle ne voulait surtout pas se faire remarquer. Elle songea qu'ils auraient au moins pu abréger ses souffrances... Mais elle s'interdit tout geste trahissant son désir de lui venir en aide, tout regard en arrière, et s'obligea à suivre leur geolier dès qu'elle en reçut l'ordre.
Elle avait conscience qu'il n'y avait plus qu'une seule de ces créatures avec eux, mais elle avait aussi cruellement conscience du fait qu'il pouvait leur infliger en un instant le même genre de traitement qu'aux humanoïdes poilus. La peur lui nouait l'estomac. Elle essayait de ne pas penser à son désir profond et instinctif de fuite, qui ne l'avait pas quitté de la journée. Elle sentait cependant une certaine tension en elle. Elle s'efforça de fallait faire profil bas, de ne penser à rien de suspect, rien qui attire leur attention. Juste observer.

Lorsqu'ils regagnèrent la zone des cellules, Astrée constata qu'une partie des prisonniers avaient disparu et que de grosses pierres marquaient l'endroit où certains des trous avaient été rebouchés. Il était donc l'heure de retourner sous terre — ils l'étaient de toute façon — dans son oubliette, ce qui lui fut confirmé par l'impulsion mentale qu'elle ressentit, à gagner et descendre une des échelles de corde. Il était difficile de savoir si c'était la même que la fois précédente. L'elfe noir qui avait partagé sa détention était invisible, mais peut-être était-il déjà en bas...

Astrée gagna l'échelle qu'on lui attribuait avec un soupir. Elle aurait voulu pouvoir choisir son compagnon de "chambrée", mais évidemment, ils n'allaient pas les laisser se grouper par affinité.
Elle éprouvait de vagues regrets, l'impression d'une occasion manquée, mais il aurait été difficile de prendre une de ces créatures par surprise et elle n'était pas assez désespérée pour tenter un acte suicidaire.
Elle descendit l'échelle avec un peu d'appréhension quant à ce qui l'attendait en bas. Elle en profita pour observer rapidement l'état de la paroi en haut du trou, qu'elle espérait irrégulière. Cependant, elle se souvenait qu'aucune lumière ne filtrait, dans sa cellule précédente : le bouchon devait être relativement bien ajusté.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon