La Couronne de Cuivre

Ayant eu tout le trajet pour anticiper les réprimandes dont il allait immanquablement faire l'objet, le rôdeur était dans une disposition d'esprit telle qu'il mit plusieurs secondes à comprendre que Mylène n'était pas sérieuse. Se sentant un peu bête, il répondit d'un ton qui se voulait léger mais qui sonnait tout de même un peu comme des excuses :

- J'imagine que vous auriez été moins contente encore si je vous avez réveillé avant même la minuit : j'ai dû partir précipitamment et je crains que Sylvia ne soit pas contente...

" Hum... je crains aussi..., répliqua la jeune fille avec un sourire malicieux. Et elle doit être d'autant plus furieuse que Martha lui a... hum... fortement recommandé de rester allongée pour le reste de la journée. J'étais là... et je peux dire qu'elle n'a pas apprécié."
Elle haussa les épaules.
" Et elle m'expliqué que vous étiez parti au milieu de la nuit, je comprends bien. D'ailleurs j'ai failli aller vous rejoindre aujourd'hui, j'aurais trouvé votre cachette je pense. Je voulais même vous amener des provisions, mais quand je suis passé la prévenir elle m'a dit que vous reveniez dans la journée donc que ça n'était pas la peine. Donc voilà, vous m'avez encore privé d'une bonne occasion de courir les bois !"

Aïe, ces nouvelles informations donnaient à penser que Sylvia serait probablement à bout de nerf et elles donnaient un relief encore plus particulier à la courte missive envoyée le matin-même. Il demeura pensif un instant avant de répondre d’un ton un peu gêné :

- Je vais retourner ce soir à la clairière. Je vous aurais bien montré le chemin mais cela signifierait rentrer de nuit ce qui peut être dangereux. Ou peut-être que je peux vous l’indiquer sur notre carte ? Un peu d’aide ne serait pas de refus si vous avez envie de courir les bois mais j’ai un peu peur que Sylvia se sente encore plus frustrée…

" Elle est frustrée de toute façon, que j'y aille ou pas ne change rien, répliqua la jeune fille, philosophe. Mais je veux bien que vous me l'indiquiez sur la carte... De toute façon, il suffit de chercher à se rapprocher de la zone incendiée j'imagine ? Je vous dirais bien de me montrer ce soir, mais j'ai peur que ma mère s'angoisse de me savoir dans les bois la nuit. Il parait qu'il y a davantage de morts-vivants, ce que je veux bien croire, meme si je n'ai jamais vérifié par moi-même... d'ailleurs j'en ai rarement croisés.
Elle haussa les épaules et questionna avec curiosité.
" Et vous avez besoin de moi pour quoi, exactement ? Pour chasser des goules ?"

Le demi-elfe considéra longuement la jeune-fille avant de répondre d'un ton sincère.

- Pour ne rien vous cacher, j'aurais surtout besoin de quelqu'un qui m'aide à retourner la cendre, dégager quelques cadavres, m'aide à me ravitailler et oui, détruise quelques squelettes et goules. Mais ces derniers ne se montrent que la nuit. Vous voyez que je vous ai fait une fleur en vous posant un lapin !

" Une fleur, une fleur... Bah, vous avez filé plus tôt pour massacrer du mort-vivant, à tous les coups, et moi j'en aurais bien fait autant !"
Elle eut le bon goût de rougir un peu de son arrogance.
" Enfin, même si je n'ai pas forcément tant d'expérience... Mais il faut bien la gagner, l'expérience ! Donc il faudrait que j'y aille la nuit ! Et ma mère ne voudra pas ! Vous voyez mon dilemme?"
Elle leva les bras en un geste théâtral, presque comique. Elle devait avoir à peine vingt ans.
" Et vous, vous me proposez juste de déblayer des cadavres et des cendres... Bah c'est nettement moins passionnant. Et les cadavres... j'aime pas trop. Mais les cendres, je veux bien aider."

Kasumi lui proposa de discuter sur le chemin tout en commençant à se diriger vers chez Martha.

- Je vous déconseille d'approcher seule de la forêt après la tombée de la nuit. D'ailleurs, le conseil vaut pour tous les villageois : il y a beaucoup de mort-vivants et j'en ai identifié la cause. J'ai une bonne expérience de ce type de créatures mais elles ont bien failli me surprendre plus d'une fois. Bref, si en combattre vous démange, nous irons ensemble mais ne tentez surtout pas de vous rendre à la clairière en fin d'après-midi.

" Vous, vous y allez bien seul !, bougonna-t-elle, plus pour la forme que par réelle frustration sans doute. Et vous êtes toujours vivants, on dirait ! Enfin, sauf si vous êtes en réalité un zombie et que je n'ai rien vu... Mais non, vous n'avez pas l'odeur. Ça pue, j'imagine, un zombi ? "
Ses bavardages incessants les amenaient à proximité de la maison de Martha. Celle-ci était dehors, en train de bêcher son jardin, et Mylène oublia un instant les morts-vivants pour héler joyeusement la vieille femme qui sursauta, surprise.
" Ah, vous voilà ! Sylvia m'a dit que vous ne tarderiez guère... Elle est dans la chambre, entrez donc ! Je ne vous accompagne pas, j'ai les pieds tout glaiseux...
- Bon, je suppose que vous avez à vous dire des choses qui ne me regardent pas, c'est ça ?, lança Mylène.

Avant de la quitter, le rôdeur se permit tout de même une dernière mise en garde comme s'il craignait de la voir se lancer tête baissée dans la forêt. Il n'avait rien moins qu'envie de l'y retrouver en difficulté ou pire :

- Je n'y vais pas seul. En tous cas quand j'ai le choix et la plupart du temps depuis quinze ans. Prenez le temps d'apprendre, Mylène. Je vous y aiderai.

Ensuite de quoi il se dirigea vers la maison non sans oublier de se frotter consciencieusement les pieds avant d'y pénétrer.

Mylène décida de rester bavarder dehors avec Martha tout en l'aidant à jardiner -d'entre ces deux activités, le bavardage avait clairement la priorité-, et Kasumi entra donc seul dans la salle commune, d'où il se dirigea vers la chambre.
Il trouva Sylvia allongée sur le lit, peut-être un peu plus pâle qu'à l'accoutumée, mais surtout de fort mauvaise humeur à en juger par ses lèvres pincées.
" Ah, tu es là... fit-elle simplement. En coup de vent, c'est ça ?, poursuivit-elle d'un ton un peu acide.

Sa colère était bien naturelle. A la mesure de son inquiétude et aussi de sa frustration. Kasumi esquissa une grimace désolée et s'assit doucement sur le lit avant de répondre d'un ton penaud :

- Sylvia... Je suis désolé pour l'autre soir. Je n'aurais pas dû partir en catimini même si j'étais paniqué.

Il aurait eu envie d'en dire plus, de lui assurer que les choses allaient bientôt se tasser. Que les malarites étaient partis et que les plus grosses difficultés étaient donc derrière lui. Mais il n'avait pas envie de faire des promesses qu'il ne tiendrait pas une fois de plus. Il ne voulait pas risquer de lui donner de faux espoirs. D'autant que les paroles semblaient creuses et vides de sens face à son désarroi.

" Oui, t'aurais pas dû ! répliqua-t-elle d'un ton dur. Je n'en croyais pas mes yeux en voyant le lit vide, la maison vide... J'imaginais, je ne sais pas... que j'aurais eu droit à plus d'égards et moins de mépris ! Mais non, tu ne t'es même pas soucié de me prévenir, t'es parti comme ça... comme si je n'existais pas ! C'est... blessant, tu comprends ?"
Kasumi avait bien pressenti ce qui avait provoqué la colère de la jeune femme...

Le demi-elfe n’osa pas croiser son regard et ne se risqua pas à essayer d’argumenter qu’il n’avait pas voulu la réveiller au beau milieu de la nuit. Il comprenait qu’il aurait dû le faire, qu’elle l’avait interprété comme un manque de confiance en elle. Alors, il répondit d’un ton sincèrement attristé :

- Je n’avais pas l’intention de te blesser mais oui, je comprends…

" C'est pas parce que je suis enceinte que je suis en verre !, poursuivit la jeune femme. Si j'étais dans mon état normal, tu m'aurais réveillée et on y serait allés à deux ! Là, tu me traites comme une gosse qu'on laisse à l'écart..."
Elle gardait les lèvres serrées, mais son ton était cependant un tout petit peu moins virulent. Son état et son incapacité à aider était certainement pour quelque chose dans sa frustration.
" Et là, tu m'envoies un mot où tu dis juste que tu repars..."

Kasumi trouva cette remarque quelque peu injuste mais il la mit sur le compte de la frustration et ne chercha pas à ajouter au calvaire enduré par sa compagne. Il répondit simplement d'un ton patient :

- Les Malarites et autre chose ont attaqué l'arbre l'autre nuit. Si le sylvanien n'avait pas été là, tout aurait été détruit. Malheureusement, des mort-vivants attaquent encore chaque nuit et continueront à le faire tant que tout n'aura pas été nettoyé. C'est pour ça que je dois y retourner si vite. Et si je n'avais pas écouté mon cœur, je n'aurais pas dû revenir à Peyregorde l'autre soir. J'ai relâché ma vigilance et c'est arrivé. J'adorerais que nous puissions régler cela ensemble mais ce n'est pas possible. Et personne d'autre ne peut m'aider ici : il n'y a que des villageois. Aucun ne sait se battre pour me remplacer.

" Ouais, je sais, tu es irremplaçable...", bougonna-t-elle.
Elle soupira, et reprit d'un ton un peu plus calme..
" Je comprends bien, tu sais, que tu n'as pas le choix, qu'il faut que tu le fasses, que c'est important... Mais c'est terriblement frustrant pour moi, d'être obligée de rester à l'écart. Alors, simplement.... si tu pouvais éviter d'en rajouter en oubliant de me tenir au courant quand tu pars... Enfin, voilà, quoi..."

Kasumi prit cette fois sa main dans la sienne et répondit d'un ton apaisé lui aussi :

- Je suis vraiment désolé. Cela ne se reproduira plus. J'ai vraiment paniqué quand j'ai vu dans ma tête cette image de coup de hache mais je n'ai pas d'excuses : je devrais pourtant savoir que je peux me reposer sur toi.

" Non, tu n'as pas d'excuse, confirma-t-elle, péremptoire. Et j'espère bien que tu ne me referas jamais un coup pareil !"
Elle se tut et laissa le silence s'installer. Elle n'avait pas cherché à esquiver lorsqu'il avait pris sa main dans la sienne, et elle finit par la serrer doucement, peut-être en signe de paix ou à la recherche de réconfort.

Kasumi encaissa la critique sans broncher et choisit de voir le geste de sa fiancée comme un signe d'apaisement. Il demeura un moment silencieux à son tour. mais ne laissa tout de même pas l'atmosphère devenir encore plus pesante en changeant de conversation :

- Akuburanar - c'est le nom du sylvanien - a vu les malarites survivants partir avec leurs bagages vers le sud. Je crois que je devrais écrire à Respelm pour le leur signaler. Il m'a aussi conseillé de m'occuper de dégager les cendres autour de la clairière pour favoriser la repousse de la barrière végétale.

" D'accord", répondit Sylvia d'un ton un peu distant, sans grand entrain.
Comme si ces nouvelles n'étaient, finalement pas vraiment importantes, et peut-être était-ce le cas à ses yeux.
" Et tu n'as pas tort, tu devrais avertir Respelm... D'ailleurs, à ce sujet, je suppose que Bertrand et son garçon sont rentrés. Je n'ai pas eu de nouvelles. Mais ils seront heureux d'apprendre que les malarites sont partis. Tu en es vraiment sûr ?"

- On ne peut malheureusement être sûr de rien avec ces engeances mais c'est tout de même bien possible. Peut-être aurais-je le temps de tout nettoyer maintenant qu'ils ne me mettront plus de bâtons dans les roues.

Il marqua une pause avant de reprendre d'un ton hésitant, ne sachant pas comment la rôdeuse réagirait :

- Je pensais demander un peu d'aide au village pour avancer plus vite. Mylène a l'air motivée et il y a aussi Bertrand qui s'était proposé.

La rôdeuse afficha un visage aussi neutre que possible.
" Bah, s'ils se sont déjà proposés, ils seront d'accord, non ? Puis l'avantage, c'est que tu auras plus vite fini... Je ne me rends pas vraiment compte de ce que ça représente, je dois dire. D'ici, on a vu quelques volutes de fumée, on sait que ça a brûlé, mais on ne connais pas l'étendue des dégâts..."

Kasumi sentait que savoir que d'autres l'accompagneraient renforçaient encore son sentiment de frustration mais il avait voulu se montrer honnête avec Sylvia.

- Disons que le plus grave est que le chêne est désormais clairement visible à des lieues à la ronde et cela attire tous les morts-vivants des environs. D'autant plus qu'ils s'accumulent aux alentours de la résurgence. Je pense qu'il y a beaucoup de travail mais on connaîtra peut-être une longue accalmie quand j'aurai réglé ces deux problèmes.

" Même si tu enlèves les cendres, ça va prendre du temps pour que la végétation repousse. Si le souci c'est que le chêne soit trop visible, je ne vois pas trop ce que tu peux faire..."
Elle soupira.
" Ça veut dire... que tu vas encore passer longtemps toutes tes nuits là-bas à chasser les morts-vivants?"

Il soupira lui aussi, navré. Il ne voulait pas faire des promesses qu'il ne saurait tenir mais il tenta tout de même de redonner une lueur d'espoir à sa compagne :

- Je compte avancer au maximum avec les cendres avant les prochaines pluies. Ensuite je pourrai me consacrer à nettoyer la résurgence. Elle a été maudite alors je devrai peut-être faire appel à Aïdan mais il n'y aurait peut-être plus de mort-vivants à combattre après cela... Enfin, pour un temps.

Elle haussa les épaules.
" Mwouais. En fait tu n'en sais rien. Ce sont des peut-être, des espérances... Tu te dis qu'il devrait y en avoir moins, ou même plus pendant un temps, mais comme tu ne pourras pas en être sûr tu vas rester sur le qui-vive, y aller sans cesse... Mais jusqu'à quand ? Tu ne peux quand même pas passer ta vie entière au chevet de ce chêne !"

Il ne pouvait pas vraiment démentir et il sentait que Sylvia ne voulait pas entendre que la situation finirait par se stabiliser plus tard. Elle avait besoin d'éléments plus concrets auxquels se raccrocher :

- D'après Akuburanar, le chêne pourra se défendre seul après la Longue Nuit. Et il se pourrait qu'il attire rapidement une dryade pour veiller sur lui. D'ici là, je vais être forcé de rester vigilant et si le chêne m'appelle en cas de danger, je ne pourrai pas me dérober.

" Oui, sauf que s'il t'appelle et que tu es à trois heures de marche, tu y seras trop tard... Donc tu es obligé de rester là-bas tant que tu n'es pas certain qu'il pourra se défendre seul. Et puis, d'ailleurs, comment tu vas déterminer qu'il peut se défendre ? A la taille de son tronc ? Ou juste faire confiance à cette date fatidique de la Longue Nuit ? C'est dans quelques jours seulement... Si je pouvais être sûre que tu pourras revenir après... Tu imagines, s'il faut attendre encore des mois ou un an de plus, si par exemple tu ne vois aucune modification à cette date ?"

Cette fois il se tourna pour la regarder droit dans les yeux et saisir ses deux mains :

- Il ne faudra pas autant de temps, j'en suis certain. Et je tiens à être à tes côtés pour quand le bébé viendra. Et aussi que notre cabane soit prête avant cela. Nous trouverons des solutions pour la clairière s'il le faut.

" J'espère bien. Ça... m'inquiète un peu, tout ce temps que tu passes là-bas, cette flamme qui t'habite et que je ne me souviens pas avoir déjà vu en toi. J'ai parfois l'impression de passer au second plan de tes préoccupations... et je vois bien que c'est important pour toi, aussi, que je ne dois pas contrarier ça, mais... c'est déstabilisant."
Elle avait retrouvé son calme, mais son ton était encore imprégné de tristesse.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde