La Couronne de Cuivre

Au sein de l'Académie roulante, la journée s'était écoulé paisiblement, identique à celles qui l'avaient précédé. Un peu après midi, lorsqu'on avait apporté le repas, Albérich et Marthe avaient cessé leur travail, les instituteurs et Giovanni remisé leurs livres. Ce dernier avait retrouvé sa bonne humeur coutumière, et ils avaient passé les heures suivantes à jouer aux cartes tous ensemble, dans une joyeuse atmosphère. Peut-être de la nervosité, sinon de l'inquiétude, se dissimulait-elle derrière la bonne humeur affichée, les vives accusations de tricheries, les boutades gentiment caustiques. Mais cela n'en restait pas moins efficace et, même lorsque la nuit s'avança, lorsque le chariot s'immobilisa, les gens de lettres de la Communauté ne laissèrent pas les ombres les envahir. L'un ou l'autre sortit brièvement, dont la juge qui, à son retour, annonça qu'elle s'absenterait à nouveau d'ici un moment, pour une réunion du conseil. A présent, on attendait de quoi se sustenter...

Albérich n'était pas certain d'être parfaitement à son aise dans cette ambiance détachée. Il réalisait que les autres avaient probablement eu des veilles et des veilles pour se préparer aux risques qu'ils encouraient, qu'ils avaient pesé le pour et le contre, évalué ce qu'ils quittaient à l'aune de ce qui leur tendait les bras. C'était une comparaison coûts - bénéfices qu'il n'avait pas eu le temps de réellement faire, entraîné par le tourbillon de l'enthousiasme d'Hubert, et à présent qu'ils étaient proches du gouffre, il oscillait entre fatalisme et révolte. Dans quoi s'était-il laissé embrigader ? Pourquoi avait-il dit oui ? Le paladin était un quasi-inconnu, un homme qu'il n'avait fréquenté que dans le confort du fortin, un garçon sympathique mais volontiers téméraire... Au nom de quelle folie avait-il calqué ses pas sur les siens ?
C'était trop tard, finalement, pour repartir en arrière, mais Albérich ne pouvait pas vraiment empêcher ces questions d'affleurer à la surface de son esprit. Il parvenait cependant à les repousser, aidé par la camaraderie des Académiciens. Mais parfois, il songeait aux paludiers cannibales, à une souffrance possible, et aussitôt, la tour et les Sharites bondissaient dans son champ de conscience et il sentait que la terreur était proche, qu'elle aurait pu l'envahir en une seconde et le terrasser durablement. Il faudrait tôt ou tard qu'il en parle à Hubert, qu'il verbalise ce qui l'emplissait de panique : mourir, peu importe, souffrir, non.
Avec le crépuscule, ces interrogations revinrent avec plus de force. Il n'y avait eu aucune alerte pendant la journée, aucune information, mais pas non plus de cris de victoire. La menace restait présente : c'était la pire situation.
Mais cette nuit, il guetterait, et participerait à l'effort de guerre. Il ne savait pas encore quand, ni où, mais c'était un jalon dans la grisaille inquiétante qui les avait avalés. Hubert surgit peu après, à la recherche d'un crayon, chose relativement absurde vu le contexte.
" J'espère que la journée a été plaisante, dit le paladin, embarrassé.
— Agréable, oui. Semblable aux précédentes. Mais... a-t-on... de plus amples nouvelles ?
— Pas vraiment pour l'instant, non."

Marthe sourit.
-Si ce n'est que nos éclaireurs n'ont jusqu'ici eu aucun mal à trouver les bornes jalonnant la route, que nous ne tarderons pas à gagner une région où il y a davantage de collines et donc de lieux où se replier en cas de problèmes... et que nous avons accompli une nouvelle journée en direction de notre objectif, lequel est donc plus proche que jamais.
-Ah, il y a donc de bonnes nouvelles !
-Normalement, les paladins ne sont-ils pas censés être plus encourageants que les juges ? fit Agathe, mutine.

" Pourquoi me posez-vous la question si vous avez une source aussi bien informée que moi ? demanda le paladin. Vous devriez lui demander pourquoi elle a fait de la rétention d'information, plutôt que de me blâmer. J'ai passé la journée en selle, moi."
Albérich comprit qu'Hubert ne trouvait pas le discours de Marthe particulièrement rassurant, mais qu'il ne chercherait pas à les détromper. La sécurité de la colonne était une lourde responsabilité et il n'était pas étonnant qu'il soit plus tendu qu'un groupe de colons qui avaient passé leur journée à jouer aux cartes et à lire oisivement les fesses sur des coussins.
" Merci pour le crayon."
Les deux hommes se sourirent, Hubert engloba le reste du groupe dans son salut, puis s'esquiva. Albérich hésita un instant à le suivre, mais renonça. Le paladin était manifestement dans une humeur sombre et il valait mieux garder ses distances.
" Bon, vous qui avez veillé la dernière fois, demanda Albérich. Comment les choses vont-elles s'organiser ?"

-A peu près comme la nuit dernière, répondit Philibert. L'heure venue, on viendra nous réveiller, puis un officier désignera à chacun d'entre nous soit une position fixe, soit une zone de patrouille... et le tour sera joué.
-Sauf que cette fois-ci, ça durera jusqu'à l'aube...
-Ne vous inquiétez pas pour ça, il y aura à nouveau du café.
-Et d'autres prendront également soin de nous, nous apporteront du thé et de quoi grignoter... conclut Marthe. Beaucoup de monde sera réveillé, en réalité.

" Raconté comme ça, ça a presque l'air agréable." dit le Luménien avec le sourire.
Il s'étira et étouffa un bâillement.
" Mais donc nous serons sur le pont en seconde partie de nuit, si je comprends bien. C'est bon à savoir..."
Il jeta un oeil à l'extérieur, soulevant la toile du chariot.
" Avons-nous le droit de sortir ou sommes-nous consignés à l'intérieur ? Je dois dire que je ne me sens pas particulièrement fatigué, là, comme ça."

-Sortir n'est pas interdit, fit Marthe, tranquille. Le tout est de ne pas trop s'attarder au dehors et de ne pas trop s'éloigner.
Elle se tourna vers le Luménien.
-Ce qui me fait penser... Quand on monte la garde, on a le droit de parler. c'est même recommandé si on sent que l'on commence à sommeiller ou à se perdre dans ses pensées. Il faut juste ne pas se lancer dans de grandes discussions, ne pas oublier sa mission...
-Albérich n'a rien dit durant son guet, hier soir ?
-Je suis... impressionnée. Personnellement, je serais incapable de me taire aussi longtemps...

" Je n'ai jamais été très bavard, se défendit le Luménien. Alors fatalement, avec vous, j'ai l'air encore plus silencieux."
Il ne leur laissa pas le temps de protester, devinant sans peine qu'il serait la cible de quolibets bien choisis, et sortit du chariot, faisant la sourde oreille à leurs récriminations. Il découvrit au dehors les deux rangées de chariots disposés pour leur bivouac de fortune, entre lesquels demeurait une allée praticable bien qu'encombrée. La route se trouvait manifestement en surplomb de quelque chose, même s'il ne poussa pas la curiosité à aller voir ce qui se trouvait à l'extérieur. Puisqu'il avait besoin de se dérouiller les jambes, il décida d'aller chercher la pitance des Académiciens. Peut-être était-elle déjà en route, mais peu importe, cela lui ferait une balade à défaut d'être franchement utile.

Plus sommaire que de coutume, la cuisine n'était pas pour autant moins active : sous la supervision de Gustave et d'Ignace, sans doute venu donner un coup de main pour faire gagner du temps à l'équipe de marmitons, on s'activait autour de la soupe en train de cuivre et de deux tables à tréteaux où l'on préparait d'équitables portions de viande séchée, de pain ou encore de fruits secs tout en remplissant coupes et cruchons d'eau. Bien des plateaux étaient déjà prêts, nombre d'autres étaient en cours de convoyage vers les chariots, mais Albérich n'eut aucun mal à s'en procurer un pour l'Académie. Ce qu'avisant, l'intendant arbora un sourire désolé.
-Je n'ai pas oublié, lui souffla-t-il, et je ne désespère pas de vous trouver quelque chose.

Pendant une seconde, Albérich le regarda sans avoir la moindre idée de ce dont il parlait. Puis il se souvint. Avec les événements de la nuit, tout ça lui était complètement sorti de la tête.
" Oh... Heu... Ne vous en faites pas... Ce n'est... sûrement pas votre seul souci, et je ne voudrais pas vous encombrer l'esprit de ces trivialités."
Sur un sourire embarrassé, il repartit en sens inverse, veillant à ne pas renverser son plateau. Il espérait que son prodigue retour ferait oublier aux institutrices son ultime petite pique.

La nuit était désormais tombée et, chemin faisant, il vit les guetteurs s'entretenir avec les officiers et se diriger vers leurs postes respectifs. Du coin de l’œil, il aperçut Ruth, conduisant par la bride l'imposant destrier d'Hubert. Il lui sembla que la petite fille avait la mine proprement défaite, ce qui ne l'empêchait pas d'avancer d'un bon pas. Et, l'instant suivant, elle avait disparu derrière un chariot.
Quant à ses compagnons de voyage, ils semblaient aussi détendus que précédemment et s'ils se souvenaient de sa moquerie, ils n'en montrèrent rien et n'essayèrent pas de se venger. Marthe était toujours là, contrairement à Giovanni : il avait lu, lui apprit-on, un vieil ouvrage sur les artefacts magiques afin d'éclaircir le mystère représenté par certaines des trouvailles ramenées du tumulus. A présent, il s'en était allé faire part de ses hypothèses au reste du commité d'experts.

Albérich n'était pas spécialiste des objets magiques, mais il y avait eu quelques experts renommés au Temple de Lathandre, à Luménis. Même si les objets magiques étaient généralement renvoyés vers l'Université de la Magie, il arrivait que des fidèles fortunés viennent offrir l'une ou l'autre pièce rare et enchantée à leur dieu d'élection. Lathandre était un esthète et la chose était appréciée... même si en général, on revendait l'objet assez rapidement pour faire tourner l'intendance. Dans ces Landes perdues, Albérich espérait surtout qu'ils auraient déniché des artefacts capables d'améliorer leurs chances de survie. Et pas seulement des épées un peu plus aiguisées que d'ordinaire.
Mais son esprit demeurait en arrière, sur Ruth qu'il avait entraperçue... Aurait-il dû aller prévenir Hubert ? Non. La gamine pouvait simplement s'être fait gourmander par sa mère ou avoir échangé des mots durs avec Alban. Ce n'était pas son rôle de s'immiscer dans sa vie privée, il ne la connaissait pas. Les enfants s'émouvaient de mille petites choses, il ne devait pas monter un chagrin en épingle. D'autant que ses chances de retrouver le paladin dans le campement étaient plus ou moins nulles.
Il reporta donc son attention sur le repas.

Ils mangèrent en devisant tranquillement de choses et d'autres : les instituteurs évoquèrent, avec un air faussement horrifié, la nécessité pour eux de recommencer à préparer leurs cours ; Marthe les taquina en se demandant s'il ne faudrait pas préciser, dans la constitution, des questions comme le rythme scolaire, arguant que rendre l'école obligatoire quotidiennement et seize heures par jour, sans pauses ni vacances, serait sans doute la meilleure solution pour faire de la cité un lieu réputé par tout Helonna pour son érudition ; ils s'amusèrent, aussi, à deviser de serrurerie, expliquant que, grâce aux lectures d'Albérich, les Académiciens pourraient constituer une équipe de crocheteurs de portes hors pair...
Ils venaient de terminer le repas et songeaient à se coucher lorsqu'on vint prévenir la juge du retour de Frida et de la tenue immédiate d'une réunion du Conseil. Elle souhaita alors bon début de nuit à ses compagnons et s'esquiva. Giovanni, pour sa part, ne s'était pas encore manifesté.

Albérich était stupéfait de réaliser que les Académiciens avaient pris ses lectures de maréchalerie pour de la serrurerie. Ils devaient être très fatigués en l'écoutant... ou alors ils ne l'avaient peut-être jamais vraiment écouté, se servant de sa voix comme d'une berceuse indistincte... ou, et c'était possible aussi, le sommeil bouleversait le souvenir des derniers instants avant l'endormissement... Il avait bien envie de tester la chose le soir-même en répétant le même mot pendant dix minutes. Peut-être que cela serait tout aussi efficace...
Il essaya de ne pas s'inquiéter du départ précipité de Marthe. Après tout, il faisait nuit depuis longtemps, et elle avait attendu ce signal pour se mettre en mouvement, il n'y avait pas là forcément de mauvaises nouvelles. Ou peut-être bien. Quoi qu'il en soit, ils seraient vite fixés.

Giovanni finit par revenir, bientôt suivie par Marthe, toujours aussi tranquille. L'on se mit alors rapidement au lit et on invita Albérich à se fendre à nouveau d'une "histoire". Lorsqu'il appliqua son idée de répéter sans cesse le même mot, il suscita un joyeux tollé : on le traita de fainéant et d'imposteur, de traître à la cause de l'Académie ; on l'accusa de prendre ses compagnons pour des idiots ; on s'offusqua de cette attitude qui suggérait qu'ils ne prêtaient jamais attention à ses lectures, ce qui était faux, archi-faux : tout le monde les adorait et en tirait grand bénéfice. Bref, il lui fallut opter pour une autre solution, car celle-ci, assurément, n'aiderait personne à s'endormir. Mais elle avait mis de la bonne humeur, ce qui n'était certainement pas mauvais en soi.

***

De son côté, Hubert avait largement eu le temps de consulter ses listes, de les apprendre presque par cœur, d'y apporter quelques modifications. Comme il savait par ailleurs qui étaient les guetteurs volontaires, lesquels appartenaient au premier ou au second groupe, il avait désormais une idée plus précise des membres de la Communauté dont il avait déjà sondé l'aura, même s'il subsistait des doutes concernant certaines personnes. Doutes qu'une petite visite à Ignace dissiperait.
Le temps avait passé, la nuit était tombée, les sentinelles avaient pris leurs positions. Et Frida, enfin, était revenue, ce qui avait lancé le signale pour la réunion du Conseil.

Hubert n’était pas certain que ces listes étaient utiles, tout bien considéré. Il ne connaissait pas le nom des trois-quarts des gens, il ne s’en sortirait donc jamais sans l’aide de quelqu’un. Or, à part Ruth, toutes ses connaissances s’offusqueraient qu’il prenne cette initiative sans l’accord du conseil. Et cet accord, il doutait de l’obtenir sans assemblée, ce qui réduirait ses efforts à néant. Maudits démocrates. Peut-être Albérich accepterait-il de l’épauler, cependant, plus par peur que par conviction. Mais jouer sur l’angoisse du Luménien était déplorable, et de toute façon, il connaissait probablement encore moins de noms que lui. L’un dans l’autre, son initiative était vouée à l’échec et, hormis lui plomber le moral, n’aboutissait qu’à peu de résultats tangibles.
Avec un soupir de dépit, il rangea les parchemins et prit son livre sur les créatures des marais. Il avait l’impression que c’était là une chose tout aussi inutile, vu la menace qui pesait désormais sur leurs têtes, mais il n’avait rien de mieux à faire en attendant la réunion d’état-major. Ah si, se chercher à manger. Ce qu’il fit donc.

L'activité en cuisine avait quelque peu décliné, mais non cessé : on préparait les derniers repas destinés aux chariots, on achevait de constituer des en-cas pour les guetteurs qui n'avaient pas eu le temps de manger - ou n'y avaient pas pensé. Le paladin dénicha donc sans mal de quoi se sustenter.
Ailleurs dans la colonne, l'on trouvait beaucoup moins de monde que précédemment. Les palefreniers, s'étant occupés des chevaux et ayant ramené une bonne partie d'entre eux près des chariots occupés par les civils, avaient regagné leurs pénates, de même que la plupart des colons qui avaient souhaité sortir pour une raison ou pour une autre. Les membres de l'escorte et les officiers qui n'étaient pas sur le pont étaient allés se reposer et, au final, seul le pourtour de leur semblant de bivouac demeurait très fréquenté.

Une fois nourri, Hubert se mit en quête d'Alban. Il n'avait plus vu le gosse depuis la veille et avait besoin de juger de son état. Il était responsable de l'esclandre de la veille, qui avait ramené le gamin éprouvé au centre de l'attention, et n'avait pas eu l'opportunité d'en contempler le résultat. Il n'était pas particulièrement pressé de le constater car il se doutait que cela n'aurait certainement eu aucun effet bénéfique sur son humeur. Mais il devait le faire, bien sûr. A priori, Alban montait la garde, aussi lui suffirait-il de faire le tour de la colonne pour le trouver.

Mais il ne le trouva pas : nulle part, l'écuyer n'était en vue. Et certainement pas aux côtés de Ruth. Celle-ci patrouillait désormais en compagnie d'une adolescente qui, d'ordinaire, ne faisait pas partie des guetteurs. La fillette se concentrait sur son travail tout en essayant de préserver les apparences, mais il suffit d'un regard au paladin, qui la connaissait bien, pour comprendre que quelque chose n'allait pas et qu'elle était profondément troublée, voire complètement ébranlée. Ce qui ne rendait que plus touchants ses louables efforts pour n'en rien montrer et effectuer malgré tout ce qu'on attendait d'elle.

Hubert n'hésita pas une seconde, car il devina que l'expression de Ruth et l'absence d'Alban étaient liées. Saluant l'adolescente qu'il ne connaissait pas, il s'approcha de la gamine et posa une main sur son épaule. Il adoucit sa mine d'un sourire.
" Tout va bien, Ruth."
Il la scruta une seconde, mesurant l'étendue de son désarroi.
" Où est-il ?" demanda-t-il doucement.

Ruth jeta unr egard en direction de l'adolescente, redoubla d'efforts pour paraître tranquille - ce qui ne trompa nullement son interlocuteur - et répondit d'un ton qui se voulait léger :
-Grand Vent est à deux chariots d'ici, m'sire.
Du geste, elle indiqua la direction.
-Comme vous l'aviez demandé, je l'ai installé près de là où je fais ma ronde.

Hubert resta une seconde décontenancé, se demandant s'il s'agissait là d'un code, ou si la gamine n'avait réellement pas compris de qui il parlait. Dans le doute, il se sentit forcé de pousser plus loin son interrogatoire.
" Je ne parle pas de mon cheval... Je parle de ton partenaire de guet habituel. Je ne l'ai pas vu sur le pourtour du bivouac. Je me disais que tu saurais où je peux le trouver."

Elle observa à nouveau l'autre guetteuses, qui avait poursuivi sa patrouille, puis se mordilla nerveusement la lèvre.
-Chuis pas sûr d'avoir très envie d'en parler, m'sire, murmura-t-elle. Et je crois qu'il préférerait que je réponde pas et qu'il dirait que c'est plus important que vous vous occupiez de la question de sécurité et que moi je monte la garde, plutôt qu'on perde tous les deux du temps à parler de lui.
Elle s'éclaircit une gorge brusquement enrouée.

Il fronça les sourcils.
" Je ne veux pas en parler, je veux que tu me dises où il est. Mais je respecte ta loyauté envers lui, et je ne veux surtout pas que tu la trahisses pour moi. Dis-moi juste si Robert est au courant. Ensuite, je te laisserai tranquille."
Le gosse avait sûrement décrété qu'il était trop dangereux pour rester à proximité de ses pairs. Pourtant, la veille, il avait parlé de demander à Ruth si elle avait noté des choses particulières le concernant. Ce gamin était décidément beaucoup trop entier pour son propre bien.
Mais la petite fille avait raison. Il ne pouvait pas faire passer la tranquillité d'esprit d'un enfant avant la sécurité de toute la colonne.

Elle opina lentement du chef.
-Oui, m'sire Robert est au courant : c'est lui qui me l'a dit quand j'ai pris mon service. Et il avait l'air... à la fois furieux et très triste.
Elle dévisagea un instant Hubert, se détourna et renifla.
-J'imagine que j'ai pas le droit de savoir ce qui s'est passé cette nuit ? souffla-t-elle après une hésitation marquée.

Hubert hésita puis s'agenouilla devant la gamine.
" Ruth, écoute. Alban a simplement été plus affecté par son aventure dans le tumulus que nous le pensions. Et aucun d'entre nous ne devrait en être surpris. La seule chose que nous pouvons faire, désormais, c'est le soutenir, et l'assurer de notre amitié. Il a besoin de temps et d'espace... Laissons-le lui sans lui en vouloir. Essaie de ne pas t'inquiéter. Il reviendra vers toi au moment opportun."
Il jeta un oeil à l'adolescente, un peu plus loin.
" Retourne à ton guet, à présent. Je te tiendrai au courant."

-Hier, il avait l'air d'aller mieux, pourtant. Dormir avec vous, ça lui avait fait du bien... murmura-t-elle.
Elle poussa un soupir un peu tremblant puis se redressa.
-Bon ben... J'y retourne. Et pour les nouvelles... J'en veux bien, mais vous prenez pas non plus la tête avec ça, je veux pas vous faire perdre du temps ou vous empêcher de bien faire votre travail.
Elle lui adressa une ébauche de sourire puis détala sans demander son reste.

Le paladin poussa un léger soupir, puis la laissa retourner à sa garde. Soucieux, il repartit ensuite dans le campement, un peu hésitant quant à la chose à faire. Il n'était pas étonné qu'Alban ait pris des mesures drastiques. Il en toucherait un mot à Robert, mais il gardait l'impression que cette affaire était en train de le détourner de questions plus urgentes. Pendant un moment, il erra entre les chariots. Il songea bien à recommencer à sonder les uns et les autres, mais il n'avait aucun moyen de savoir qui se trouvait sous les bâches, sans les ouvrir et déranger les occupants des véhicules pour les compter. Or, comment le justifier ?
Il pouvait peut-être essayer de s'assurer de la loyauté de deux groupes : les mercenaires et les conseillers. Mais il ne le ferait pas sans avoir la certitude de ne pas être surpris, car les ennuis que cela lui vaudrait le détourneraient encore plus de sa mission. Et si c'était trop risqué, il irait simplement s'asseoir à proximité de l'Académie pour attendre... peut-être scruter la nuit un moment, après tout, il voyait loin et sans difficultés. Il était conscient que les réels dangers qu'affrontaient la caravane n'étaient que partiellement responsables de la tension viscérale qui l'avait envahi depuis la veille... mais il n'avait pas envie de mettre un nom sur leur autre cause.

Sonder les conseillers se révéla un jeu d'enfant : passant près d'un chariot, il reconnut la voix de Robert et, comme les environs étaient déserts, il put recourir à son pouvoir et s'assurer qu'aucun d'entre eux n'était un être aux noirs desseins. En revanche, concernant les mercenaires, l'affaire promettait d'être beaucoup plus ardue : la moitié de leur groupe, leur chef y compris, montait la garde, tandis que la deuxième partie se reposer ou se détendre dans l'un ou l'autre véhicule. Or, puisque leurs timbres ne lui étaient pas familiers, il n'avait aucune chance d'identifier lequel sans jeter un regard à l'intérieur.

Hubert renonça à sonder les mercenaires, d'autant qu'il imaginait sans peine que leurs auras puissent être sombres sans qu'ils soient pour autant dangereux : un être mauvais mais motivé par l'argent pouvait s'avérer un excellent garde du corps. Il était soulagé d'avoir enfin pu sonder l'intégralité du conseil, même s'il n'était pas naïf pour autant. Il existait de nombreux moyens de se garder d'une détection aussi sommaire que celle dont il disposait et Robert et Agnès auraient sûrement informé le reste de leurs pairs des événements de la nuit, ainsi que de l'inquiétude du paladin. Si l'un d'entre eux était maléfique, il s'était sûrement protégé depuis. Restait Varamyr et Hubert décida d'essayer de le localiser. Là encore, il faudrait qu'il s'assure que ni le lynx, ni le Paludier ne lui prêtaient attention avant de sonder son aura.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée