[Lieu] La ferme Desmoulins

[Taliesin]

Spontané, il tendit la main, lui serra brièvement le bras.
-S'il s'avère que tu ne m'en as jamais parlé... S'il s'avère que j'ai vraiment été témoin de cet épisode par quelque phénomène magique... Je voudrais que tu saches que je n'y suis pour rien et que tout cela m'embarrasse beaucoup. Bien sûr, à l'instar de tous les bardes, je suis curieux, mais je n'ai jamais cherché à apprendre ce que l'on ne voulait pas me révéler, et cette position d'espion malgré moi...
Il secoua la tête.
-Bref, je suis désolé. Vraiment. Mais j'aime autant que vous soyez tous deux au courant.

[Galathée]

Guéric et Galathée se regardèrent à nouveau, puis revinrent au barde.
" Ce n'est pas comme si j'avais de nombreuses choses à cacher, mais... commença la rôdeuse.
- C'est quand même un peu bizarre... Est-ce qu'on ne pourrait pas...
- ...consulter quelqu'un ? Je dois dire... que tu sois dans la peau d'une bestiole, c'est étrange, mais à la limite... Soit. Tu aurais pu te retrouver dans un rôle beaucoup moins... agréable..."
Elle frissonna.
" Tu n'as jamais rêvé deux fois de la même personne, si ? Je veux dire... de cette manière particulière ?" demanda le halfelin.

[Taliesin]

-Non, jamais. Et je ne crois pas que cela se produira.
Il songea à leur parler de cette entité à la fois intérieure et extérieure qui lui "parlait", du choix du vecteur et de la teinte... Mais tout cela était si nébuleux, si troublant...
-Je pense que je ferai dix rêves en tout et qu'ils concerneront dix personnes différentes, dit-il simplement. Et ce dont je suis sûr, c'est que mon but sera toujours positif : il s'agira de soutenir, d'aider, voire d'instruire... Ce rôle bienveillant rend d'ailleurs ces intrusions dans la vie d'autrui un peu moins... embarrassantes.
Il marqua une courte pause.
-J'aimerais comprendre à quoi tout cela rime, mais je doute qu'il soit prudent d'en parler à l'extérieur pour le moment. Si les autorités luméniennes apprenaient que j'ai... ou qu'on me confère... un tel pouvoir, elles pourraient estimer que je représente une menace et tenter d'interrompre le phénomène; Or, je crois... je sais... qu'il est impératif qu'il aille à son terme.

[Galathée]

A nouveau, Guéric et Galathée demeurèrent silencieux. Puis le halfelin finit par sourire.
" Où l'as-tu pêché, déjà, Galathée ?
- A Manost, au départ. Il y tutoyait déjà les dieux.
- Je vois."
Il leur servit une rasade d'eau-de-vie.
" Soyons sérieux une seconde. Je paierais cher pour connaître un ou deux secrets truculents de certaines de tes connaissances. Evidemment, je ne peux pas savoir de qui tu vas rêver, encore. Et bon... pour l'heure, c'est des trucs de mômes, si je comprends bien. Mais si tu découvrais par hasard quelque chose de savoureux sur une huile... car des huiles, tu en connais, bien sûr... Je suis preneur. Ton prix est le mien."

[Taliesin]

L'elfe sourit.
-Et que fais-tu du secret professionnel ? Les bardes ne sont pas censés révéler tous les secrets qu'ils découvrent et je reste barde même quand je dors... Mais ne sois pas trop déçu : mes songes ne concerne que des gens dont je suis proche et aucune huile n'en fait partie. Absolument aucune. Sinon, ma situation serait moins précaire... En fait, la seule personne très haut placée avec laquelle je m'entendais vraiment bien, le conseiller Folken, l'un des dirigeants de Manost... Il s'est volatilisé sans laisser de traces.
Et Taliesin était sans doute le seul à savoir pourquoi.

[Galathée]

Ni Galathée, ni Guéric ne parurent reconnaître le nom.
" Mouais, dit le halfelin. T'as raison, ça va pas le faire. Et arrête avec tes secrets professionnels. Les bardes sont des pipelettes, tout le monde sait ça. Ce sont les courtisanes, qui sont muettes comme des tombes. C'est nécessaire dans le métier. Vous, vous êtes les rois de l'indiscrétion. C'est nécessaire. Les plus doués dissimulent leurs racontars sous des dehors métamorphosés. Les autres se font porteurs de bruits et de rumeurs. Faut bien : y'a pas des masses de journaux qui circulent, alors..."

[Taliesin]

-Je t'accorde que telle est notre réputation et que nombre d'entre nous y sont on ne peut plus fidèles, admit-il, souriant. Néanmoins, il y a de nombreuses exceptions à la règle : par exemple, certains s'intéressent bien davantage à l'histoire, aux contes et aux légendes qu'à l'actualité, aux ragots mondains... Et puis, de manière plus générale, notre proverbiale indiscrétion est sélective : déballer sur la place publique les secrets de ses proches ou de ses employeurs serait ainsi une lourde, très lourde erreur...

[Galathée]

" Ah, mais j'ai toujours pensé que tout l'art était de ne pas apparaître comme la source du racontar..." dit Guéric en riant.
Il haussa les épaules.
" Je ne sais pas bien quoi te dire pour ces rêves étranges. Je ne suis ni clerc, ni mage, et Galathée pas davantage."
La jeune femme sourit doucement.
" Si tu penses que c'est dangereux, nous pouvons peut-être en référer à quelqu'un..."

[Taliesin]

-Je ne sais pas si ça l'est. Intriguant, déconcertant, mystérieux, cent fois oui, mais dangereux... Je n'en ai pas l'impression.
Il lui retourna un sourire tranquille puis se fit plus grave.
-Et j'aimerais autant que cela reste entre nous. Je suis peut-être trop anxieux mais, comme je le disais tout à l'heure, je préfère vraiment que les autorités de Luménis n'entendent jamais parler de ce phénomène. Sinon, cela risquerait de rendre ma situation plus précaire et, pire encore, si des mesures sont prises, d'interrompre ces songes. Or... J'ai la conviction qu'il faut qu'ils continuent.
Ce qui doit vivre va mourir, songea-t-il. Mais tu peux être notre champion.

[Galathée]

" Je ne vois pas le rapport... dit Galathée. Mais je comprends que tu ne veuilles pas prendre de risques.
— Je pense que tu seras un peu plus au clair quand tu auras pu parler à ton avocat... Sur les tendances... Tout ça... Enfin, je n'y connais rien."
Ils demeurèrent silencieux quelques secondes.
" Bon... Mais je ne sais pas... Est-ce que tu as rêvé de nous à des moments particuliers ? Pour nous, je veux dire ? Ou alors c'était sur le bateau, c'est ça ?"

[Taliesin]

-Le songe te concernant, je l'ai fait au Comptoir des Transparences, juste après que nous ayons libéré Deverell. Quant à cette fameuse nuit sur le bateau, j'ai rêvé de Valaellyn puis de Galathée. Je n'ai donc pas l'impression que cela se produise à des moments spécifiques ou en rapport avec ceux que je suis amené à aider de cette façon...
Il haussa les épaules, se tourna vers sa compagne.
-Ce que je voulais dire à propos des autorités, c'est qu'elles pourraient voir d'un mauvais œil le fait que je sois potentiellement capable de voir le passé et, surtout, d'influer sur lui, aussi peu que ce soit. Elles seraient donc susceptibles de prendre des mesures pour stopper le phénomène. Il doit bien y en avoir, surtout dans une ville dotée d'une importante université dévolue à la magie. Sans compter les temples...

[Galathée]

" Nous n'en parlerons pas, de toute façon. Mais si le phénomène devient envahissant... Il faudra quand même que tu te penches dessus, dit Galathée. Ça ne me parait pas complètement anodin. Même si je sais que tu en as déjà vu d'autres..."
Guéric sourit.
" Moi il ne m'arrive jamais rien de ce genre, je suis foutrement jaloux !"

[Taliesin]

-Tu ne devrais pas dire ça car de même que j'ai tendance à transmettre ma guigne, il n'est pas rare que mon entourage soit l'objet d'étranges phénomènes...
Son sourire se fit espiègle.
-Et si tu es vraiment en manque d'extraordinaire, prends patience ! Si j'arrive à maîtriser les secrets de l'ouvrage que m'a offert Tim, j'aurai accès à des sortilèges extrêmement puissant. Peut-être même, à terme, serai-je capable de voyager dans les plans... Si ça t'intéresse, je pourrai t'embarquer.

[Galathée]

Ce fut au tour de la rôdeuse de grimacer.
" Je pensais que nous en avions terminé avec les aventures folles, dit-elle, sur un ton dépité.
— Galathée, ma pauvre, je ne suis pas certain que tu aies complètement réalisé avec qui tu t'accoquinais.
— Est-ce qu'on n'a jamais sa dose ?
— Peut-être pendant quelques mois, voire un an ou deux, si tu as de la chance... Mais c'est un elfe... Un elfe, je ne sais pas comment ça fonctionne."

[Taliesin]

-Bigre, pourquoi toujours réfléchir en termes de race ? Bien des elfes ne quittent jamais l'endroit où ils sont nés et ne vivent pas la moindre aventure ! Me concernant, c'est surtout ma profession et mes origines qui ont joué : d'une part j'étais un barde itinérant, d'autre part je devais retrouver les survivants de ma cité natale. Bref : j'ai passé ma vie par monts et par vaux, ce qui explique qu'ele ait été si pleine de péripéties.
Il dédia un sourire réconfortant à sa compagne.
-Et sérieusement, j'en ai eu mon content, si bien que je signerais tout de suite si l'on me disait que les années à venir seront calmes, paisibles et qu'elles se dérouleront entre ici et Luménis.

[Galathée]

Ses paroles ne parurent rassurer la rôdeuse qu'à moitié, mais elle lui jeta un brave sourire.
" En parlant d'aventure, dit-elle finalement, que vas-tu faire de ta dernière journée en campagne, Guéric ?"
Le halfelin haussa les épaules.
" Je n'en sais rien, je dois dire. Me lever tard. Profiter du plancher des vaches. De la bonne cuisine de Baptiste et Mathilde. Ce genre de choses."

[Taliesin]

-Nous veillerons à ce que tu sois dispensé de toute tâche agricole ou domestique : tu en as déjà assez fait comme cela.
Le séjour du halfelin n'avait en effet pas vraiment eu l'air de vacances, en tout cas si l'on considérait celle-ci du point de vue de la pure détente plutôt que du simple changement d'activités.
-Peut-être même monterons nous des caves un bon cru... Tout pour te donner envie de revenir, en somme !

[Galathée]

Guéric rit joyeusement.
" Je dois dire que cette petite eau-de-vie va me manquer plus que le vin. Je ne suis pas de la haute, moi, vois-tu. J'aime la bière et les alcools rudes. Les grands crus... Je ne suis pas certain que je serais capable de distinguer une piquette d'un Castel Margelle. Enfin. Peut-être que si, quand même. Mais bref... Ne va pas gaspiller les trésors de la cave sur mon palais. Je préfère penser à ce que Guillhem aura distillé la prochaine fois que je viens."
Le fermier terminait de se faire laminer par son fils et tourna la tête en entendant son nom.
" On parle de moi ?
— De tes oeuvres alcoolisées.
— Hum. Je ferai mieux avec les pommes, je peux te le garantir."

[Taliesin]

-Avec les poires aussi, j'espère, car on en tire d'excellents alcools ! dit-il, joyeux. Ceci dit, l'eau-de-vie actuelle est déjà très bonne, et je ne dis pas ça juste pour te faire plaisir.
Traversé par une pensée subite, il se tourna vers Galathée : n'était-ce pas le bon moment pour parler du parrainage ? Si, sauf qu'ils n'avaient pas encore décidé pour lequel des jumeaux serait désigné chacun de leurs deux amis... Bref, il faudrait donc sans doute attendre le lendemain.

[Galathée]

Elle échangea un regard avec lui et opina du chef. Elle avait manifestement la même idée que lui et l'intention qu'il prenne la parole. Sans doute le choix du jumeau lui paraissait-il un peu aléatoire, vu l'âge qu'ils avaient, à moins qu'elle n'estime que Taliesin soit parfaitement qualifié pour choisir. L'un dans l'autre, elle paraissait attendre quelque chose de sa part. Antoine était en train de ranger le jeu tandis que Guillhem et Guéric parlaient d'alcool de châtaigne...

[Taliesin]

Puisqu'il en était ainsi, Taliesin acquiesça a son tour puis, profitant du temps que mettait l'adolescent à ranger le jeu, il réfléchit à la manière dont il ferait l'annonce. Il songea d'abord à quelque chose d'un peu solennel, d'un peu formel, puis se dit que, venant de lui, ça ne paraîtrait pas très naturel. Aussi opta-t-il pour une approche lui collant mieux.
[color=#FFFFF66]-Vous me donnez rudement soif, à parler eaux-de-vie...[/color] dit-il quand Antoine se fut éloigné et qu'il y eut une pause dans la conversation des deux hommes. Mais on ne peut pas décemment boire sans raison, n'est-ce pas ? Cela confinerait à l'alcoolisme...
Il prit une profonde inspiration.
-Voilà. Comme il n'est pas sûr que Galathée et moi ferons de bons parents, comme nous ne voudrions pas être les seuls responsales d'un potentiel fiasco... Guilhem, Guéric, nous aimerions que chacun d'entre vous soit le parrain de l'un des jumeaux.

[Galathée]

Les deux hommes les dévisagèrent, surpris. Guillhem s'empourpra et il parut immédiatement à court de mots. Guéric, par contre, s'illumina d'un large sourire.
" Ah ! Il était temps ! Je me demandais quand vous alliez enfin vous décider à me le demander ! s'exclama-t-il avec humour.
— Je suis très touché, murmura Guillhem. Mais... vous êtes sûrs ? Je veux dire... Je ne suis qu'un simple fermier..."

[Taliesin]

-Et c'est un métier qui demande autant de courage et mérite autant de respect que les nôtres, répondit-il, sérieux. Mais tu es surtout notre ami, ce qui est vraiment très important pour nous. Alors oui, nous en sommes sûrs et certains.
Il jeta un regard à Guéric, faillit lancer quelque plaisanterie à son propos mais, contrairement à son habitude, préféra s'abstenir et se tourna plutôt vers Galathée.

[Galathée]

Galathée croisa son regard et rougit.
" Heu... mais c'est toi, le porte-parole..."
Elle sourit et se tourna vers les deux autres.
" Merci d'accepter... C'est très important pour nous et... nous sommes heureux de pouvoir vous intégrer de la sorte... à notre famille."

[Taliesin]

Il lui dédia un clin d’œil, manière de lui dire :"Tu vois que tu t'en es bien sortie !". Puis il refit face à leurs amis.
-Oui, merci beaucoup, dit-il à son tour, un peu solennel cette fois.
Mais cette solennité ne dura qu'un instant.
-Et que diriez-vous de trinquer, à présent ?

[Galathée]

Guillhem s'était levé et il alla dans le buffet voisin pour en sortir une bouteille aux reflets roux. Guéric secoua la tête et croisa les bras.
" Il n'est pas question que je trinque avant de savoir de quel moutard j'ai écopé ! Imagine que ce soit celui que j'aime le moins..."
Le fermier parut scandalisé. Galathée rit de bon coeur.
" Non, mais sérieusement !"
Sérieux, il ne l'était pas, bien sûr.

[Taliesin]

-Spontanément, je t'aurais bien refilé Tristan : si un jour tu veux l'enrôler dans ton équipage, ce sera plus simple puisque les marins sont superstitieux et n'aiment guère avoir des femmes sur leur bâteau. Et puis, je me disais qu'une fille, ça changerait un peu pour Guilhem, vu sa cohorte de garçons... Mais après, si vous voulez faire autrement, cela ne poserait aucun souci. Enfin, à part si vous n'arrivez pas à vous mettre tous les deux d'accord. Mais si cela devait advenir... Bah, vous jouerez à qui tient le mieux l'alcool, et le gagnant aura le dernier mot.

[Galathée]

" Je te signale que mon capitaine est une femme, Taliesin. Si jamais elle t'entend lui sortir ce genre de vieilles sornettes, tu risques de faire la course avec les requins avant d'avoir pu dire "plouf". Mais bon, c'est vrai que tu as une certaine expertise des aventures sous-marines, désormais. J'imagine que présenté comme ça, c'est presque tentant.
— Je suis honoré, dit Guillhem. Et ravi. Une petite fille... Je n'ai plus l'habitude, mais je ferai de mon mieux.
— Moi aussi. Cela va sans dire. Mais permets-moi juste de te dire que si tu espères par là que ton fils sera un aventurier sur les mers et ta fille une femme sédentaire... Généralement, ça se passe juste à l'inverse."

[Taliesin]

Il sourit à Guilhem, ravi lui aussi de sa réaction. Puis, au halfelin :
-Nos enfants suivront la voie qu'ils voudront, je ne chercherai pas à leur en imposer une.
L'instant suivant, il croisait les bras.
-Saches malgré tout que si tu t'avises de pousser ton filleul à naviguer sur toutes les mers de Toril... Je t'égorge et je sers ta dépouille lors d'un grand banquet familial. Tout au plus es-tu autorisé à l'encourager à faire du cabotage sur la rivière bordant la ferme. Et encore, sans s'éloigner de plus d'une toise des limites du domaine.

[Galathée]

" Tu viens de dire que tu l'avais choisi pour qu'il puisse voguer avec moi ! Faites ce que je dis pas ce que je fais, hein ! Sacré Taliesin ! Ton gamin ira se balader dans les plans, comme toi, voilà ! Tirer la queue des cornugons et faire la nique aux baalors ! Tu ne mérites rien d'autre !"
Guillhem leur avait servi à chacun un verre de sa boisson ambrée, qui se révéla sucrée et puissante. Galathée toussa légèrement.
" Un alcool d'amandes. Bouse ! Tu sais y faire, l'ami !
— Ce n'est pas moi qui le fais, celui-ci. C'est notre voisine, Milicent aux cochons. Mais à vos enfants, Taliesin. A vos enfants !"
Il leva son verre et but à son tour.