[Lieu] Une route oubliée

[Taliesin]

Beshaba semblait s'être au moins temporairement détournée de lui, car il ne tarda pas à tomber sur le Paludier. Celui-ci se tenait debout face aux marais, entre deux postes de guetteurs. Il semblait concentré, écouter ou guetter quelque chose. Des sensations ou des images transmises par son compagnon animal, peut-être. Quoiqu'il en soit, le paladin n'eut qu'à attendre qu'un duo de sentinelles soit passé pour pouvoir le sonder à son tour... et ne rien percevoir. Mais Varamyr dut percevoir quelque chose, lui, car l'instant suivant, il se tournait et dardait son regard dans sa direction.

[Hubert de Maleval]

Hubert était pris sur le fait, mais curieusement, il se sentit soulagé plutôt qu'embarrassé. Il baissa les mains et retourna son regard au Paludier, sans s'inquiéter. Seules les personnes qui avaient quelque chose à cacher pouvaient s'offusquer des précautions qu'il avait à prendre, finalement. Cela ne le réjouissait pas d'avoir à se défier de tout le monde, mais il fallait bien que quelqu'un le fasse. Un instant, il songea à s'esquiver vers le campement, l'air de rien, mais il ne voulait pas que Varamyr ait l'impression qu'il le fuyait. Ça n'avait rien de personnel, après tout. Aussi marcha-t-il plutôt vers lui.

[Taliesin]

Varamyr lui non plus ne bougea pas, attendant qu'il le rejoigne, l'air détendu.
-Le Sang des Landes rend sensible à certaines choses... dit-il quand ils furent réunis. Sans doute faut-il plus des cinq sens ordinaires pour y survivre longtemps...
Il se tourna à nouveau vers les marais.
-Est-ce de moi en particulier que vous vous défiez, ou bien redoutez-vous que le mal soit à l’œuvre au sein de cette expédition sans en avoir encore localisé la source éventuelle ? Dans un cas comme dans l'autre...
Il porta les mains à son col, en tira une petite amulette et la fit passer par-dessus sa tête.
-Mieux vaudrait que vous recommenciez ce que vous venez de faire. Survivre aux Landes réclame également certaines protections.

[Hubert de Maleval]

Le paladin soupira.
" Non, je vous en prie." dit-il.
Il reporta son attention sur la campagne environnante.
" Je me rends bien compte que je ne dispose pas d'un pouvoir suffisant pour dénicher ce que je cherche... Peut-être arriverais-je à pêcher les petits poissons, mais le gros brochet carnivore se jouera sans difficultés de moi."
Bien sûr, personne n'aurait pu prévoir qu'un paladin rejoindrait leurs rangs, mais la détection du mal était un sort aisé, que les clercs maîtrisaient tous dès leur intronisation.
" Et je n'avais rien contre vous en particulier. Simplement... Vous êtes une de nos sources d'information les plus précieuses..."
Il haussa les épaules.

[Taliesin]

-L'une de vos sources d'informations les plus précieuses... Et un Paludier, tout comme les membres de cette tribu dont les tambours hantent nos nuits et dont la présence est une menace. Ne pas s'interroger sur mon compte ou sur mes motivations serait une preuve de candeur. Or, il y a trop de candides dans cette communauté.
Il ne remit pas son amulette, la gardant plutôt à la main.
-Allez-y, sondez-moi. Offrez-vous une certitude au milieu de la forêt de doutes qui vous habite.

[Hubert de Maleval]

Cette fois, Hubert était réellement embarrassé. Mais le Paludier avait raison, il avait besoin d'un peu de certitudes et surtout de pouvoir relâcher, un rien, la tension qui l'habitait.
" Je suis désolé... et en même temps reconnaissant que vous me compreniez..." murmura le paladin.
Il incanta derechef, tout en craignant que la bonne volonté — ou était-ce de la pitié ? — de Varamyr soit loin d'être suffisante.

[Taliesin]

Une fois encore, Hubert ne décela rien de mauvais chez le Paludier qui le dévisagea un instant.
-Cela ne vous satisfera pas totalement, commenta-t-il.- Même si je me mettais nu comme un ver, vous vous demanderiez si je n'ai pas quelque pouvoir me préservant des vôtres. Et c'est tant mieux, quelque part : en pareilles circonstances, ne pas accorder aisément sa confiance peut s'avérer salutaire.
Cette fois, c'est les chariots qu'il s'attarda à contempler.
-De ce que j'ai entendu dire des paladins, je n'aurais pas imaginé que ce soit l'un d'eux qui irait à l'encontre des principes de la Communauté. Des principes beaux, nobles, pour lesquels j'ai un profond respect. Mais des principes inadaptés, malheureusement, du moins dans l'immédiat.
Il refit face à Hubert.
-Mais vôtre loyauté est placée en des principes plus élevés, je gage. C'est au bien que vous croyez, c'est lui qui est la finalité, davantage que des conceptions plus immédiates telles que la démocratie ou le respect de l'intimité de chacun...
Son regard chercha celui d'Hubert.
-Jusqu'où êtes vous prêt à aller pour sauver ces gens ? Pour les sauver des dangers qui les menacent... et d'eux-mêmes ?

[Hubert de Maleval]

" Je ne sais pas." dit Hubert, candide.
Il secoua la tête, sourit et croisa les bras.
" Vraiment, je ne sais pas. Jusqu'au bout, j'ai envie de dire. Pourtant... J'ai un code d'honneur très contraignant. Mais Lathandre professe que la finalité vaut le contournement de certaines règles. Je ne blesse personne, en sondant les auras. Je n'apprends rien de privé, je ne détecte même pas le bien... je ne détecte que le mal. Et pour moi, le mal n'est pas une question d'intimité."
Il soupira.
" Si vous alliez trouver les conseillers maintenant, et que vous leur racontiez ce que vous m'avez surpris à faire, j'aurais certainement des ennuis. Mais dans le fond... Mon boulot, ce n'est pas d'être aimé. Je peux vivre en m'aliénant les autres, tant que j'ai la sensation d'avoir fait ce que je pouvais pour les garder du mal. En même temps... Peut-être aurais-je dû aller leur en parler... Et comme je vous l'ai dit, je perds plus que probablement mon temps... Beaucoup de risques pour peu de résultats. Mais qu'est-ce que je peux faire d'autre ? Vous et vos collègues, vous courrez le marais en nous ouvrant la route, en guettant les cannibales, en cherchant les bornes... Vous usez de toutes vos compétences pour servir la communauté. Je suis bien forcé de faire la même chose. Ne pas le faire ce serait comme... si vous n'utilisiez que vos yeux et négligiez ce qu'entendent vos oreilles."

[Taliesin]

Varmyr sourit.
-Je crains que vous ne vous soyez mépris sur ma question. Je ne vous faisais aucun reproche : je pense qu'il fallait agir comme vous l'avez fait. Et je suis convaincu qu'il ne faut pas en rester là.
Il soupira.
-Il y a des loups parmi les agneaux. Je n'ai pas de preuves, mais cela me paraît évident : une telle expédition avec de tels objectifs ne peut que susciter les appétits. Tant que leurs intérêts concorderont avec ceux de la Communauté, lesdits loups se battront avec elle, pour elle. Mais si la situation vient à empirer, si la survie de tous est en jeu, c'est à eux-mêmes qu'ils penseront en premier, et ils seront prêts à enfoncer les autres pour s'en tirer. Or, la désunion causera notre perte, soyez-en certain.
Il baissa la voix.
-Il faudrait sonder les colons sans plus tarder. Tous, jusqu'au dernier, et en prenant toutes les précautions nécessaires pour qu'ils ne puissent se soustraire à vos pouvoirs. Les gros brochets s'en tireraient peut-être, mais tous les petits poissons tomberaient, et que pourraient les premiers sans les seconds ? Une fois cela fait, la Communauté aurait diminué ses risques d'implosion... et accru ses chances de succès. Malheureusement, proposer un tel projet au Conseil, ou à l'Assemblée, ce serait essuyer un échec. Parce que nombre de nos compagnons, en voulant appliquer leurs principes trop vite, nuisent à l'accomplissement et à la pérennité de leur projet.

[Hubert de Maleval]

Les propos du Paludier prirent Hubert au dépourvu. Bien sûr, le petit homme lui avait toujours semblé pragmatique, mais il ne s'était pas attendu à ce qu'il appuie son projet de manière aussi explicite. Et l'entendre verbaliser ce qu'il craignait sans oser se l'avouer, à savoir qu'il était impossible que tous les colons soient aussi bienveillants qu'ils le prétendaient, même si Alban était vraiment possédé, avait quelque chose de terrifiant.
Tout bien réfléchi, ce n'était pas en sondant les auras qu'Hubert avait trahi la communauté... C'était en n'agissant pas en véritable paladin. Or un paladin aurait traqué le mal dans leurs rangs depuis le premier jour. Peut-être même le conseil s'était-il attendu à ce qu'il prenne les précautions nécessaires, après tout, ils savaient ce qu'il était... Mais Hubert se comportait comme un simple chevalier depuis des années, il avait oublié ce que c'était que d'être un croisé de la lumière. Il était tard, mais il pouvait se rattraper.
" N'hésitez pas à m'éconduire si vous trouvez la question malvenue mais... puis-je m'enquérir de ce qui vous a poussé à rejoindre cette entreprise incroyablement risquée ?"

[Taliesin]

-Sa beauté et sa témérité, répondit spontanément Varamyr. Sa beauté, parce que c'est la première fois qu'une expédition pénètre dans les Landes non pour piller les trésors des antiques cités oubliées, mais pour y vivre, pour en faire sa demeure. Or, j'aime ma terre natale, j'aime les fleurs qui poussent encore, au milieu de la fange, j'aime les rares havres qui y subsistent et qui rappellent qu'au temps jadis, tout n'était pas que laideur, tout n'était pas maudit. Sa témérité, parce que ces gens brûlent de quelque chose d'à la fois merveilleux et dangereux : la foi. Ils croient en leur projet, en la nouvelle vie qui peut s'offrir à eux, et aucun des avertissements que moi ou d'autres avons pu leur donner n'ont réussi à les détourner de la voie qu'ils s'étaient tracés. Alors voilà pourquoi j'ai rejoint la Communauté : puisqu'elle se serait lancés de toute façon, avec ou sans moi, puisque sa cause est belle et noble, j'ai voulu l'aider à la mener à bien, à ramener la vie en mon pays. Et je suis prêt à l'aider même à son corps défendant.

[Hubert de Maleval]

" C'est joliment formulé, fit le paladin avec un sourire. Et c'est aussi une noble entreprise. Comme vous, je souhaite moi aussi que ce projet réussisse... Et vous avez raison, il faut que je fasse ce dont je suis capable pour y aider... Quitte à ce que je me retrouve ensuite en mauvaise posture face au conseil... Mais Robert connait mes intentions et il ne m'a pas formellement interdit d'agir... Peut-être s'attendent-ils à ce que je bouge."
Il soupira.
" Reste à savoir ce que je ferai si je découvre quelque chose... Mais merci pour cette conversation, Varamyr. Vous m'avez ouvert les yeux."
Il faisait nuit, il pouvait profiter de la relative tranquillité du convoi pour le remonter de la tête à la queue et scruter l'intégralité des colons. C'était à la fois effrayant et nécessaire.

[Taliesin]

-Je ne vous les ai pas assez ouverts, je le crains... souffla le Paludier.
Il ferma les yeux, un instant.
-Je doute que le Conseil s'attende à ce que vous preniez une telle initiative. Au mieux, il s'attend à ce que vous la lui soumettiez, pour qu'il la soumette à son tour à l'Assemblée... Ce qui échouera. Et si vous agissez de votre propre chef, sans en avoir référé aux autorités en place et sans avoir reçu l'aval de la Communauté, quelqu'un ne manquera pas de s'en émouvoir. Beaucoup de quelqu'un, si vous voulez mon avis. Les conseillers devront alors sévir, se privant de l'un de leurs meilleurs atouts...
Il hésita, prit finalement une profonde inspiration.
-Prenez le pouvoir sans tarder, faites ce qui doit être fait puis, quand les circonstances le permettront, rendez-le leur. La démocratie n'est pas le système adéquat pour une expédition traversant les Landes ou pour une colonie fraichement établie. Je souhaite que le temps vienne où elle puisse être instaurée, croyez-m'en. Dans l'immédiat, cependant... Il faut les sauver d'eux-mêmes.

[Hubert de Maleval]

" Quoi ?!" lâcha le paladin.
Il demeura stupéfait, comme s'il avait mal compris, comme s'il y avait une autre manière de comprendre ce que le Paludier venait de dire.
" Varamyr, je... vous vous méprenez... Je n'ai aucune compétence de leadership... et aucune intention de... prendre le pouvoir... Ce serait folie... Vous parliez du danger à scinder la communauté... Si quelqu'un se targuait de... Ce serait catastrophique... Il vaudrait mille fois mieux que le conseil... donne à Robert des pouvoirs plus larges..."
Il frissonna, prenant conscience de ce qui se trouvait derrière les paroles du Paludier.
" Que va-t-il nous arriver ? Que craignez-vous ? Pourquoi... pourquoi vous en inquiéter à présent que nous n'avons plus la possibilité de faire demi-tour ?"

[Taliesin]

-Parce que j'ai rêvé, murmura Varamyr.- Le sang des Landes se manifeste de bien des manières...
Il frissonna.
-Je me suis vu égorger les civils dans leur sommeil. Les femmes et les enfants en premier lieu. C'est la chose qu'il faudra faire si les cannibales semblent en mesure de nous vaincre, en mesure de capturer les nôtres. Ce sera de loin l'attitude la plus charitable, la plus humaine, et je doute fort que quelqu'un d'autre ait le cran de s'en charger, malheureusement. Je le ferai si je le dois, par compassion. Mais, les dieux m'en soient témoins, je préfére tout tenter plutôt que d'en arriver là.
Il secoua la tête.
-Les rêves sont souvent trompeurs, et certains sont le pur produit de mon imagination, non une manifestation du sang qui coule en mes veines. Néanmoins... Il y a ce que je vois lorsque je suis éveillé. Dans l'absolu, je serais pour que le Conseil donne de plus grands pouvoirs à Robert. Sauf que Robert n'est plus tout à fait en état de les exercer judicieusement. Il s'inquiète pour son écuyer, il s'en veut de ne pas avoir su le protéger, il désespère de ne pas être en mesure de l'aider. Les villes blessures se rouvrent, il doute de lui-même, doute d'être le mieux à même pour diriger nos forces armées... Ses craintes l'obnubilent même s'il se bat pour en faire abstraction. Et malheureusement, ce dont la Communauté à besoin, c'est de quelqu'un en pleine possession de ses moyens, qui se préoccupe du sort de tous... et non de celui d'un seul individu.

[Hubert de Maleval]

Dans ce cas, vous n'avez pas idée d'à quel point vous avez frappé à la mauvaise porte, songea le paladin, malgré lui.
" Même si... même s'il fallait suppléer... remplacer Robert... Cela ne pourrait se faire sans l'accord du conseil, vous devez en être conscient, Varamyr... Les gens... n'accepteront jamais que quelqu'un usurpe... la place de leurs élus... Imaginons un instant... que je partage votre sentiment... que je pense qu'il est nécessaire, dans l'urgence... de donner des pouvoirs étendus à une personne unique... déjà... Jamais je ne me choisirais... Etienne serait le chef naturel de l'expédition, la personne la plus à même de guider le groupe... Bien conseillé... et soutenu... il pourrait fédérer le groupe... Il est chevalier, il a le charisme... et ce projet, c'est le sien... Peut-être... manque-t-il d'expérience et..."
Il secoua la tête. Les rêves du Paludier étaient atroces, il ne voulait pas envisager qu'ils en arrivent à de telles extrémités. Il était Lathandrite. Il devait croire.
" Si Robert venait à flancher, et nous n'avons aucune certitude en la matière, je ne me déroberais pas pour le remplacer le temps nécessaire, mais... Etienne conserve la légitimité... et... anticiper des choses qui ne se sont pas produites... Cela ferait exploser la communauté... Dans l'urgence, nous ferons face. Dans l'attente... Rien ne nous empêche d'aller trouver le conseil pour le sensibiliser à vos craintes."

[Taliesin]

Le paludier secoua à nouveau la tête.
-Vous y êtes tellement habitué que vous n'avez même plus conscience de votre propre aura, de l'influence que vous exercez sur les autres, du sentiment de loyauté que vous suscitez en eux. Et vous oubliez ce que vous êtes, ce que vous représentez. Vous êtes un paladin, un paladin de Lathandre : quoi que vous fassiez, personne n'osera s'opposer à vous, tout le onde pensera que c'est pour le mieux. Surtout en cette heure où l'angoisse ronge insidieusement les cœurs, même si chacun s'efforce de l'ignorer. Quant à Étienne, c'est un homme plein d'enthousiasme, plein de bonté, au charisme certain... Malheureusement, si les choses tournent mal, la culpabilité le terrassera. Car c'est lui qui a entraîné tous ces gens ici.
Son regard se perdit dans les ténèbres du marécage.
-Peut-être suis-je trop pessimiste. Je l'espère à toute force. Mais si je ne me suis pas trompé, au moins aurais-je le piètre réconfort d'avoir fait mon possible pour l'éviter. Et mon possible, ça n'est pas grand chose : si j'ai échoué à vous convaincre vous, je ne convaincrai personne d'autre.

[Hubert de Maleval]

Le paladin frissonna à nouveau.
" Varamyr... Je suis sensible... à cette menace... et comme vous, je ne suis pas certain que notre organisation soit adaptée aux risques à venir, mais... ce que vous me demandez est impossible. Je ne pourrais jamais m'estimer à la hauteur d'une responsabilité pareille... Je ne suis déjà pas certain d'être armé pour seconder Robert alors... prendre en main la communauté entière... de force, en plus !"
Il secoua la tête.
" Vous aussi, vous vous laissez abuser par le titre."
Mais en même temps, il avait raison. C'était son devoir de paladin. Il ne pouvait pas faillir.
" Je serai dans l'ombre de Robert. C'est le mieux que je puisse vous offrir pour l'instant."

[Taliesin]

-Les dieux fassent que vous ne regrettiez jamais votre décision et les doutes qui vous ont amené à la prendre. murmura le Paludier. Mais puisqu'il en est ainsi, renoncez à débusquer le mal en nos rangs. Sonder les chariots depuis l'extérieur ne servirait à rien, tant les moyens de dissimuler son aura sont nombreux. Quant à y pénétrer et à prendre toutes les précautions nécessaires pour dissiper les doutes... Cela provoquerait l'indignation collective, votre renvoi et peut-être votre mise aux arrêts. Mieux vaut donc que vous ne fassiez rien et demeuriez dans l'ombre de Robert, prêt à intervenir si le besoin s'en fait sentir. Je resterai sur mes gardes de mon côté aussi. Espérons que ces demi-mesures seront suffisantes.

[Hubert de Maleval]

" Je vous promets que je ne me défilerai pas, Varamyr." dit le paladin avec gravité.
Il relâcha alors sa respiration. Il avait besoin d'air.
" J'ai besoin de... réfléchir à ce que vous m'avez dit. Je vais vous laisser pour l'heure. Nous nous retrouverons à la réunion d'état-major... Peut-être... pourrons-nous y faire passer un message, malgré tout."
Il avait l'intention de se rendre jusqu'à la tente de l'Académie, s'il en avait encore le temps. Il n'avait pas l'intention de déranger ses habitants, mais juste, un moment, de profiter de leur présence à distance, et de remettre de l'ordre dans ses pensées.

[Taliesin]

Varamyr se contenta d'acquiescer et de le saluer d'un geste avant de retourner à sa contemplation des Landes enténébrées. Peu après, le paladin parvenait aux abords de l'Académie roulante. On n'y dormait pas encore, à voir la lumière tamisée qui filtrait au travers de la toile, mais ce n'était pas non plus la grande animation : le seul bruit provenant de l'intérieur était la voix d'Albérich, manifestement en train de faire la lecture à ses compagnons de route, comme un adulte raconterait des histoires à des enfants pour les aider à s'endormir.

[Hubert de Maleval]

Hubert s'approcha mais ne se manifesta pas. Il s'appuya discrètement au chariot voisin et écouta la lecture comme s'il avait été, lui aussi, dans l'Académie, prêt à s'endormir. Bien sûr, il en était loin. Il avait veillé la nuit précédente et il ne dormirait sans doute pas celle-ci non plus. Ce n'était pas mortel mais si les cannibales leur tombaient dessus la nuit suivante, il serait épuisé. Il se laissa porter un moment par la voix du Luménien, trouvant le réconfort qu'il cherchait dans ses inflexions légèrement ironiques. L'Académie, bien que fatiguée, était de bonne humeur.
Il réalisa alors qu'il disposait du sortilège nécessaire à le requinquer. Il ne l'avait pas mémorisé pour l'heure, mais il lui suffirait de prier le lendemain à l'aube pour se le remettre à l'esprit, et ensuite, en quelques mots, il lèverait la fatigue de ces nuits sans sommeil. Il réalisa alors que Marthe était rentrée. Il l'entendit rire doucement, à la faveur d'un échange de quelques remarques enlevées à l'attention du conteur. Et si Marthe était rentrée, cela signifiait que Robert avait quitté le réunion du conseil et que la réunion d'état-major n'allait plus tarder, si elle n'avait pas déjà commencé sans lui. Il repartit donc rapidement vers le centre de la colonne.

[Taliesin]

Chemin faisant, il faillit percuter Edgar qui sortait à pas pressés d'entre deux chariots.
-Ah, mon capitaine, vous voilà ! fit l'ancien sergent. Je commençais à me demander où diables vous aviez filé... Pas facile de se retrouver, quand le camp est dans cette configuration.
Il sourit.
-La réunion va commencer. Enfin, si Mathias, de son côté, à réussi à mettre la main sur Varamyr. Pour parler franc, j'espère que ça ne sera pas trop long, je commence à sacrément fatiguer...

[Hubert de Maleval]

" Varamyr était de ce côté-là, tout à l'heure..." fit-il en désignant la direction dans laquelle s'était trouvé le Paludier plus tôt.
Il emboîta le pas de l'officier, sans parvenir à trouver quoi lui dire. Trop de bouleversements, trop de questions, trop d'incertitudes. Il avait l'impression qu'en l'espace d'un jour et d'une nuit, tout était métamorphosé autour de lui. Tout en suivant le soldat dans le bivouac, il ne put s'empêcher de se demander si le Paludier voyait juste. Est-ce qu'un homme comme Edgar le suivrait, s'il décidait brusquement de prendre les rênes ? Il ne parvenait pas à en être sûr. Pas du tout, même.

[Taliesin]

Son subordonné le conduisit jusqu'aux chariots de matériel, où les officiers s'étaient rassemblés, en plein air mais loin des colons dont ils ne dérangeraient donc pas le sommeil avec leurs conversations. Hormis Mathias et Varamyr, tout le monde était là. Frida, qui buvait une tasse de thé, le salua d'un geste et d'un sourire. Robert lui sourit également : il avait l'air plus fatigué et plus préoccupé que la dernière fois où Hubert l'avait croisé, c'est à dire peu de temps auparavant. Néanmoins, il semblait concentré.
-Nous commencerons dès que les retardataires nous auront rejoints, annonça-t-il. Mais ne vous inquiétez pas, la réunion devrait être brève.

[Hubert de Maleval]

Hubert acquiesça mais ne dit rien, tâchant de mettre de l'ordre dans ses pensées. Bien sûr, il commencerait par écouter ce que Robert avait à dire. Ensuite, il oserait — peut-être — faire une suggestion. Mais où diable avait disparu le Paludier ? Etait-il possible qu'après leur conversation, déçu de sa réponse, il ait décidé de prendre la tangente ? Non. Matthias était simplement parti le chercher du mauvais côté et finirait par le trouver, scrutant la nuit et le marais. Le paladin frissonna à nouveau, essayant de masquer son trouble.

[Taliesin]

Les deux personnes manquant à l'appel arrivèrent moins de deux minutes plus tard et s'attirèrent quelques plaisanteries bon enfant. Mais le silence ne tarda pas à se faire et tous les yeux se tournèrent vers Robert.
-Pour commencer, je voudrais vous dire un mot des objets magiques. A quelques exceptions près, ils ont tous été identifiés : il y a là des armes et des armures de diverses puissances, un ceinturon de force, deux bracelets d'adresse, un casque de vision nocturne, une baguette de boules de feu et une autre de convocation de monstres, des anneaux de protection, un d'invisibilité... Je n'en ai cité que quelques-uns, mais cela montre que nous avons déniché de quoi accroître de manière significative nos forces. La distribution commencera demain.

[Hubert de Maleval]

Hubert fut soulagé de voir apparaître le Paludier et se morigéna d'avoir même osé songer un instant qu'il eut pu s'enfuir. Après tout, d'entre tous, il devait être le moins surpris par ce qui leur arrivait... et malgré ses rêves, il était manifestement solide. Il fut aussi heureux d'apprendre que les objets magiques allaient enfin trouver un propriétaire. Il restait à espérer que rien de fâcheux ne survienne pendant la nuit. L'idée que toute cette puissance demeurait pour l'heure inutile était plutôt désagréable, compte tenu des circonstances.

[Taliesin]

Il fut néanmoins rapidement rassuré sur ce point.
-En attendant, ils ont été classés et étiquetés et, en cas de force majeure, ils seront répartis au plus juste parmi les combattants.
Les autres acquiescèrent : manifestement, Hubert n'avait pas été le seul à avoir cette pensée.
-Ensuite... Concernant l'envoi d'un espion animal auprès de la tribu dont nous avons entendu les tambours, le Conseil a décidé d'attendre, afin de ne pas attirer leur attention sur nous. Cependant, si nous constatons qu'ils se rapprochent, nous procéderons à ce repérage afin de nous préparer au mieux à un affrontement qui paraîtra dès lors inévitable. Enfin, Varamyr réexpliquera à nos éclaireurs les différentes techniques de dissimulation et d'approche discrète employées par les cannibales. Une fois que ce sera chose faite, il les réexpliquera également à l'ensemble des personnes impliquées dans la défense de la Communauté. Sans doute demain soir, si notre lieu de bivouac offre un espace dégagé où réunir une assistance nombreuse.

[Hubert de Maleval]

Là encore, Hubert ne dit rien. Toutes les décisions paraissaient raisonnables, même si les regards humains peineraient à distinguer quoi que ce soit dans les ténèbres, camouflage ou pas camouflage. Il observa une seconde le Paludier, guettant quelque chose dans son expression, mais Varamyr était taciturne et sans doute expert dans l'art de dissimuler ses émotions. Le paladin demeura donc silencieux, concentré, attendant la suite des déclarations de Robert.