La Couronne de Cuivre

Il eut la sensation que son interlocutrice souriait.
" C'est parfait. Tilmandil prépare la fête... pour dans quatre jours. Ton père va de mieux en mieux. "
Il y eut un silence, comme si elle écoutait autre chose.
" Sylvia... t'embrasse très fort ! Bonne route..."
Galawen arrivait au bout des trente mots, et le sort s'achèverait sans doute dans quelques secondes. Du coin de l'oeil, il voyait Eärundra parlementer avec les bédouins.

Kasumi sourit à son tour, ravi de la perspective d'une fête quoiqu'un peu inquiet que ce soit son frère qui l'organise. Avec Tilmandil, on pouvait s'attendre à tout et surtout à être surpris malgré tout. Il répondit néanmoins en tâchant de rassurer Galawen et sa famille :

- Parfait. Nous allons camper dans une oasis pour la nuit. Tout le monde va bien ici. J'embrasse très fort Sylvia moi aussi !

La communication s'interrompit, et il se retrouva dans le silence relatif de l'oasis. Des bruits de conversation, lointains, provenaient des deux campements déjà en place. Il leur restait amplement la place de s'installer eux aussi, mais ils seraient certainement obligés de monter la garde à tour de rôle. Au moins ne risquait-il pas de se trouver à nouveau dans une position embarrassante.

Il vit la druidesse s'éloigner en compagnie des bédouins, et se retrouva, comme trois jours plus tôt, l'objet de la curiosité ébahie des enfants bédouins. Ils le harcelèrent de questions sur les aigles, sur Everaska aussi, lui offrirent même quelques galettes séchées... et lui firent prendre énormément de retard dans ses préparatifs d'installation. Lorsque la druidesse revint, il avait nourri les aigles et déchargé les bagages, mais commençait tout juste à faire un feu. et malgré la nuit récemment tombée, deux enfants restaient encore à proximité, observant le moindre de ses faits et gestes.
" Décidément, tu as un don avec les gosses, commenta la druidesse, amusée. J'espère quand même que tu ne les as pas invités à rester dormir ?"

Kasumi sourit à la druidesse à sa remarque sur les enfants mais ne fit pas mine d'interrompre ses préparatifs : il ferait bientôt un froid glacial aussi ne fallait-il plus tarder à allumer ce feu.

- En fait je ne les ai pas vraiment invité du tout mais ils semblent fascinés par les demi-elfes et plus encore par les aigles. Je ne comprends pas vraiment en ce qui me concerne mais comment leur en vouloir pour Rubis et Opale ?

Il sourit aux enfants, espérant tout de même qu'ils se lasseraient avec la fraîcheur de la nuit ou que leurs parents viendraient les récupérer. Il ajouta d'un ton un peu inquiet :

- Et de ton côté ? Ça s'est bien passé ? J'espère simplement que nous ne sommes pas invités à une longue fête comme la dernière fois...

" Non, rassure-toi, nous allons avoir une bonne nuit de sommeil. Ils m'ont interrogée sur ce qui se passe dans le nord-est, surtout l'une des deux caravanes qui compte s'approcher des monts cimeterre. Mais généralement, ils naviguent beaucoup plus au sud et ne se sentent pas vraiment concernés. En tout cas, on n'a pas d'invitation..."
L'un des deux enfants, une fillette de six ans, dodelinait de la tête. L'autre, son grand frère peut-être, finit par se décider à s'éloigner, emmenant avec lui la gamine à demi-endormie. Eärundra, quant à elle, mit la main à la pâte, s'occupant de préparer une soupe revigorante.
" Je te laisserai prendre le premier tour de garde, comme d'habitude... Je pense que c'est plus prudent. Certains ne m'inspirent pas vraiment confiance", ajouta-t-elle dans un murmure.

hrp : tu peux les mettre au lit !

Pendant le repas, le rôdeur interrogea l'elfe sur ce qu'elle entendait par cette dernière remarque : est-ce que certains bédouins lui avaient donné l'impression de vouloir s'en prendre à eux ? En tous cas, cela ne changeait pas grand chose au programme : il avait d'ores et déjà décidé de monter la garde pour la nuit. Il aurait été stupide de relâcher leur vigilance alors qu'ils étaient maintenant si proches de rentrer chez eux.

Le demi-elfe avait laissé l'elfe s'installer pour la nuit avant de s'asseoir dos aux braises mourantes. Il avait passé une de leurs couvertures autour de ses épaules car la nuit promettait à nouveau d'être fraîche. Une nouvelle soirée de veille, une nouvelle attente. L'une des dernières songea le rôdeur en souriant.

Rien de notable ne se produisit pendant son tour de veille. Une fois ou deux, il eût l'impression que des yeux l'observaient dans l'obscurité. Mais les intrus, si jamais ils existaient ailleurs que dans son imagination, restèrent discret.
Eärundra vint le réveiller au milieu de la nuit, et, comme de coutume, le laissa dormir longuement le matin suivant. Une mauvaise nouvelle, cependant, l'attendait à son réveil.
" Ils ont réussi à nous piquer un sac... Celui qui contenait mes affaires, mes vêtements surtout. Et nos provisions de viande..."

Secoué par la nouvelle, Kasumi se leva aussitôt pour enfiler ses affaires : retrouver le sac promettait d'être des plus problématiques d'autant qu'ils ne pouvaient pas vraiment se permettre d'aller interroger les bédouins au risque de créer un incident diplomatique. La viande était remplaçable d'autant qu'ils approchaient de leur destination mais il craignait qu'Eärundra ait perdu des affaires personnelles dans la mésaventure. Dans tous les cas, ils ne pouvaient pas rester sans agir pour essayer de les retrouver.

- Montre-moi : on va voir s'ils ont laissé des traces. Et peut-être allons-nous devoir parler aux chefs de caravane même si je préfèrerai ne pas en arriver là.

" Les chefs protégeront leurs hommes. A mon avis, il ne fait pas compter sur eux pour prendre notre parti... "
Des traces, il n'y en avait pas. Le vent de sable, qui soufflait à nouveau, recouvrait tout d'une fine pellicule de poussière, et les empreintes éventuelles qui avaient pu être laissées devaient être recouvertes depuis longtemps.
Les deux tribus bédouines, levées depuis un moment déjà, emballaient soigneusement leurs affaires, mais rien n'indiquait qu'ils allaient se mettre en route rapidement. Peut-être attendaient-ils une accalmie. Nul ne semblait s'opposer à ce qu'ils aillent discuter avec leurs chefs.
" Ecoute... Tu sais, ce sac ne contenait rien d'important, juste des vêtements de rechange, des affaires de toilette, quelques ustensiles... Il y a le nécessaire dans tes affaires, tu pourras me prêter le matériel qui me manque. Et au pire, tu me prêteras une tunique de rechange. La viande, on peut la chasser, nos aigles le peuvent. Ne va pas risquer des ennuis pour ça."

Le rôdeur se redressa du sol qu'il examinait tout de même soigneusement et chercha le regard de la druidesse :

- C'est la deuxième fois que tu perds des affaires pour avoir voulu m'aider. Je peux bien entendu remplacer tout ce qui pourrait te manquer mais tu es sûre qu'on ne t'a rien volé à quoi tu puisses tenir ? Nous pourrions faire un tour à proximité de leur campement et voir si tu reconnais ton sac. Ou peut-être demander à un animal de le localiser : il doit y avoir des rongeurs qui ont un bon odorat ici, non ?

Il pensait notamment à un cadeau qu'il lui avait offert même s'il était probable qu'elle conserve d'autres objets personnels à valeur sentimentale.

" Les objets auxquels je tiens, je les garde toujours dans mes poches. Une vieille habitude. Ce n'est pas la première fois que je perds mon sac, tu sais, c'est un peu trop fréquent en fait. Je trouverai de quoi me rééquiper... Je dois même pouvoir demander quelques vêtements ou de la nourriture en paiement la prochaine fois que je soigne des bêtes. Quant à demander à un animal... Il ne distinguerait pas notre viande des autres, et au milieu de ces myriades d'odeurs humaines, il ne retrouvera pas la mienne. Non, franchement, ne t'en fais pas pour moi. Mais effectivement, on peut aller faire un tour, l'air de rien pour voir si on voit quelque chose... mais il ne faut pas avoir l'air bizarre ou menaçants..."

La réponse d'Eärundra le rassura un peu et lui sourit en retour :

- Allons nous promener un peu dans ce cas ! Et, une fois à Everaska, je remplacerai ce que tu as perdu dans l'aventure. Et défense d'essayer de nous faire passer pour un couple d'amoureux sous prétexte que ce serait la couverture idéale !

Il avait plaisanté bien sûr, quoiqu'il préfère prendre les devants, juste au cas où.

" Hey ! C'est au contraire ce que je comptais te proposer ! Mais soit... Pas de promenade main dans la main..."
Le premier campement bédouin était juste à côté du leur. ils le traversèrent sans rien remarquer de spécial, suscitant quelques salutations et quelques sourires au passage. La druidesse en profita pour demander des nouvelles d'une chèvre qu'elle avait soignée la veille.
Le second campement, un peu plus au sud, était plus imposant, et ils choisirent un itinéraire un peu plus complexe pour en faire le tour sans en avoir l'air. Là aussi, on les salua poliment, et Kasumi reconnut certains des enfants venus l'observer la veille. Mais lorsqu'ils abordèrent la périphérie, ils eurent la sensation qu'on leur jetait des regards un peu insistants. Un peu inquiets peut-être. Il y avait là beaucoup de bêtes, en fait, et les seuls humains étaient leurs gardiens, accompagnés parfois de leur famille. Il y régnait une pauvreté plus grande que dans le reste de la tribu, on le voyait à l'état des vêtements, à la maigreur des enfants. c'est là qu'Eärundra finit par reconnaître certaines de ses affaires : une de ses tuniques, portée par une adolescente maigrichonne.

L'observation attentive du second campement fit prendre conscience au rôdeur de l'état de dénuement de la tribu qui y résidait. Frappé par la grande pauvreté de ces gens et bien que cela ne justifie pas totalement le vol de la nuit, le rôdeur observa un instant l'adolescente puis glissa à voix basse à l'oreille de l'elfe :

- Finalement, si tu ne tiens pas particulièrement à ces affaires, je te suggère de retourner au campement. Je t'en achèterai des neuves une fois de retour ! Enfin, si tu es d'accord !

" Je partage ton avis", répondit la druidesse sur le même ton.
Ey, doucement, elle fit quelques pas en arrière, s'apprêtant à faire demi-tour.
Mais à ce moment-là, l'adolescente leva les yeux, vit les intrus, et son regard s'agrandit de panique. Elle se précipita vers la tente voisine, qui n'avait pas encore été démontée, et aussitôt son père -à en juger par la ressemblance- en sortit, arme au point.
" Fichez le camp d'ici !"
Sa voix était forte, et plusieurs des bergers alentours tournèrent les yeux vers eux.

Sentant le danger, le rôdeur ne quitta plus le berger armé des yeux tout en essayant de garder les autres à l'œil en même temps. Il échangea un regard avec Eärundra avant de répondre au berger d'un ton calme et ravala sa fierté pour formuler des paroles diplomates :

- Bien sûr, nous ne voulions pas effrayer votre fille et nous nous en allions justement.

Il n'avait pas esquissé un mouvement vers son arme mais elle était tout de même bien en évidence pour dissuader un acte irréfléchi de la part des bédouins attroupés.

Eärundra, confirmant ainsi ses paroles, continuait à reculer, et elle posa sa main sur son bras pour l'encourager à la suivre. Des yeux méfiants, voire hostiles, les suivirent tout au long de leur trajet. Mais ils parvinrent sans encombre auprès des aigles, sans que nul n'ait porté la main à son arme.
" Hum... certains nous regardent d'un drôle d'oeil, surtout ceux de la tribu la plus au sud. Je ne les sentais pas, ceux-là, depuis le début. Mais on doit pouvoir trouver le temps de déjeuner quand même. Tant qu'on reste sur notre propre campement..."

Le rôdeur hocha la tête pour marquer son assentiment :

- Oui : prenons le temps de déjeuner et envolons-nous ensuite. Si nous pliions bagage dès maintenant, je crois que ça les encouragerait encore plus à s'en prendre aux prochains étrangers de passage. Et de toute façon, s'ils se montrent hostiles, nous aurons largement le temps de nous en aller.

Joignons le geste à la parole, le rôdeur s'installa devant leur petit-déjeuner en s'assurant que son arme restait à portée.

Nul ne vint les importuner, mais ils se sentaient épiés, jaugés, surveillés. De quoi les inciter à ne pas s'attarder plus que nécessaire...
Ils reprirent donc rapidement leur vol, la druidesse abandonnant ses affaires apparemment sans regrets aux bédouins. Elle avait prévu de faire une pause à la mi-journée, laissant les aigles chasser pour leur rapporter un peu de viande, à condition que le vent de sable cesse enfin... Ce qu'il finit par faire, un peu avant midi. mais ils survolaient alors une immensité de dunes stériles, sans le moindre troupeau à l'horizon, et l'elfe fit signe à Kasumi qu'elle ne comptait pas s'arrêter. Il pressentait qu'elle aussi était pressée de rentrer.
Ils se sustentèrent donc en vol, un simple repas frugal comme ils commençaient à en avoir l'habitude, mais cette fois-ci Eärundra les fit se poser un peu plus tôt que d'habitude en fin de journée, dans une oasis beaucoup plus petite que celle repérée à l'aller -une mare à demi asséchée avec quelques palmiers autour. Elle présentait l'avantage d'être totalement déserte, et le resterait puisqu'ils n'avaient pas vu de caravane à proximité. Et les aigles, dans le temps restant, pourraient probablement leur trouver du gibier.

Le rôdeur était tout à fait satisfait du choix de la druidesse pour la nuit. Bien qu'elle offrait potentiellement moins de confort et de ravitaillement, ils pourraient enfin bénéficier d'un lieu où relâcher un peu leur vigilance et où ils ne risquaient pas d'abandonner le peu d'affaires qu'il leur restait encore après les différents déboires subis depuis leur arrivée dans la région.

- Voici un excellent emplacement pour notre dernière étape dans le désert ! Nous devrions songer à un petit festin pour fêter ça, qu'en dis-tu ?

Les yeux de la druidesse s'illuminèrent un instant.
" Miam ! Un festin ? Concocté par toi ? Ca serait fabuleux, mais... je te rappelle qu'on n'a plus de viande, et plus vraiment de fruits non plus, il doit rester des haricots et des pommes de terre, de l'huile, du fromage et des galettes. Des herbes et des piments... aphrodisiaques ? Non, je plaisante ! Bref. Si tu arrives à nous concocter un festin avec ça, tu es vraiment très fort. Il va falloir attendre de voir ce que les aigles nous ramènent, mais il n'y a guère de gibier dans les parages."
Elle soupira.
" Dommage, c'était une bonne idée..."

Le rôdeur fit cependant de son mieux pour commencer à apprêter les ingrédients qu'ils leur restaient et dont ils n'auraient pas besoin le lendemain. Même si les aigles rentraient bredouilles, au moins aurait-il fait un effort de présentation. C'était le moins qu'il puisse faire pour remercier Eärundra de tous ses efforts pour sauver son père - et lui-même - à de multiples occasions au cours des derniers jours.

- C'est bien plus qu'il n'en faut pour réaliser un bon repas. Original, je te l'accorde, mais je ne me décourage pas pour si peu !

Par chance, les aigles reparurent avec une proie dans les serres. Mais ça n'était ni une chèvre ni une gazelle ni même un fennec. C'était juste... un énorme serpent. Et d'une espèce venimeuse selon la druidesse. Il était bel et bien mort, heureusement. Mais Kasumi ayant promis un festin, il ne pouvait pas se défiler pour si peu.
Il dénicha également, au fond de leur sac, outre les pommes de terre et les haricots secs, des oignons, un reste de miel et une orange. Le mélange promettait d'être original.
Le laissant à ses préparations, la druidesse se préoccupa de nourrir les aigles, puis d'installer son hamac sous les branches du plus solide des palmiers. Elle incanta pour leur fournir de l'eau à profusion, et finit par s'installer en tailleur, un léger sourire aux lèvres, pour suivre l'avancée de ses travaux. Il remarqua qu'elle avait sorti de sa poche le lion qu'elle avait elle-même sculpté, ainsi qu'un petit couteau, et cherchait à en améliorer la forme.

Etrangement, Kasumi s’en remit à certains de ses souvenirs de Sylvia pour tenter d’accommoder certains ingrédients qui n’avaient pas des saveurs forcément compatibles. Il finit néanmoins par recourir à la technique de plusieurs petits plats qui pouvaient aisément être mangés en entrée, en dessert ou en accompagnement. Il découpa également le serpent en tranches fines après en avoir retiré la peau et les fit griller. Un coup d’œil jeté à Eärundra l’émut également en constatant qu’elle reprenait le travail sur le lion. Il la laissa néanmoins à sa tâche, préservant son intimité. Une heure plus tard environ, il s’estima satisfait de ses préparatifs et annonça gaiement à Eärundra :

- Voilà, un plat typique du désert hormis pour les scorpions !

Les petits plats se révélèrent excellents, étrange mélange de sucré et d'amertume qui réveillait les papilles. Une fois la surprise passée, on s'habituait, et c'était plutôt bon. Savoureux, même. En fait... cela ressemblait beaucoup aux goûts de la cuisine de Ta'sslan.
Eärundra complimenta vivement le rôdeur, et semblait bien décidée à avaler jusqu'à la dernière miette de ses préparations culinaires. Elle avait rangé sa sculpture dans sa poche, peut-être aux côtés de l'autre.
" Attends... je dois pouvoir améliorer un peu la boisson. Je parie que tu n'as jamais goûté du vin des cimes... C'est sans alcool mais c'est... spécial."
Prenant l'une des outres, elle y glissa une poudre et des herbes que Kasumi n'eût pas le temps d'identifier, et secoua l'ensemble pendant plusieurs minutes, en fredonnant une mélopée étrange. peut-être était-ce en réalité une sorte d'incantation.
Lorsqu'elle versa le liquide dans son gobelet, Kasumi put constater qu'il était d'un vert vif, acidulé, avec des senteurs de cannelle, de sapin et d'herbe coupée, de fleurs des champs. Et son goût était bien plus étrange que tout ce qu'il avait pu goûter jusqu'à présent. C'était fort, pimenté, et pourtant frais et sucré. Il eût l'impression, pendant quelques instants, que sa vue se brouillait et que tout devenait vert autour de lui, et eût l'impression d'être parcourut par une vague de froid, avant de retrouver ses sensations habituelles.

Kasumi avait été impressionné lui-même d’être parvenu à un résultat aussi satisfaisant et il accepta les compliments de l’elfe de bonne grâce en se réjouissant qu’elle ait autant apprécié que lui-même. Il jeta un regard bien plus dubitatif en direction de la boisson en ne pouvant s’empêcher de se demander si elle était ensorcelée ou avait un pouvoir particulier. Et, malgré s’y être préparé, le goût le surprit autant que les sensations qu’il ressentit ensuite l’inquiétèrent. L’effet semblant passé, il interrogea Eärundra avant d’oser y retremper les lèvres :

- C’est… étrange. Pas mauvais mais étrange. Tout de même, j’espère que ce n’est pas une sorte de potion magique pour me forcer à libérer les aigles ou ce genre de choses…

Le druidesse rit, et répliqua d'un ton sérieux.
" En réalité c'est un filtre d'amour. Dans une heure tu seras totalement épris de moi et désireux de partager ma vie jusqu'à la fin de tes jours..."
Elle laissa passer quelques secondes, savourant l'effet de sa déclaration, avant de rire de nouveau.
" Non, rassure-toi, je suis bien incapable de créer une réelle potion magique, et je ne souhaite pas forcément passer une centaine d'années avec toi ! C'est simplement une pâle copie du vin de trèfle..."
Devinant que le terme ne lui disait rien, elle précisa :
" Le vin de trèfle, c'est une boisson festive très appréciée par les créatures des forêts. Les faunes, les centaures, les licornes... L'alcool est toxique pour les organismes, ils en sont davantage conscients que les humains ou même les elfes, et ils n'en boivent pas. Alors ils ont créé d'autres petits plaisirs tout aussi forts en sensation. Mais dans les montagnes d'Everaska, je n'ai pas de trèfle à ma disposition, j'ai donc tenté de fabriquer quelque chose d'approchant... et de moins fort. Un verre de vrai vin de trèfle, un peu trop grand ou bu trop rapidement, a vite fait de détraquer les intestins des bipèdes dans notre genre..."

Il avait donné la satisfaction à la druidesse de blêmir légèrement et d’écarquiller les yeux lorsqu’elle avait évoqué le filtre d’amour. De sa formation de rôdeur et de sa vie au campement de la Haute Forêt, il avait en effet ancré l’idée que les druides étaient capables et friands de telles prouesses. Mais il connaissait maintenant suffisamment l’elfe pour savoir qu’aussi facétieuse soit-elle, elle n’emploierait jamais ce genre d’expédients plus que moralement discutables pour parvenir à ses fins.

Tout de même rassuré, le rôdeur rit en même temps que l’elfe et écouta avec attention son explication. Il était ravi qu’elle ait partagé ce secret des bois avec lui et y retrempa les lèvres après un sourire.

- C’est effectivement très puissant même dans cette version. J’ai entendu dire que les elfes des bois de la Lorien, en Helonna, étaient très friands de toutes sortes de préparations alcoolisées ou non. Je me demande si ta recette ne pourrait pas les intéresser…

" Les elfes des bois sont généralement proches des quadrupèdes intelligents qui partagent leur milieu de vie. Ils doivent connaître bien des recettes de ce genre. C'est plutôt moi qui aurait à apprendre d'eux en ce domaine ! "
L'elfe semblait rêveuse.
" Tu me donnerais presque envie de voyager jusque là-bas un jour... Et l'avantage de la longévité de ma race, c'est que j'aurai amplement le temps de mettre ce projet à exécution. Contrairement à certains qui prennent tout simplement le temps de vivre, j'ai tendance à avoir un peu la bougeotte et à vouloir profiter à fond de mes quelques centaines d'années de vie. Ma mère était comme ça, et ta grand-mère a aussi ce trait de caractère..."

Le demi-elfe sourit de cette perspective mais se contenta de répliquer d’un ton songeur :

- Il est vrai qu’on associe plus facilement ce mode de vie aux humains ou aux demi-elfes comme moi mais j’ai pu constater, au cours de mes rencontres, que certains elfes n’avaient rien à envier à l’esprit aventureux ou à l’impulsivité que l’on prête aux races à la vie plus courte. En tous cas, si tu te rends jamais en Lorien, tu y trouveras aussi des elfes dorés comme tes ancêtres. Je crois que je m’y rendrais un jour : j’ai une invitation depuis des mois et je ne l’ai pas encore honorée.

La Couronne de Cuivre

[Désert d'Anauroch] Quête : Racines