La Couronne de Cuivre

Le moyen n'avait en effet rien d'orthodoxe et pouvait même passer pour inquiétant. Mais il fallait reconnaître que la solution imaginée par Eärundra était astucieuse à défaut d'être sans danger. Kasumi garda longuement le silence en songeant aux implications de ce plan : convaincre les gardes de se priver de deux aigles n'allait pas se dérouler sans mal. Convaincre Sylvia que ce n'était pas une folie allait s'avérer plus problématique encore... Il se tourna vers cette dernière, guettant sa réaction avant d'interroger son père :

- J'imagine que vous n'avez jamais volé auparavant. A dos d'aigle j'entends. Moi non en tous cas. Papa, une telle requête ne doit pas non plus être coutumière, je me trompe ?

La druidesse rit doucement.
- Détrompez-vous, ce ne sera pas mon premier vol à dos d'aigle. Je dois avouer que... hum... j'ai déjà cédé à la tentation d'emprunter une monture ailée dans ma jeunesse.
Galawen ouvrit des yeux scandalisés. Elryndel semblait las, trop las pour réfléchir peut-être. Mais il répondit néanmoins à la question de Kasumi.
- J'ai quelques connaissances au sein de la garde, mais je ne sais pas s'ils accepteraient de nous prêter un de ces aigles. Les rôdeurs qui les utilisent leurs sont souvent liés. Peut-être pas toujours...
- Non, pas toujours, assura la druidesse. Je n'aurais pas emprunté le familier d'un rôdeur ! Enfin... j'aurais pu, bien sûr, si je l'avais voulu...
Elle rit.
- Mais en l'occurrence, c'était un simple guerrier. Ecoutez, Elryndel, si vous pouvez obtenir qu'on nous prête un aigle, ce serait plus simple...
- Je ne suis pas en état de négocier quoi que ce soit, soupira l'elfe.
- Je pense que votre mère le pourrait, d'après les souvenirs que j'ai d'elle...
Galawen parut quelque peu vexée d'être tenue en-dehors des négociations. Kasumi la vit pincer les lèvres. L'inimitié entre elle et la druidesse était palpable.
- Et si ça n'est pas possible... et bien je me les procurerait moi-même, poursuivait la druidesse d'un ton tranquille, s'attirant un regard encore plus noir de Galawen. Eärundra se tourna vers elle et la fixa droit dans les yeux, enfonçant le clou.
- Vous n'imaginez pas à quel point ils seront heureux de retrouver un peu de liberté.

Si Kasumi se doutait que les deux femmes avaient un passif à régler, l'attitude d'Eärundra n'était pas constructive et ne faisait que jeter de l'huile sur le feu. Il entreprit donc d'intervenir pour calmer le jeu avant que la situation ne dégénère trop :

- Nous avons tout sauf besoin de nous mettre la garde de la ville à dos, Eärundra. Nous tenterons donc de négocier pour les obtenir. Et si ce n'est pas possible nous aviserons à ce moment là. Et je crois qu'il sera rien moins qu'utile d'avancer pour argument que nous avons quelqu'un ayant déjà volé sans leur consentement avec nous. Galawen, si nous parvenions à récupérer ces aigles, vous serait-il possible d'amener nos compagnons là où nous aurons repéré notre shaman ? Car après l'avoir repéré, il faudra peut-être le... convaincre par tous les moyens.

Galawen grimaça, et secoua la tête.
- C'est peu probable. Je ne peux me téléporter qu'à un endroit que je connais déjà, et dont je me souviens avec précision. Je ne connais quasiment aucun endroit dans ce désert, il faudrait un sacré coup de chance pour que le lieu où vous trouverez le shaman se trouve à proximité d'un de ces endroits...
- Il sera toujours possible de rester en contact par un sortilège, intervint Tilmandil.
- Oui, bien sûr... Vous nous expliquerez où vous l'avez trouvé, et nous aviserons à ce moment-là...
Sylvia, quant à elle, restait silencieuse. On sentait que le plan proposé ne lui plaisait guère.

Il s'était attendu à la réponse de Galawen mais elle n'en était pas moins déplaisante : accepter de suivre le plan proposé par la druidesse signifiait de se priver de la présence de tous les autres. Mais avaient-ils le choix ? A supposé qu'emprunter les aigles se révèle faisable... La réaction de Sylvia ne le surprenait pas davantage que la réponse de la compagne de son père mais il ne voyait pas quoi dire pour apaiser sa déception palpable : il était évident que la rôdeuse aurait voulu le suivre et qu'elle n'apprécierait pas de le voir s'envoler avec la jeune elfe pour une mission dangereuse dont elle serait exclue. Kasumi se tourna vers elle pour reprendre la parole :

- Dans ce cas, il ne restera qu'à espérer qu'Eärundra et moi puissions rapidement repérer sa connaissance et vous transmettre l'endroit où vous pourrez nous rejoindre. Mais cela ne sert à rien de faire de tels plans tant que nous n'aurons pas atteint la ville et sondé le commandant de la garde ailée.

Eärundra haussa les épaules.
- Bien entendu.... Même si, je vous le redis, personnellement je peux me passer de leur accord. Mais je suppose que vous craignez des représailles à votre retour. Espérons, dans ce cas, que vous parviendrez à les convaincre.
Elle se releva, estimant sans doute que la pause avait assez duré.
- Reprenons notre route. Kasumi, Sylvia, voulez-vous passer un moment devant ? Je peux porter un moment le brancard avec Tilmandil.
- Je peux le faire aussi, intervint Galawen, glaciale, provoquant un nouveau haussement d'épaules insouciant d'Eärundra.
- A votre aise, je jouerai les arrière-gardes en ce cas...

Eärundra avait au moins suffisamment de tact pour lui permettre de marcher un peu aux côtés de Sylvia mais il n'était pas certain qu'elle prendrait l'initiative d'une conversation. Mais avant de se remettre en route, il échangea un regard avec Galawen qui semblait très éprouvée, nerveusement surtout. Et on ne pouvait pas lui jeter la pierre après avoir passé des mois aux côtés d'Elryndel en étant impuissante à le soigner.

- Oui, mettons-nous en route. Une longue marche nous attend encore avant que Galawen puisse nous ramener à Everaska.

Mettre un peu en valeur son rôle indispensable lui mettrait peut-être un peu de baume au cœur.

Galawen ne releva pas ses paroles, trop préoccupée, peut-être, par l'état d'Elryndel, ou par cette tension palpable entre la druidesse et elle-même. Et la petite troupe se mit en route, cheminant lentement dans une forêt qui devenait petit à petit plus ordinaire, moins lumineuse, moins luxuriante. Insensiblement, leur allure s'était ralentie. La douce euphorie qu'ils ressentaient tous, à des degrés variés, dans le bosquet de Celd, avait disparu, faisant place à de l'appréhension et de la lassitude.
Sylvia marchait en silence, les yeux baissés, se concentrant sur les bruits environnants, guettant la présence d'animaux, de prédateurs. En apparence, elle était simplement très concentrée. Mais tout de même, son silence était anormal. Et surtout, elle semblait éviter soigneusement de croiser le regard de son compagnon.

Meurtri par l'attitude désolée de sa compagne, Kasumi garda tout d'abord le silence sans chercher à la brusquer. Mais, au bout de quelques minutes, ne supportant plus de la laisser dans cet état sans la soutenir, il glissa tendrement sa main dans la sienne avant de parler à voix basse :

- Je suis désolé... Mais s'il te plait, ne te referme pas ainsi. J'ai besoin de toi.

- Tu n'as pas à être désolé, ce n'est pas ta faute...
La voix de Sylvia était tendue, un peu rauque peut-être.
- C'est juste que... j'aurais tellement voulu pouvoir être auprès de toi, t'aider... Là, je vais me rendre malade à attendre que tu reviennes, sans savoir si tu vas bien, en me demandant tous les jours si tu es encore en vie...
Elle serra les poings.
- Je suis sûre qu'il doit y avoir un moyen pour que je te suive, pour qu'on prenne un autre aigle, ça n'est pas possible, je ne veux pas rester seule en arrière...
Elle n'avait pas levé les yeux vers lui, mais il devinait, au ton de sa voix, qu'elle était au bord des larmes. Ou peut-être même qu'elle pleurait...

Le rôdeur sentit son cœur se pincer à nouveau en constatant combien la tristesse de Sylvia était palpable, combien sa tristesse était profonde, renvoyant certainement à ses années de solitude, à la peur d'un nouvel abandon. Alors Kasumi, même s'il se sentait maladroit, même s'il ne savait pas vraiment comment gérer ce genre de situation déchirante, tenta malgré tout de répondre d'un ton doux, sincère et optimiste :

- Je ne sais pas si ce sera possible. Nous devrons aviser sur place. Mais ce dont je suis certain c'est que je suis ici aujourd'hui, à tes côtés. Et si demain je ne le peux pas, je ferai tout pour revenir au plus vite auprès de toi. Parce que c'est là qu'est ma place tant que tu le voudras. une personne très sage m'a dit un jour qu'il fallait savoir profiter du présent et que l'avenir arriverait bien assez tôt. Je l'ai cru et je la crois encore : elle est très convaincante avec son sourire envoûtant.

Sylvia se contenta d'un sourire triste, et ne répondit rien. Elle se blottit simplement contre lui, accablée. Leurs compagnons leur avaient laissé suffisamment d'avance pour qu'ils puisse profiter d'un peu d'intimité, et elle pouvait se permettre de se laisser aller.
Il vit ses yeux s'emplir de larmes, mais elle ne dit rien pendant un moment. Les mots étaient inutiles à apaiser sa peine, ils le savaient tous les deux. Elle allait se morfondre, seule dans une cité inconnue, elle allait s'inquiéter, et même la réassurance des sentiments du rôdeur à son égard ne pouvaient rien contre ça.
- Peut-être que je devrais attendre ton retour ici plutôt qu'à Everaska... Au moins, je serai entourée des miens. mais non, si jamais on a une opportunité d'aller t'aider, je ne peux pas rester là...

Kasumi la laissa exprimer sa tristesse puis s'apaiser dans ses bras sans dire un mot. Il était bien conscient qu'aucun ne pourrait l'aider alors il se contenta de lui offrir une épaule, d'être présent pour elle. Puis, quand il la sentit un peu plus vaillante, assez pour se projeter un peu dans l'avenir, il essuya l'une de ses joues d'une caresse délicate et lui adressa un sourire un peu triste avant de répondre :

- Si tu penses que ce sera un peu moins dur pour toi d'attendre au campement, ma tante t'y amèneras. Et je suis certain qu'elle pourra aussi venir te rechercher quand nous aurons localisé le shaman. Mais nous n'en sommes pas encore là : nous ignorons même si le plan d'Eärundra est faisable. Nous allons nous rendre tous ensemble à Everaska.

- D'accord, murmura Sylvia sur le ton de quelqu'un qui rend les armes. Elle n'ajouta rien, se contentant de se serrer plus fort contre lui. Que dire puisqu'ils n'avaient de toute façon pas le choix ?
Le reste du trajet se poursuivit en silence. Ils relayèrent Tilmandil et Galawen, puis ce fut le tour Eärundra et à nouveau Tilmandil de porter le brancard. Ils ne firent qu'une rapide pause à midi, et Kasumi nota que la druidesse et la magicienne n'échangèrent pas trois mots. Léo menait sa vie, de son côté, et ils ne le virent pas de la journée. sa blessure à la patte semblait désormais totalement guérie, et il prenait plaisir à chasser à nouveau.

Au moment où le soleil déclinant les invitait à chercher un lieu de bivouac, ils n'étaient plus très loin, selon Galawen, de la limite à partir de laquelle elle pourrait les téléporter. Elle n'en était plus très sûre, mais il lui semblait qu'ils n'en étaient qu'à deux ou trois heures de route.

La journée s'avéra particulièrement morose et donc particulièrement éprouvante. Dans ces conditions, il aurait été tentant de poursuivre jusqu'à la limite d'influence du bosquet pour permettre à Galawen de téléporter une partie du groupe. Mais le demi-elfe jugea rapidement que ce ne serait pas vraiment raisonnable : mieux valait bivouaquer ici et partir tôt le lendemain matin pour permettre à la mage de procéder alors qu'elle serait en pleine possession de ses moyens et non après une journée entière de marche. Se tournant vers ses compagnons, il s'enquit de leur avis après avoir exposé sa proposition.

Eärundra acquiesça à la proposition du rôdeur.
- Je pense qu'il vaut mieux prendre des forces, en effet. Et de toute façon, arriver là-bas au milieu de la nuit n'est pas forcément idéal, surtout si vous voulez vous reposer suffisamment pour faire une deuxième téléportation le lendemain, ajouta-t-elle en se tournant vers Galawen.
La magicienne lui décocha à peine un regard, mais acquiesça.
- Je pense aussi qu'il vaut mieux prendre des forces. Je pourrai faire un premier voyage demain, et je ferai un aller-retour après-demain pour le reste de la troupe. Il faut tout de même décider qui rentre et qui reste.
Elle se tourna vers Kasumi.
- Il est peut-être préférable que ce soit vous et votre amie qui restiez, vous connaissez bien les bois...
Elle s'interrompit en voyant apparaître Léo, et pâlit subitement.
- Mince, je n'avais pas compté Léo... Il compte comme une personne, et je ne peux en transporter que trois...

Kasumi écarquilla les yeux à son tour et se maudit de ne pas y avoir pensé plus tôt. Ce mauvais compte était une mauvaise nouvelle de plus qui les privait, Sylvia et lui, d'une dernière journée d'intimité avant qu'ils n'aient à se séparer. Il se mit à réfléchir à toute vitesse sans oser croiser le regard de Sylvia de peur de le trouver accablé une fois encore. Elryndel devrait forcément faire partie du premier voyage afin d'être pris en charge au plus tôt. De même, il ne pouvait pas décemment demander à Tilmandil de rester en arrière avec Eärundra et Léo pour faire le voyage avec Sylvia. Enfin, emmener Léo sans Eärundra ou au moins l'un des deux rôdeurs pour le contrôler pourrait se révéler risqué et dangereux. Cela ne laissait plus que deux possibilités : garder Léo avec eux ou alors Tilmandil...

- Je souhaite rester avec Sylvia ici mais il faut donc que l'un d'entre vous demeure aussi. Tilmandil me parait le choix le plus logique s'il n'est pas trop pressé de retrouver le confort de sa vie citadine. Mais sinon nous pouvons garder Léo si Eärundra accepte de nous le confier pour cette journée.

- Je peux rester, bien sûr ! s'exclama Tilmandil. Je survivrai bien à une journée supplémentaire ici... je ferai l'inventaire de toutes les espèces animales et végétales que je peux inclure dans mon oeuvre épique...
Sylvia ne dit rien, mais il était évident qu'elle avait le coeur lourd.
Eärundra resta songeuse un moment, puis secoua la tête, se tournant vers Tilmandil.
- Je pense qu'il vaut mieux que vous rentriez. Vous pourriez être utile là-bas, s'il faut commencer à négocier avec le commandant de la garde ailée... Et je pense que Léo a suffisamment confiance en Kasumi, à présent, pour rester une journée auprès de lui. En tout cas, moi j'ai suffisamment confiance en vous pour vous le confier, conclut-elle, d'un ton grave, en se tournant vers le rôdeur.

Kasumi était relativement surpris que la druidesse accepte de leur confier Léo. C'était là une preuve de confiance et de tact laissant à penser que la druidesse était bien plus sage et généreuse que ce que ses prises de becs avec Galawen et même avec Sylvia quelques jours auparavant auraient laissé à penser. Le demi-elfe ne manqua pas de la remercier d'une voix empreinte de sincérité :

- Merci de votre confiance. Je sais combien il est difficile de se séparer de son compagnon animal, même pour une journée et vous n'hésitez pas à le faire pour nous aider. C'est très noble de votre part, Eärundra. Je suis désolé si ton séjour doit se trouver écourter, Tilmandil mais je te promets une séance de rattrapage alors ne t'en fais pas !

Il avait osé cette sortie un peu plus légère dans l'espoir d'alléger un peu l'atmosphère plutôt grave et lourde depuis qu'ils avaient quitté le bosquet de Celd.

Tilmandil lui répondit d'une grimace, en s'offusquant d'être ainsi mis à l'écart d'une journée entière d'héroïsme épique qui manquerait certainement à son oeuvre. Plaisanterie mise à part, il semblait surtout soulagé de rentrer... et de ne pas se trouver contraint de s'isoler une journée entière pour laisser les rôdeurs en tête à tête.
Sylvia adressa un sourire vaguement reconnaissant à Eärundra. Il était évident pour tout le monde que la druidesse agissait ainsi avant tout pour compenser le fait qu'ils allaient devoir, à cause d'elle, se séparer pour une durée indéterminée. Cela dit, son prétexte concernant les négociations à mener avait du sens...

On décida de monter le camp non loin de là, en bord de rivière, dans un espace offrant une vue relativement dégagée sur la forêt en contrebas. Kasumi put constater qu'ils étaient sur le point de quitter la colline, et se trouvaient effectivement à deux ou trois heures de marche du campement autrefois monté par Elryndel et son équipe. Il restait à décider s'il fallait un tour de garde, maintenant qu'ils n'étaient quasiment plus sous l'influence du bosquet, ou s'ils préféraient s'en remettre à la chance.

L'ombre du sourire qui se dessina sur le visage de Sylvia remit un peu de baume au cœur du rôdeur. Demain, ils pourraient camper à l'endroit idéal où s'étaient installée l'expédition précédente. Même s'il ne bénéficieraient pas de la même quiétude que dans le bosquet, la région n'était pas aussi dangereuse que celle des marais et ils pourraient trouver un arbre pour y dormir en sécurité. Avec Léo en renfort, ils n'auraient pas à veiller toute la nuit. Ces anticipations ainsi que la volonté de ne pas prendre de risque motivèrent la réponse du demi-elfe :

- Je pense qu'il est préférable d'instaurer des tours de garde. Sylvia et moi pourrons nous reposer pendant que vous mènerai tous les premières négociations. Je propose donc que nous prenions deux tours de garde comme habituellement.

Tilmandil acquiesça.
- D'accord pour monter la garde ! Vous pouvez même dormir tranquille toute la nuit, si vous voulez, les rôdeurs : je suis capable de veiller la nuit entière, s'il le faut, puisque je sais que je retrouve demain matin le confort de mon lit douillet ! Hum, quel bonheur !
Remarque qui lui valut quelques sourires amusés de la part des habitués à la vie des bois, et un hochement de tête approbateur de la magicienne.
Mais on décida finalement de ne rien changer aux tours de gardes habituels. Tilmandil assura simplement qu'il prendrait le sien plus tôt que d'habitude, et il était probable qu'Eärundra réveille Sylvia plus tard, de façon à ce que les rôdeurs aient une garde un peu allégée : après tout, il leur restait encore une journée et une nuit à tenir, même s'ils avaient l'habitude de ce genre de milieu.

La pluie, inattendue et rapidement torrentielle, vint interrompre leurs discussions, éteignant quasiment le feu où mijotait leur repas. Ils durent renoncer à manger chaud, abandonner la soupe à demi-cuite pour se rabattre sur des galettes et de la viande froide, et surtout se réfugier rapidement sous les tentes. Du moins, pour ceux qui en avaient une.... Eärundra disparut rapidement sous le couvert des arbres, à la recherche d'un abri naturel. restait aux rôdeurs à décider de l'endroit où ils comptaient dormir... sans pour autant négliger leur tour de garde. Ils étaient certains de tomber malade s'ils dormaient dans cette vaste clairière trop dégagée.

Si la pluie torrentielle gâcha leur repas, elle fournit un excellent prétexte pour que les rôdeurs ne se séparent pas immédiatement après que tous soient partis se coucher. Le demi-elfe se tourna tout sourire vers sa compagne et l’interpella, non sans taquinerie dans la voix :

- J’espère que tu te souviens de nos leçons sur les abris de fortune ! Tu veux t’occuper de la structure ou du toit ?

Le rôdeur avait en tête de créer un abri en forme de demi toile de tente en plantant deux ou trois piquets obtenus à partir d’essence de noisetiers, fine et solide. Une autre branche le relieraient à condition de tailler correctement l’extrémité des piquets. Enfin, le toit serait obtenu en plaçant des branches d’épineux contre la structure du côté exposé au vent. L’avantage serait de parvenir à un résultat probant en moins d’une demi-heure à condition de s’y mettre à deux. Il faudrait se serrer un peu quand l’un d’entre eux n’assurerait pas son tour de garde mais cela ne le gênait aucunement.

Sylvia acquiesça avec un sourire complice, et ils se mirent à l’œuvre avec entrain, coupant les branches dont ils avaient besoin, les assemblant rapidement en une structure solide qu'ils couvrirent de marges branches de sapins. Le tout, comme l'avais escompté Kasumi, en moins d'une demi-heure.
Malheureusement, cette demi-heure avait permis à la pluie torrentielle de transformer le sol en boue gluante, et l'intérieur de leur abri tout neuf menaçait de devenir une gigantesque flaque d'eau. il leur fallut donc surélever le sol à l'aide d'empilement de branchages, ce qui leur prit encore un peu de temps. Ils finirent par obtenir enfin quelque chose d'à peu près sec, et plutôt moelleux, où Sylvia s'allongea avec délices.
- Parfait... Confortable, spacieux, sec, je sens que je vais bien dormir ! Promis, je te garde une petite place pour quand tu viendras me rejoindre. Enfin, à moins que tu ne veuilles venir tout de suite et monter la garde depuis l'intérieur ?
Vu le déluge qui s'abattait toujours sur eux, la proposition était tentante. Peut-être pas très sûre, néanmoins : son champ de vision serait réduit, et les feuillages amortiraient les bruits.

S'abriter aurait été très tentant en effet, d'autant que cela lui aurait permis de ne pas s'éloigner de sa belle rôdeuse mais ça n'aurait pas été raisonnable non plus. La pluie allait déjà considérablement étouffer les sons et leur abri avait été placé en fonction du vent et n'offrirait pas un champ de vision sur tout le campement. La mort dans l'âme, le rôdeur choisit donc de rester debout sous la pluie battante. Mais, avant de quitter sa compagne, il se permit une dernière provocation cachée derrière une excuse plutôt douteuse :

- Puisque tu es bien au sec là dedans, est-ce que ça t'ennuie de garder ma tunique à l'abri ? Comme ça je la trouverai un peu plus sèche au moment de dormir... Et défense de me la voler !

Et sans se départir de son sourire, il s'en défit lentement avant de la suspendre soigneusement sur le bout d'une branche, dans un coin où elle pourrait égoutter sans gêner la jeune femme. Puis, sur un dernier clin d'œil, il s'éloigna pour trouver un abri tout relatif du côté des arbres.

La rôdeuse rit de bon coeur.
- Ma parole, tu es fou ! Tu vas attraper la mort sous ce déluge !
Elle n'ajouta rien, se contentant de le regarder s'éloigner en silence, un sourire amusé aux lèvres. Elle finit par se retourner et, selon toute probabilité, s'endormir.

Le tour de veille du rôdeur ne s'éternisa pas : il faut dire qu'ils avaient passé un bon moment à installer leur abri. Et Tilmandil avait certainement fait en sorte de se réveiller plus tôt que d'habitude. L'averse battait toujours son plein lorsque Kasumi, depuis l'abri des arbres, vit le barde émerger de sa tente, grimacer en contemplant le déluge, et le chercher du regard. Rien de notable s'était passé, et le silence était complet à l'exception du tambourinement de la pluie. A croire que les habitants des bois se tenaient eux aussi bien à l'abri du mauvais temps.

Kasumi fit signe à son demi-frère de le rejoindre : la position qu'il occupait, à défaut d'être très confortable était au moins un peu plus sèche que le centre de leur campement et il avait utilisé une souche fort bien placée pour s'asseoir tout en ayant une bonne vue d'ensemble du campement :

- Le temps est magnifique, presque vivifiant, tu ne trouves pas ?

Lui-même n'avait qu'une seule hâte : retourner s'allonger au sec mais il n'allait certainement pas l'avouer quoique cela devait sembler évident.

Tilmandil se hâta de le rejoindre, affichant un sourire tranquille.
- Tout à fait..., répliqua-t-il sur le même ton. De l'eau bienfaisante à volonté, une douche gratuite offerte par Dame Nature, idéale après des journées à macérer dans notre transpiration. Je comprends que tu te sois mis torse nu ! Il te reste du savon à me prêter ?
Il prit la place, à peu près sèche et abritée, qu'avait occupée le rôdeur, et reprit, plus sérieusement.
- Cela dit, je te conseille de te sécher avant de rejoindre ta chère et tendre... Je ne sais pas si elle apprécie les réveils glacés en milieu de nuit ! J'imagine qu'il n'y a rien à signaler ? Pas de zombie assoiffé de sang, pas d'araignée visqueuse, pas de sanglier enragé ?

Kasumi adressa un sourire entendu à son demi-frère, appréciant son ton léger même s'il avait du mal à dissimuler des taquineries bon enfant. Sa réplique fut du même acabit :

- Oh, rien à signaler, non : toutes ces horreurs ont certainement dû penser que j'étais quelque esprit des bois ou un habitant naturel de la forêt. C'est la raison de mon déguisement ! Tu devrais en faire de même ! Mais je te déconseille de suggérer à Eärundra de prendre notre suite : j'ignore comment elle pourrait le prendre, même venant de toi !

Il s'éloigna de quelques pas sans se soucier de la pluie et avec l'intention d'utiliser un linge propre pour s'éponger : peut-être sa tunique de tout à l'heure si elle n'était pas tout à fait sèche. Au milieu du chemin, il se retourna pour souhaiter la bonne nuit à Tilmandil avant de poursuivre vers l'abri qui avait des allures de petit paradis si l'on tenait compte du temps épouvantable et surtout de sa chère et tendre qui y avait trouvé refuge.

Sylvia dormait profondément, sa poitrine se soulevant régulièrement au rythme de sa respiration. Sa couverture avait légèrement glissé, dévoilant le haut de son torse. Elle avait gardé sa tunique, sans doute pour contrer le froid. Elle ne réagit pas à l'entrée du rôdeur.
Celui-ci trouva sa tunique encore humide, suffisamment pour qu'il n'ait aucun scrupule à s'en servir pour s'essuyer le torse. L'atmosphère de l'abri était relativement sèche et plus tempérée que l'extérieur, mais en voyant sa compagne chaudement couverte, il dut réaliser qu'il faisait tout de même un froid plutôt vif à cette heure de la nuit. Il aurait de la chance s'il ne se retrouvait pas avec un refroidissement le lendemain. Mais s'il voulait se réchauffer, il n'avait pas d'autre choix que se glisser tout contre sa compagne : l'endroit était exigü.

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines