La Couronne de Cuivre

" Dame Alexine devrait nous conférer une protection... Je pense que c'était l'idée, dit Caleb. Ce n'est pas une protection infaillible, malheureusement, mais elle devrait minimiser nos chances de tomber sous leur emprise. Cependant, de ce que j'ai compris, le plus grand risque, ce sont leurs ondes mentales... Il est donc clair que nos assauts doivent se concentrer sur eux plutôt que sur toute autre créature qui les accompagnerait... mais il faut à tout prix éviter le corps à corps."
Il haussa les épaules.
" Je n'ai jamais croisé ce type de monstres. Ils sont rarissimes, de ce que j'en sais."

" Moi non plus. J'ai entendu des allusions dans des récits, je ne savais même pas à quoi ils ressemblaient vraiment", opina Astrée.
Éviter le corps à corps... Elle jeta un coup d'oeil à Glenn, songeant que pour lui, ce serait plus compliqué : il fallait vraiment qu'il réussisse son attaque du premier coup et s'éloigne rapidement des autres en profitant de l'effet de surprise. Mais ce devait être son mode d'action habituel. Et puis, il savait probablement aussi lancer des dagues à distance.
Elle reporta son attention sur l'agencement des lieux.
" Bon. Je pense qu'il faut que se trouve quatre points de surveillances qui permettent de couvrir l'ensemble des itinéraires d'arrivée possibles. Tout en étant capable de se voir les uns les autres... ou au moins en partie."

Procéder aux repérages nécessaires à leur intervention leur prit un petit quart d'heure environ. La neige ne tombait plus mais le vent avait pris le relais. Ils avaient la chance qu'à distance de leur chaos rocheux, les pierres dressées s'espaçaient et la visibilité devenait plus grande : tout intrus devrait traverser une zone relativement dégagée et s'offrir à leurs regards, pour autant qu'ils viennent de la direction espérée et pas directement des ruines sous leurs pieds. Mais ils ne pouvaient travailler qu'avec des hypothèses, croiser les doigts, et aller de l'avant. Le froid les ramena vers l'abri, dont Caleb semblait connaître le chemin jusqu'à un certain point. Il frappa ensuite un code alambiqué sur une pierre, qui ne se distinguait en rien des autres, à première vue, et un passage s'ouvrit pour les réadmettre à l'intérieur. Une bonne odeur de nourriture flottait dans l'air. Apparemment, tout le monde s'était rassemblé pour un ultime repas avant que les groupes ne se séparent pour l'attente.

Astrée songea que leur abri magique était infiniment pratique, et se demanda si, un jour, elle serait capable de ce genre de magie. Ce serait idéal, étant donné son mode de vie. Mais peut-être n'était-elle pas accessible aux druides.
Elle se dirigea, comme les autres, vers le lieu du repas, réalisant qu'elle avait rudement faim après leurs pérégrinations de la journée. Elle chercha du regard Mathieu. Elle était curieuse de savoir le rôle qu'il jouerait dans leur embuscade, si toutefois il avait accepté d'en faire partie. Mais étant plus ou moins lié à l'unité d'intervention ou à des supérieurs hiérarchiques communs, il n'avait probablement pas d'autre choix.

Mathieu discutait avec un des elfes que comptait le groupe d'intervention mais quand il croisa le regard d'Astrée, il salua son interlocuteur et vint à sa rencontre. Il arborait son sourire tranquille habituel, difficile de savoir ce qu'il ressentait là dessous, de l'anxiété ou pas du tout.
" Alors ? On a pris le froid ? Je ne suis pas pressé de retourner dehors, pour ma part. Je pense que la prochaine fois, j'irai voir s'ils ont du caillou dans le sud. Je suis sûr qu'il y a des choses à dénicher par là aussi... même si c'est seulement du sable."

" Bah, la chaleur, c'est pas mieux, rétorqua Astrée. On cuit, on se fait dévorer par les insectes, et on n'a pas toujours une bière fraîche à disposition... "
Elle sourit.
" Mais je te concède que s'asseoir ici au coin du feu à se restaurer, c'est plus agréable que courir les ruines. Malheureusement, je crains que ce ne soit pas tout à fait ce qui est prévu au programme de la soirée... J'imagine qu'ils t'ont trouvé un poste sur mesure et qu'ils ne vont pas te laisser attendre tranquillement ici ?"

Il eut un sourire.
" En fait, j'ai failli me retrouver coincé ici. Mais j'ai demandé — exigé disons plutôt — une place au coeur de l'action. Je sais me montrer très persuasif. Ou très insupportable, selon le point de vue. Donc oui, je vais aller avec Dimitri et Yseult, traquer le drow possédé."
Il accepta un bol que lui tendait un elfe, le donna à Astrée, puis en prit un second pour lui-même. La mixture qu'il contenait paraissait peu appétissante, mais son odeur était délicate.
" Ce sera moins épique que la chasse aux tentacules. Mais tu me raconteras."

Astrée sourit lorsqu'il évoqua son soi-disant enthousiasme à être dans l'action, puis grimaça à sa dernière phrase.
" Comme si j'avais vraiment envie de me retrouver face à ces monstres. On voit bien que tu n'as pas eu affaire à eux..."
Elle frissonna, chassant très vite les souvenirs qui affluaient. Elle était libre désormais, et bien décidée à tout faire pour ne jamais retomber entre leurs mains. Elle préférait mourir... Et ce n'était pas une pensée en l'air.
Elle avala un peu de la mixture, concentrant sa curiosité sur le contenu de son bol et non pas sur ce qui les attendait dans les heures ou les jours à venir.
" Donc tu sais te battre, contrairement à ce que tu disais sur le Martin-Pêcheur", fit-elle observer au bout de quelques instants, pour dévier la conversation vers des sujets moins angoissants.

" Je sais me défendre, ce n'est pas tout à fait la même chose." dit-il avec un sourire.
Puis il prit un ton de conspirateur.
" Enfin j'espère... parce que c'est ce que j'ai raconté... Après, je n'ai pas froid aux yeux, et dans certains cas, c'est aussi utile que la maîtrise parfaite d'un truc tranchant. Enfin, presqu'aussi utile."

" L'essentiel c'est de garder ton sang-froid, oui, acquiesça Astrée. Et puis, tu verras, ils ne sont pas très costauds, ces drows. Ils sont très affaiblis par leur captivité. Ce sont de vraies teignes, bien sûr, mais ils sont maîtrisables. Enfin, si j'en juge par mon compagnon de cellule. La cohabitation était délicate, expliqua-t-elle avec un sourire légèrement amusé. Il était affamé et me confondait avec un bon gigot. Mais bref. Tu en viendras à bout, j'en suis sûre."
Elle espérait qu'ils ne massacreraient pas tous les drows, que certains survivraient et seraient libres de retourner chez eux. Mais elle n'en dit rien, consciente qu'elle devait être la seule à le souhaiter. Elle préféra se concentrer sur le contenu de son bol.

" Je suppose que si on maîtrise rapidement les drows, on viendra vous prêter main forte avec les tentaculaires, dit-il en haussant les épaules. Ça risque d'être un beau bordel... Ça ne doit pas être évident de faire la différence entre quelqu'un de dominé et quelqu'un de libre de ses mouvements... Même si je pense que ça ne doit pas être évident de forcer quelqu'un à agir contre ses alliés..."
Il parut songeur.
" Cela t'est déjà arrivé ? D'être sous contrôle, je veux dire... A l'exception de cette triste aventure."

Elle secoua la tête.
" Non, non, jamais... C'est ma seule... hum... expérience... de ce genre. Et je ne veux plus jamais connaître ça. On ne peut rien faire, le corps obéit tout seul. Je veux bien croire qu'ils ne puissent pas nous faire attaquer des alliés si facilement, mais moi, je n'ai jamais eu l'impression de pouvoir résister à leurs injonctions. Peut-être aussi parce qu'ils ne m'ont rien ordonné de choquant... Mais même penser, réfléchir, j'osais à peine, ils savaient tout. On ne peut même pas se suicider pour échapper à son sort."
Elle lâcha un soupir.
" Mais je pense qu'on est moins rapide, moins habile, quand ils nous font agir vraiment contre notre volonté. Et que ça doit se voir. Pour les Félandariens, tu l'avais deviné, par exemple, même si ce n'est pas la même magie. Ou... Peut-être que tu avais déjà eu affaire à ce genre de chose ?"

" Heu non..."
Il eut un sourire malicieux.
" Je suis très obéissant. Je fais ce qu'on me dit de faire avant d'être soumis à un sortilège... de cette manière, c'est beaucoup plus simple de tromper l'adversaire et de frapper au moment opportun. A partir du moment où tu te rebiffes... On ne te fera plus jamais confiance."
Il redevint sérieux.
" Evidemment, c'est plus compliqué face à des créatures qui peuvent lire dans tes pensées... Impossible, même."

Astrée devait bien admettre que Matthieu était doué pour faire semblant d'obéir, tout en planifiant le contraire de ce qu'il montrait. Et puis, il jouait la comédie plus ou moins en permanence, même lorsqu'il était entouré d'alliés. Elle-même n'en était pas capable et n'en avait aucune envie : elle considérait qu'entre personnes de bonne volonté, la sincérité était préférable.
" Oui, c'est bien le problème. De toute façon, les Illithids ne te donnent pas le choix d'obéir ou pas : ils te mettent immédiatement une sorte de lien dans le cerveau grâce auquel lequel ils imposent leur volonté. Et ils savent tout ce que tu penses. Donc il est impossible de faire semblant. Ce qui prouve bien qu'ils m'ont laissé filer volontairement, d'ailleurs. Car même si j'ai essayé de ne pas penser du tout à mes projets exacts, ils ont dû le savoir au moment où l'idée m'a traversé l'esprit, à mon réveil. Le seul moyen de les surprendre, ce serait d'improviser en permanence sans jamais réfléchir à quoi que ce soit... Autant dire qu'on n'a aucune chance, à moins d'être vraiment béni de Tymora. C'est la situation la plus désespérante que je connaisse", soupira-t-elle.

" Je pense que notre avantage va justement tenir à notre manque de préparation et à notre méconnaissance des lieux... Ce n'est pas comme si les tentaculaires pouvaient tirer grand chose de notre crâne : il fera noir, dans un dédale de cailloux où plus ou moins personne ne sait s'orienter, nous n'aurons aucune idée d'où se trouvent nos alliés, et toutes nos pensées seront focalisées sur... les tuer et survivre. Même s'ils arrivent à s'immiscer dans nos cerveaux... psychiquement, j'entends... ce sera une belle perte de temps pour eux !"
Il parut songeur.
" Une autre solution serait de boire un bon coup ou de fumer du lotus noir... Je suis certain que ça ferait son effet lorsqu'ils essaieraient de faire sens de nos pensées."

Astrée eut un demi-sourire.
" Ce serait rigolo. Et si ça n'avait pas un effet aussi désastreux sur nos capacités de combat, ce serait une stratégie intéressante... Parce que même si on connaît mal les lieux, il y aura toujours trop d'informations dans nos crânes. A commencer par la composition de l'équipe."
Le nombre de personnes tendant l'embuscade, la présence d'une prêtresse, mais aussi la présence des trolls non loin et le danger ou l'atout qu'ils pouvaient représenter...

Elle haussa les épaules, et préféra dévier la conversation vers des sujets moins anxiogènes.
" D'ailleurs, à propos d'informations dans nos cerveaux... As-tu enfin réussi à percer les soi-disant secrets de Dimitri ?", questionna-t-elle avec un clin d'oeil, à voix plus basse.
Évidemment, la situation était bien trop grave pour se préoccuper de telles broutilles, mais Mathieu était du genre à conserver sa curiosité intacte en toutes circonstances. Et puis, tout prétexte était valable pour ne pas songer au danger qu'ils allaient affronter.

" Pas complètement, dit-il. Mais les événements à venir devraient m'en apprendre davantage... et s'il se comporte comme je pense qu'il va se comporter... Il aura de toute façon des comptes à rendre. Ses capacités, dans un endroit reculé, ne passent pas inaperçues. Je ne suis pas le premier qui m'y intéresse et d'autres ont des ressources bien plus vastes que les miennes. Dans tous les sens du terme."
Il haussa les épaules.
" Je pense d'ailleurs qu'il en est bien conscient. Il n'a pas été capturé par les Illithids... mais son temps d'anonymat tranquille est révolu. S'il ne crache pas le morceau, on ne le laissera pas en paix."

Astrée poussa un soupir. Les paroles de Mathieu laissaient entendre que l'escouade qui les accompagnait s'intéressait elle aussi à Dimitri. Pourtant, quel que soit le secret du mercenaire, il ne semblait rien faire de répréhensible, et il aurait mérité, selon elle, qu'on le laisse en paix sans chercher à en savoir davantage. Bien sûr, il semblait avoir des capacités peu communes... mais quel mal y avait-il à cela ? Ou peut-être y avait-il là-derrière une affaire sérieuse qu'elle ignorait, après tout.
Elle laissa passer quelques instants avant de répondre.
" Pourquoi ?, fit-elle finalement. Pourquoi est-ce qu'il n'aurait pas le droit d'avoir ses secrets, quels qu'ils soient, et de les garder pour lui ? Là, tu vas le surveiller à moitié, attendre de voir ce qu'il va faire, tenter d'apprendre ce que tu peux apprendre... et... à quoi ça sert ?"
Quoiqu'il en soit, si Dimitri craignait tant qu'on découvre son secret, il avait d'autant plus de mérite à rester sur place sans se défiler. Mais peut-être comptait-il disparaître très rapidement après les combats.

" Ça sert qu'un homme de son niveau... est fatalement d'intérêt pour les personnes qui veillent à la sécurité de l'île, dit-il avec un léger haussement d'épaules. Savoir qui il est, d'où il vient, pourquoi il est là aujourd'hui et ce dont il est capable... C'est même quelque chose d'indispensable."
Il jeta un oeil dans la direction du mercenaire, plus loin sur leur droite. Il mangeait debout, appuyé au mur, en silence.
" Une fois qu'il aura satisfait la curiosité des gens... Ils le laisseront tranquille. Ou peut-être pas, s'ils doutent de ses intentions. Il circule drôlement près de chez les Ithiliens, notamment, ce qui pourrait déplaire en certains lieux... et drôlement près de la Lorien, aussi, ce qui déplait à d'autres. Mais il se pourrait aussi que certains... Les mêmes que les premiers, en fait... soient intéressés par les perspectives... de collaboration, dirons-nous. Donc tu vois... Ce n'est pas juste de la curiosité. C'est... de la politique."

Astrée grimaça.
" La politique... c'est pas trop mon truc."
Elle n'était pas sûre d'avoir saisi les choses, mais elle comprenait bien que l'armée, ou les services secrets, ou toute autre organisation luménienne officielle, puisse envisager de s'assurer les services de Dimitri, ou au moins vérifier qu'il ne soit pas au service d'Ithillion.
Elle le plaignait, en un sens : elle l'imaginait volontiers avoir fui un passé douloureux ou pesant, pour venir reconstruire ici une une vie paisible et libre. Mais elle ne savait rien de lui, après tout : peut-être serait-il intéressé par ces perspectives, au contraire. Ou peut-être était-il un espion ithillien.
Mais après tout, quand bien même ce serait le cas... tout ce qu'elle voyait, c'était qu'il n'avait pas froid aux yeux et qu'il prenait des risques en restant malgré le danger. C'était quelqu'un de bien. Un paladin, avait dit Mathieu...
" Mais je suis curieuse, tout de même... Tu me raconteras ? Enfin... ce que tu auras le droit de me raconter, évidemment..."

" Je ne pense pas que j'aurai grand chose à te raconter : je me suis grillé dans les grandes largeurs. Mais si je vois des trucs, je t'en parlerai, si tu veux. Ce sera plus de l'observation que de la révélation... et Yseult reste avec nous, de toute façon. Elle est responsable, maintenant. Moi... Je me suis juste glissé à l'intérieur. Personne ne m'attend plus au tournant, j'ai déjà joué le rôle qui m'était imparti."
Il sourit.
" C'est toujours le truc, quand on fait partie de ce genre d'organisation : on est un rouage. On doit l'accepter. Le genre de choses que tu ne supporterais pas."

Astrée haussa les épaules.
" Bah... Ça dépend. Être un rouage, ça ne me pose pas de problème en soi... surtout pour une opération comme celle-ci où il faut se coordonner pour mener une attaque. Comme je suis incapable de coordonner ou de diriger quoi que ce soit, me contenter d'obéir me convient parfaitement, quand on est dans l'action. Mais effectivement, je garde mon libre-arbitre. Je m'autorise à désobéir si je l'estime nécessaire. Par exemple, si on m'ordonne d'abandonner un compagnon en danger, je ne peux pas. Enfin, sauf si le secourir met en danger d'autres personnes, il faut choisir l'option la moins pire".
Elle faisait bien évidemment allusion à Eyri, dont le souvenir restait très vivace. Elle estimait avoir choisi la bonne option, en son âme et conscience. Elle n'était partie à son secours qu'après avoir amené le groupe en sécurité. Évidemment, elle ne pouvait pas prévoir que le campement avait été attaqué et que la sécurité espérée n'était pas assurée.
Elle se souvint alors que c'était en partie de sa faute à elle s'il était en danger, et un sentiment de culpabilité lui serra le coeur, faisant écho à celle, bien plus grande, qu'elle ressentait vis-à-vis de Kalju. Elle s'obligea à se concentrer sur la concentration en cours pour ne pas se laisser submerger par des idées sombres.
"Mais tu as raison tout de même : l'armée, c'est pas pour moi. J'aurais tendance à demander sans cesse le pourquoi des ordres, ils n'aimeraient pas du tout. Toi, tu fais comment pour accepter ça ? Tu fais aveuglément confiance à tes supérieurs pour prendre les bonnes décisions, ou bien tu te dis juste que c'est ton métier et que tu es payé pour ça ?"
La deuxième option, probablement.

" Hum... Je ne me considère pas exactement comme dans l'armée. Ou alors une armée qui ne fonctionne pas exactement comme la manière dont je me représente l'armée. Mais l'argent n'a aucune espèce d'importance pour moi. C'est très mal payé. Et c'est tellement chronophage que de toute façon, même si je gagnais bien ma vie, je n'aurais pas de temps pour dépenser ma fortune..."
Il haussa les épaules.
" Disons que mon obéissance aux ordres est... extrêmement imparfaite. Mais dans certaines circonstances, je suis capable de réaliser que d'autres personnes sont infiniment mieux qualifiées que moi pour prendre la bonne décision. Ce n'est pas toujours facile, j'aime avoir raison, et je n'aime pas me plier à des ordres stupides. Mais... c'est peut-être une question de tomber au bon moment sur le bon leader. Et d'être conscient de ses limites. Ce qui n'est pas évident non plus. Tout ça est finalement... question de flexibilité."

Astrée sourit.
" Donc finalement, au fond, tu ne vaux pas mieux que moi dans le rôle de simple rouage. Enfin, sauf que toi, tu sais faire semblant d'être d'accord et obéir, même quand tu penses le contraire. Et de façon très convaincante. D'ailleurs, avec ton don pour la comédie, j'ai toujours considéré que tu ferais un bon espion."
Elle avait même envisagé, un temps, qu'il puisse être de mèche avec les oghmans de la barge.
" Enfin... sauf que ton don pour te retrouver dans les embrouilles n'est pas très compatible avec la discrétion nécessaire à un espion...", conclut-elle en souriant plus largement.

Edit : suis de retour dimanche fin d'après-midi

" Espion, voilà un terme bien... désuet." dit Mathieu avec un léger sourire.
Il haussa les épaules.
" Mais effectivement, je ferais un très mauvais espion. Impossible de ne pas me faire remarquer, d'une manière ou d'une autre. Bah. Il faut de tout pour faire une équipe, pas seulement des profils bien typés. Après, parfois, pour débusquer de l'information, il faut savoir aller la chercher, même de manière spectaculaire. L'épisode en Lorien nous l'aura bien prouvé. Ensuite, d'autres se chargent de prendre le relais, et voilà, le rouage a tourné."
Il la dévisagea et lui décocha un clin d'oeil.
" Tu ferais une encore plus mauvaise espionne."

" Ah mais je n'en ai jamais eu la moindre envie !, rétorqua Astrée avec légèreté. Devoir jouer la comédie, mentir, en permanence, je ne pourrais pas. Je suis curieuse et je n'ai pas peur de grand-chose, mais mes qualités éventuelles d'espionne s'arrêtent là."
Elle voulait bien découvrir des secrets, mais par pure curiosité personnelle. L'idée de les trahir aussitôt, fut-ce au bénéfice des autorités de l'île, la mettait un peu mal à l'aise, sur le principe. Bien évidemment, tout dépendait de la nature des secrets en question.
Cependant, Mathieu ayant évoqué la barge, elle profita de l'occasion pour le questionner un peu plus sur le sujet.
" Mais maintenant que je sais tout... enfin presque... Tu vas pouvoir peut-être m'en dire plus sur ce qui s'est passé avec les ithilliens sur la barge, non ? Par exemple... C'est toi qui a empêché leur pilote de filer ?"

" Non. Moi je me suis carapaté dès que j'ai pu. Heureusement Palen était à proximité. Je pense qu'ils avaient l'intention de m'embarquer à Ithilion avec eux, ce qui aurait été très problématique... mais j'ai pu m'en sortir. Un peu in extremis. Je dois dire que je ne sais pas pourquoi ils n'ont pas complètement abandonné la barge. Mais je ne sais pas si le pilote avait grand chose à dire. Si ça se trouve, ils lui ont vidé la caboche avant de l'abandonner. Il pilotait sur la Sylvestre... Ce n'est pas n'importe quoi. Mais je n'ai pas eu ces informations. Une fois en sécurité, j'ai passé la main. J'en avais vu assez, honnêtement."

" Et... est-ce que tu as pu savoir ce qu'ils faisaient ? S'ils étudiaient juste une maladie disparue par amour de la science... ou bien s'ils essayaient de créer une nouvelle maladie à des fins militaires ? Ou peut-être que la vérité est entre les deux ?"
Quelle que soit la raison qui les avait poussé à mener cette action, ils n'en avaient pas moins tué volontairement un bon nombre d'elfes, et c'était pour elle un crime impardonnable.
" Enfin... si tu as le droit de me le dire, bien sûr. Mais j'aurais bien voulu comprendre leurs motivations. Je comptais d'ailleurs aller voir de mes yeux, mais après l'attaque du Martin-Pêcheur, Palen n'a pas voulu que j'y retourne. Il voulait tout laisser tomber."

" Je crains que ce ne soient des choses confidentielles, effectivement. Les rapports entre la Lorien, Ithilion et Luménis sont trop... compliqués, pour que les informations concernant les uns et les autres puissent circuler librement parmi les civils. Je suis désolé."
Il eut une petite moue désolée.
" Si ça peut te consoler, je n'en sais pas grand chose, moi non plus."

" Tu en sais sûrement plus que moi, en tout cas. Et j'aurais bien voulu comprendre pour quel genre de raison j'ai risqué ma peau... et pas que ma peau d'ailleurs. Ou même si ça a servi à quoi que ce soit. Après tout, ils ont réussi à mener à bien leur expérience et à filer, sans qu'on puisse rien faire ni sauver personne. Si on n'avait pas été là, ça aurait été pareil, non ? Et puis, je ne sais même pas s'ils présentaient vraiment un danger pour la Lorien. Le capitaine Voronwë insinuait que c'était une maladie presque banale.... alors était-ce nécessaire que je prenne tous ces risques ? Juste pour tenter de capturer un Ithillien pour les autorités ? Bien sûr, je présume que si Palen insistait pour cette capture, ce devait être important. Mais voilà, j'ai un peu la sensation d'avoir été un pion qu'on manipule et qu'on jette, sans explication, et tu as raison, j'ai horreur de ça. Mais... ce n'est pas ta faute, s'adoucit-elle, réalisant que son ton était devenu plus amer qu'elle n'aurait voulu, trahissant la frustration et l'incompréhension qui lui revenaient en mémoire avec trop de vivacité. Et je comprends bien que tu ne peux rien dire. Et puis, l'essentiel c'est que tu t'en sois tiré, évidemment, même si je regrette de n'avoir pas pu t'aider."

Elle s'obligea à sourire. Malgré ses dénégations, elle soupçonnait qu'il en savait probablement plus que ce qu'il voulait bien dire. Ne serait-ce que parce qu'il avait dû profiter de sa captivité pour apprendre le maximum de choses. Cependant, elle ne voulait pas lui attirer d'ennui et comprenait bien qu'il était tenu au secret. Elle était frustrée, et elle avait besoin d'exprimer son ressenti. Elle réalisa qu'elle gardait un peu de rancoeur envers Palen. Mais Mathieu n'y était pour rien.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon