La Couronne de Cuivre

Kasumi demeura quelques secondes devant l’abri à observer sa compagne profondément endormie. Un sourire rêveur naquit sur son visage avant qu’il ne se décide à se secouer un peu pour ne pas aggraver les risques de refroidissement. Dès lors, il entreprit de se sécher du mieux qu’il pouvait avec la tunique humide avant de la remettre à sa place et de fouiller discrètement dans son sac pour en remettre une plus sèche. Après avoir retiré ses bottes, il s’abaissa dans l’espace exigu avant de se contorsionner pour s’y faire une petite place en gênant le moins possible le sommeil de Sylvia. Le peu de place disponible achevant d’étouffer les scrupules qu’il aurait pu nourrir, il se lova tout contre le corps chaud de la rôdeuse et passa un bras autour de ses épaules, formant une barrière contre le froid de l’extérieur.

La rôdeuse bougea dans son sommeil, se réveilla à demi peut-être, puis se lova contre lui et se rendormit tout aussi profondément, sans même avoir réalisé sa présence. Lui-même ne fut pas long à glisser dans le sommeil, réchauffé par le corps de sa compagne.

Il se réveilla aux premières lueurs du matin, sous un ciel gris sombre, menaçant. La pluie avait cessé, pour le moment du moins, et Sylvia, à l'extérieur, tentait désespérément d'allumer un feu avec du bois mouillé. Les autres semblaient dormir encore. Ou alors ils repoussaient le moment d'affronter le froid, particulièrement prégnant ce jour-là.

Le rôdeur se sentait en pleine forme malgré les conditions d'hébergement improvisés. C'était peut-être même grâce à elles à bien y réfléchir qu'il se sentait d'humeur plus légère. Il avait eu l'impression de retrouver un univers un moment délaissé par ses nouvelles habitudes semi-citadines et ce retour aux sources réveillait une foule de bons souvenirs. Dont beaucoup avaient déjà été partagés avec Sylvia des années plus tôt. En apercevant l'élue de son cœur et les tentatives touchantes de veiller à leur confort à tous, le demi-elfe s'émerveilla une fois encore de l'étrange destin qui les avait réunis à nouveau. Il ne résista pas à l'envie de surprendre sa compagne en se glissant silencieusement dans son dos puis il fit un effort louable pour imiter le ton bougon de Jeremiah, leur ancien instructeur en matière de survie :

- Combien de fois faut-il vous le répéter Aspirante-éclaireur Sylvia ? Pour un faire un bon feu il faut du bois sec ! *SEC* !

La réaction de Sylvia fut à la hauteur des attentes de Kasumi : elle fit un bond spectaculaire, se raidissant brutalement sur ses jambes, avant de se retourner vers lui, rouge comme une pivoine, et d'éclater finalement de rire.
- Tu ne changeras jamais ! Tu as failli me faire peur... Et pourtant ce n'est pas la première fois que tu t'adonnes à ce genre de blague douteuse ! Hum... c'est peut-être pas plus mal que j'aille passer quelques jours dans ta famille, je pourrai raconter à ta grand-mère quel odieux garnement tu étais...
Ses propos furent instantanément adoucis par un léger baiser, et elle ajouta, avec une grimace.
- Cela dit, si tu trouves du bois sec, ce ne sera pas de refus... mais maintenant que tu es réveillé, on peut utiliser les branchages qu'on avaoit entassés pour s'isoler du sol mouillé, et il y a peut-être quelques branches sèches de résineux... Ca brûle bien, ça ! Bref, je t'embauche comme, heu, disons... apprenti aspirant éclaireur ?

Le rôdeur arborait effectivement un air satisfait mais qui était plus motivé par leur complicité que pour avoir réussi à la surprendre. Avant de s'exécuter, il passa un bras dans son dos pour l'enlacer tendrement en un geste spontané.

- Tout ce que vous voudrez madame. J'étais un vilain garnement à Everaska aussi alors peut-être vaudrait-il mieux que tu ne t'engages pas dans ce genre de discussions avec grand-mère sinon tu pourrais apprendre bien des anecdotes gênantes à mon sujet... Bien plus que n'en connait Tilmandil ! Mais si je promets de te ramener du bois sec, accepteras-tu de museler ta curiosité et de ne rien lui demander de tel ? Ce serait un marché équitable, non ?

Et aussitôt de se précipiter d'une manière plutôt comique pour lui apporter une partie des branches ayant servi de couchage et de lui tendre en arborant un regard plein d'espoir avant de ne pouvoir se retenir d'éclater de rire à son tour.

Sylvia riait elle aussi de bon cœur, mais son air taquin disait clairement qu'elle n'avait nullement l'intention de céder à ce genre de chantage, bien au contraire. Elle prit néanmoins le bois sec des bras de son compagnon, et entreprit d'allumer enfin un feu digne de ce nom.
- Mais qu'est-ce que vous faites comme boucan, les tourtereaux ! Pensez à ceux qui veulent dormir !
Tilmandil émergeait à son tour, sortant de sa tente, avec une grimace en contemplant le ciel plombé. Et les mouvements dans la plus grande des deux tentes indiquaient que Galawen et Elryndel n'allaient pas tarder, eux non plus. Restait Eärundra, comme d'habitude, qui viendrait quand elle le jugerait bon sans doute... et qui fit son apparition, une brassée de framboises dans les mains, alors que le thé finissait d'infuser. Tout semblaient parfaitement reposés, et les sourires indiquaient clairement le plaisir qu'ils avaient à savoir qu'ils seraient chez eux dans quelques heures à peine...

Kasumi avait croisé les bras dès qu'il avait été délesté de son chargement, feignant la bouderie mais de façon fort peu convaincante. Il avait aussitôt cherché à prendre Tilmandil à témoin avant - à peine trop tard sans doute - de se rappeler à qui il avait affaire en matière de goût pour les indiscrétions. Le petit-déjeuner s'était ensuite déroulé dans la bonne humeur, loin des soucis justifiant leur voyage et des écueils qui les attendaient encore. La journée à venir serait belle malgré le temps maussade et tous avaient conscience qu'il fallait en profiter, tous sauf Elryndel peut-être. Dans ces conditions, personne n'avait envie de s'attarder et l'impatience à se remettre en chemin était palpable dans chaque geste pour ranger le matériel. La manœuvre était maintenant parfaitement huilée et fut exécutée avec une belle efficacité avant que, pour le premier relais au moins, les deux rôdeurs ne choisissent de porter le brancard tandis qu'Eärundra ouvrait la marche avec Léo.

La fin du trajet se déroula sans anicroche. La descente de la colline se révélait nettement plus rapide que la montée, heureusement pour eux.
Trois heures plus tard, ils se retrouvaient près des vestiges du campement qui avait servi à Galawen de destination de téléportation. Ils étaient désormais totalement hors de l'influence du bosquet, et la magicienne pouvait se servir de ses pouvoirs.

Ils se firent face, un rien embarrassés au moment des adieux, même pour une si courte durée.
- Kasumi, je vous confie Léo. Je lui ai expliqué ce qui allait se passer. On ne peut pas dire qu'il soit enchanté, il va probablement être très anxieux de me sentir subitement loin de lui, mais il ne sera pas agressif et restera non loin de vous jusqu'à demain matin...
- Pendant ce temps, on va commencer à sonder un peu les relations familiales du côté de la Garde Ailée, ajouta Tilmandil. Quand vous reviendrez, vous aurez deux charmants aigles tout prêts à servir, vous verrez !

Kasumi se sentait un peu gêné lui aussi de faire face à la petite druidesse. Se voir confier son compagnon animal, même pour une journée, était une marque de grande confiance même si elle était en partie dictée par la nécessité du moment. Il la remercia une nouvelle fois en quelques mots plutôt timides en lui assurant qu’il veillerait sur son lion avant de se faire plus prolixe envers Tilmandil :

- Tant que tu ne répands pas mille nouvelles à mon sujet comme nous en avions convenu ! Je suis rassuré de savoir que les négociations te prendront une partie de la journée. Et tu auras certainement envie de goûter à tous les conforts de la civilisation. Non, je ne devrais pas me faire de souci en fait… En tous cas j’ai toute confiance en toi, grand frère !

Le rôdeur ne lui laissa pas l’opportunité de répondre tout de suite et se tourna vers la compagne de son père et ce dernier :

- Au revoir papa, nous nous retrouverons très bientôt ! Quant à vous Galawen, j’ai toute confiance en vous pour ramener ma famille en sécurité. Je vous dit à demain…

Les adieux ne s'éternisèrent pas. Les elfes avaient hâte de rentrer chez eux, d'autant que Galawen ne pouvait les téléporter qu'à près d'une journée de marche d'Everaska. La cité était en effet protégée contre tout accès direct. Il leur faudrait probablement bivouaquer ce soir non loin de la frontière, en altitude. Ils avaient quelque peu oublié ce détail, tout à leur excitation de rentrer. Il fut finalement décidé qu'ils ne marcheraient que deux ou trois heures avant de bivouaquer, et qu'Eärundra raccompagnerait, le lendemain matin, Galawen jusqu'au point de téléportation, pour ne pas la laisser seule au milieu de montagnes.
- Je vais prévenir votre grand-mère que nous arrivons. Peut-être pourra-t-elle nous envoyer du renfort, avec des montures, pour que Tilmandil et Elryndel puissent poursuivre.
- Oui, c'est une bonne idée. Inutile que nous restions bloqués une demi-journée à vous attendre...
- Je ne serai donc là qu'en milieu de matinée. Ca vous laisse le temps de dormir un peu. Profitez-en...
- Parce que tu t'imagines vraiment qu'ils vont dormir ? s'exclama Tilmandil en levant les yeux au ciel.
Ce fut donc sur un éclat de rire qu'ils se séparèrent. Sylvia et Kasumi virent leurs compagnons tendre la main pour toucher Galawen, et tout disparut dans un éclat de lumière dorée.
Léo, resté seul, se mit à gémir pitoyablement.

Kasumi avait eu le bon goût de rougir en réaction à la remarque taquine de son demi-frère mais tous les elfes avaient certainement disparu avant qu'ils n'aient pu remarquer ce détail. Le gémissement désolé et perdu du lion permirent en outre au rôdeur de faire mine de rien en se concentrant sur lui pour lui dédier un encouragement :

- Courage mon grand : tu reverras ta maîtresse demain.

Voir Léo dans cet état lui rappela brusquement qu'il était lui-même séparé de Première Neige depuis bien des jours désormais. La louve se portait-elle bien ? Avait-elle suivi son propre chemin comme l'avait suggéré Tilmandil dans sa chanson controversée ? Le demi-elfe était quelque peu songeur quand il dédia un sourire un peu timide à sa compagne.

Sylvia lui dédia un sourire paisible, mais il la vit rosir légèrement. Après tout, c'était leur première journée en tête à tête depuis... un certain nombre d'année. Leur première depuis qu'ils s'étaient avoué leurs sentiments, en tout cas. Et elle semblait avoir le cœur qui battait un peu plus fort à cette idée.
Elle finit par prendre sa main, entrelaçant ses doigts aux siens, et par l'entraîner sous le couvert des arbres, s'éloignant de Léo qui ne parut pas vouloir les suivre. Sans doute sa maîtresse lui avait-elle demandé de ne pas s'éloigner.
- Mon amour, murmura-t-elle doucement. Dis-moi... Tu as des projets pour la journée ? Des obligations, des tâches urgentes à accomplir ?

Kasumi se sentait lui aussi inexplicablement intimidé soudain. Il réalisa alors en une pensée vertigineuse que tout s’était précipité depuis son arrivée au campement de son enfance quelques jours plus tôt. Les retrouvailles, la passion de la première soirée qui les avait subjugué l’un et l’autre. Puis les mille moments volés sur leur voyage et qui avait renoué leur complicité. Mais ils ne s’étaient pas encore vraiment posés pour réfléchir à leur relation, l’appréhender, en jeter les bases sans aucune obligation immédiate. Et cette fois, malgré la présence de Léo et la nécessité de veiller sur lui, ils n’avaient pas à s’isoler, à se cacher des autres. Non, cette fois, ils étaient seuls. Le rôdeur réalisa tout cela en un éclair et le rythme de son cœur s’accéléra à son tour alors qu’il posait un regard neuf sur Sylvia, sa belle rôdeuse, sa partenaire fidèle, cette magnifique femme pleine d’un charme qui savait si bien le rendre fou de désir quand elle le voulait. Cette fois, le fait qu’elle lui prenne la main et la façon dont elle l’avait appelé prenaient tout leur sens profond. Il porta les doigts de sa compagne à ses lèvres sans la quitter des yeux, tout en s’approchant lentement jusqu’à ce que leurs visages se trouvent à seulement quelques centimètres l’un de l’autre. Et enfin il répondit d’une voix un peu rauque mais tout de même pleine de douce malice :

- En dehors de nous construire un abri pour la nuit dans l’un de ces arbres avec ton aide, j’avais bien l’intention de te laisser décider du programme… Au cas où tu aies des envies particulières que je sois apte à satisfaire évidemment. Ta lessive peut-être ? Ou, soyons fou, un massage si tu te sens un peu lasse du voyage.

Les lèvres de Sylvia parcoururent les derniers centimètres qui les séparaient de celles de Kasumi, sans qu'il sache vraiment si c'était elle ou lui qui se rapprochait. C'était juste que leurs regards étaient incapable de se détourner de celui de l'autre, que leurs yeux brillaient de la même fièvre, que leurs coeurs battaient à l'unisson, et que leurs souffles, si proches, s'entremêlaient jusqu'à ne faire plus qu'un. C'était tout ça à la fois. Et aussi le bois alentours, qui, bien qu'ordinaire, leur apparaissait subitement aussi magique que le bosquet de Celd. Et les chants euphoriques des oiseaux, la lumière magnifique du soleil qui perçait enfin les nuages. L'instant était parfait, le lieu était parfait, leur amour était parfait. Et leurs lèvres semblaient mues par une volonté propre, incapable de se séparer. Ce fut le baiser le plus long, le plus doux, le plus langoureux qu'ils aient jamais échangé.

La vision du rôdeur s’était troublée sous l’émotion de leur baiser. Et pourtant, il ne s’était jamais senti aussi sensible au monde qui l’entourait en cet instant. Si son regard s’était profondément noyé dans celui de Sylvia, il sentait avec une acuité renouvelé l’odeur subtile de son corps, de ses cheveux. Et ses autres sens répondaient aussi, lui faisant percevoir son souffle malgré les trilles musicaux des oiseaux qui les entouraient de leurs attentions, semblant eux aussi célébrer l’amour qui unissait les deux rôdeurs. Mais, par-dessus tout, c’était le contact du corps chaud contre le sien, des lèvres sur les siennes, de la peau de sa nuque sous ses paumes qui subjuguait le demi-elfe. Transporté de bonheur par la présence merveilleuse de sa si belle compagne, Kasumi chercha à s’en gorger tout à fait en s’approchant encore pour l’attirer contre sa poitrine, passant ses bras autour d’elle en une étreinte douce et protectrice, caressant une fois encore la si douce rivière de feu formée par ses cheveux soyeux. Après être resté un moment dans cette position pour ressentir chaque battement de cœur de sa compagne, le demi-elfe se remit à l’embrasser avec tendresse sur les tempes, les oreilles, le visage avant de murmurer ce que lui dictait son cœur à lui :

- Ma douce, ma belle, mon amour, je souhaiterais que ce moment dure à jamais. Je me sens si heureux avec toi. Je ne me rendais même pas compte combien tu pouvais me manquer.

Puis, n'y tenant plus, il l'embrassa à nouveau sur les lèvres avec plus de fougue sans jamais fermer les yeux, lisant toutes les réponses, toutes les invites qu'il aurait souhaitées dans le regard émeraude de la jeune femme qui partageait cet instant de vie.

Le baiser se prolongea, indéfiniment, invitant leurs corps à une douce et tendre étreinte. Ils avaient toute la journée devant eux, ils savaient que rien ne pouvait les déranger. Le soleil brillait enfin, et l'herbe de la clairière était douce et accueillante. Ils pouvaient passer la journée à s'aimer, vivre leur passion à son paroxysme, sans jamais s'interrompre. La journée leur appartenait, la nuit également. Et ils n'avaient besoin de rien d'autre que de s'aimer, encore et encore, comme s'ils pouvaient rattraper ainsi toutes ces années perdues.
Certes, ils n'avaient pas déjeuné. Un détail.

Leurs deux corps ne faisaient plus qu’un tout comme leur volonté à tel point que l’un et l’autre savaient parfaitement éveiller les sens de son partenaire. C’était comme si chacune de leurs fibres vibraient en harmonie, leur apportant une plénitude allant bien au-delà du plaisir physique intense. Kasumi sentit la femme qu’il aimait atteindre un lieu qui ne semblait fait que pour eux deux et partagea le plaisir absolu qu’il lisait dans ses yeux en ce moment d’osmose totale. Ivre de plaisir, il relâcha enfin toute la tension qu’il confinait jusqu’en cet instant et laissa son amante pleinement profiter du bonheur pur qu’ils s’offraient l’un à l’autre. Il l’embrassa passionnément à de nombreuses reprises sans être capable de trouver des mots ou d’autres manières pour la remercier de cette étreinte, de l’aimer, d’être là avec lui. Plus tard, bien plus tard, il s’allongea à ses côtés et se mit à caresser son corps nu avec délice, à la contempler aussi dans toute sa splendeur, rougissant toujours légèrement quand une main ou un regard un rien insistant s’attardaient sur une hanche, un sein, presque sans que sa volonté ne le guide ni même ne le bride.

Quand leurs estomacs les rappelèrent l’un et l’autre à d’autres préoccupations exactement au même moment, il la regarda avec un rien d’incrédulité. Et y lisant la même satisfaction et de la complicité, il ne chercha pas à retenir un éclat de rire et l’embrassa spontanément sur le bout du nez avant de déclarer d’un ton amoureux :

- Veux-tu que je te prépare à déjeuner ma bien-aimée ? Enfin, un goûter ? Ou un dîner ? Je dois dire que je ne sais même pas quelle heure il peut être… Le temps semble s’arrêter quand je suis dans tes bras.

Sylvia rit joyeusement. Un regard au ciel au-dessus de leur tête leur fit comprendre que la journée était déjà bien avancée, et que le soleil déclinant n'allait pas tarder à illuminer le ciel de couleurs magnifiques.
- Et bien, je crois que ce sera un dîner, répliqua la rôdeuse. Mais je meurs de faim, donc il est hors de question de ne faire qu'un casse-croûte, je veux un vrai repas de fête ! Comme tu savais si bien les préparer autrefois...
Malheureusement, les provisions avaient été partagées équitablement avec leurs compagnons qui devraient marcher une journée entière avant d'atteindre Everaska. Et il ne restait guère qu'un peu de viande froide - et un morceau de serpent géant séché. Mais la rivière toute proche était poissonneuse, les fruits des bois abondants en ce début d'automne, et le soleil frappant le sol humide avait fait s'épanouir des centaines de champignons. Il devrait trouver de quoi satisfaire sa compagne.

Le rôdeur, toujours nu évidemment, se redressa pour mieux s’incliner non sans une certaine grâce mais un sens protocolaire bien particulier. Il répliqua d’un ton amusé :

- Tout ce que désirera ma dame. J’espère ne pas vous décevoir si jamais j’avais quelque peu perdu la main.

Leurs provisions étaient maigres et il faudrait évidemment en réserver une petite part pour le lion. Le demi-elfe ne doutait pas qu’il saurait se débrouiller mais si sa maîtresse lui avait enjoint de ne pas s’éloigner, nul doute que les proies se seraient faites plutôt rares à tomber entre ses crocs. Il reprit d’un ton à peine plus sérieux :

- Puis-je te laisser t’occuper du feu et de nous installer un petit nid douillet dans ces branches et pendant que je te prépare tout ce que j’ai en tête ? A moins bien entendu que tu n’aies l’intention de veiller toute la nuit pour… monter la garde.

Il se rhabilla ensuite sans la quitter des yeux, une lueur pleine de malice – et peut-être d’autre chose - dans le regard puis il se dirigea vers la petite rivière toute proche avec son arc. Il décida de prendre un peu de poisson en plus pour Léo même si ce n’était pas sa nourriture de prédilection. Au pire, s’il les dédaignait, ils pourraient les manger le lendemain. Après une vingtaine de minutes consacrées à sa pêche miraculeuse, il consacra une bonne demi-heure à récolter des champignons, des fruits, des légumes et des aromates sauvages. Il retourna ensuite s’installer près des braises fumantes préparées par sa compagne et se mit à l’ouvrage, mettant un grand soin à préparer les aliments tout en les dissimulant pour réserver un maximum de surprises à sa douce. Après avoir pris le temps de braiser les truites et les champignons, il composa des assiettes à l’aide de champignons secs évidés et nettoyés pour l’occasion, disposant artistement les filets de poissons dorés à souhait sur leur lit de champignons et de légumes. Pendant la cuisson, il avait préparé un autre plat à partir des fruits rouges qu’il avait trouvés dans le périmètre et qui constitueraient un dessert de choix. Enfin, quand il jugea que tout était prêt, il disposa ses différents plats sur un rocher et autorisa la rôdeuse à approcher après lui avoir bandé les yeux et en la guidant par la main jusqu’au festin campagnard. En retirant le bandeau qui lui masquait la vue, il souffla à son oreille :

- J’espère que tu as toujours faim mon amour. Je n’ai rien pu faire pour le vin mais je tenterai de me rattraper pour ce manquement après le dîner.

Un sourire ravi s'afficha sur le visage de sa compagne en découvrant les magnifiques assiettes soigneusement décorées.
- C'est exactement ce que je voulais... Oh, merci mon amour, c'est splendide !, murmura-t-elle. Ses yeux allaient d'un plat à l'autre, brillant d'un air gourmand. Elle devait être aussi affamée que lui après près de vingt-quatre heures de jeûne...
- Et pour le vin, je demande à voir !, lança-t-elle au bout de quelques instants, comme si ses derniers mots venaient de se frayer leur place jusqu'à son esprit.
Ce ne semblait guère la préoccuper, du reste. Elle s'assit en tailleurs près du "buffet", saisit sa gourde et la leva solennellement pour porter un toast.
- A nous deux ! Et à la vie merveilleuse qui nous attend...

Kasumi rayonna de plaisir en constatant que Sylvia était ravie par ses préparatifs et il se régalait autant que du festin lui-même de lire la surprise et la joie presque enfantine de la rôdeuse pendant qu’elle détaillait chacun des plats. Son cœur s’accéléra encore quand la jeune femme porta un toast qui sonnait de manière exquise comme une belle déclaration. Un sourire extatique aux lèvres, le demi-elfe prit place en face d’elle et saisit sa propre gourde pour répondre d’un ton rêveur :

- A nous deux ma beauté. A notre couple, à notre amour et aux merveilleux moments que tu me fais vivre.

Le rôdeur avait lui-même rougi visiblement, une fois n’étant pas coutume, et il semblait désireux que la rôdeuse soit la première à goûter à son repas malgré la faim dévorante que tant de nourriture appétissante ne faisait qu’exacerber. Ses yeux brillaient d'émotion et ne quittaient plus sa compagne des yeux.

La rôdeuse rougit légèrement, sentant son regard posé sur elle. Mais la faim semblait pour l'heure plus forte que les émotions, ou peut-être qu'elle tenait particulièrement à faire honneur aux plats préparés... Toujours est-il qu'elle se saisit de l'assiette la plus proche et commença d'en déguster le contenu, avec un sourire appréciateur.
- Ch'est encore meilleur que cha n'en a l'air, commenta-t-elle au bout de quelques bouchées.
Puis elle se mit à rire, réalisant qu'elle venait de parler la bouche pleine.
- Désolée, je sais, ça ne se fait pas... Mais c'est trop bon, et j'ai trop faim !
Elle lui adressa un sourire radieux, puis baissa ses yeux sur son assiette et continua à dévorer sa portion, sans plus se soucier du regard du rôdeur qui avait semblé la dévorer, elle, des yeux, l'instant d'avant.

Kasumi s’était mis à sourire, soudain plus détendu devant le peu de manière de sa compagne qui la rendait encore bien plus attachante. Sa faim reprenant à son tour le dessus, il attaqua lui aussi son assiette avec un bel appétit. Il restait distrait cependant et accordait autant de coups d’œil à sa compagne qu’à son assiette. Il l’avait copieusement entamée quand il la reposa un instant pour sourire à Sylvia qui relevait les yeux juste à ce moment.

- Ça me fait tellement plaisir de te voir ainsi, mon joli petit écureuil roux. Il faudra que je pense à te faire souvent des surprises parce qu’il n’y a rien de tel que de te voir sourire et profiter de la vie pour me rendre heureux. En tous cas, tu n’auras jamais de manières à faire avec moi. Même si on choque parfois les elfes de ma famille, ce sera amusant ! Il faut bien que tu reprennes des forces d’autant que je me dois de te prévenir : il parait que les fruits rouges sont un peu aphrodisiaques...

Son interlocutrice partit d'un rire joyeux.
- Parce que tu t'imagines que j'ai besoin d'aphrodisiaques ? Ou bien peut-être que... hum... c'est toi qui en a besoin ?
Une main, pas innocente du tout, s'amusa à frôler ses chausses, remontant le long d'une cuisse.
- Ah, non, tu me rassures...
Son regard, mi-malicieux, mi langoureux, était un rien provoquant, indiquant au rôdeur qu'il allait maintenant devoir assumer ses demi-promesses. L'air de rien, sa compagne reporta son attention sur le repas, lorgnant vers le dessert d'un oeil intéressé, sans plus se préoccuper des réactions ingénument provoquées. Sa main, abandonnée comme par inadvertance sur la jambe de son compagnon, la caressait distraitement.

Kasumi eut la gorge tellement nouée qu’il eut du mal à déglutir alors même que Sylvia se détournait de lui malicieusement après avoir allumé une étincelle pleine de promesses. Dans ces conditions, il eut encore bien plus de mal à s’intéresser au dessert qu’à son repas et se contenta pendant un bon moment d’admirer la jeune femme en train de s’en régaler avant d’y piocher timidement quelques fruits. Mais, quand le regard de Sylvia croisa le sien et qu’il y lut de l’espièglerie et de la satisfaction d’avoir réussi à le mettre dans un tel état d’un seul geste, il posa l’une de ses mains sur la sienne et se mit à la caresser à son tour en déclarant d’un ton sincère :

- Ces fruits sont délicieux mais ils paraîtraient pourtant presque fades en comparaison du goût de tes lèvres sur les miennes. J'ai bien peur d’être envoûté ! Et qu’aucun clerc ne saurait m’aider désormais. Ta magie est bien trop puissante, belle fée des bois.

- Tu parles beaucoup trop pour un homme des bois, rétorqua la jeune femme d'un ton taquin. On ne te l'a jamais dit ? Un homme des bois, ça agit... et ça ne se perd pas en vaines paroles !
Et, suivant son propre conseil, elle entreprit de l'embrasser voluptueusement, sans daigner lui laisser reprendre son souffle, bien décidée, apparemment, à le rendre à nouveau fou de désir. Ses mains, déjà, commençaient à défaire ses chausses, expertes.
Il faut dire qu'elle avait englouti le dessert à une vitesse impressionnante et complètement terminé son assiette. C'était maintenant une autre forme d'appétit qu'elle entendait satisfaire...

Quand bien même en aurait-il eu la volonté, le rôdeur ne put bientôt plus cacher le désir charnel qui l’animait lui aussi alors que sa compagne faisait glisser ses vêtements en lui dispensant des caresses lascives et exquises. Le premier instant d’abandon passé, il attrapa ses mains pour l’attirer dans une étreinte langoureuse. Déjà complètement nu après avoir perdu sa tunique dans l’opération, il s’assit sur le sol recouvert d’un épais tapis de feuilles et de mousse en attirant la jeune femme à lui pour mieux la prendre à son propre jeu. Guidant à demi ses gestes, il l’invita à retirer sa tunique pour dévoiler son corps merveilleux et permettre à ses mains de parcourir librement ses seins puis le bas de son ventre et de son dos alors qu’ils échangeaient déjà des baisers plein de passion qui les laissaient le souffle court. Les baisers du rôdeur ne tardèrent pas à se faire plus insistants et encore moins innocents alors qu’ils parcouraient son cou, ses épaules, sa gorge. Les mains habiles de l’amant avaient trouvé le chemin des chausses de sa compagne prenant d’ores et déjà de délicieuses initiatives dénuées de pudeur avant même de les ôter avec délicatesse et délectation pour révéler la peau nue de ses cuisses, de ses jambes, libérant un flot de chaleur et de passion pour répondre aux attentions presque intolérables dont Sylvia lui faisait grâce. Dès cet instant, ils n’eurent plus besoin de communiquer autrement que par leur regard enflammé, leurs mains se nouant alors que la rôdeuse dirigeait leur union merveilleuse qui menaça bien vite de faire chavirer les dernières bribes de raison de Kasumi.

Sylvia semblait insatiable. Elle ne leur accorda que quelques minutes de répit, à bout de souffle, lovés dans les bras l'un de l'autre, avant de partir à nouveau à l'assaut de son corps. Elle ne se lassait pas de l'émoi qu'elle provoquait en lui, des sensations qu'il savait éveiller chez elle, de la passion folle qui embrumait leurs esprits, leur faisant perdre tout sens de la mesure, toute raison.
Lorsqu'enfin elle donna les premiers signes de fatigue, reposant enfin, nue, au creux de ses bras, il faisait nuit noire. Depuis combien de temps, aucun d'eux n'aurait su le dire... Mais le sommeil, enfin, semblait vouloir prendre le dessus.

Abandonnées les velléités de se mettre tout à fait à l’abri dans les arbres. Chacun des rôdeurs avait dépensé -sans compter- jusqu’à sa dernière bribe d’énergie dans leurs étreintes longues et multiples. Comblé de bonheur, Kasumi poussa un soupir d’aise en sentant le corps chaud de son amante prendre une place confortable contre lui. Il sentait la sueur sur sa peau nue et chaude, la douceur aussi qui le surprenait toujours à chaque fois qu’il y faisait courir ses doigts ou que leurs corps se frôlaient ou reposaient l’un contre l’autre comme à cet instant. Le regard tourné vers les étoiles, le demi-elfe rompit le silence peuplé par jusque-là par leurs souffles et les bruits rassurants de la forêt :

[color=#9900000]- Sylvia…[/color]

Il laissa un moment cette sonorité si parfaite à ses oreilles peupler toute la conversation avant de se redresser à demi pour tourner son visage vers le sien et d’ajouter :

[color=#9900000]- J’espère que ça n’avait rien à voir avec les fruits rouges parce que sinon je retournerai les montagnes pour en trouver chaque jour qu’il nous reste à vivre, hivers y compris ![/color]

Sylvia lui répondit d'un rire cristallin.
- J'allais te faire la même remarque, répartit-elle joyeusement. D'une voix toute de même un peu ensommeillée...
- Bonne nuit, mon amour... Fais de beaux rêves, et surtout réveille-toi si jamais tu oses les peupler d'une autre femme que moi !
Un souffle d'air, frais et léger, vint caresser leurs corps déjà somnolents. La nuit risquait d'être fraîche sous un ciel aussi découvert. Mais Sylvia ne semblait pas donner le moindre signe de vouloir chercher une couverture. Sans doute la chaleur corporelle de son amant lui suffisait-elle... Ou peut-être qu'elle s'endormait déjà.

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines