La Couronne de Cuivre

Ils s'étaient attendus à un bruit de miroir brisé, à des éclats par terre, peut être à une coupure. Mais rien de tout cela. La pointe du couteau n'avait laissé qu'un léger trait, rien de plus. Eliaëdel, la plus près du miroir avait cru percevoir un éclat de lumière, un changement indéfinissable dans la surface polie. Rien d'autre. Déjà trop.

Elissa considéra la psyché avec inquiétude. Elle était solide, voire très solide. Un matériau qu'elle ne connaissait pas. Pas de la région dans tous les cas. Inquiétant. Un mauvais pressentiment. Mais de quoi ?

"Bon, c'est bien ce que je disais, il ne vaut mieux pas trop traîner à coté de ce machin. Je vais fermer la porte. Allez, circulez, y a rien a voir, comme qui dirait ...

- Pas juste, se plaignit Basile en croisant les bras, chaque fois que j'arrive, tout est déjà fini.
- Je te raconterai, lui proposa Delcia
- Au moins, toi tu es gentille, dis, tu as changé de coiffure ou quelque chose comme ça ?
- Non, pourquoi ?
- Pour rien, on aurait juste dit ...

Le reste de la journée s'écoula sans autres incidents notoires. Si Delcia et Basile restèrent de longues heures à deviser dans la salle de réunion, les autres membres de la guilde remontèrent vite dans leurs chambres. L'incident du miroir avait jeté un froid.

En pleine nuit, des coups sourds furent portés contre les portes et des pas lourds résonnèrent sur le plancher. En ouvrant les portes, les membres de la guilde ne virent rien ni personne, mis à part que Basile manquait. Elissa courut à la porte de la chambre au miroir, rouge de colère

"Mais quel c.. quel .. celui-là ! Attends que je te mette la main dessus et tu vas voir. Et mince, ou sont passées les clefs ?
- Tu vois que j'ai quelques talents de voleur, répondit une petite voix derrière Eliaëdel
- Bon, d'accord, j'ai compris, quelqu'un peut il m'ouvrir cette foutue porte ?"

*Et quelqu'un de censé de préférence ... Je commence à en avoir ras-le-bol*

La barde s'éclipsa avant de revenir quelques instants après avec une petite lampe à huile allumée d'une main, et un crochet qui avait connu des jours meilleurs de l'autre. A se demander où elle avait eu l'occasion de mettre la main dessus; il ne valait peut être mieux pas savoir. Une petite idée derrière la tête. Le réveil brutal n'avait pas paru la mettre en joie, le moins qu'on puisse dire. Mais les débordements de la veille semblaient loin.

Elle passa devant la moinesse, lui lança, sans s'arrêter:

"On s'en débarrasse, Elissa. Mais j'aimerais essayer quelque chose."

Ton sérieux. Elle parlait du miroir. Et elle semblait vouloir insinuer davantage que le mettre à l'abri dans une pièce. Quelque chose de plus définitif.

"Ou alors on se débarasse des deux clowns avant?"

La femme fit une pause.

"Au fait Basile?
J'espère pour vous que je n'aurai pas à défoncer cette porte. Ou je vous promets vous serez incapable de mâcher quelque chose de solide pour quelques semaines une fois que tout ceci sera fini."

Elle s'approcha de la porte, et s'affaira sur la serrure en grommellant. Quelque chose comme une excuse; "pas ma spécialité". Le travail promettait d'être délicat; en tout cas, ponctué de jurons divers, il le serait. Et elle en avait un stock impressionnant. Un vrai charretier.

"Hé, ho, un peu de calme s'il vous plaît. Personne n'aura a taper personne, et c'est valable pour tout le monde ..."

*Sinon, je vais devoir revoir mes effectifs à la baisse*

Malgré son calme apparent, Elissa commençait sérieusement à s'inquiéter. Le miroir par sa simple présence, exacerbait les tensions et les vicissitudes de ses coéquipiers. Et, au delà restait la question de qui l'avait déposé devant sa porte, et pourquoi ? La réponse, elle le présageait, allait être loin de lui plaire. Pour l'instant, essayer de maintenir le calmer le jeu, sans quoi il y aurait bientôt des dommages collatéraux.

Basile riait non loin d'elle et s'interrompit soudain. La clef tomba à ses pieds, elle s'en saisit. Quelques secondes plus tard, la porte fut ouverte. Il n'y avait plus qu'à tirer sur la ficelle.

"Mince, voila autre chose, la ficelle a disparu !"

"Charmant."

Son rire a tintinabulé dans la remise. Elle rangea son matériel. Sans qu'on sache exactement ce qu'elle commentait de la sorte. La disparition, ou la faculté à l'ignorer des autres participants dans la pièce.  
La lampe ne lui serait plus d'aucune utilité en tous cas.  

Elle se tourna vers Elissa.  

"Que s'est il passé d'inhabituel les semaines qui ont précédé ce joli cadeau? Oh, je ne vous demande pas la liste des personnes qui pourraient envie avoir de vous nuire. Ca risquerait de prendre des mois. Rien qu'en restant dans Manost.  Simplement, quels sont ceux qui se sont montrés les plus menaçants ou les plus déterminés.  
Ou alors ceux qui auraient un intérêt à nous savoir occupés le plus longtemps possible avec ce contretemps."  

Quelque chose d'acidulé perçait dans l'inflexion; même si elle était pour le moment d'humeur loquace. Relativement saine d'esprit. Au mépris des conventions ou des notions de hiérarchie; et elle les piétinait sans vergogne.

"Delcia, va me chercher une ficelle, et vite"

Pendant que Delcia allait chercher ce qui permettrait d'actionner de nouveau le miroir, elle répondit d'une voix égale, qu'on ne lui parle pas de façon hiérarchique, elle s'en fichait un peu.

"Honnêtement, je ne sais pas trop. Une colonie d'elfes noirs a voulu s'approprier l'établissement il y a quelque temps mais j'ai l'impression que nous leur avons fait tellement peur qu'ils ne sont pas près de revenir de sitôt. Enfin ... A part ça, je ne vois pas vraiment qui. Dans tous les cas, ils ne vont pas tarder à le regretter. Alors, Basile, ça va ?"

Seul le silence lui répondit.

Pas un bruit. Ses traits étaient redevenus un masque froid. Inexpressif. A l'écoute, l'épaule contre l'embrasure de la porte. Sans inquiétude; la femme de se sentait pas concernée. Pas redevable. Pas d'obligations.
Elissa ne lui avait rien apporté; pas de début d'explication, pas de piste. Qu'elle les lui dissimule ou qu'elle les ignore.
Le miroir l'intéressait. De manière fluctuante. Savoir l'utiliser. Pour elle. Pour conserver l'avantage. Entretenir la haine, oh oui, il le fallait plus que tout! Sa vie... sa haine. Les deux étaient tellements entrelacés. Des brumes indistinctes. Des réminiscences en lambeaux. N'est ce pas exact? La... vérité? Ou l'imposture. Sauf que...

Le trouble s'estompa. Bien sûr, ils étaient faibles. Ses "compagnons". Non parce qu'ils étaient humains. Elissa s'en était servie elle aussi. Après tout. L'objet semblait les altérer. En plus insupportables.
Si elle ne pouvait le contrôler, le détruire lui suffirait. Le défi lui paraissait valable. Pour le moment.
Le temps de l'action n'était pas encore venu. Pas question de s'abaisser à cette extrémité. C'était à la moinesse de faire sa demande. Et si ses services n'étaient pas souhaités.

Oh.

Elle la laisserait gérer la situation seule; l'observer se débattre ne manquait pas d'attraits. Un spectacle hautement distrayant.

"D'accord, pas de ficelle, je vais me débrouiller autrement"

Elissa fouilla dans la poche de sa robe et en sortit une lanière de cuir. Que faisait elle là ? Elle seule le savait. Quoi qu'il en soit, elle parvint à actionner le miroir. Basile apparut devant elles. Et là aussi, quelque chose clochait. Enfin, le pire était passé, on allait pouvoir enfin dormir, ce qui ne serait pas dommage ...

Chacun retourna dormir. Du moins durant une infime partie du reste de la nuit. Alors que les rayons du soleil commençaient juste à éclairer la campagne, des bruits de lutte et des éclats de voix résonnèrent dans le couloir. Eliaëdel crût reconnaître Elissa. Puis le silence retomba. Quelque temps plus tard, on frappa à sa porte.

"Eliaëdel, j'aurais besoin de ton aide, et vite"

Le ton d'Elissa était légèrement angoissé ...

*C'est bien parce que je ne peux pas faire autrement*

La porte s'ouvrit en grinçant, lentement. Elle était debout. Prête à la hâte, les cheveux en bataille. Mais la lame au clair. Qui ne se baissa que lors qu'elle eut la certitude qu'Elissa était bien devant elle. Habituée à ne se reposer que d'un oreille, elle avait paré au plus pressé dès que les bruits de lutte s'étaient fait entendre. Et les derniers évènements ne devaient que l'avoir encouragée à poursuivre dans ces préceptes.

« Des soucis. »

Affirmation. Elle s'avança dans l'embrasure. Le sourire aux lèvres. Réjoui, et énigmatique. Une mixture de triomphe et... de la mélancolie? Elle avait eu ce qu'elle voulait pourtant.

« Je vous écoute, Elissa. »

Oui. Dorénavant, elle se pouvait se permettre de donner des gages de bonne foi. Dans une certaine mesure. Les promesses n'impliquaient que ceux qui étaient assez stupides pour les croire. La moinesse n'était pas dupe. Venue à elle qu'en désespoir de cause. Mais pas d'autre choix pour elle. Gloussement intérieur.
Décidément...

... cela lui plaisait de plus en plus.

Et bien sûr, elle jubilait. Althéa lui avait raconté qu'elle l'avait abandonnée dans une ruelle pendant qu'elle était victime d'une crise d'épilepsie. Elle lui avait laissé le bénéfice du doute. Althéa ... comment allait elle réagir en voyant qu'elle était revenue. Plutôt mal sans doute ... Mais on en était pas là. Déjà, se sortir de ce guêpier. Elle commençait à se sentir flotter, attirer vers le fond du miroir inexorablement. Sa voix se faisait plus faible. Et bien sûr, Eliaëdel, qui ne la voyait pas avait sûrement l'impression de soliloquer allègrement. Grand bien lui fasse.

"Delcia et Basile, ils m'ont traînée jusqu'au miroir et ont tiré la ficelle. Il y a vraiment quelque chose qui cloche avec ces deux-là. Ils m'empêchent de retourner là-bas et de revenir visible. Et le miroir, il m'attire ... Si tu pouvais m'aider à redevenir visible, cela m'arrangerait"

« Je vous aiderai. »

Sincère. Même si elle avait poussé l'avantage jusqu'au bout. Pas d'intérêt à trahir pour le moment. Elle réfléchit. Ca ne lui prit guère de temps.

« Il faudra faire vite. Je vais les occuper, et vous irez au miroir pendant ce temps. J'espère que vous saurez vous débrouiller même s'il n'en reste qu'un des deux pour vous barrer le passage. Cela devra suffire. Parce que vous les voulez entiers. »

Tout dans son attitude resta neutre. Impersonnel. Un détachement absolu. Qui laissait suggérer que cette mansuétude n'était pas systématique. « Et parce que je veux qu'ils parlent. Longuement. La plaisanterie a plus qu'assez duré. » L'explication était là.

Le plan avait l'air simple. Pour autant dire, simpliste. Mais, elle ne se lançait pas aveuglément. Loin d'être idiote; ce qui laissait penser sans peine d'elle avait envisagé quelques surprises à sa manière.
Elle sortit de son sac un peu de corde, qu'elle coupa, avant de tendre un morceau en direction de la voix.

« Ca, c'est si jamais ils auraient eu la bonne idée de retirer la lanière que vous aviez posée. Du moins, c'est ce que je ferais à leur place. Pour gagner du temps. »

Elle lui saisit la main lorsqu'elle sentit le bout de corde lui échapper des doigts. La main était un peu fraîche au toucher. Froide presque. Avec ce qui s'apparentait à de la délicatesse.

« On ne choisit pas toujours ses alliés, Elissa. Vous allez devoir me faire confiance. »

Pas une ombre d'excuse dans le propos. Ou même d'indulgence. Juste une étincelle d'affection, vacillante et vite éteinte. Elle lâcha la moinesse, et poursuivit ses explications.

« Dès que vous les verrez bouger et s'avancer vers moi, plaquez vous contre un mur et vous irez au miroir. Il va falloir garder le silence le plus longtemps possible. Au fait: Tâchez d'éviter de vous faire attraper. Sinon, je serai contrainte de me montrer poète avec nos deux amis. »

La bardesse commença à psalmodier. Un murmure chanté, discret, mélodieux. Loin de tout décorum, de toute grandiloquence. Le spectacle allait se jouer sur autre chose; des contours brumeux apparurent, avant de former une silhouette qui devint rapidement une réplique parfaite de l'elfe, qui s'avança lentement dans le couloir en éclaireur. Un leurre. Une illusion. Qui se mouvait sans un bruit sur le parquet. Restée en retrait, elle fit un signe à l'attention d'Elissa d'emboiter le pas. Ce serait ses pas qui complèteraient la tromperie. Eliaëdel est pourtant restée concentrée; il restait un autre atout dans sa manche, mais il fallait aller vite. Nouveaux murmures. Nouvelle mélodie. Précise, distincte.
Elle disparut. Mais la présence que l'humaine sentait derrière elle indiquait qu'elle suivait. Il ne restait plus qu'à la moinesse d'espérer que tout fonctionne comme l'elfe semblait avoir prévu. Jusqu'ici, elle semblait décidée à tenir son engagement.

(utilisation des sorts « image silencieuse » -niv 1- et « invisibilité » -niv 2-)

Elissa avait ébauché un sourire. Un sourire qu'à part les murs, les portes, personne quoi n'aurait pu voir. Elle avait laissé tombé. Mais Eliaëdel l'avait agréablement surprise. Si seulement le plan marchait ...

Elle regarda l'elfe silencieuse s'avancer dans le couloir. Delcia et Basile - ou du moins ce qui leur ressemblait - se tenaient devant la porte. A l'approche du double d'Eliaëdel, ils écarquillèrent les yeux.

"Mais comment ... un reflet ? Mais tu n'es pas encore passée par le miroir. Comment est-ce possible ? Il doit y avoir un piège"

Elissa, à ce moment essaya de rejoindre le miroir. Chaque pas lui coûtait, comme si elle était rivée au sol. Et à chaque pas, elle se sentait de plus en plus intangible. Et, petit à petit, elle sentait le miroir l'aspirer. Bientôt, elle ne pourrait plus résister. Bientôt ... Elle tenta de se rapprocher du miroir, de le ceindre avec la ficelle mais elle n'avait plus de force. Le bout lui échappa et elle se sentit aspirée. Elle laissa échapper un cri.

"Voila, Elissa est prête"

Delcia courut au miroir et ramassa ce qu'Elissa avait laissé tomber et actionna le mécanisme. Une Elissa apparut. Une Elissa étrange au sourire mauvais que l'elfe n'avait encore jamais vu. Elle sourit à Delcia.

"Bravo, et maintenant, occupez-vous de l'autre. La plaisanterie a assez duré ..."

Quelque chose avait mal tourné. Ils avaient tous fini absorbés par le miroir. Remplacés par des répliques qui n'avaient plus grand chose à voir avec l'original. Les pensées qu'elle eut pour Elissa n'étaient pas des plus tendres. Ses dents se serrèrent.
Trois contre elle. désormais. Regard mauvais.
Elle pouvait partir. Et dans ce cas quitter Manost. Ce qui n'était pas sans risques si ces trois là arrivaient à maintenir l'illusion. Il restait possible qu'ils la poursuivent pour ce qu'elle savait.
Non. Il lui faudrait s'en débarrasser. De tous. Après il serait temps qu'elle disparaisse à nouveau. Une fois ce détail réglé.
Elle sortit l'épée, et murmura de nouveau, sans perdre de temps. Des ombres se dessinèrent autour d'elle. Rendant ses contours indistincts. Qu'ils essayent de lui porter des coups ou de la maitriser. Rictus sarcastique.
L'invisibilité la protégeait toujours encore des regards. Plus pour très longtemps. Jusqu'à ce qu'elle frappe.

Mais cela n'importait pas. La femme s'était glissée aussi silencieuse qu'un souffle en direction de l'entrée de la remise. Elle était la proie. Ils la considéraient comme telle. Mais elle ne l'envisageait pas. Ne parvenait même pas à le concevoir.
Elle les tuerait. Tous. Comme tous les autres. Tous ceux qui l'avaient sous estimé. Sauf que... "Basile" commencerait la liste.
Le coup est parti, de taille, avec un sifflement presque imperceptible. Dirigé vers le flanc, et vicieux.

(utilisation du sort "déplacement" -niv3-)

Eliaëdel avait entendu un éclat de verre brisé et une plainte. Basile, ou du moins son reflet laissa échapper un juron. Le coup avait porté et lui avait ouvert le ventre. Mais pas de vraie blessure, pas de sang. C'était comme ... Comme si un morceau de miroir s'était échappé de Basile, laissant un fragment vide.

Le voleur eut un sourire mauvais. L'elfe vit un liquide argenté se mettre à couler de ce qui aurait dû être ses chairs, le long du bout manquant puis se solidifier. De la peau était réapparue par dessus. Quelques instants plus tard, plus rien ne subsistait du coup.

"A nous deux maintenant"

Son regard est devenu vitreux l'espace d'un battement de coeur. Puis a paru ignorer ce qu'elle venait de voir. Ignorer ce que la créature venait de lui lancer. Et ce que ça impliquait. Violence fanatique et démence au coeur des prunelles. Acculée.
Se rendre n'était pas une option. Perdre courage non plus. Suivre la rage. La colère. Oh.

Elle ne ferait ce qu'elle savait faire de mieux dans ces situations. Se battre. Jusqu'au bout. Mais ce faisant, elle semblait reculer vers le miroir. A moins que ce ne soit l'illusion qui brouillait les contours de sa silhouette qui donnait cette impression.

Le reflet d'Elissa lui avait lancé un regard mauvais plein de convoitise. Elle s'était contentée de deux mots, lourds comme ceux d'une sentence.

"Attrapez-la. Il ne faut pas qu'elle sorte d'ici"

Delcia s'était jetée sur elle, mais l'avait manquée. Elle avait feulé de rage puis murmuré entre ses dents.

"Alors, tu te crois plus intelligente que les autres, mais tu vas y passer toi aussi. Inutile de résister, ce n'est plus qu'une question de temps"

Avec un sourire inversé et dément, Elissa tira la ficelle et Eliaëdel ne vit plus ni ses pieds, ni ses mains. Le miroir ne pouvant plus affecter qu'elle l'avait fait disparaître.

Calme. Très grand calme. D'un seul coup.

Elle rengaina son arme en maintenant un silence absolu. Avec une prudence calculée. Au toucher uniquement. Bien. Elle accepta la nouvelle situation sans broncher. Pas d'autres choix.
Elle contourna les créatures et se glissa derrière le miroir, et tenta de le pousser, brusquement et sèchement. Elle se sentait encore bien. Si cela pouvait empêcher la sortie du reflet et lui permettre de résister davantage que les autres. Et par pure curiosité malsaine... comment réagirait un reflet avec un objet passablement lourd et volumineux qui lui tomberait sur le coin du crâne? Surtout de la part de l'objet qui l'avait créé.
L'expérience méritait d'être tentée. Masque mauvais. Et quitte à gagner quelques instants si l'inévitable devait arriver... elle n'était pas du genre à laisser filer de telles occasions.

Le miroir oscilla d'avant en arrière, dangereusement, comme s'il hésitait de quel coté tomber. Puis, un rayon lumineux irradiant du verre engloba tout l'objet qui se remit debout comme rattrapé par une main invisible.

Eliaëdel se sentir flotter, perdre de sa consistance et sentit de plus en plus l'attraction du miroir. A présent, elle ne flottait plus rien, était semblable à une brume se dirigeant tout droit vers le centre de la glace. Et, tout doucement elle passa à travers.

Elle se sentit transpercée par mille éclats de verre, tandis qu'un froid glacial s'emparait d'elle et elle fut éblouie par une intense lumière. Elle tomba sur le dos.

Trois silhouettes s'approchèrent d'elle ...

"Hé bien, la voila" murmura Elissa dépitée.

Elle se releva, lentement, secoua la tête, avant de se plonger dans un mutisme assourdissant. Prendre ses distances serait vital. Dès qu'ils se seraient sortis de cette situation. Ils étaient responsables de leur situation. Et de la sienne. Elle avait tenté de répondre à certaines de leurs erreurs. Mais trop tard. Trop incompétents. Elissa méritait ce qu'il lui était arrivé; mais l'avait entrainé elle aussi. Petite garce.

Sans elle. Qu'ils se surpassent. Ils en auraient bien besoin.

La femme tourna le dos au trio, inexpressive, et observa ce qui l'entourait.

HRP: De l'autre côté du miroir...

Ils étaient de retour, enfin ! Aussi inespéré que cela puisse être, ils foulaient enfin le parquet de la Vierge d'Argent. Ils avaient trouvé la porte du manoir grande ouverte sans personne à l'intérieur. Aucune trace d'Althéa.

La jeune femme les attendait à la Vierge d'Argent, assise à coté de la porte de la guilde. Leur arrivée l'avaient fait sursauter. Les traits tirés, elle avait dévisagé la petite troupe.

"Je crois qu'il va falloir qu'on m'explique. Déjà, ce que vous fabriquez dans les miroirs. Au manoir, la porte s'est refermée d'un coup pour s'ouvrir quelques minutes après. De retour à la Vierge d'Argent, j'ai été attaquée par vos sosies qui voulaient me jeter dans le miroir. Ils se sont enflammés avant de m'atteindre ... Enfin ... Vous avez l'air dans un sale état. Il suffit que je tourne le dos pour que vous fassiez des bêtises"
- Promis, murmura Elissa, on t'expliquera tout en détail mais tout à l'heure. Pour l'instant, je crois qu'on va se reposer un peu. On aurait pas un petit onguent de soin en réserve ?"

Elle considéra la jeune femme avec prudence. Dans un premier temps. La suite du récit parut la détendre. Elle se permit un sourire. Fatigue. Comme jamais. Vivante, bien sûr. Et ils en avaient tous réchappé. Elle s'assit. Ferma les yeux. Rit doucement. Le soulagement tellement perceptible qu'il était à se demander si c'était bien elle qui se trouvait dans la pièce. Tellement incongru de l'entendre sur ce ton.

Oui. Elle était heureuse. Tout simplement.

Elle rouvrit les yeux. Fixa Elissa, sans cesser de sourire. Elle savait tenir des promesses, parfois. Quand ça en valait la peine.

Elissa n'avait pas tourné la tête. Elle avait même souri à son tour.

"Je crois que l'on te doit une fière chandelle. Sans toi, on serait encore à se demander comment sortir. Et je serais plus là pour en parler. Bon, moi, je sais pas vous mais je crois qu'on a mérité de se reposer un peu"

Elle porta la main à son épaule en grimaçant. Le bandage de fortune était de nouveau souillé de sang.

"Bon, mais d'abord, on se débarbouille. Etre crade c'est rigolo mais jusqu'à un certain point"

Elle se leva doucement, soutenue par Delcia.

La femme se releva. S'engouffra dans les escaliers en direction de sa chambre. Ses jambes manquèrent par deux fois de lui faire faux bond durant l'ascension, ne devant son salut qu'à une main accrochée à la rambarde. Les dangers étaient partis, temporairement. Mais toute excitation et énergie liée à cette volonté de vivre en avaient fait de même.
Elle payait. Ses blessures. Sa fatigue. Ses meurtrissures. Mais sa mauvaise conscience se portait toujours bien; pas vraiment une justice. En existait il vraiment une?

Devant la chambre, elle poussa la porte. Se traina jusqu'au devant du lit; l'émeraude de ses yeux luisant de l'épuisement. Se laissa tomber sur le ventre. Repos d'abord. Le reste viendrait après.

Dans sa chambre, Elissa avait fermé les yeux elle aussi. En dépit de la fatigue, le sommeil fut long à venir. Nettoyée, son épaule bandée avec soin continuait de l'élancer douloureusement. Et Eliaëdel.

Ce n'était pas le même problème que lors de son arrivée dans la guilde. Non. Il y avait quelqu'un en dessous de la couche de folie. Quelqu'un de blessée. Une louve aux abois prête à mordre si on l'attaquait, mais totalement perdue, à l'état sauvage. Si on ne l'aidait pas, elle courrait à sa perte. Et maintenant, pouvait elle permettre cela ?

Peu de temps avant, elle aurait répondu que ce n'était pas son problème. Aujourd'hui, elle ne savait plus trop bien.

Elle se leva doucement et sortit dans le couloir. La chambre était fermée. Elle frappa doucement.

Au pire, Eliaëdel n'entendrait pas et dormait à poings fermés. Au mieux ...

Vague conscience d'un bruit malgré tout. Derrière la porte. Mais pas de sentiment d'alerte. Elle savait où elle se trouvait. Une pointe de curiosité la poussa à répondre.
Elle se tourna sur le côté, toujours allongée, appuyée sur un coude, avant de répondre calmement:

« Entrez. »

Elissa avait passé la tête par le battant.

"Pas de panique, ce n'est que moi"

Elle était entrée à pas de loups.

"Bon, on est sorties. Je t'avais dit que quand on serait sorties, on parlerait. Enfin, si tu as besoin de parler, je t'écoute. Bien sûr, tu peux toujours me dire d'aller voir ailleurs si j'y suis. Et tu aurais bien raison"

Soupir. Regard figé. Inévitable sans doute. Repousser le moment sans cesse n'éviterait pas les questions.

« Vraiment sûre de vouloir savoir alors qu'il serait tellement plus simple de retourner dormir? »

Elle se remit sur le ventre. Gratta pensivement une bande qui la démangeait sur le flanc. Puis une deuxième. Grimaça quand elle effleura un hématome encore trop sensible. Nouveau soupir.

« Ce n'est pas plutôt toi qui a besoin de parler? » Ton accusateur. Faussement scandalisé. Nouveau silence. Suivi d'un nouveau soupir.

« Assieds toi. » Invitation en tapant du plat de la main sur le bord du lit. « Je vais me prêter à ton jeu puisque tu insistes. J'essayerai de te répondre autant que possible. »

« Par quoi veux tu commencer? »

Elissa s'était avancée tout doucement puis s'était assise sur le bord du lit. Si elle était sur ses gardes, elle n'en laissa rien paraître. Juste son épaule crispée trahissait qu'elle avait encore mal, rien de plus.

"Ben dis donc, un jour faudra créer une armure pour les moinesses. Bon, j'espère qu'on ne recommencera pas à s'amuser comme ça avant longtemps"

Silence.

"Bon, je vois que mon humour est au dessous du niveau de l'eau. Il paraît que ça détend toujours de rire un peu. Bon, moi, j'y crois moyennement. Jusqu'à présent, je n'ai fait fuir personne mais j'ai des progrès à faire"

Elle s'assit plus confortablement.

"Si tu veux, on peut jouer donnant-donnant. Tu auras le droit de poser des questions pour chaque réponses. Alors ... déjà, d'où est-ce que tu nous viens ?"

« Tu veux vraiment tout considérer depuis le commencement? »

Sourire triste. Un bref coup d'oeil par la fenêtre. Avant de se décider.

« Berdusk. Mais ça ne signifie plus grand chose. Ca n'a jamais signifié grand chose. Je l'ai quittée quand ton arrière arrière grand même était encore qu'une gamine dans les robes de sa mère. J'ai voyagé entre temps. Puis je suis passée par Portcalim avant que je n'arrive ici. »

Elle roula sur le côté, se redressa, s'appuyant son dos contre le mur en ajustant l'édredon. Déboucla sa ceinture pour se délester de son arme et de son fourreau. Qu'elle posa au sol. Observa la moinesse d'un sourire discret, les bras croisés, avant de reporter son attention vers l'extérieur. Elle passa doucement sa main sur l'épaule, l'étreignant sans rajouter de plus.

« Je t'écoute. Mes questions viendront après. » Invitation à continuer.

Puisqu'Eliaëdel se mettait à l'aise, Elissa en fit autant. S'adossant au sommier de l'autre coté du lit, elle posa ses pieds nus sur le matelas puis ses coudes sur ses genoux pliés et enfin sa tête au creux de ses paumes.

"T'en fais pas, ils sont propres. Ils sont passés au décrassage eux aussi. Bon, ils sont peut être un peu moches mais ce n'est pas la question"

Elle soupira avec un soupir d'aise.

"Est qu'est-ce que tu as trouvé dans tous tes voyages ? Le coup classique genre amour, gloire et fortune ?"

Elle renifla sous ses aisselles. Haussa le sourcil d'un air appréciateur.

« C'est plutôt de mon côté qu'il y aurait des choses à redire. J'espère que l'odeur ne te gêne pas trop » Gloussement.

« Mais ça pourra attendre je pense. Surtout que ça me prendra un certain temps. »

Nouveau sourire. Mais répondre n'impliquait pas de tout révéler. Les meilleurs mensonges l'étaient par omission sans trop déformer les faits. Longue habitude.

« A propos de mes voyages. Oublie tes trois propositions. Quoique gloire... ça dépend de quel point de vue tu considères le problème. Certaines auberges acceptent de fermer les yeux tant que musique et histoires conviennent aux clients. Mais ça valait toujours mieux que s'établir quelque part, je suppose. Je n'ai pas eu à me plaindre particulièrement. Cette vie me convenait bien. »

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