La Couronne de Cuivre

" Je ne suis pas expert dans ces questions, et je dois avouer que... je ne m'y suis qu'à demi intéressé. Mais disons pour résumer, si j'ai bien compris, que ce site... ici, je veux dire, les ruines... était originellement souterrain. Ce sont des drows, tu vois, qui l'ont construit et les drows ne vivent pas à la lumière du jour. Bref, par un mécanisme que je ne connais pas, le site s'est retrouvé en surface. Tu sais, Toril, les cataclysmes, tout ça... Vieux, en tout cas. Bref. Les archéologues ont, par mégarde... ou curiosité, appelons-ça comme ça, réactivé une magie drow... qui cherche à rentrer sous terre. Parce que le site ne devrait pas être exposé. Donc quand je parle de drows, je ne parle pas de drows encore vivants et actifs, tout ça. Je parle de drows à l'ancienne."
Son sourire se fit narquois.
" Tu as compris quelque chose ? Non ? C'est normal. C'est des trucs de mage. Mais donc les perturbations du terrain sont causées par le fait que tout cet endroit est en train d'essayer de replonger sous terre. La question de savoir si on peut l'empêcher... Je suppose que nos experts se la posent. Mais ça, c'est encore moins de mon ressort que les Ithiliens ou les Illithids. Tiens, tu as vu, Ithilliens et Illithids, c'est presque le même mot. Je me demande si ça a un rapport."

Astrée rit.
" Non, ça, je ne crois pas. Brrrr... Leur seul point commun doit être d'extorquer les souvenirs de leurs prisonniers, ajouta-t-elle avec une grimace en se souvenant des explications de Palen sur la possibilité d'extraire tout le savoir d'un elfe. Et de pratiquer l'esclavage, aussi, sûrement. C'est déjà bien assez pour moi."
Elle secoua la tête, puis se souvint d'un petit détail.
" Mais Kalju a dit que la magie s'était arrêtée. Que la faille ne s'aggravait plus. C'est peut-être la magie des Illithids qui empêche le site de s'enfoncer encore..."
Il lui semblait que les autorités en savaient déjà beaucoup. Bien plus que Kalju qui enquêtait seul de son côté.
" J'espère qu'il va bien..."

" Kalju... Oui. Pas sûr que je le considérerais comme la science infuse en matière de magie."
Il eut un léger haussement d'épaules.
" Tu ne l'as pas vu, alors, en bas ?"

Astrée secoua la tête. Elle avait espéré, un instant, retrouver Kalju à la surface, qu'il n'ait pas été capturé et se soit simplement égaré. Mais ça aurait été un trop grand miracle.
" Non. Je n'ai pas vu tout le monde. Il semble y avoir plusieurs groupes d'esclaves, occupés à diverses tâches. On était une vingtaine dans mon groupe, dont le mage que j'avais croisé sur la route. Mais je ne sais pas combien il y a de prisonniers au total... Ni combien de flagelleurs mentaux. Je ne vais pas avoir grand-chose d'utile à raconter à tes collègues, malheureusement. Enfin, à part la disposition des lieux. Il y a tout une cité abandonnée là-dessous ! Ce qu'on voit à l'extérieur n'en est qu'une petite partie."

" Je pense que c'est normal, quand on n'y connait pas grand chose, de ne pas avoir l'impression d'avoir grand chose à dire... Mais je suppose que ceux qui connaissent un peu ce type de monstres pourront en tirer de nombreuses informations."
Il parut un peu fatigué, soudain.
" Après, personne ne pensait te retrouver. Alors Kalju... Bref. On m'a invité à avoir des attentes raisonnables. Evidemment, ils ne te connaissent pas, ils ne savent pas qu'il y a, quelque part, une entité supérieure qui veille sur toi en dépit du bon sens !"
Son sourire revint.
" Bon, mais je vais te laisser. Je pense que quand tu t'en sens l'énergie... Tu peux aller discuter avec les instances dans le coin sombre."

Astrée acquiesça.
" Je vais y aller, oui..."
Il y avait probablement Dimitri là-bas, si elle avait bien compris... et elle ne se sentait soudain pas très pressée de le voir, songeant qu'il allait probablement vouloir lui faire la morale, encore une fois. Mais Mathieu était mal placé pour juger de sa soi-disant chance excessive -dont elle avait conscience cependant, surtout lorsqu'elle songeait à ses aventures avec les centaures. Mathieu aussi était béni de Tymora, dans son genre...

Elle prit le temps de finir son bol de soupe, d'avaler quelques bonnes goulées d'eau fraiche, en refusant de songer davantage à ce qu'elle avait vécu, ou à la possibilité que Kalju ne soit plus de ce monde. Un type costaud, comme lui, devait faire un esclave de choix, après tout : ils n'allaient pas le tuer tout de suite. Elle l'espérait du moins.
Puis elle se dirigea d'un pas timide vers le recoin plus sombre de la pièce. Elle n'était pas certaine d'être bien reçue : ils étaient peut-être en train de discuter stratégie, et elle s'attendait à demi à être renvoyée sur ses fourrures.

Astrée entra donc dans l'ombre. Il s'y trouvait quatre personnes : Yseult, Dimitri et les deux elfes noirs dont avait parlé Mathieu. Elle ne les vit pas clairement, car il faisait sombre, et son regard d'humaine la désavantageait. Il s'agissait d'un homme et d'une femme, portant l'un et l'autre des robes. Comme tous les êtres de leur race, ils avaient les cheveux blancs, et leurs yeux renvoyaient une lumière un peu violacée dans la pénombre. Ils étaient plus petits que les humains, plus minces, et leur peau très sombre masquait leurs traits.
Ils se tournèrent vers Astrée lorsqu'elle pénétra dans leur cercle. Dimitri avait croisé les bras mais ne dit rien. Yseult sourit en l'intégrant dans le groupe.
" Vous vous sentez mieux, bien. Cam et Lae sont intéressés d'entendre votre récit."
Les deux elfes noirs la saluèrent de signes de la tête.
" Tout ce dont vous vous souvenez à de l'importance." dit la femme, d'une voix très douce, marquée par un léger accent indéterminé.

" Je ne sais pas grand-chose, malheureusement", avoua Astrée avec une grimace.
Elle avait rendu leur signe de tête aux deux elfes noirs, et avait même salué Dimitri, en s'efforçant de ne pas trop prêter attention à son attitude. Elle l'imaginait être en train de lui attribuer tout un tas de qualificatifs peu flatteurs. Peut-être, même, estimait-il qu'elle aurait dû y rester, pour lui servir de leçon.
" J'ai vu au moins six de ces créatures... Non. Sept. Six de taille normale, et une qui était nettement plus grande que les autres. Ils surveillaient le groupe de vingt esclaves où je me trouvais. En majorité des humains, et aussi six elfes noirs et deux nains. Je sais qu'il y en avait d'autres, ailleurs, mais je ne sais pas combien. Il y avait aussi trois espèces de... véhicules. De forme ovoïde. Je ne sais pas ce que c'est. Leur magie était trop forte là-bas, je n'ai pas pu m'approcher."
Elle se gratta la nuque.
" Je ne sais pas ce que je peux vous apprendre de plus... Mais je sais où ils se cachent, en tout cas."

" Nous aurons sûrement besoin de descendre jusqu'à eux et le récit de votre évasion nous intéresse également, mais la première étape est de casser leur groupe en attirant une partie d'entre eux à la surface, intervint l'elfe de sexe masculin. Si vous en avez vu sept, ils sont probablement entre neuf et douze.
— Il est possible qu'une partie du groupe ait été en chasse, dit son pendant féminin. Nous ne pouvons l'exclure."
Il acquiesça.
" Si nous avions accès à vos souvenirs, nous pourrions en juger."

Astrée se sentit blêmir. Fouiller dans sa mémoire. Encore...
" Je... Enfin... Si c'est vraiment indispensable..."
Elle grimaça.
" Ça n'a rien d'agréable, marmonna-t-elle pour s'excuser de son manque flagrant d'enthousiasme. Et je ne crois pas que ça vous aide beaucoup... Mais si vous pensez qu'il le faut, vous pouvez essayer."

" Je ne le suggérerais pas si je n'étais pas certain d'en tirer des informations critiques, dit l'elfe. Mais je ne veux pas vous forcer la main. On peut déjà déduire un certain nombre de choses de ce que vous nous avez indiqué..."
La femme croisa les bras et sourit doucement.
" Est-ce qu'il y avait d'autres créatures, hormis les flagelleurs et les esclaves humanoïdes ? Peut-être des créatures plus étranges ? Plus... bestiales ? Qu'est-ce qu'on vous a fait faire ?"

Astrée acquiesça, vaguement soulagée que l'exploration de souvenirs ne soit pas immédiate. Bien sûr, il le faudrait tôt ou tard : elle n'escomptait pas vraiment y échapper.
" Oui, il y avait d'autres créatures. Des... espèces de créatures poilues vaguement humanoïdes, qui ressemblaient un peu à des ours. Ou à des félins. Avec des griffes et un pelage gris clair. C'est difficile à décrire.... En tout cas, je n'en avais jamais vu. On a dû les nourrir, avec des insectes qu'on ramassait dans les grottes. Cela ne leur suffisait pas, d'ailleurs, ils ont... tenté de dévorer un des esclaves. Et on nous a fait aussi remplir des tonneaux d'eau. Immenses. En fait, il y a une cascade là-dessous, et une rivière... et les ruines d'une cité drow, aussi, mais vous vous en doutez."

" Non, dit le drow avec un léger sourire. Nous ne le savons pas. Connaissez-vous toutes les villes humaines de Toril ?"
La femme posa la main sur son avant-bras.
" Ce n'est pas ce qu'elle a voulu dire, murmura-t-elle d'un ton apaisant, avant de revenir à Astrée. L'eau est nécessaire à leur bien-être : ils en ont besoin pour s'humidifier la peau et ils en consomment des quantités importantes, quotidiennement. C'est probablement la raison pour laquelle ils se sont établis à cet endroit. Les créatures que vous avez vues sont des quaggoths. Ils ne sont pas dépourvus d'intelligence, mais les illithids les utilisent généralement comme bêtes de somme ou comme première ligne."

" Ah..."
Elle avait été un peu déstabilisée par la réaction du drow. Elle avait simplement songé au fait qu'ils se trouvaient sur un ancien site drow et qu'il était relativement logique de trouver une cité en ruine sous la surface.
" Et... Ces quaggoth... et les Illithids... Ils viennent d'où ? Des profondeurs ? L'archéologue avec qui j'ai discuté, là-dessous, me disait qu'ils pouvaient voyager entre les plans. Vous ne craignez pas qu'ils prennent la fuite ?"
Elle fronça les sourcils, se remémorant un détail d'une discussion.
" L'une des prisonnières m'avait dit qu'ils avaient semblé sur le point de partir, quelques jours avant mon arrivée..."

" Ils viennent peut-être d'un autre plan, mais nous avons de bonnes raisons de penser qu'ils ne vont pas partir à présent qu'ils savent qu'ils ont une proie potentielle en surface, isolée et prometteuse."
Dimitri s'éclaircit la gorge mais ne dit rien.
" Vous voyez, ils cherchent des esclaves mais aussi des hôtes. C'est leur moyen de reproduction : ils colonisent le corps de certains spécimens, jusqu'à les métamorphoser. Mais survivre à cette métamorphose n'est pas garanti et ils maximisent leurs chances de reproduction en choisissant...
— De grands costauds." compléta son compatriote.

Astrée blêmit subitement. Bien sûr, Dimitri était costaud, très solide, mais... Kalju était plus grand, et fort. Certes, il n'était pas tout à fait humain... alors peut-être que ça le protégeait ? Sans doute que non. Certainement que non.
" Ils vont utiliser... Kalju, balbutia-t-elle. Il est très grand, costaud. C'est un génasi. Je ne l'ai pas vu dans le groupe d'esclaves où j'étais..."
S'ils l'avaient choisi pour se reproduire... Est-ce qu'il serait trop tard pour le sauver ?

Les elfes noirs s'entreregardèrent. Yseult s'éclaircit la gorge.
" C'est plus que probablement déjà fait, Astrée, dit Dimitri, d'une voix dure. Il est déjà perdu."
La femme drow leva des mains apaisantes mais ne trouva pas tout de suite les mots.
" Il est probable, oui... que ce soit trop tard pour lui. Le processus initial ne dure que quelques heures... après quoi, il n'est plus possible de revenir en arrière."
Elle poussa un petit soupir.
" Mais nous pouvons l'empêcher d'arriver à maturité. C'est ce que n'importe qui voudrait, je suppose."

Astrée vit des papillons danser devant ses yeux. Son cerveau s'était bloqué après la phrase trop brusque de Dimitri, comme s'il ne pouvait pas faire sens de la situation. Malgré le ton apaisant de la drow, les mots ne parvenaient pas à se frayer un chemin dans son esprit embrumé.
Kalju était perdu. C'était de sa faute, à elle. Elle aurait dû rester auprès de lui pour le protéger. Sa raison avait beau lui dire qu'elle n'aurait certainement pas pu faire grand-chose, et qu'ils ne pouvaient pas imaginer à quoi ils avaient affaire, elle ne pouvait pas échapper à cet effroyable sentiment de culpabilité.

Elle lutta de toutes ses forces contre les larmes, mais finit par craquer. Elle tourna brusquement les talons, s'éloignant du petit groupe, avec l'envie de fuir au-dehors... ce qui lui était interdit, elle s'en souvint in extremis. Trop dangereux. Elle dut se contenter de se laisser choir contre une paroi, en larmes, serrant ses genoux contre son corps, le corps secoué de tremblements convulsifs, sourde et aveugle à tout ce qui l'entourait. Elle sentait son estomac se révulser et essayait tant bien que mal de résister à la nausée. Les larmes qui coulaient, intarissables, détendaient peu à peu tout son organisme, mais sans parvenir à évacuer ce terrible sentiment de culpabilité et d'impuissance, et cette colère sourde, contre les Illithids, contre Dimitri, contre Kalju même, contre le monde entier.... et surtout contre elle-même. Uniquement contre elle-même, en réalité. C'était de sa faute. Elle ne pouvait pas se pardonner de ne pas avoir été à la hauteur.

Elle prit finalement conscience de la présence de Mathieu, qui s'était glissé derrière elle et l'entourait d'un bras apaisant, sans rien dire, offrant juste un réconfort purement physique à sa colère et son chagrin.
" Je suis désolé." dit-il simplement.
Puis il la laissa encore pleurer, aussi longtemps qu'elle en avait besoin.

Elle aurait préféré rester seule, mais elle ne chercha pas à le repousser. Elle aurait dû être reconnaissante de sa présence, mais elle s'en moquait, au fond. Il ne pouvait pas apaiser son chagrin ni affronter ses remords à sa place. Personne ne le pouvait... et elle-même n'en avait pas la force.
Elle ferma les yeux et laissa les larmes couler jusqu'à épuisement, anesthésiant ses pensées, sa révolte, sa peine. Elle chassa toutes les bribes de pensées cohérentes qui tentaient de s’immiscer, erratiques, dans son esprit. Elle ne voulait pas imaginer, supputer, visualiser quoi que ce soit. Vider son esprit, ne penser à rien, laisser sa souffrance s'évacuer avec l'eau qui coulait de ses yeux. Ne pas s'accorder le luxe d'espérer quoi que ce soit, surtout pas.

Les larmes finirent par se tarir, la laissant épuisée, vidée de ses forces, de sa volonté, de ses émotions même. Les sanglots avaient laissé place à un état proche de la somnolence, et elle finit par laisser échapper un profond soupir. Elle devinait, à nouveau, les bruits de la pièce, et elle rouvrit les yeux sur ce qui l'entourait. Elle n'avait envie de parler à personne, et pas l'énergie de se lever. Bien sûr, tôt ou tard, on viendrait lui parler, ils avaient besoin de lire dans ses souvenirs. Cela lui était totalement égal. Elle ferait ce qu'ils demanderaient.

Mathieu avait fini par s'écarter et lorsqu'Astrée reprit ses esprits, elle prit conscience — à demi — qu'il y avait nettement moins de monde dans la pièce. Il restait deux nains près du feu, peut-être quelqu'un sur l'une des couches, endormi, mais sinon, la salle s'était vidée. Le murmure de conversations lui parvenait de la pièce voisine, peut-être des sons plus métalliques aussi, mais rien d'autre. Il semblait que personne n'avait eu le désir de l'importuner et que l'escouade d'intervention était partie vaquer à ses activités.

Elle ne savait pas si elle devait en être soulagée ou s'en inquiéter. Elle avait conscience qu'elle aurait pu -dû- leur donner plus d'information au lieu de craquer comme ça. Mais c'était un peu tard... et sa crise de larme l'avait laissée dans un état second, un peu comme si tout ça ne la concernait plus. Il était trop tard pour Kalju... Certes, il n'était pas trop tard pour d'autres, mais elle avait conscience que tout cela ne dépendait plus vraiment d'elle. Ils allaient faire ce qu'ils avaient à faire, c'étaient des professionnels, après tout. Elle espérait qu'ils réussiraient.
Pour s'occuper l'esprit et empêcher de sombres pensées de s'y immiscer à nouveau, elle reprit son bol, se rapprocha de la marmite de soupe, commença à s'en servir une louche... et s'interrompit très vite. Elle n'avait absolument pas faim. Elle réussit à boire un peu d'eau fraîche, cependant. Puis elle se décida à aller voir, discrètement, ce qui se passait dans la pièce voisine. Elle pressentait que si elle restait ici, elle ne trouverait pas le sommeil et se morfondrait dans des idées noires.

Il y avait une seconde pièce et au moins deux de plus. La seconde pièce était occupée par le matériel de l'escouade, armes et provision, et deux hommes étaient affairés à aiguiser des épées, tandis que deux autres s'entraînaient — assez mollement — dans l'espace réduit. Il y avait une porte sur la droite et une autre sur la gauche. Hormis les deux forgerons et les deux combattants, tous humains à première vue, Astrée aperçut un gnome qui triait des fioles, assis en tailleur contre un mur, et un demi-elfe — le rôdeur qu'on lui avait indiqué plus tôt — qui nourrissait un trio de gros chiens hirsutes. A son entrée, personne ne lui prêta guère attention mais il lui apparut clairement que c'était davantage pour ne pas la brusquer que parce qu'elle était invisible.

Cela lui convenait fort bien : elle n'avait pas envie de parler à qui que ce soit. Elle allait simplement explorer les lieux, et observer. Elle se demandait où ils se trouvaient, s'ils étaient toujours au coeur du site archéologique. Mais elle le saurait tôt ou tard, lorsqu'ils sortiraient de là.
Elle caressa doucement Prince, qui, malgré la douceur de son pelage, était d'un piètre secours face à sa peine. Avant de se diriger, au hasard, vers l'une des portes, elle décida de faire un crochet pour aller gratifier les chiens de quelques caresses -et saluer leur maître au passage, d'un signe de tête. Elle se souvenait qu'il s'appelait Fafnir. Un rôdeur, quelque part, c'était un peu un collègue...

Les chiens accueillirent les caresses avec des battements de queue vigoureux. Astrée nota que le familier du demi-elfe était une corneille mantelée, au dos argenté et à la tête noire, qui l'observa en penchant la tête de côté. Prince était réveillé et pépia avec énergie, mais s'il échangea quelque chose avec l'oiseau, Astrée n'en comprit pas la moindre bribe. Les deux portes, gauche et droite, étaient closes. Le rôdeur, voyant qu'elle s'y intéressait, les désigna tour à tour.
" Là derrière, c'est le conseil de guerre. Et là, le dortoir principal. A voir en fonction de vos inclinaisons du moment."

Astrée haussa les épaules.
" Je n'ai pas sommeil... et surtout pas envie de plonger dans des cauchemars..."
Elle se savait épuisée, pourtant. Un épuisement nerveux bien plus que physique. En réalité, elle était au-delà de l'épuisement. Juste vidée.
" Et je ne suis pas sûre d'avoir la moindre chose à apporter à un conseil de guerre. Ils savent ce qu'ils ont à faire, c'est leur métier, après tout..."
Elle grimaça.
" Enfin... je suppose que c'est là que je dois aller. Au cas où il leur manque une information."
Elle fixa la porte en question sans se résoudre à s'en approcher immédiatement. Elle avait honte de son moment de faiblesse, n'osait pas imaginer tout le mal que Dimitri avait pu dire d'elle, se sentait dramatiquement inutile et incompétente.
Elle s'autorisa quelques instants de délai supplémentaire, à caresser les chiens, le temps de rassembler ce qui lui restait de courage -ou de sens du devoir. S'apitoyer sur son propre sort, dans ces circonstances, n'était pas acceptable.

Lorsqu'elle entra dans la pièce, le silence se fit brièvement. Il y avait là une table de fortune, sur laquelle était déployée une carte. Il faisait très sombre par égard pour les deux elfes noirs probablement. Astrée reconnut également Dimitri, Yseult et Mathieu. Il y avait également un elfe et une humaine qu'elle ne connaissait pas.
" Vous tombez à pic, dit Yseult. Est-ce que vous sentez mieux ?"

"Oui", répondit-elle sobrement, d'une voix sans timbre, un peu éraillée à cause des larmes récentes.
"Se sentir mieux"... ce n'étaient certainement pas les termes qu'elle aurait choisis pour se décrire. Mais elle n'avait plus de larmes et avait besoin de s'occuper à quelque chose d'utile. L'autre option était de s'enfoncer dans le sommeil, et elle refusait de se laisser tenter : elle aurait davantage de remords encore si elle ne faisait pas le peu qu'elle pouvait faire.
Elle s'approcha d'un pas indécis, ne sachant trop quoi faire d'elle-même.
" Si vous préférez rester... entre pros... Vous me dites, bien sûr, je comprendrai. Mais si vous avez besoin d'autres informations... 'fin, vous me dites."
Une part très critique d'elle-même estimait que sa voix, trop rauque, manquait de force de conviction. Mais elle n'était pas en état de faire mieux.

Les deux elfes noirs s'entreregardèrent, puis l'homme fit un pas en avant.
" J'ai besoin de voir vos souvenirs. M'y autorisez-vous ? Cela ne prendra que quelques secondes et cela pourrait considérablement améliorer nos chances de réussite."

Elle acquiesça.
" Oui. Bien sûr. Allez-y."
Son ton était parfaitement neutre, sans émotion. Elle les avait rejoints pour ça, après tout.
Elle se demanda fugacement si c'était aussi désagréable qu'avec les flagelleurs mentaux. Mais ça n'avait guère d'importance, finalement.
"Heu... Est-ce que je dois m'asseoir pour ça ?"

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon