La Couronne de Cuivre

Le barde en demeura bouche bée.
Mais il ne fut pourtant pas long à réagir.
-Ce pipeau est devin... murmura-t-il. Il nous fourni les choses avant même que nous n'en ayons besoin...
Goran, Guéric, l'un des jumeaux.
Et ils avaient une pierre, avec eux. Lui-même n'en possédait plus que trois.
Il les prit dans sa paume, les leva vers son visage.
Puis appela ses compagnons. Avec force.
Si le caillou bleu étaient dans l'un de leurs sacs, il fallait qu'ils entendent sa voix malgré tout...
Et s'ils l'entendaient... Ils donnerait des indications, afin qu'ils ne cherchent pas longtemps sa provenance.

" Taliesin ?" fit aussitôt Guéric.
" Hein ? Où sont-ils ?"
" C'est ce caillou. Je savais bien qu'il devait servir à quelque chose."
" C'est de la magie noire." grommela une nouvelle voix, celle de Ruyven.
" Taliesin, est-ce que vous allez bien ?" demanda Guéric.
" Trop fort." souffla Jehan.

-Mais non, Ruyven, pas de la magie noire : les pierres nous ont été offertes par le pipeau, et le pipeau... est un objet lathandrite.
Il sourit aux enfants, à Martin, puis reprit.
-On va tous bien. Et notre nouvel ami le golem aussi. Simplement, après la dernière secousse... On a eu l'impression que la grotte tombait, ou était projetée en l'air. Et on a découvert tout à l'heure que toutes les issues étaient bloquées... Mais on trouvera bien un moyen de sortir. Comment ça va, de votre côté ? Vous savez ce qui s'est passé ?

" Non, mais on n'est pas mieux lotis que vous... La secousse a fait s'effondrer plusieurs conduits et redessiné sensiblement les environs... Le chemin qui menait au point d'observation de Bellyra et George a disparu. Nous ne savons rien d'eux."
" On doit aller les chercher !" s'exclama Fred en arrière-fond.
" Nous ne sommes pas complètement cantonnés à la grotte marine, mais les couloirs semblent... instables..."
" Et sortir parait suicidaire, compte-tenu de l'instabilité de l'îlot."

Taliesin grimaça. Le point d'observation était un simple tunnel. Qui avait pu s'effondrer comme tant d'autres. Et ensevelir les malheureux guetteurs...
Il comprenait l'envie de Fred de partir à la recherche de son frère. Toutefois, Goran n'avait pas tort quand il disait que ce serait suicidaire...
-Peut-être faut-il attendre un peu, pour voir si d'autres secousses interviennent ? proposa-t-il. Et se contenter, dans un premier temps, de repérages très limités dans les boyaux restants, dans ceux qui sont éventuellement apparus ?

" Sans doute. Mais je pense que notre principale chance est de terminer un radeau et de faire du cabotage le long des côtes, désormais... histoire d'aller jeter un oeil sur ce qui se passe au-dessus. Même si les pirates s'accrochent à Mersant, je ne peux pas croire que ces secousses ne les inquiètent pas un minimum."
" Sauf s'ils en sont responsables." intervint Martin.
" Evidemment. Mais j'en doute. Si une secousse est assez forte pour ébranler l'île d'ici à chez vous, au point de vous boucher toutes les issues.. Ce n'est pas l'oeuvre d'une boule de feu."

-Je pense aussi. Et même s'ils avaient les moyens de provoquer de telles secousses, pourquoi le feraient-ils ? Ce serait totalement contre-productif, puisque leur but est de retrouver le trésor, non de l'enterrer sous des tonnes de roches... Quant au radeau, je suis également de ton avis, Guéric : c'est une priorité. D'autant plus que ce sera notre seul moyen de mettre les bouts, si l'île refait des siennes...
Il jeta un nouveau regard à ses compagnons.
-Et en parlant de mettre les bouts... De notre côté, on va essayer de voir si on peut sortir de la grotte. Certains passages donnent sur des éboulis : peut-être pourra-t-on les déblayer ? Sinon, il n'est pas impossible que le pipeau nous tire une nouvelle fois d'affaire. Après tout, s'il a été capable de nous fournir une si agréable caverne, pourquoi ne pourrait-il pas ouvrir un nouveau tunnel propre à nous libérer ?

" Faites ce que vous pouvez." fit Guéric. " Mais méfiez-vous de la solidité des conduits... Ah, il nous manque un gnome ou un nain avec une bonne affinité avec la pierre... Nous sommes mal embarqués au milieu de toute cette caillasse."

-Hé ! Qui sait si ce ne sont pas justement des nains qui, depuis leurs montagnes, poussant trop loin leurs galeries, ont atteint le détroit, ébranle Mersant tout entière en creusant ses fondations... lança-t-il avec entrain. Quoi qu'il en soit, et avant de les voir éventuellement voler à notre secours, nous allons entreprendre de nous libérer. Et ces pierres bleues sont une bénédiction puisque, ce faisant, nous pourrons constamment rester en contact.

" Bon." fit simplement Guéric. " Bon courage. Tenez-nous au courant. Nous allons continuer à fabriquer cette foutue barque et voir dans quelle mesure nous pouvons monter une expédition pour essayer de retrouver les deux autres. Ne commettez pas d'imprudence, mais essayez de trouver une issue. Enterrés vivants, vous ne serez utiles à personne."

-Ne t'inquiète pas : nous avons aussi peu envie d'être ensevelis sous des rochers que de demeurer éternellement dans cette grotte qui, ma foi, a sensiblement perdu de son charme... répondit-il. Bon courage à vous aussi, et évidemment... prudence !
Il déposa la pierre sur leur table, bien en vue - dans la pénombre, sa luminescence la rendait difficile à manquer -, puis se tourna vers les autres.
-Je vais aller examiner ces éboulis, pour voir lequel semble le plus aisé à déblayer et, surtout, le plus susceptible de mener à un espace dégagé. Ensuite, s'il y a des indices encourageants, on essaiera de mettre le golem au travail, ou de le faire nous-mêmes, le cas échéant...

Une des entrées, qui autrefois menait à un entrelacs de tunnels étroits se repliant sur eux-mêmes dans un tracé labyrinthique, semblait obstruée par des rochers de taille moyenne et des gravats. La seconde était par contre bouchée par d'énormes blocs qui, s'ils étaient moins nombreux, paraissaient nettement moins aisés à déplacer. Cependant, ils pouvaient compter, dans une certaine mesure, sur la force du golem, qui n'était pas négligeable, pour autant que les caractéristiques de l'animal soient les mêmes que celle d'une créature d'argile plus conventionnelle.
Il était cependant impossible de savoir sur quelle épaisseur s'étendaient les éboulements et sur quoi ils débouchaient.

L'elfe ne perdit pas de temps en tergiversations : il avait l'intime conviction que, compte tenu de sa déveine, il ferait d'emblée le mauvais choix et serait donc obligé de tout recommencer dans l'autre entrée. Dès lors, pourquoi gâcher des heures précieuses en hésitations ?
Il opta ainsi pour le tunnel bouché par les rochers et les gravats : ils étaient plus aisés à enlever, lui permettraient de vérifier, sans grands risques, les capacités du golem. Ce qu'il fit dans l'instant, lui commandant de déblayer "prudemment" le boyau - et d'insister sur le terme "prudemment". Toutefois, il se tint prêt à suspendre les opérations si elles venaient à mal tourner, si la créature risquait d'être abîmée, ensevelie, écrasée...

Le problème n'était pas tant le risque encouru par la créature, que son absence d'appendices propres à effectuer le déblaiement. Ses pattes étaient conçues pour marcher, ses mandibules pour mordre, mais elle n'avait pas à proprement de membres pensés pour creuser ou déplacer des rochers. Il apparut assez rapidement à l'elfe que si le golem devait leur servir, ce serait davantage pour traîner des charges, dégager les cailloux, que pour effectuer lui-même le travail plus précis qui consistait à dépiauter l'éboulis.

S'il avait espéré que le golem, prenant son élan, foncerait dans l'éboulement et, par sa seule force, y creuserait un tunnel, l'elfe en fut pour ses frais.
Mais il ne l'avait pas vraiment espéré. Pas plus qu'il n'avait espéré que ses appendices lui permettraient de vraiment être efficace.
A présent, toutefois, il était définitivement fixé quant à la possible utilité de la créature.
Avec un haussement d'épaules, il lui demanda donc de s'arrêter, et se mit lui-même au travail, commençant à dégager, avec moult précautions, les rochers obstruant le passage.
La tâche promettait d'être aussi longue qu'harassante, même quand Martin et les garçons viendraient lui prêter main forte. Mais, au moins, ils avanceraient un peu, serait sans doute à même de deviner s'ils faisaient fausse route, si tout s'était effondré dans cette direction, s'il fallait poursuivre ailleurs leur labeur.
Évidemment, la solution de facilité aurait été d'utiliser le pipeau : il aurait pu fournir des outils, voire ouvrir un tunnel. Toutefois, il préférait garder sa magie en réserve, au cas où tout le reste échouerait. Au cas, aussi, où une nouvelle catastrophe se produirait.

Il fut rapidement rejoint par ses compagnons qui l'aidèrent à déblayer. L'ouverture était trop étroite pour y travailler à plus de deux en même temps, mais les deux autres pouvaient "ranger" les cailloux extraits, permettant ainsi à ceux qui creusaient de se contenter de les dégager. Le golem fut finalement mis à contribution de cette manière : il pouvait rouler les pierres en se servant de sa tête, ce qu'il fit avec une efficacité de plus en plus grande, comme s'il apprenait, en définitive, quelque chose.
L'éboulis semblait interminable, mais il n'était ni trop pesant, ni trop dangereux. Il apparut bientôt qu'ils avançaient quand même le long d'une sorte de tunnel, ce qui n'était plutôt une bonne nouvelle. Mais au bout de quelques mètres, Martin s'inquiéta.
" J'ai l'impression qu'on devrait quand même étayer ce conduit, ou je ne sais quoi... S'il nous tombe sur la tête... nous pourrions être ensevelis."

Le barde s'immobilisa, lorgna le "plafond".
Le souvenir lui revint d'autres galeries, là-bas, dans un lieu de malheur auquel il aurait préféré ne plus jamais songer. Auquel il songeait, pourtant, revoyant la manière dont les tunnels étaient étayés, protégés des éboulements...
-Je suis bien d'accord, soupira-t-il enfin. Malheureusement, pour ce faire, il nous faudrait des poutres solides... Or, nous n'avons rien de tel ; nous n'avons plus même un morceau de bois, puisque tout a été emporté pour la construction du radeau...

Martin grimaça.
" Nous devrions y réfléchir sérieusement..." fit-il. " Je n'y connais rien en creusage de tunnels, cela dit, mais..."
Il leva le doigt vers un bloc au-dessus d'eux.
" Celui-ci, par exemple, je ne sais même pas pourquoi il tient là... Si ça se trouve, il va nous dégringoler sur le crâne sans crier gare... Nous ne sommes pas en train de dégager un conduit... Nous en traçons un au milieu des gravats. Si la terre tremble... Je n'ose pas imaginer."

Le barde soupira, mit la main à la poche, en tira le pipeau.
-C'est la seule solution que je vois... dit-il, presque en s'excusant. Nous n'avons ni les outils appropriés, ni les matériaux adéquats pour sécuriser le tunnel. Pourtant, comme tu le dis, il faut impérativement que nous prenions des précautions. Alors, si tu en es d'accord, recourons encore une fois aux bonnes grâces de l'instrument. De toute façon, enfermés comme nous le somme, et compte tenu de la solidité de notre caverne, il y a peu de chances que les Demoiselles d'Eauprofonde aient une autre utilité dans les vingt-quatre heures à venir.

" Elles pourraient nous offrir une source de chaleur, et ce ne serait pas du luxe." fit le courtisan en prenant un malin plaisir à exhaler un petit nuage de buée glacée. " Nous travaillons, cela nous donne l'illusion qu'il ne fait pas trop froid, mais en réalité... Tes lèvres sont presque bleues. Je suis surpris qu'il n'y ait pas une couche de givre sur ces cailloux, d'ailleurs. Ça les calerait efficacement, pourtant."

Le barde le dévisagea.
-Moi qui pensais que tu allais profiter de l'occasion pour vanter les mérites de la chaleur humaine... Me voilà bien déçu !
Son sourire, un instant apparu, se volatilisa aussitôt.
-J'admets toutefois que, même avec elle, même avec nos couvertures, un bon feu ne serait pas de trop, surtout s'il continue à faire de plus en plus froid. Malgré tout... Nous ne pouvons pas étayer cette galerie sans le matériel nécessaire. Et si nous ne pouvons pas l'étayer, nous ne pouvons pas continuer à creuser, sous peine de prendre de très gros risques...
Il soupira.
-De toute façon, on ne peut prévoir ce qu'il nous donnera. Feu, outils, poutres ? Rien de tout cela ? Il offre ce qu'il juge le plus nécessaire.

Martin se fendit d'un léger sourire.
" Je t'aurais volontiers proposé de remédier à cette période glaciaire par des moyens athlétiques et délicieux, mais tu vas me repousser avec une mine pincée et des paroles polies mais fermes. Je connais les hommes dans ton genre. Les femmes aussi, d'ailleurs."
Il haussa les épaules.
" Et puis même si tu étais partant, il resterait les enfants, et je doute que tu approuves mes techniques en ce qui les concerne..."
Jehan et Victor roulaient toujours des rochers à la sortie du conduit, sans s'intéresser à leur conversation.
" Il me faudra donc aller coucher contre la pauvre Griselda. Elle ne protestera pas, vu son état. Et ça lui redonnera peut-être des couleurs salvatrices."

-Tu peux choisir le golem, sinon... lança-t-il, dégagé.
Puis il leva l'instrument.
-Allez, ne perdons plus de temps. Voyons ce qu'il nous offre, et avisons en fonction !
Il se retint au dernier moment.
-Hum, sortons d'ici, avant toute chose. Qui sait si l'onde musicale ne fera pas choir cet inquiétant rocher que tu me désignais tantôt ?

Martin accompagna l'elfe hors du conduit. Dès que les enfants virent le pipeau, ils cessèrent leur savant jeu de construction (ils avaient érigé une sorte de pyramide avec les rochers sortis de l'éboulis) et s'installèrent à proximité, comme deux spectateurs attendant le lever de rideau. Martin croisa les bras, détendu. Il avait l'air de peu s'inquiéter des événements ou de la décision que prendrait l'instrument. Qui ne tarda pas à se manifester : après les quelques notes, l'éclair de lumière, il sembla que l'instrument avait opté pour le confort immédiat : le puits de lave se ralluma au centre de la pièce, les parois rosirent, le bassin émit quelques bulles paresseuses.
" Les étais seront pour la prochaine fois." commenta le courtisan en retirant son manteau.
L'effet de la magie lathandrite était cependant manifeste : le soulagement s'était peint sur les visages. Ils entendirent alors une voix, un peu interdite, s'élever sur leur droite : Griselda s'était redressée et contemplait, incrédule, son environnement.

Le présent des Demoiselles avait indéniablement déçu Taliesin : le froid, l'inconfort, il s'en moquait. N'avait-il pas, avec Victor, affronté l'hiver au cœur des Rocheuses du Dragon ? Alors que les outils... Il leur fallait impérativement sortir de cette grotte. En sortir au plus vite.
Le réveil de la jeune femme lui fit cependant oublier - au moins pour un temps - ses récriminations silencieuses. Encore tout incrédule de ce soudain renfort, il se dirigea vers elle, s'arrêta près de son lit.
-Comment te sens-tu ? demanda-t-il.

Elle porta une main un peu tremblante à son front pâle.
" Bizarre... J'ai faim." fit-elle.
Son regard courut à nouveau sur l'étrange pièce autour d'elle. Son côte surnaturel s'était estompé pour ceux qui y résidaient depuis près d'une veille, à présent, mais il demeurait manifeste pour qui y débarquait pour la première fois.
" Par les neuf enfers, où sommes-nous ?" demanda-t-elle.

-Toujours dans les grottes, répondit-il. Simplement...
Il montra le pipeau.
-Ce petit instrument à des propriétés magiques, et n'a pas son pareil pour agrémenter notre séjour souterrain.
Il sourit.
-Mais laisse-moi quelques minutes : je vais te préparer du thé, et un petit quelque chose à manger...
Aussitôt, il se mit à l'ouvrage.

Mais Griselda ne semblait pas comprendre et les trois autres s'approchèrent à leur tour. Elle les dévisagea un à un, semblant à peine les reconnaître.
" Les grottes... Je ne me souviens pas..." murmura-t-elle.
" Nous devions nous y replier." fit Martin, doucement.
" Nous y replier, oui... Oui, nous nous y sommes repliés... Il y a mille ans ?"
" Une veille, tout au plus. Nous avons un peu perdu la notion du temps..."
" Où sont les autres ?"

-Ils sont dans une autre grotte, laquelle donne sur la mer, fit Taliesin, toujours à sa cuisine. Ils y construisent une embarcation, histoire que nous puissions bénéficier d'un moyen d'évasion...
Il hésita, puis renonça à parler d'emblée des secousses, des éboulements. Il serait toujours temps de répondre à Griselda si elle venait à poser la question.

" Et que se passe-t-il en haut ? Où en est la situation ? Avons-nous des nouvelles de... de ceux qui sont restés ? Du second groupe ? Une veille, dites-vous ? Les Luméniens nous attendent peut-être déjà !"
Elle semblait inquiète, presque fébrile. Elle remercia néanmoins Taliesin avec chaleur lorsqu'il lui déposa de quoi se restaurer.

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