La Couronne de Cuivre

Le rôdeur prit congé sur un dernier sourire avenant mais qui ne masquait pas tout à fait son inquiétude. Une chose était certaine, cela ne le dérangerait pas du tout d'apprendre les rudiments du tir au petit garçon. D'ailleurs, d'autres villageois seraient peut-être également intéressés et cela l'ancrerait un peu plus dans la communauté.

" Alors, c'est bon, pour mon arc ?"
Le petit Loïc l'avait visiblement guetté. Il tenait son arc de fortune à la main et ses yeux bleus le fixaient d'un air suppliant.
" Mon père est d'accord ?", insista-t-il.

Kasumi esquissa un petit sourire mystérieux et garda le silence pendant quelques secondes avant de répondre d'un ton enjoué :

- Bien sûr ! Mais il faudra que tu attendes quelques jours que je revienne au village et que j'aie eu le temps de le fabriquer. Tu seras patient ?

" Oui, oui ! Et tu m'apprendras ?"
Il trépignait de joie, puis fronça brusquement les sourcils.
" Mais tu repars déjà dans les bois ? Heu... t'es sûr que t'es pas un loup-garou aussi ? Nan, mais j'rigole..."

Kasumi rit de bon cœur de l'enthousiasme du garçon et aussi du fait qu'il se sente suffisamment à son aise pour plaisanter. Il ne put cependant s'empêcher de ressentir un certain pincement au cœur en songeant à ce qui attendait l'enfant le lendemain et espérait que ce serait une fausse alerte et une précaution superflue.

- Je t'apprendrai, nous avons un accord ! Et d'ici là soit bien sage !

" Je suis toujours sage, moi", fanfaronna le gosse, les mains sur les hanches.
Il ne restait plus à Kasumi qu'à rassembler quelques provisions et son matériel, en récupérant la brouette prêtée par Marco pour y entasser les outils qu'il avait trouvés dans la remise à outils de Martha. L'après-midi était désormais bien avancé, et il serait bientôt temps de repartir.

Mais il ne comptait certainement pas repartir sans prendre un instant pour dire au-revoir à Sylvia et peut-être mettre au courant Mylène de ses arrangements pour le lendemain : mieux valait lui confirmer qu'elle serait seule à venir pour cette première journée. Il porta donc logiquement ses pas vers la maison de Martha en espérant trouver l'une et l'autre. Mais il était certain qu'il ne pourrait pas s'attarder car il serait largement ralenti par le transport de la brouette et des outils au retour.

Mylène n'était plus là. Mais Martha l'assura que la jeune fille comptait bien le rejoindre le lendemain : elle était partie rassembler tout ce dont elle avait besoin -et vu son état d'excitation, elle n'oublierait certainement pas le rendez-vous.
Sylvia, quant à elle, était toujours dans sa chambre, assoupie sur son lit. Elle s'éveilla cependant dès qu'il entra.
" Ah, te voilà... Il est déjà l'heure de partir ou tu restes un peu ?"

Kasumi s'assit sur le bord du lit et répondit d'un air navré :

- Je ne peux rester que quelques minutes : il me faudra sans doute quatre ou cinq heures pour retourner à la clairière avec mon chargement et je voudrais y arriver avant la nuit... Je m'inquiète pour le petit Loïc : Bertrand m'a dit ce qu'il en était. Tu me tiendras au courant ?

" Au courant...de quoi ? "
Son expression reflétait la plus parfaite incompréhension.
" Il y a un souci ? Aïdan ne l'a pas soigné ? Je ne les ai pas vus depuis leur retour hier soir..."

- Oh...

Kasumi exprima à voix haute sa surprise : il n'était pas très fier de lui-même pour devoir si brusquement annoncer une potentielle mauvaise nouvelle à sa compagne. Il prit donc des pincettes pour répondre d'un ton grave :

- Aïdan n'était pas assez puissant pour le guérir d'emblée. Mais il n'était sûr de rien. Il faudra attendre demain soir pour être fixé... Il fera le déplacement pour surveiller le petit. Je ne doute pas qu'il parviendra à le guérir le cas échéant mais je m'inquiète quand même un peu...

" Oh, mince... Je ne savais pas que c'était si compliqué à soigner... Pauvre gosse, tu imagines, s'il devient un loup-garou ? La pleine lune c'est demain..."
Elle secoua la tête.
" Mais tu as raison, Aïdan pourra sûrement le guérir. Enfin, j'espère... Parce que sinon, je n'ose pas imaginer... Il risquerait de devoir quitter le village, s'il est dangereux... ils ne pourraient tout de même pas le tuer... Mais c'est qu'un gosse, qu'est-ce qu'ils deviendrait ?"
Elle soupira et serra doucement la main de son compagnon, comme pour se rassurer.
" Non, je ne veux pas y penser. Je vais arrêter de laisser mes idées divaguer. Aïdan le soignera et tout ira bien."

Kasumi serra lui aussi la main de sa compagne tant pour y puiser du renfort que pour en prodiguer.

- Nous ne sommes même pas sûr qu'il soit infecté. Et même s'il l'est, je suis certain que nous parviendrons à le soigner. Ce petit est vraiment courageux quoiqu'il en soit. J'ai promis de lui ramener un arc, tu aurais dû voir comme il était enthousiaste !

" Oh, c'est gentil à toi... Mais si tu manques de temps, je peux lui faire, aussi. Enfin, si tu lui a promis... ça n'aura pas la même valeur, tu parles : un arc fabriqué par le héros du village c'est bien mieux !"
Elle souriait, et son ton était léger, mais peut-être cachait-elle simplement de son mieux sa frustration.
Puis son sourire disparut.
" Est-ce que tu sais quand tu vas revenir, toi ? Et... Est-ce que tu peux me serrer fort pour me donner du courage ?"

Il s'exécuta de très bonne grâce et laissa reposer son menton sur l'épaule de la jeune-femme et poussa un long soupir peiné :

- Il faut que j'avance au maximum avant les prochaines pluies mais j'espère pouvoir profiter d'une accalmie dans quelques jours. Je pourrai certainement faire l'aller-retour de jour et rester quelques heures mais je ne peux rien promettre : je te tiendrai au courant de comment je progresse d'ici là.

" Je comprends... Ne t'inquiète pas, je comprends... Et puis, après toutes ces années à me suffire à moi-même, je ne devrais pas ressentir un tel manque ! Je vais retrouver mes marques, peu à peu. Fais ce que tu as à faire..."
Elle se blottit contre lui avec un soupir.
" Et même si ça doit durer jusqu'au solstice, reste, ce n'est plus si loin..."

Il eut cette fois bien du mal à la relâcher car lui aussi ressentait un grand vide à chaque fois qu’il devait repartir seul à la clairière. Certes, l’endroit et les sensations qu’il y éprouvait étaient époustouflants mais cela ne suffisait tout de même à compenser son impression de solitude.

- Tu me manques déjà ma Sylvia…

La gorge nouée, c’est tout ce qu’il parvint à exprimer avant de s’arracher difficilement à son étreinte pour quitter la pièce. Une fois dehors, il tâcherait de s’occuper l’esprit et surtout les mains en réunissant rapidement ses affaires et les outils.

Et c'est ainsi qu'il se mit en route, le coeur un peu serré sans doute, mais les bras pleins d'outils et de provisions -Martha s'en était occupée avec son efficacité coutumière.
Le soleil déclinait à l'horizon, et il pressa un peu le pas : chargé comme il l'était, il savait que la route serait longue jusqu'à la clairière.

Ils avaient avancé plus rapidement que prévu, et il devait rester une heure environ avant que le soleil ne se couche, très peu de temps, en somme, pour profiter de sa fiancée. Et elle ne l'attendait certainement pas... A moins, bien sûr, que Vif-Argent ne l'ait prévenue : il n'avait pas surveillé le ciel.
" Bon, je vais rentrer chez moi... Et essayer d'expliquer à ma mère que j'ai osé m'approcher des loups. Ça promet une discussion houleuse ! Si vous ne me voyez pas revenir demain, ça voudra dire qu'elle est très en colère et que je joue les gentilles filles obéissantes pour la calmer..."

Kasumi lui souhaita la bonne nuit et bon courage pour affronter sa mère. Il chercha aussi à la rassurer sur le fait qu'il adapterait le programme du lendemain en fonction de sa venue ou non : il restait beaucoup à faire dans tous les cas mais il ne voulait pas non plus l'accaparer.

Il fila ensuite d'un pas empressé vers la maison que Sylvia partageait avec la sage-femme avec dans l'idée de lui faire la surprise de sa venue. Il devait repartir dans l'heure mais le détour en valait tout de même la peine s'il pouvait serrer sa fiancée dans ses bras.

Il trouva Martha en train de rassembler le linge qu'elle avait mis à sécher dehors, et qui vint le saluer joyeusement. Sylvia, attirée par le bruit de voix, ne tarda pas à sortir à son tour et son visage s'illumina en le voyant.
" Ça alors ! Déjà de retour ?, s'exclama-t-elle en le serrant dans ses bras. C'est formidable !
- Oui, ça fait plaisir ! Je vais rajouter un couvert ! ", renchérit Martha, tandis que sa fiancée l'embrassait sur les lèvres, lui ôtant toute possibilité de répondre.

En voyant Sylvia si heureuse, il lui rendit son baiser sans réserve et il attendit qu'elle se détache de lui la première avant de lui adresser un petit sourire un peu navré :

- Je suis tellement content de te voir un peu ! Malheureusement, je ne vais pouvoir rester que pour dîner ce soir.

Et de guetter avec une certaine anxiété la déception possible de sa compagne.

" Oh..."
Sylvia, toute décontenancé, ne trouva rien d'autre à dire pendant quelques instants. Puis elle protesta, avec un brin d'incrédulité.
" Mais... je croyais que tu revenais au moins pour la nuit... Vu l'heure... Tu vas tout de même pas y retourner maintenant ? Il va faire nuit avant que tu n'arrives !"
Sa déception était palpable.

Sa réaction lui fendit le cœur et il était terriblement tenté de changer à nouveau ses plans pour rester mais il ne pourrait pas se le pardonner s'il arrivait précisément quelque-chose au bosquet cette nuit. Avec la Longue Nuit qui arrivait dans les prochains jours, il ne pouvait relâcher totalement sa vigilance. Il ne pouvait pas gâcher tous ses efforts et ses espoirs pour le bosquet même s'il avait indéniablement envie de rester et ne pas décevoir Sylvia. Il répondit d'un ton emprunté :

- Je n'ai décidé qu'à la dernière minute de passer pour pouvoir te voir : je n'ai pas pu prévoir de rester absent toute la nuit. Mais je peux essayer de m'organiser pour demain...

Elle haussa les épaules, la mine boudeuse.
" Qu'est-ce que ça changera, demain ? Tu auras bien toujours ce bosquet à surveiller, non ? Je ne vois pas comment tu pourrais t'organiser...
- Mais en attendant, je vais tout de même nous préparer à dîner. Vous allez bien manger avec nous ? Dans un quart d'heure ce sera prêt..."
Un peu mal à l'aise, peut-être, d'assister à leur discussion, Martha semblait pressée de filer en cuisine.

Kasumi effleura la main de Sylvia d'un geste peiné mais tendre et répondit à Martha qu'il se joignait à elles avec plaisir. Quand elle se fut éloignée, il répondit à la jeune-femme :

- Un druide est venu à la clairière et il a accepté de m'aider. Malheureusement, le sylvanien en a profité pour regagner son territoire et, ce soir, j'ai laissé le druide auprès de la meute de loups que Première Neige surveillait. C'est pour ça que j'ai pu faire un crochet par ici. Mais comme nous n'avions pas pu convenir qui garderait la clairière cette nuit, je ne peux pas lui faire faux bond. Mais je pourrai certainement m'organiser pour demain !

Le visage de Sylvia s'illumina à nouveau.
" Oh, ce serait vraiment chouette, oui ! J'espère que tu pourras..."
Puis elle fronça les sourcils.
" Mais... va pas te sentir obligé... si tu dois rester au bosquet, je survivrai, ne t'en fais pas ! c'est déjà chouette que tu aies pu passer, ça fait du bien de te voir..."

Kasumi préférait bien mieux ce visage-là et sa propre expression s’illumina d’un sourire avant qu’il ne l’embrasse à nouveau. Spontanément. Submergé par le plaisir de pouvoir enfin partager quelques moments avec elle.

- Je ne le fais certainement pas par obligation : ça me fait beaucoup de bien à moi aussi de te revoir. De vous revoir.

Il passa une main sur son ventre un peu rebondi avec un sourire extatique avant d’ajouter :

- Mais je ne peux rien promettre. S’il ne se passe rien d’inquiétant et que Thanaën est d’accord pour veiller seul, je reviendrai demain soir. Je pourrai te prévenir si tu m’envoies ton oiseau.

Elle hocha la tête.
" Je t'enverrai vif-Argent en début d'après-midi. J'aime mieux savoir... pour ne pas attendre pour rien, si jamais d'aventure tu ne pouvais pas venir."
Puis ses yeux se remirent à briller de joie et elle se blottit dans ses bras.
" Mais... c'est qui ce Thanaën ? Il vient d'où ? J'ai l'impression qu'il s'est passé des tas de choses en quelques jours..."

Il ne répondit pas tout de suite, gouttant plutôt cet instant où il pouvait enfin serrer Sylvia dans ses bras et sentir sa chaleur le réchauffer. Et quand il le fit, ce fut avec un enthousiasme renouvelé même si son discours était un peu décousu :

- Je l'ai trouvé dans la clairière en rentrant l'autre jour : c'est un ami du sylvanien dont je t'ai déjà parlé mais il ne vit pas dans les environs immédiats. Il a été attiré par l'incendie et il m'a aidé à dégager les cendres. Et aussi, il a passé toute une nuit à accomplir un rituel pour purifier la résurgence. Depuis, nous n'avons pas eu d'attaque de mort-vivants. Bref, oui, il s'est passé beaucoup de choses mais toutes positives.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde