La Couronne de Cuivre

-Bah, ça me donnera davantage de temps pour en trouver une bonne. Une qui sera susceptible de fêter dignement l'achèvement de notre grand projet !
Il se leva.
-Je vais mettre Victor au lit, puis je reviens. Jehan, tu ne devrais pas non plus hésiter à aller te coucher : la journée a été rude et si demain le sera sans doute un peu moins, nous aurons quand même du travail...
Il sourit au petit Merlu, avant de souleva délicatement Victor, d'aller le glisser sous ses couvertures et de le border avec soin. Il demeura quelques instants à l'observer puis, spontané, il l'embrassa sur le front.
-Dors bien, bonhomme.
L'instant suivant, il rejoignait la table. Il voulait au moins finir son assiette avant de s'abandonner à son tour au sommeil.

Jehan avait suivi le mouvement et déserté la table : il s'était isolé dans un conduit annexe, quelques minutes, qui leur servait de latrines. Martin, quant à lui, sirotait tranquillement un verre de vin - ils disposaient d'imposantes réserves, sans doute pour garder le moral - en lorgnant les stalactites qui décoraient leur repaire. Il sourit à Taliesin lorsque celui-ci revint s'installer, mais ne dit rien. Jehan repassa, leur décocha un rapide bonne nuit avant de gagner ses couvertures. Il faisait presque silencieux, à présent, et les murs étaient sombres. Une nouvelle nuit tombait sur Mersant.

Taliesin se servit également du vin, et le but avec lenteur. Cependant, aussi bon fût-il, ce n'était pas seulement lui qu'il désirait savourer, mais également ces instants de relative quiétude. Ah, le climat était bien différent de celui de la veille ! A la saine fatigue née de son labeur se mêlait la satisfaction du devoir accompli. Celle, aussi, de voir que les enfants avaient collaboré sans réserve, sans animosité liée aux événements du jour précédent. Peut-être faudrait-il, à terme, revenir avec eux sur ce qui s'était produit. Pas maintenant, toutefois. Il savait que les moments de paix, sinon d'optimisme, déjà précieux par nature, devenaient sans prix au vu de leur situation. Et il avait bien l'intention d'en profiter, d'en tirer un regain de force et d'allant.
-Tu vois, au final, tout s'est bien passé... dit-il Martin. Et il n'y a pas de raison que ça change demain, après-demain... Lorsque Guéric reviendra, nous aurons un monstrueux golem à notre service, et tu seras assez requinqué pour arpenter sans relâche les grottes de Mersant !

" Je n'étais pas particulièrement inquiet pour les enfants..." dit Martin. " C'est davantage l'île, ce qu'elle referme, ceux qu'elle abrite, dont je me méfie. Quand je me suis déplacé, ce matin, j'ai vu de nombreux éboulis à des endroits imprévus, j'ai même dû faire un détour pour atteindre une crevasse que nous avons empruntée plus d'une fois. Ces secousses, d'où qu'elles viennent, pourraient grandement modifier le tracé que nous connaissons... C'est ça qui me chagrine. Maintenant, que Victor et Jehan participent pleinement à la fabrication du golem... Je ne doutais pas qu'il en fut ainsi."

-Je ne parlais pas que des garçons, tu sais : j'évoquais la situation en général. Guéric n'est pas précipitamment revenu pour nous annoncer une catastrophe, rien n'est intervenu qui aurait nécessité un recours au pipeau, et les chances sont grandes pour qu'il en aille ainsi jusqu'à ce que sa magie soit rechargée ; il n'y a pas eu, non plus, de nouveau tremblement de terre. Nous avançons dans notre travail, et j'imagine qu'il en est de même pour les autres, qu'en plus d'un golem, nous aurons bientôt une embarcation capable d'assurer notre fuite... Bref, on avance, mine de rien.

Martin le dévisagea, un léger sourire sur les lèvres.
" Tu es bien Luménien. Déborder ainsi d'espoir, d'optimisme. Tu t'en défends, mais leur philosophie t'a imprégné jusqu'à la moelle. Peut-être est-ce un bien. Peut-être pas. Le pessimiste n'est que rarement déçu, il se prépare sans cesse au pire. Mais nous verrons."
Il haussa les épaules.
" A mon sens, les choses vont beaucoup trop bien, et c'est inquiétant. Je doute que cela dure."

Il se servit un autre verre de vin.
-Je suis d'accord, dans le fond. Et j'avoue surjouer un peu mon optimisme. Mais c'est à ça que servent les bardes, lorsqu'ils sont embarqués dans semblable aventure : maintenir le moral des troupes. Malgré tout, si j'étais seul, si personne ne dépendait de moi, si je n'avais aucune tâche à accomplir, je serais probablement très pessimiste. Cependant, les choses ne sont pas ainsi et... Il me faut bien essayer de positiver à toute force. Comment pourrais-je tenir, si je pensais, froidement, que les petits, que Valaellyn, que tous les autres sont condamnés ?

" L'instinct de survie. Ou le devoir. Ce sont des moteurs assez puissants, même quand il n'y a aucune lumière. Tout le monde n'est pas motivé par l'espoir. Mélandis en est une superbe illustration."
Il haussa les épaules.
" Mais je comprends l'idée de déformation professionnelle. Moi je suis capable de faire croire à n'importe qui qu'il ou elle est désirable et absolument incomparable au lit. Dans le genre poudre aux yeux, je ne suis qu'un avatar de barde, finalement."

-J'ai toujours pensé que nos professions étaient étroitement apparentées - nous distrayons, nous donnons du plaisir - et que seule une morale mal placée dressait une hiérarchie entre nous. Mais pardonne-moi, je radote : je t'ai déjà parlé de ça... Quant à vivre sans espoir, je sais que c'est possible. Mais, me concernant... Je n'ai plus une once d'instinct de survie. Et le devoir...
Il songea à Noéline et à son mari, à sa promesse de retrouver leur fils. Si tous les autres mourraient, alors que lui-même survivait, aurait-il la force de tenir sa parole ?
Et Galathée, toujours prisonnière ?
Il frissonna.
-Sans doute pourrait-il me contraindre à continuer, oui. Mais je n'aime pas... envisager ce genre de chose. Je préfère me raccrocher à l'espoir, aussi futile soit-il.

Martin acquiesça, songeur.
" Puisses-tu être exaucé. Par un dieu bienveillant ou les forces du hasard." fit-il.
" C'est sinistre, votre affaire. Si on se racontait plutôt des blagues ?" grommela soudain Rumoc.
" Tu n'as pas une opinion, en la matière ?"
" Joli-Coeur, si je suis aujourd'hui autour de ta taille, c'est que j'ai beaucoup changé de mains. On m'a vendu. On m'a offert. On m'a perdu. On m'a même volé, sans rire. Mais un certain nombre de mes porteurs sont morts, aussi. Je suis solide, personnellement, mais je ne suis pas un bouclier très efficace."
" Quel âge as-tu ?"
" 412 ans."
" Wow."

-Ah, pour une fois que je ne suis pas le plus vieux ! s'exclama l'elfe. Merci, Rum ! Que les mille ans à venir ne t'apportent que des partenaires à ta convenance !
Il vida son verre d'une traite. Il était aussi désireux que la "ceinture" de voir s'alléger une atmosphère devenue par trop pesante.
-D'ailleurs, reprit-il, quel est celui dont tu gardes le meilleur souvenir ? Enfin, si ce n'est pas indiscret...

" J'aurais bien du mal à répondre à cette question." fit Rumoc, songeur. " En quatre siècles, tu passes par des phases, tu sais... Tantôt tu cherches l'aventure, à d'autres moments tu as envie de volupté... Parfois tu n'aspires qu'au silence, puis tu as besoin de compagnie... Fulbert, le gosse d'Eauprofonde, était marrant. J'ai bien aimé la compagnie de Gersande de Padhiver, aussi, une prostituée dont la finesse d'esprit n'avait pas d'égale et qui avait toujours quelque chose à raconter... quelque chose d'intéressant, bien sûr. Sans compter qu'elle prenait grand soin de ses affaires. J'ai beaucoup ri en accompagnant plusieurs bandes d'aventuriers décérébrés en mission. Je changeais beaucoup de taille en ces temps-là, mais c'était tout aussi bien. J'ai été l'acolyte de choc d'un roublard halfelin à la Porte de Baldur, pendant un certain temps. Nous étions comme des âmes soeurs... Nous jouions beaucoup : je pouvais deviner quand ses adversaires bluffaient, c'était un jeu d'enfant ! C'est mon seul porteur que j'ai accompagné jusqu'à une mort naturelle. Il m'a bien évidemment épargné la tombe et j'ai repris mes errances... Non. Décider d'une personne m'est impossible. La plupart avaient quelque chose, à défaut d'être parfaits."

-Je comprends bien. Et je note l'idée du jeu : si tu nous accompagnes un bout de temps, et si nous venons à manquer de liquidités, ce pourrait être une excellente manière de renflouer nos finances...
Il n'aimait pas particulièrement tricher. Parfois, cela pouvait pourtant s'avérer utile. Et il devait admettre que, face à certains types d'adversaires, ses scrupules fondaient comme neige au soleil.

" Je pourrais être utile avant ça, qui sait... Après tout, ne dit-on pas que..."
" Chut. Tais-toi une seconde." fit brusquement Martin.
Surpris, Rumoc obtempéra. Ils entendirent alors une rumeur sourde, une sorte de grondement distant, comme le ressac de la mer sur une plage de galets. Le son enfla, se rapprochant de plus en plus, puis le sol se mit à trembler. Cette fois, loin de ne durer que quelques secondes, la vibration dura, secouant toute leur caverne pendant plus d'une minute. Les enfants se redressèrent sur leur lit avec un cri d'angoisse. Une partie du mille-pattes s'effondra sur elle-même. Puis il y eut un grand craquement, une sorte de coup de tonnerre distant, enfin le silence et l'immobilité.

Paradoxalement, c'est sur le golem que Taliesin posa d'abord les yeux.
-Soyez-en témoins, lâcha-t-il. Si c'est un être vivant qui est à l'origine de ces tremblements de terre, je jure que je lui ferai passer le plus sale quart d'heure de son existence pour avoir ainsi réduit à néant notre chef d'œuvre de monstruosité.
Boutade pour dédramatiser les choses, pour rassurer ses compagnons ? Indignation sincère ? Lui-même n'aurait su dire ce qui avait motivé sa déclaration solennelle. Mais, qu'elle qu'en fût la raison véritable, ce fut les seuls mots qu'il prononça. Devenu bientôt aussi muet qu'une carpe, il tendait l'oreille, guettant des échos.
Et s'efforçant de ne pas trop songer aux causes - et aux conséquences - de cette secousse sans précédents.

Mais il n'y eut guère d'échos. Le lourd silence de la nuit s'était à nouveau posé sur la grotte. Victor et Jehan semblaient hésiter à se recoucher. Martin se leva, puis se rassit.
" Cette caverne a l'air de tenir le coup, c'est déjà ça." murmura-t-il à moitié pour lui-même.
" Pour le reste..." fit Rumoc.
" J'irai voir demain. Je vais aller me coucher..."
Il se tourna vers Taliesin.
" Il serait peut-être utile d'aller voir en surface, si ces... secousses affectent les pirates, ne crois-tu pas ?"

A son avis, les pirates n'avaient pas grand chose à redouter : ils avaient peu de chances qu'un tonne de roche, de terre et de gravats leur tombe sur la tête, contrairement aux réfugiés des cavernes...
Il songea brusquement à Guéric, à Goran, aux jumeaux et à tous les autres. Au groupe des grottes nord., aussi. Il grimaça, avant de chasser la pensée au plus vite. S'il voulait fermer l'œil, c'était une nécessité.
-Sans doute, oui... répondit-il. J'en discuterai avec Guéric dès son retour.

" S'il revient jamais." souffla Martin en lorgnant le plafond hérissé de leur repaire.
Mais son sourire revint rapidement.
" Je vais essayer de dormir un peu..."
Il se leva et marcha vers le golem.
" Et ne te plains pas... Il est à peine abimé. Si vous travaillez bien demain, vous le terminerez sans difficultés..."

-Mouais, n'en parlons pas... grommela l'elfe. Ce qui tient debout doit être branlant, la plupart des articulations doivent être abîmes, la majorité des pièces lézardées... Enfin, j'aviserai demain. Là, vaut mieux pas, ça me déprimerait trop. Je déteste voir mon travail anéanti...
Il sourit, se servit un troisième verre de vin, le vida en quelques instants puis se mit en devoir de gagner sa propre couche.
Avant de s'immobiliser soudain. Personne n'allait faire le guet, ce qui n'était peut-être pas très prudent.
-Rum ? s'enquit-il. Est-ce que tu serais d'accord pour monter la garde pendant qu'on dort ? Et pour nous prévenir si tu entends quelque chose ?

" Ça marche, Belles Oreilles." fit la ceinture. " Désolé, Joli-Coeur, le chef a besoin de moi. Ce sera pour une autre fois !"
" Une autre fois quoi ?"
" Ne fais pas l'innocent, tu sais exactement de quoi je parle."
" Heu... Je ne vais pas poser de question."
Martin déposa Rumoc sur une des concrétions, puis se dirigea vers son lit. Victor et Jehan s'étaient recouchés, mais ils devisaient à voix basse.

Le barde gagna sa propre couche, se glissa sous les couvertures. Il resta quelques instants silencieux, écoutant le murmure indistinct des gamins, puis se retourna. Il avait songé à leur dire de ne pas sortir de la caverne, mais... Ils n'en avaient sûrement pas l'intention. Ils s'étaient montrés obéissants toute la journée : ils n'allaient pas, subitement, faire une énorme ânerie...
Il sombra rapidement, contrairement à ce qu'il avait craint. Le vin - bu somme toute assez généreusement et assez rapidement - et la fatigue durent grandement contribuer à chasser des pensées pourtant très propices aux insomnies.

Ce fut le murmure des conversations qui l'arrachèrent au sommeil, le matin suivant. Il avait dormi plus longtemps que prévu, car ses trois compagnons étaient déjà à pied d'oeuvre : Victor et Jehan avaient regagné le puits d'argile et le mille-pattes inerte, tandis que Martin était dans le bassin d'eau tiède, où il baignait une Griselda inconsciente, avec la plus grande des douceurs. Il restait de quoi se sustenter sur l'une des "tables", manifestement à son intention. Quelqu'un, ou plutôt quelque chose, ronflait avec ostentation.

Il s'accorda, pour émerger, quelques secondes - pas plus, car l'urgence de terminer le golem avant la prochaine secousse le tenailla soudain -, puis se leva et, ayant salué ses compagnons, entreprit de déjeuner sans perdre de temps. Bientôt, rassasié, mais l'esprit encore un peu embrumé, il rejoignit les garçons et se mit a examiner le "mille-pattes" pour évaluer les dégâts. Il devait voir dans quelle proportion il s'était écroulé, si les pièces disloquées étaient encore utilisables - il en doutait -, si celles encore en place n'avaient pas trop souffert... Bref, il devait déterminer si tout était à refaire ou non.

En fait, Victor et Jehan l'avaient précédé dans cette tâche et avaient entrepris de réparer et de consolider les morceaux qui avaient souffert du tremblement de terre. Seulement une petite partie s'était écroulée, et l'argile ne s'était pas encore solidifié au moment de la catastrophe. Ils expliquèrent avec entrain au barde ce qu'ils avaient décidé d'entreprendre, et Taliesin fut forcé de reconnaître qu'ils avaient une certaine affinité spontanée avec le travail auquel ils s'adonnaient, peut-être parce que le modelage était, finalement, une activité enfantine.

A moins que cette affinité ne tienne au caractère salissant de l'activité. Or, le fait que les enfants aiment à se salir était de notoriété publique.
Dans tous les cas, le barde ne manqua pas de les féliciter pour leurs initiatives et le travail déjà accompli. Il les aida à réparer puis consolider le golem, et enfin à l'allonger. Quant ne vint à rester qu'une petite quantité d'argile dans le bassin, il se redressa.
-Ne manque plus que la tête... fit-il. Et si vous en êtes d'accord, je vous laisse le soin de la modeler pendant que je vais étudier la formule magique pour animer notre ami... Vous pouvez la faire comme vous l'entendez, mais en respectant tout de même quelques points précis...
Et de leur faire part des recommandations glanées dans le grimoire concernant les yeux, les oreilles...

Les enfants écoutèrent sagement les recommandations de l'elfe, tâchant de dissimuler leurs trépignements d'impatience. Apparemment, ils avaient déjà abordé la question de la tête plus d'une fois, et dès que le barde les libéra, ils se ruèrent dans le bassin pour y glaner les dernières réserves d'argile. La bestiole n'était pas très grande, mais longue, et elle parviendrait certainement à avoir une utilité... si Taliesin parvenait à l'animer. Il n'aurait pas droit à l'erreur, car le grimoire se consumerait aussitôt prononcée les paroles de pouvoir et ses cendres serviraient à animer le construct.
L'elfe en profita pour relire les règles de commandement : le golem lui obéirait, ou à toute autre personne qu'il désignerait. Exempt de cervelle, il ne faudrait jamais compter sur lui pour prendre une initiative : toute action dépendrait des ordres donnés. Sauf s'il était attaqué : c'était la seule situation dans laquelle il pouvait agir de son propre chef et de manière prévisible : en frappant à son tour.

Le barde s'absorba totalement dans l'étude de l'incantation. Elle était longue, complexe, et lui-même n'était pas familier de ce genre d'opération - il n'était qu'un amateur, en matière de magie -, ce qui n'arrangeait pas les choses. Cependant, il essaya de pallier à son inexpérience en se montrant méticuleux, scrupuleux, sinon presque maniaque dans l'attention qu'il mit à lire et apprendre la formule. Il alla jusqu'à la recopier à deux ou trois reprises, afin de la maîtriser le plus parfaitement possible.
Enfin, lorsqu'il fût à peu près satisfait, il se tourna vers les gamins pour voir dans quelle mesure leurs travaux avaient avancé.

La tête dont Victor et Jehan avaient pourvu la bête était des plus originales. Même Martin s'était approché pour la contempler, interdit.
" On dirait un peu ma grand-mère." finit par dire le courtisan, avec une moue indécise.
" Pas du tout, c'est un mélange entre une panthère et un illithid !" expliqua Jehan.
" Avec des oreilles de troll." ajouta Victor.
" Et des dents de gobelours."
" On n'arrête pas le progrès."
" Et on voit que vous n'avez jamais vu ni troll, ni gobelours, ni Illithid." intervint Rumoc.
Il était difficile de qualifier la mine du mille-pattes. Il avait des crocs, des cornes, des yeux et des oreilles. Et il était foncièrement laid. Au delà de ça...

-Bon et bien, puisque tout est en place, ne perdons pas de temps ! lança l'elfe. Ce serait tout de même bête qu'une nouvelle secousse vienne tout démolir... Je vais donc réciter la formule. Je vous demanderai d'être très silencieux pendant que je le fais : la moindre erreur peut avoir des conséquences... néfastes.
Il se fendit d'un sourire encourageant - dont il ignorait à qui il était vraiment destiné - puis, prenant une profonde inspiration, débuta l'incantation.

La longue incantation se composait en réalité de morceaux de sorts plus connus enchâssés les uns dans les autres. Aucun n'était réellement familier au barde, même s'il en reconnaissait des bribes : résurrection, animation, pouvoir élémentaire de terre... Il demeura concentré. Personne ne le troubla par ses bavardages ou un contact intempestif. Le sol ne trembla pas. Le temps sembla se suspendre tandis qu'il sentait l'énergie bouillonner entre ses doigts, de plus en plus pure, de plus en plus virulente. Il arrivait en fin de texte, les mots se brouillaient devant ses yeux, devenaient vivants, chargés, l'énergie se concentrait jusqu'à ce que dans un claquement sec, le livre s'embrase, d'une flamme orange sombre, presque brune, et tombe en poussière à ses pieds. Il lui suffit alors de prélever une poignée de ces cendres et de les lancer sur la créature.
Tout le monde retenait son souffle.
Puis un frémissement parcourut la sculpture d'argile. Ses trois yeux circulaires s'allumèrent d'une vague lueur terne. Une mandibule claqua.
Personne n'osa bouger.

La Couronne de Cuivre

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