La Couronne de Cuivre

Voilà qui confirmait sans doute possible les déductions du rôdeur-clerc : le collier était magique -peut-être même maudit – et semblait destiné à asservir le tigre à la volonté de son maître. C’était une abomination de son point de vue mais il ne disposait pas des sortilèges nécessaires pour en débarrasser le félin. Il pouvait tenter de le forcer mais il préférait ne pas s’y risquer avant d’avoir pu obtenir de plus amples informations : si le collier disposait aussi d’un moyen de défense, il y avait à craindre pour la santé de l’animal.

Le tigre ne bougeait pas, probablement à cause du sortilège. Au bout de quelques minutes, cependant, il se redressa et Kasumi crut lire une forme de désespoir dans ses yeux, un appel à l'aide peut-être. Il se dirigea vers le chêne de la dryade, et, à nouveau, frotta son collier au tronc.

Mylène, de son côté, avait sorti elle aussi quelques provisions. Pas grand-chose : il ne leur restait presque rien. Mais l'apparition de la belette l'avait arrêtée dans ses préparatifs.
" Elle est magnifique votre... heu.... hermine ? Ou belette ? Elle a l'air toute jeune ! Comment vous avez fait pour l'apprivoiser ?

HRP : de retour, plus ou moins ! Et bonne année à vous !

Eldrina ne put s'empêcher de sourire à la remarque de Mylène. C'était vrai, Belette était une fort belle belette ... Même si la rôdeuse ne savait pas trop quoi penser du pronom possessif employé par la jeune femme. Est-ce que Belette était vraiment "sa" belette ? Elle ne la voyait certes pas comme une propriété, et elle n'avait aucun droit ou espèce de règle sur l'animal. Mais elle songea que ce n'était de toute façon sans doute pas vraiment ce que Mylène avait en tête. Belette était peut-être "sa" belette parce qu'elles étaient liées désormais, et elle-même était la rôdeuse de Belette. Elle aimait bien cette idée. Mettant fin à ses réflexions un peu erratiques, elle finit par répondre à la question qui lui avait été posée, gardant un oeil et une main protectrice sur l'animal qui était toujours inquiète de la présence de la louve - et elle ne pouvait guère le lui reprocher.

- Je ne l'ai pas apprivoisée. Enfin, c'est compliqué. Toute une histoire. C'était hier pour nous. Je l'ai ... trouvée, en suivant des fantômes, en fait. La rôdeuse retint une grimace, consciente que son récit n'était pas raconté de la meilleure des manières. Elle songea à ce que lui avait dit l'apparition féminine ; que Belette n'était pas comme les autres, et qu'elle l'avait choisie. Elle est un peu spéciale, je découvre encore ...

Elle n'était pas très douée pour faire de longs récits et ne savait pas, du reste, si Mylène serait vraiment intéressée par tout un déballage d'informations. Elle s'apprêtait à manger, après tout, et elle ne savait pas ce que Kasumi avait prévu. Néanmoins, elle conclut ses mots par un sourire, et se tenait prête à répondre si son interlocutrice avait d'autres choses à lui dire.

Kasumi laissa les deux jeunes femmes faire connaissance et préféra porter ses pas vers le tigre et appeler à lui Première Neige. Il avait en effet senti la tension qu'elle provoquait mais aussi, préférait la compter à ses côtés alors qu'il entendait à nouveau examiner le collier du tigre : il allait tenter de l'aider à s'en défaire si la chose semblait possible. Dans tous les cas, il voulait lui faire comprendre que telle était son intention et que ce n'était qu'une question de temps jusqu'à ce qu'il le libère.

" Des fantômes... Remarquez, ça n'est pas si rare, dans cette maudite forêt. Mais c'est une drôle d'histoire quand même."
Elle observa attentivement l'animal.
" Elle n'a pas l'air tellement spéciale... Sauf peut-être sa couleur. Le marron qui apparaît par tâches est plus clair que d'habitude, il me semble. Ou le blanc, moins blanc, je ne sais pas trop. En tout cas le contraste est moindre. Mais ça doit être normal, je n'ai pas tant vu de belette après tout.

Le tigre, de son côté, continuait à frotter son collier contre le chêne avec obstination, comme s'il espérait le déchirer. En vain. Il tourna ses yeux vers Kasumi lorsqu'il s'approcha, et celui-ci lut une supplique dans ses yeux. Le collier n'avait pas été le moins du monde entamé par l'écorce du chêne. Mais il avait attiré l'attention de l'occupante des lieux : Eldrina, Kasumi et Mylène virent alors l'écorce du chêne se déformer, ondoyer, formant un visage, un tronc, des membres, qui s'en détachèrent, formant une silhouette à la peau de bois et à la chevelure de feuillages, du vert profond de la fin de l'été, où vinrent aussitôt se poser deux moineaux. La dryade leur sourit, inclinant légèrement la tête en guise de salutation, puis reporta son attention sur l'animal.
" Un bien étrange animal..."

Kasumi s’éloigna aussitôt d’un pas pour laisser sa place à la dryade et s’inclina devant elle dans le même mouvement. Il l’écouta puis répondit d’un ton de grand respect à sa remarque :

- C’est un plaisir de vous voir, dame dryade ! Veuillez pardonner ce tigre de s’être frotté à votre chêne : il est incommodé par le collier qui le retient prisonnier et dont je n’ai pas encore réussi à le libérer.

HRP : il me semble qu’on n’a jamais défini son nom.

HRP : effectivement... mais elle vient de naître, sans doute n'en a-t-elle pas encore et n'est-elle baptisée qu'à une certaine date de l'année (comment ça, faut que je trouve des excuses ? Meuhnon !)

Le tigre avait lui aussi reculé, impressionné peut-être par l'apparition.
" Un bien étrange tigre, répéta la dryade. Ce n'est pas un animal ordinaire. Mais vous ne devriez pas tarder trop à lui ôter son collier : il y a trop longtemps déjà qu'il le porte."

De son côté, Mylène semblait avoir perdu la parole et se contentait de contempler l'apparition sans rien dire.
La belette d'Eldrina, quant à elle, avait bondi sur l'épaule de la rôdeuse en voyant le chêne bouger. Mais sitôt que la dryade se mit à parler, elle se précipita pour l'escalader sans vergogne, et se retrouva bientôt perchée sur sa tête, au milieu de la chevelure de feuillages. Ce qui ne semblait pas gêner la dryade le moins du monde.

Kasumi esquissa un sourire amusé en voyant la belette prendre position dans la chevelure de la dryade : l'être féérique semblait dégager une attirance irrésistible pour tous les petits animaux d'Aubépine - il avait déjà eu plusieurs occasions de s'en rendre compte. Mais le problème du tigre continuait à le tarauder. Le conseil de la dryade acheva de le décider et il répondit calmement :

- Si vous pensez que ce n'est pas dangereux pour lui, je vais m'efforcer de le lui ôter. J'espère que la magie d'Aupénine suffira à en contrer les effets néfastes.

Il se tourna ensuite vers le félin et récita une série d'incantation pour parer toute éventualité :

Kasumi -> amitié animale -> tigre
Kasumi -> résistance -> tigre
Kasumi -> compréhension animale

Ensuite de quoi, il chercha à nouveau à le débarasser du collier, au besoin en utilisant son couteau de chasse.

Eldrina sourit à la dryade lors de son apparition, en guise de salut, et son sourire s'élargit en constatant que Belette avait aussitôt grimpé sur celle-ci, une fois de plus. Soit Belette était décidément bien hardie quand il ne s'agissait pas de gros prédateurs, soit cette dryade avait un effet particulier sur elle. Peut-être un peu des deux ... Elle cherchait quelque chose à répondre à Mylène, mais s'interrompit dans ses hésitations en écoutant la conversation que menaient Kasumi et la dryade. Elle n'avait pas posé de questions sur le tigre, pas plus que sur la louve, et s'il avait l'air un peu étrange de par son comportement et son collier, cela ne la regardait pas. Mais le tigre semblait plus étrange qu'à première vue, au vu de leurs propos, et elle se tourna pour observer ce qui se passait. Elle n'avait pas grand-chose à proposer en guise d'aide et le gardien d'Aubépine semblait savoir ce qu'il faisait, aussi resta-t-elle tranquille pour ne pas le déranger. Du reste, Kasumi semblait vouloir tenter quelque chose de délicat et le collier avait l'air relativement inquiétant - elle était curieuse de voir ce qui se passerait, même si elle espérait que personne ne subirait de conséquences néfastes.

Le couteau ne parvint pas à entamer le collier : il avait beau être affûté, il ne laissait pas la moindre marque sur le cuir imprégné de magie. Le tigre s'était couché aux pieds de Kasumi, totalement soumis sous l'effet de la magie, et peut-être, aussi, confiant. La dryade, tout en observant la scène avec une curiosité bienveillante, s'était retirée près de son chêne qu'elle réintégrait peu à peu.

Au bout de deux ou trois tentatives, Kasumi s'aperçut qu'en effleurant les runes qui se trouvaient cachées à l'intérieur, il déclenchait quelque chose. Quoi donc, il n'en savait rien, mais il était désormais particulièrement sensible à certaines formes de magie, et il sentait une puissance qui s'en dégageait. Ce n'était pas quelque chose de néfaste : le tigre ne semblait pas souffrir, en tout cas, et lui non plus. Il dut persister encore un moment dans ses efforts... et soudain il sentit le cuir céder sous ses doigts, le collier s'ouvrir en deux comme s'il avait été constitué de métal.
Il y eut alors une explosion de lumière aveuglante.

Lorsqu'ils retrouvèrent l'usage de la vue, le tigre avait disparu. A sa place se trouvait, l'air un peu hébété, un elfe d'un certain âge, à la peau cuivrée et aux yeux noisette, et à la longue chevelure blonde.

Par réflexe, Kasumi fit un pas en arrière avant de se reprendre, en partie remis de sa surprise initiale. Il ne s'était certes pas attendu à pareil résultat mais au moins semblait-il parvenu à son objectif : libérer le "tigre" de ses entraves. Avant de chercher à comprendre comment un tel prodige était possible, il examina du regard l'elfe en question à la recherche de blessure ou de signes distinctifs puis tenta de la rassurer préventivement dans sa langue supposée :

- Vous êtes en sécurité. Je m'appelle Kasumi. Et vous ?

L'elfe dévisagea Kasumi avec l'air un peu perdu.
" Mi... Mielwen, finit-il par répondre, d'une voix complètement enrouée. Je... Merci", ajouta-t-il, en elfique lui aussi.
Il laissa errer son regard, vers Eldrina qu'il dévisagea avec curiosité, puis vers Mylène dont la vue le fit pâlir. Son regard affichait clairement de la méfiance.
Première Neige fit mine de s'approcher, et il eut un mouvement de recul involontaire, qu'il maîtrisa rapidement.

La rôdeuse était ébahie par ce qui venait de se dérouler sous ses yeux. Le tigre qui accompagnait Kasumi et Mylène, et qui portait cet étrange collier, s'avérait être - un elfe ? Une personne ? Les questions commencèrent à se bousculer dans sa tête, une fois la surprise passée et une fois qu'il fut certain que sa santé ne semblait pas en danger dans l'immédiat. Qui avait bien pu lui infliger un tel traitement, et comment pouvait-on être assez cruel pour ce faire ? Elle ne savait pas dans quelles circonstances il s'était retrouvé dans le sillage du gardien d'Aubépine et de son apprentie mais elle pouvait imaginer le pire : qui savait combien de temps il s'était trouvé dans cette situation, quel être avait pu lui faire cela ...

La rôdeuse ne parlant pas un mot d'elfique - ni d'aucune autre langue que le commun, à vrai dire - elle n'avait pas compris un traître mot de l'échange entre l'elfe et Kasumi, mais elle avait entendu ce dernier prononcer son propre nom et en déduisit qu'ils devaient en être aux présentations. Elle hésita à intervenir. Elle avait beaucoup de questions, mais ne voulait pas le brusquer. Il avait l'air encore méfiant et elle avait noté le regard qu'il avait lancé à Mylène - était-ce parce qu'elle était humaine ? Elle finit par se décider. Rester silencieuse n'était pas forcément plus rassurant non plus, après tout.

- Hem ... Je suis Eldrina. Si je peux aider ... Elle lança un regard interrogateur à Kasumi. L'idée lui vint soudain que leur interlocuteur ne parlait peut-être pas la langue commune. Mais bon, elle aurait essayé.

" Bonjour", fit l'elfe d'une voix un peu moins enrouée, en commun cette fois-ci, en se tournant vers Eldrina.
Ce qui prouvait qu'il parlait et comprenait leur langue. Il avait cependant un accent assez prononcé.
" J'aimerais savoir... Pourriez vous me dire... Où nous sommes ? Je vous ai entendu parler de lieux que je ne connais pas. Et.... aussi... quand nous sommes ?"
Il s'adressait à Kasumi et Eldrina, paraissant ignorer Mylène. Celle-ci, surmontant son caractère habituellement très affirmé, semblait avoir pris le parti de se taire et se contentait d'observer la scène.
Première Neige s'était couchée à une certaine distance de l'elfe, respectant son mouvement de recul, et observait la situation. Quant à Belette, elle avait simplement disparu dans les feuillages du chêne.

L'elfe devait être très déstabilisé et on le serait à moins après avoir passé Mielikki savait combien de temps sous la forme d'un animal et sans doute dans un plan qui n'était pas le sien. Kasumi avait noté que sa méfiance se portait sur Mylène, ce qui pouvait signifier que Mielwen n'ait pas eu beaucoup de contact avec les communautés humaines. Ou que ces dernières aient été houleuses.

Le rôdeur remercia l'approche de Mylène d'un sourire silencieux avant de répondre aux questions de l'elfe, lui précisant la localisation du bosquet par rapport à la Forêt Maudite puis la date - qu'il ne pouvait que conjecturer. Ce serait probablement une autre information déstabilisante mais il escomptait que sa bonne volonté à lui répondre pourrait rassurer l'elfe.

L'absence de précision dans la date fut en effet très déstabilisante pour l'elfe, à en juger par sa grimace. Mais la description des lieux par Kasumi le fut tout autant.
" La Forêt Maudite... Ça ne me dit rien du tout... Et la ville dont vous parliez tout à l'heure... Luménis ? Je ne connais pas non plus. Et si votre date est exacte, ça veut dire... que ça fait douze ans que je vis dans la peau d'un tigre."
Fronçant les sourcils, il se redressa subitement et se rapprocha de la fontaine, observant son reflet dans l'eau.
" J'ai pris au moins cent cinquante ans.... peut-être deux cent ans, souffla-t-il. En douze ans..."

Le demi-elfe pouvait senbtir toute la détresse dans la voix de l'elfe, sur le temps perdu - chose que les elfes ne savaient peut-être pas mieux gérer que les humains - et sur les informations difficiles à assimiler. Pour l'aider sur ce point et notamment l'aider à s'orienter, il évoqua l'île d'Helonna puis entreprit d'en tracer une représentation grossière sur une partie de sol nu. Si cela lui évoquait davantage de choses, il pourrait ainsi lui situer sa position relative, et peut-être la route de retour jusqu'à son foyer.

Eldrina restait silencieuse, abasourdie par la situation et ne voyant guère quoi ajouter aux propos de Kasumi. Elle était envahie de questions en tous genres, mais elle pouvait parfaitement imaginer que l'elfe n'avait peut-être pas envie de leur détailler toutes ses mésaventures et qu'il lui faudrait du temps pour se remettre de ses émotions. A sa place, en tout cas, c'est ce qu'elle-même aurait ressenti ...

Mais sa situation était si inhabituelle et si horrible qu'elle ne pouvait s'empêcher de laisser errer ses pensées. Douze ans dans la peau d'un tigre, quel sort terrible. Elle n'osait même pas imaginer quel genre de personnes pouvait avoir voulu lui infliger cela, ou ce qu'il avait pu faire pour subir un tel sort. Même s'il était le pire criminel, ce dont il n'avait pas l'air, ce traitement aurait tout de même était terriblement cruel. Savoir se transformer en animal, c'était une chose, être contraint de l'être et d'abandonner sa nature et sa liberté pendant douze années, perdre ce faisant beaucoup plus d'années "réelles", c'en était une autre, et la rôdeuse était horrifiée. Elle n'osait même pas imaginer à quel point l'elfe pouvait être déstabilisé, perdu. Elle-même avait tant de mal à se dire qu'elle avait bondi dans le temps de quelques mois, alors vivre ce que lui avait vécu ...

Elle demeura immobile, attentive aux explications de Kasumi et aux réactions de l'elfe. Pour l'instant, elle ne savait pas que faire de plus qui puisse l'aider, et elle laissait le gardien d'Aubépine, qui maîtrisait mieux qu'elle la géographie d'Hélonna, se charger des explications.

Le nom d'Hélonna n'évoquait rien à l'elfe. Il finit par prononcer un nom de région, d'un ton hasardeux, que Kasumi reconnut immédiatement comme étant le vocable elfique désignant la Haute-Forêt. Il ne lui restait donc plus qu'à situer Hélonna par rapport au reste de Féérune, ce qui sembla plonger l'elfe dans un abîme de perplexité et de mélancolie.
" Je crois... que j'ai besoin de plonger en rêverie, finit-il par dire. Pour renouer un premier contact avec ceux de ma race. Après douze ans... je ne sais même plus si j'en connais encore les rituels. Mais ça devrait revenir, tôt ou tard. On ne perd pas ce que l'on est au fond de soi. Et puis... il y a sans doute des elfes, sur cette île que je ne connais pas ? Des elfes sylvestres ? Eux sauront sûrement me venir en aide..."

- Oui.

Kasumi avait tenté d'insuffler tout l'optimisme possible dans cette simple réponse et il adopta une pause pour lui donner plus de poids avant de développer sa pensée :

- Il y a, à quelques semaines au nord d'ici, plusieurs communautés elfiques assez importante pour vous apporter leur aide. Je dispose d'un talisman qui vous ouvrira l'accès à leurs forêts si vous choisissez de rechercher leur assistance. En attendant, vous êtes le bienvenu ici pour entrer en Rêverie autant de temps que vous en aurez besoin. Vous pouvez préférer me suivre car je dois m'absenter plusieurs jours. Dans tous les cas, je tâcherai de me renseigner pour vous trouver de l'aide.

L'elfe secoua la tête.
" Je préfère rester ici quelques jours, quelques veilles si besoin. J'ai eu mon content d'imprévus ces derniers temps... Et puis, c'est un bosquet druidique, ici, ou ça en a été un. J'y suis en sécurité, et j'ai besoin de m'y ressourcer. J'étais... enfin... je suis druide. J'ai juste été coincé un peu plus longtemps que prévu sous forme animale."
Il ramassa le collier tombé au sol, l'observant d'un air pensif.

Kasumi essayait de se mettre dans la position de l'elfe et la seule chose qu'il parvenait à concevoir était qu'il n'était certainement pas dans un état d'esprit oùil avait envie d'entendre des questions de la part des étrangers qui venaient de le recueillir. Le demi-elfe ne chercha donc pas à assouvir sa curiosité et choisit plutôt de se montrer rassurant :

- C'est effectivement un endroit consacré. Et vous y êtes le bienvenu pour tout le temps que vous le souhaiterez. Je vais bientôt devoir m'en aller avec ces demoiselles mais je reviendrai d'ici quelques jours. Cela vous permettra de vous familiariser avec les lieux et ses autres occupants. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'ils feront bon accueil à un druide.

" C"est parfait..."
Songeur, il continuait à manipuler le collier de cuir, le fermant puis l'ouvrant sans la moindre difficulté.
" Il faudra que j'évite de le laisser entre n'importe quelles mains à l'avenir", fit-il finalement en faisant le geste machinal de le ranger dans sa poche.
Sauf qu'il n'avait pas de poche : la métamorphose ne lui avait laissé sur le dos qu'une tunique fine et une sorte de caleçon collé au corps. Ce qui, en cette saison, n'était pas vraiment gênant. Ses pieds nus ne souffraient pas non plus du contact de l'herbe douce de la clairière.
Il posa finalement le collier sur le muret bordant la fontaine, attirant l'attention de Belette qui s'avança pour le flairer. Il le reprit aussitôt, un peu embarrassé.

Kasumi pensait pouvoir trouver quelques vêtements chauds à Peyregorde pour permettre à l'elfe de voyager plus aisément mais il se garda bien d'émettre cette proposition. Mieux valait lui laisser le temps de se réacclimater et lui apporter les vêtements lors de son prochain passage.

Le collier suscistait toujours autant sa curiosité et, après une nouvelle hésitation, il finit par demander :

- Vous appartenait-il ? Je veux dire, avant que vous ne vous retrouviez à le porter ?

Eldrina avait continué sa stratégie habile, à savoir ne pas intervenir et laisser Kasumi se charger de la conversation. La rôdeuse avait fini de grignoter le repas qu'elle avait commencé avant que Kasumi ne commence à s'intéresser au "tigre" qui l'accompagnait, et elle avait tranquillement rangé ses affaires et vérifié son sac pendant que tout cela se déroulait. Elle écoutait, tranquillement, et réfléchissait à la situation. L'elfe était donc druide, ce qui signifiait qu'il était certainement habitué à une transformation sous forme animale. Ce mystérieux collier devait être quelque chose de magique qui l'empêchait de se transformer à nouveau, sans doute ; elle ne parvenait toujours pas à imaginer qui pouvait vouloir infliger cela à quelqu'un, piégé des années dans le corps d'un animal, aussi noble soit-il, mais Kasumi avait commencé à poser des questions et ils auraient peut-être des réponses aux questions qu'elle-même se posait, sans vouloir les formuler à voix haute.

Puisque la curiosité de Belette semblait avoir gêné l'elfe - il avait sans doute peur qu'il n'arrive de nouveau quelque chose d'imprévu avec ce collier -, elle s'avança vers cette dernière pour la prendre dans ses mains et la poser sur son épaule, lui gratouillant la tête au passage. Elle lança un regard vers Mylène, se demandant ce que faisait la jeune apprentie pendant ce temps.

Mylène était sagement restée à l'écart, le regard brûlant de curiosité, mais apparemment un peu intimidée par l'elfe -ou consciente qu'il n'appréciait pas sa présence peut-être.
Le druide observa un instant la belette d'Eldrina, et son front se plissa brièvement, mais il ne fit pas de remarque et se tourna à nouveau vers Kasumi.
" Oui. Je l'avais fabriqué pour essayer d'aider un métamorphe qui maîtrisait mal ses changements de forme, et notamment avait du mal à conserver sa forme humaine suffisamment longtemps pour se souvenir de qui il était. A l'origine, il empêche, simplement, de changer de forme..."
Kasumi vit Mylène se pencher légèrement en avant, signe que le sujet l'intéressait au plus haut point.
"Après, j'ai eu le malheur de faire confiance à un humain, un mage, que je devais escorter. Pour des raisons un peu complexes, nous avions besoin que je reste sous forme de tigre pendant toute une journée, ce que je ne peux pas faire en temps ordinaire. J'ai donc mis le collier... et il ne me l'a jamais enlevé. Il lui a ajouté un sortilège qui m'obligeait à lui être soumis. Il voulait explorer Féérie et je l'arrangeais bien là-bas comme garde du corps... Et il s'est malencontreusement fait tuer au bout de deux veilles, par une wyverne. Je suis resté coincé là-bas quelques années. Sans réussir à l'enlever."
Il haussa les épaules.
" Comme vous voyez, c'est une histoire... assez stupide."

Le front d'Eldrina s'était plissé à mesure que l'elfe faisait le récit de ses malheurs. C'était une histoire assez horrible, un mélange de trahison et de mauvais concours de circonstances, et la rôdeuse était horrifiée à l'idée de ce qu'il avait bien pu endurer pendant tout ce temps. Que ce mage ait pu ne pas hésiter à asservir cet homme, qui plus est avec sa propre magie, pour le forcer à lui obéir ... Elle frissonna. Ce n'était décidément pas une histoire très gaie que la sienne, et elle ne le trouvait certainement pas stupide. D'autres que lui auraient pu se faire avoir de la même manière - trahir à ce point sa confiance, c'était vraiment immoral. Le druide semblait regretter que ce mage se soit fait tuer si peu après, puisque cela faisait que plus personne n'avait été en mesure de savoir qu'il n'était pas un tigre ni de lui venir en aide. D'un autre côté, les dieux seuls savaient ce que ce mage aurait pu exiger de lui ensuite et rien ne disait qu'une fois son exploration terminée, il l'aurait libéré. Peut-être aurait-il connu un sort pire encore, esclave à jamais de ce mage, privé de liberté et de parole ?

Elle soupira et conclut, presque pour elle-même, sans directement s'adresser à l'elfe :
- C'est vraiment horrible ... Quel genre de personne peut infliger ça à quelqu'un ?

Le front de Kasumi s'était plissé d'indignation à mesure que les pièces du puzzle cruel s'assemblaient. Finalement, il certains que le mage qui l'avait accompagné n'avait obtenu que ce qu'il méritait. Mais les créatures de Féérie avaient été bien longues à lui accorder l'attention et la pitié qu'il méritait. Le demi-elfe ne retenait que l'initiative de l'étrange chat qui l'avait guidé jusqu'à lui, sans doute la seule créature - à l'exception des licornes - à avoir fait preuve de clémence et de décence dans cet étrange réalité.

- Vous êtes maintenant de retour. Votre histoire n'a rien de stupide. De tragique et de révoltant, oui. Mais vous n'êtes en rien en cause. J'espère simplement que ce Bosquet vous rendra la sérénité qu'il sied à votre peuple et à ceux qui ont embrassé votre noble vocation.

Le druide haussa les épaules.
" L'essentiel est que toute cette mésaventure soit terminée. Grâce à vous. Diola lle. Merci," traduisit-il.
Il sourit à Kasumi, puis à Mylène, avec une légère hésitation toutefois.
" Le temps ne s'écoule pas de la même façon en Féérie et ici. Je n'y ai pas réellement vécu douze années, seulement quelques-unes. Ça m'a paru très long, parce que ça l'était à l'échelle de la vie d'un tigre. Mais une partie de moi savait que ça n'est rien pour un elfe. Même si j'ai vieilli comme le tigre que j'étais devenu."
Il s'assit sans façon sur le petit muret, posant le collier de cuir à côté de lui.
" Ce qui est fait est fait, et doit me servir de leçon à l'avenir, voilà tout. Mais je ne veux pas vous retenir plus longtemps, si vous avez des projets... Je vous attendrai ici. Et prenez bien soin de votre belette, ajouta-t-il à l'adresse d'Eldrina. Elle est encore très jeune, mais elle a déjà une aura particulière. Et... un pelage que je n'ai jamais croisé. Ca doit expliquer qu'elle se fondait si bien dans les branchages tout à l'heure."

Kasumi s'inclina gracieusement une nouvelle fois et transmis une bénédiction en elfique au druide avant de se tourner vers les deux jeunes femmes qu'il se proposait d'escorter. D'un sifflement bref, il transmit à Première Neige de se porter en position d'éclaireuse et la louve détalla aussitôt, manifestement son contentement par ses oreilles droites et sa queue dressée en panache.

- Il est temps de nous dégourdir les jambes. Mais prenez garde, la forêt n'est vite plus aussi paisible qu'elle ne l'est à proximité d'Aubépine.

Et pour joindre le geste à la parole, le rôdeur-clerc vérifia son harnachement, la position de son armure légère et de ses épées.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Aubépine