La Couronne de Cuivre

Ainsi le problème était plus profond qu’il ne l’avait d’abord soupçonné. C’était bien sa dévotion bien plus assidue qu’auparavant qui semblait inquiéter Sylvia. Cela lui fit prendre conscience qu’il avait effectivement changé ces derniers temps, qu’il priait bien plus souvent Mielikki et sentait plus proche d’elle qu’il ne l’avait jamais été. Et encore, c’était sans compter sur les manifestations surnaturelles auxquelles il avait assisté depuis que Celd lui avait confié le gland.

En tous cas, il ne sut quoi répondre à cette déclaration inattendue. Si ce n’est quelques mots sincères :

- Même si je ne passe pas autant de temps que je voudrais avec toi, tu ne passes pas au second rang de mes pensées. J’aimerais pouvoir partager tout ce que je construis en ce moment avec toi et je me dis que nous le pourrons, après l’arrivée de notre enfant. Et qu'il en profitera lui aussi indirectement quels que soient les choix qu'il fera.

Elle haussa les épaules.
" Oui, sans doute... Et... Il faut que je m'y fasse, je suppose..."
Elle semblait un peu dubitative, et se blottit contre lui.
" J'imagine que moi aussi, j'ai changé, à penser sans cesse à ce bébé qui arrive. Je parle couture et ameublement, tu imagines ? Je me reconnais à peine... Mais toi, tu ne partages pas vraiment cela, et ce n'est pas possible, puisque tu ne le sens pas bouger en toi... Et je suis un peu frustrée de te voir, toi, te tourner vers une autre source de préoccupation, qui semble tout aussi... je ne sais pas... Intense ? En fait, ça fait drôle de nous voir nous tourner tous les deux vers des choses différentes... J'ai peur que ça fragilise notre couple. Ou peur, peut-être, que... ce soit un moyen inconscient de fuir la paternité ? Il parait que ça arrive..."

Kasumi lui rendit son étreinte avec abandon comme pour mieux la rassurer alors qu'il répondait d'un ton empreint de gravité :

- Devenir mère est une expérience que je ne pas partager. Cela t'appartient. Mais je rêve moi aussi de cet enfant. Je sais que je serai prêt à l'accueillir et à lui donner tout mon amour. Surtout avec toi à mes côtés pour l'élever. Tu ne dois pas en douter...

Il mit sa main sur sa joue pour la caresser distraitement et tenta un pauvre sourire.

Elle lui retourna un sourire, un peu forcé peut-être, avant de lâcher un soupir.
" De toute façon, je sais bien que tu seras fou d'amour pour lui dès qu'il sera là, comme tous les pères ! lança-t-elle d'un ton plus optimiste -trop forcé peut-être. Mais c'est loin, encore, et pendant ce temps, parfois tu me manques... Mais heureusement, lorsque je pense au bébé, tout le reste devient secondaire. Et c'est heureux, sinon le temps me durerait trop pendant tes absences."
Elle posa la main sur son ventre.
" Il parait qu'il est gros comme un melon..., fit-elle rêveuse. Et là, j'ai vraiment un gros ventre, je ne peux plus cacher mon état..."
Parler du bébé faisait briller ses yeux d'un éclat de bonheur. Il fallait reconnaître que sa silhouette avait beaucoup changé pendant ces veilles ou il avait peu été présent.

Il posa lui aussi une main sur ce ventre rebondi qui abritait leurs espoirs et répondit d'un ton plein de sincérité et de sollicitude :

- Et je ne vois aucune raison de le cacher : je te trouve de plus en plus merveilleuse !

Il se pencha pour poser ses lèvres sur le bout de son nez.

Elle lui retourna un léger baiser sur les lèvres, se redressant davantage. Puis il la vit grimacer et se reculer.
" Saleté de douleur... Hum... Martha dit que je dois rester allongée toute la journée, et pour le coup elle n'a pas tort... J'aurais pourtant bien voulu t'accompagner..."

Il lui sourit à nouveau mais cette fois sans joie. Il aurait aimé pouvoir la soulager mais il fallait bien reconnaître son impuissance en la matière :

- Moi aussi, j'aurais aimé mais ce temps viendra. Je te le promets.

Il savait qu'il ne pourrait pas passer plus de deux ou trois heures au village pour ne pas risquer d'arriver après la tombée de la nuit mais il avait tout de même l'intention de s'attarder encore quelques minutes avec sa compagne. Les moments qu'ils pouvaient passer ensemble étaient décidément trop rares.

Elle se contenta de se blottir à nouveau contre lui, un peu pâle, et de fermer les yeux.
" Ca fait du bien de te revoir... et de te sentir tout contre moi, finit-elle par murmurer. Je pourrais rester comme ça indéfiniment."
Au-dehors, il entendait le bruit plus ou moins régulier de la bêche, et, ténu, le murmure de la conversation entre Mylène et Martha. L'instant était paisible, et il n'était pas si pressé....

Non, il n'était pas pressé à ce point... Ils restèrent donc enlacé un bon moment et sans plus un mot, juste pour profiter du simple plaisir de passer quelques instants ensemble. Pour un temps, Kasumi en oublia même l'autre raison de sa présence à Peyregorde mais cela n'avait plus d'importance pour une heure ou deux.

Il devina, à sa respiration régulière, qu'elle était en train de sombrer dans la somnolence. Au-dehors, des pas se firent entendre dans l'allée de gravier qui menait au jardin, et il entendit la porte d'entrée s'ouvrir. C'était Martha, sans doute, qui, discrète, ne vint pas taper à la porte de leur chambre pour prendre des nouvelles. Il l'entendit plutôt se rendre en cuisine.

Il serait bien resté à ses côtés et se serait laissé aller à l'assoupissement mais l'arrivée de Martha - même discrète - le fit se secouer et il dit d'une voix affectueuse :

- Il faut que je parle à Martha pour les outils. J'essaierais de passer régulièrement : nos moments me manquent cruellement.

" Pas autant qu'à moi, répliqua-t-elle d'une voix un peu ensommeillée. Mais file, va, de toute façon moi je ne dois pas bouger. Je te revois tout à l'heure..."
Il trouva Martha dans la cuisine, comme il l'avait deviné, en train de préparer un petit plateau de biscuits sablés et de jus de pomme.
" Vous tombez bien, lança-t-elle gaiement en le saluant d'un sourire. Portez donc ça sur la terrasse ! Mylène vous attend pour que vous lui montriez la carte..."

La façon dont il se faisait systématiquement mettre à contribution le fit sourire et il s'empara du plateau avec diligence. Sur le chemin de la terrasse, il interrogea tout de même Martha :

- Est-ce que vous sauriez à qui je pourrais emprunter quelques outils ? Il me faudrait une brouette, une bêche et un râteau a minima...

" Hum... Des outils de jardinier... Tout le monde en a, en fait. Vous avez l'embarras du choix ! Vous pouvez prendre les miens par exemple... quoique la brouette de mon frère est sûrement plus solide et plus grande."
Poussant la porte d'entrée, elle lui indiqua la terrasse où se trouvait Mylène, assise à l'ombre de la tonnelle.
" Parce que vous comptez jardiner ? Enfin, si ce n'est pas indiscret... Sylvia disait que vous repartiez, pas que vous alliez lui préparer un potager..."

Le demi-elfe esquissa un sourire amusé et déposa le plateau sur la table avant de répondre :

- Jardiner, oui en quelque sorte. Mais ce n'est pas pour un potager : je compte évacuer le plus de cendre possible avant les prochaines pluies afin de ne pas risquer que la terre autour de mon chêne ne devienne trop acide. Notre potager devra attendre que nous ayons emménagé, j'en ai peur.

" C'est bien mieux ainsi, croyez-moi. J'allais justement vous dire que ça n'est pas du tout la saison propice pour créer un potager ! Attendez l'automne et ses pluies, la terre sera meilleure... Et toi, Mylène, tu vas l'aider ?
- Et oui...
- Je croyais que le jardinage ça n'était pas ta tasse de thé?
- C'est quand même pas du jardinage ordinaire...
- En tout cas, conclut Martha en se tournant vers Kasumi, n"hésitez pas à emprunter la grande pelle à neige de mon frère... Ça peut servir, s'il y a une bonne épaisseur de cendres... Quoique c'est peut-être trop large pour être manié en forêt... Écoutez, faite le tour de ma remise à outil et de la sienne, vous verrez mieux ce qu'on a et ce qu'il vous faut.

Kasumi ne manqua pas de remercier Martha pour son offre généreuse et avait l'intention d'examiner les deux remises aussitôt après la pause thé et biscuits qu'elle avait préparé. Il était également soulagé que Mylène semble toujours motivée à l'aider malgré ses mises en garde et l'annonce d'un programme qui n'avait pas grand chose de l'aventure dont elle rêvait apparemment tant. Ne restait qu'à lui indiquer comment rejoindre la résurgence, seul véritable point d'accès vers la clairière.

Mylène écouta ses explications tout en examinant la carte d'un oeil un peu perdu : elle n'avait visiblement pas l'habitude de se repérer sur un plan, et le rôdeur comprit qu'il devait lui détailler les lieux et lui décrire l'itinéraire du mieux qu'il pouvait. C'était cependant une jeune fille qui avait visiblement bien du mal à tenir en place et à se concentrer durablement : il eut vite la sensation qu'elle décrochait à moitié, reprenant le fil ensuite, et elle finit par résumer ses explications en quelque chose du genre :
" Bref, je rejoins la zone où il y a eu l'incendie, vers le nord en partant de la colline, et en bordure de là où c'est brûlé je devrais apercevoir le chêne quelque part."
Ce qui, somme toute, n'était pas tout à fait faux.
" D'ailleurs, est-ce qu'il reste des choses à dégager, dans la colline ? Vous disiez qu'il y avait des souterrains... faut qu'on aille les explorer aussi ?"
Cette perspective ne semblait pas pour lui déplaire.

Dans l'absolu, il serait toujours intéressant de se rendre au complexe des malarites mais ce ne semblait pas être une priorité dans l'immédiat. Le rôdeur doucha donc ses ardeurs en faisant remarquer que le temps avant la prochaine pluie leur était compté et que l'urgence était donc de s'occuper des cendres avant toute chose.

- En plus, j'ai tout lieu de penser que les malarites ont récupéré les corps des leurs et tout ce qui pourrait être intéressant dans leurs souterrains.

" Oh... Mais faudra quand même aller vérifier j'imagine ? Mais j'ai compris, on commence par les cendres..."
Elle poussa un soupir théâtral, mais sourit.
" Je dois vous rejoindre quand ? Demain matin ? Vous voulez que j'en profite pour amener des provisions ?"

Il répondit en souriant : il pressentait que cette petite allait être bien difficile à contenir !

- Dans l'idéal oui : je n'ai quasiment plus rien hormis quelques baies alors des provisions seront appréciées. Cela m'éviterait des heures passées à les reconstituer. Et si vous pouvez venir demain matin, ce sera parfait je suppose. Le plus tôt nous nous y mettons, le plus de surface nous parviendrons à couvrir avant que les pluies ne dispersent toutes les cendres. Cela dit, attendez tout de même qu'il fasse jour pour approcher de la résurgence.

Martha, qui leur avait servi à tous deux un verre de jus de pomme, sourit de l'impétuosité de la jeune fille, et parut réfléchir un instant.
" S'il s'agit juste de travaux de déblayage, vous ne devriez pas hésiter à demander l'aide des bûcherons. C'est dans leur compétences, et Bertrand a une dette envers vous. Il serait sûrement heureux de pouvoir vous rendre service à son tour... même s'il ne s'agit pas d'un service aussi vital."
Kasumi vit Mylène se renfrogner quelque peu : peut-être s'était-elle imaginée en aventurière quasi solitaire...

Le rôdeur répugnait quelque peu à voir de nombreux bûcherons investir les abords de la clairière alors que le chêne était aussi vulnérable mais il devait bien reconnaître que la proposition de Martha faisait sens : à plusieurs, ils dégageraient une bien plus grande surface rapidement et il pouvait ainsi espérer que la barrière végétale se reconstitue pleinement.

- Les hommes ont certainement beaucoup de travail à rattraper mais j'irai tout de même voir Bertrand au cas où il puisse venir nous prêter main forte pendant un jour ou deux. Mylène saura assurément le guider. Et ne faites pas cette tête : nous aurons bien des occasions de réaliser des tâches plus palpitantes à l'avenir.

" Mwouais..."
Elle ne semblait pas vraiment convaincue.
" Mais je ferai bien de prévenir ma mère et de préparer mon bazar. Y compris des provisions... Donc je vais vous laisser. Si vous avez besoin d'outils, dites-le moi, il y a tout ce qu'il faut à la maison.
- Ici aussi ! Outils et provisions !
- Bon, d'accord, j'ai compris, ma mère ne fais pas le poids au niveau cuisine...
- Oh, je n'ai pas voulu dire ça, qu'est-ce que tu sous-entend ? Et ne t'avise pas de l'embrouiller avec des salades !
- Mais je suis pas comme ça ! je plaisantais, Martha, je te jure !
- Bien sûr... allez, file, petite ! Donne le bonjour à Mireille..."

Le demi-elfe la regarda déguerpir en arborant un air vaguement amusé :

- Les jeunes ! Il va falloir que je fasse attention à elle je suppose : j'ai un peur qu'elle commette une imprudence pour chercher à montrer ses capacités... Mais heureusement, la forêt est bien plus sûr qu'il y a quelques jours. De jour en tous cas.

Il pressentait qu'il n'allait pas pouvoir rester longtemps à bavarder étant donné le programme qui l'attendait encore : entre réunir les outils, quelques provisions, parler à Bertrand puis dire au revoir à Sylvia, il ne faudrait pas lambiner en chemin pour arriver avant la tombée de la nuit.

Martha lui assura qu'elle se chargerait de lui préparer des provisions : elle lui en laisserait un large choix sur la table, il n'aurait qu'à choisir. Pour les outils, en revanche, elle préférait qu'il se débrouille par lui-même et choisisse ce qui lui convenait, tant au niveau de l'usage que du poids ou de l'encombrement. Sa remise était effectivement bien achalandée, et elle l'assura qu'il pouvait quémander ce qui lui manquerait chez Marco -mais en réalité, il s'aperçut vite qu'il ne lui manquerait rien en matière d'outils. En revanche, la brouette de Martha était un peu trop légère, et elle lui conseilla vivement celle de l'ancien chasseur, bien plus solide, qui survivrait certainement mieux à un terrain aussi inégal que l'étaient les bois.

Kasumi choisit de se mettre aussitôt en quête de la brouette de l'ancien chasseur afin d'y entreposer la sélection qu'il prélèverait dans l'appentis de Martha. Rassuré de pouvoir y trouver tout ce qu'il désirait sans avoir à faire le tour du hameau, il pensait pouvoir prendre le temps de s'enquérir de Bertrand et de la santé de son fils : ce serait une autre bonne chose de faite !

Il échangea quelques mots avec Marco, qui lui confirma qu'il pouvait utiliser la brouette sans souci et lui indiqua que le responsable de la communauté se trouvait chez lui. Les bûcherons avaient repris leurs activités le matin même, mais ils lui avaient accordé une journée de congé pour se remettre de ses émotions...
Sa maison n'était pas très éloignée vu la taille du village. Et la première personne qu'il vit en approchant fut un jeune garçon d'une dizaine d'année en train de bricoler quelque chose avec des morceaux de bois, dans un coin de la petite cour située devant la maison. Il portait un léger bandage à la jambe. C'était assurément le petit Loïc.

Le petit avait certainement dû être secoué par sa capture à peine quelques heures plus tôt aussi Kasumi se fit remarquer pour ne surtout pas le surprendre puis s'accroupit pour lui parler tout en regardant ce qu'il faisait :

- Bonjour Loïc. Qu'est-ce que tu bricoles de beau, dis-moi ?

Malgré toute la douceur dont il faisait preuve, Kasumi lit un instant un éclair de panique dans les yeux du garçon lorsqu'il le vit s'approcher. Puis il parut se ressaisir, avec néanmoins un reste de méfiance dans la voix lorsqu'il lui répondit :
" Un arc. Et des flèches... Mais c'est difficile, l'arc, je sais pas tendre la corde assez fort..."
Et surtout, la branche qu'il avait choisie était faite d'un bois trop dur, sans compter qu'elle était bien trop courte.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde