La Couronne de Cuivre

Quête: L'invasion des ombres.

« Je comprends. » souffla-t-elle. « Je ne pense pas que je me ferais confiance non plus, si j’étais à ta place. »
Elle jeta un œil par la fenêtre, sur ce ciel si bleu, ce soleil si resplendissant, obscène, aveugle aux tourments des hommes.
« Et tu as raison. Je ne peux pas rattraper ce que je t’ai fait. »
Elle se tut.
« J’espère… »
Elle ferma les yeux, se mordit les lèvres.
« Si je pars… Si je te laisse tranquille, comme tu le désires. Victor, il faut que tu manges. Il faut que… il faut que tu vives. J’ai voulu… j’ai pensé… que peut-être je pourrais être… ou t’aider, mais… »
Elle fit deux pas, s’assit sur le lit et la tension des derniers jours revint en force. Ceux qu’elle aimait ne lui renvoyaient plus qu’un front d’hostilité virulente. Où qu’elle regarde, elle rencontrait leur colère, leur déception, leur désarroi. Et elle sentait cette violence commencer à la détruire, à saper ce qu’elle pensait savoir d’elle-même.
Suis-je mauvaise et égoïste, en vérité ? s’interrogea-t-elle dans les ténèbres. Je ne devrais pas essayer de vivre parmi les hommes, je n’y arrive pas.
« Je suis désolée. Je t’ai menti… Mais je pensais… Il fallait que j’aille au devant du Monstre, Victor. Sans cela, rien n’aurait été possible. Et sans doute qu’à cause de cela, plus rien n’est possible mais… mais je n’avais pas le choix. »

[Quête : l’invasion des ombres]

Le gamin renifla.
-Oui, je sais. Les choses qui doivent être faites. Je connais la musique…
Il soupira et releva la tête. Lorsqu’il vit la jeune femme assise, la tête dans les mains, il ouvrit de grands yeux, comme si sa détresse le déroutait, désarçonnait sa colère, l’effrayait, aussi. Il grimaça, hésita puis murmura d’une petite voix :
-Tu l’as tué, le monstre ?

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée lui jeta un regard diagonal. Si elle voulait offrir une seconde chance à Taliesin, il fallait que personne ne sache que le Monstre était libre et vivant. Bien sûr, à l’heure où les Morféens avaient massacré un quartier entier, les quelques crimes sanglants d’un déséquilibré n’étaient pas à proprement parler la chose la plus cruciale pour les résistants, mais tôt ou tard, Galathée savait qu’ils s’interrogeraient sur sa disparition, tiendraient à se démarquer de ses actes en les condamnant avec clarté et vigueur. Il ne fallait pas qu’on sache qu’il avait survécu. Il ne fallait pas qu’on sache où il était allé. Et Victor… Jusqu’où allait la colère de Victor ? Qu’était-il susceptible de taire, de trahir, une fois la porte refermée ?
Galathée se morigéna intérieurement. Althéa et Thémis savaient, elles aussi. Le tout était de ne rien laisser filtrer de la destination.
« En quelque sorte, oui. Le Monstre est mort mais… mais la personne qui se cachait sous son masque a survécu. »

[Quête : l’invasion des ombres]

Victor releva la tête un bref instant pour la dévisager, mais s’empressa de la fourrer à nouveau entre ses bras. Il demeura silencieux un long moment, finit par pousser un soupir douloureux, et, à nouveau, laissa entrevoir sa mine défaite.

-Et tu vas faire quoi, maintenant ?

Quête: L'invasion des ombres.

« Je ne sais pas exactement. Quitter la ville. Aller quelque part sans violence et sans mort pour voir ce qui peut être reconstruit. »
Elle sourit douloureusement.
« Taliesin va venir avec moi. Et j’aurais aimé… »
Elle se tourna vers lui, et la mine épouvantable de l’enfant l’émut au fond d’elle-même. Elle était responsable de tout cela. Morféa l’était.
« Je ne peux pas te forcer, je ne veux rien… jamais… t’imposer. A toi non plus. Mais… j’aurais aimé… pouvoir essayer… de t’offrir autre chose. »
Elle reporta le regard sur le mur, essuya ses larmes du bout des doigts, machinalement, sans réfléchir.
« Je suis fatiguée. » lâcha-t-elle, finalement, esquissant un nouveau sourire, difficile. « Excuse-moi. »

[Quête : l’invasion des ombres]

L’enfant la dévisageait sans piper mot. La colère semblait l’avoir déserté, laissant la place à un trouble profond, et découvrir devant lui la rôdeuse en larmes n’était sans doute pas étranger à son revirement. Mal à l’aise, inquiet, il faisait aller son regard embué de la jeune femme à ses mains crispées sur les couvertures.
-Tu vas partir avec le Monstre… souffla-t-il. Alors qu’il a tué tout plein de gens. Et même des enfants. Je crois pas que madame Ogg te laisserait me parler si elle savait ça…
Il s’abîma à nouveau dans ses pensées, ses doigts s’agitant de plus en plus, fébriles, sur la courtepointe.
-Est-ce que… finit-il par murmurer. Est-ce que si, des fois, j'étais d’accord pour venir quand même, tu me promettrais de plus me laisser tout seul ? De me garder avec toi, même s’il y a encore de ces choses qui doivent être faites ?

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée n’en attendait pas davantage. Doucement, elle approcha la main, frôla l’épaule de l’enfant, n’alla pas plus loin. Victor s’était raidi, mais il ne se déroba pas, ni ne repoussa son contact.
« Si tu viens avec moi… Je ne te laisserai plus. Et si des choses doivent être faites, nous les ferons ensemble. »
Elle était consciente de la portée de cette proposition, peut-être plus encore que la première fois.
« Ce ne sont que des mots, je sais. » murmura-t-elle. « Je ne sais pas si tu peux encore me croire. »
Elle leva les yeux sur lui.
« Mais je les pense. Je n’ai jamais voulu te laisser derrière. Comme je l’avais dit, je suis revenue. Et je suis prête à t’emmener, et à faire ce qu’il faudra, ce que tu voudras, pour que tu sois heureux. »

[Quête : l’invasion des ombres]

Le petit garçon garda un instant son regard trouble planté dans celui de la rôdeuse. Puis il baissa les yeux, recommença à jouer avec les couvertures défaites, la mine froncée, témoin de ses tiraillements intérieurs. Sous sa main, Galathée sentait les tremblements de son épaule, la tension qui habitait tout son corps, prête à déborder...
-Je…
Victor déglutit avec peine.
-D’accord. Je veux venir avec toi.
Puis, tout à coup, avec une brusquerie imprévisible, il se jeta entre les bras de la jeune femme.
-Tu m’as manqué… croassa-t-il d’une voix déjà enrouée de sanglots.

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée le serra contre elle, sans pouvoir réprimer le sourire qui lui montait aux lèvres.
« Toi aussi, tu m’as manqué. » murmura-t-elle en lui caressant doucement les cheveux.
Ils restèrent dans les bras l’un de l’autre sans rien dire, pendant de longues secondes, avant de se détacher.
« Mais merci de me faire confiance. Je ne te décevrai pas. » ajouta-t-elle.
Victor ne répondit rien, acquiesça doucement, et garda le nez contre sa poitrine.
« Je vais devoir rentrer au Parc. Si tu veux m’accompagner… tu es le bienvenu. Sinon, tu peux rester ici jusqu’à ce que nous soyons prêts à quitter Luménis. »
Elle ne savait pas comment Victor réagirait face à celui qui était encore le Monstre deux jours plus tôt, mais il n'y aurait pas de meilleur moment.

[Quête : l’invasion des ombres]

Victor se renfrogna.
-C’est là que tu as caché le Monstre, hein ?
Il frissonna, et il ne fallait pas être grand clair pour deviner que le gamin était plus qu’effrayé.
-Tu as dit qu’il s’appelait Taliesin…murmura-t-il. Le monsieur qui est venu en ville, il y a un an, avec plein d’anciens esclaves, il s’appelait comme ça, je crois. C’est lui ? Papa disait qu’ils voulaient juste habiter avec nous, mais ils ont aidé le Tyran, papa il a dit. Et il a dit aussi que Taliesin avait été jeté en prison. Comment ça pourrait être le Monstre, alors ?

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée haussa les sourcils. Victor était nettement mieux informé qu’elle n’aurait pu le croire. Nettement mieux informé qu’elle, même.
« Je ne suis pas parfaitement au courant de tout… Je pense… je pense qu’il s’est évadé. Le Tyran… lui a fait beaucoup de mal, et… et il a changé. Parce qu’il voulait se venger. Il est devenu fou, le Monstre. Avant… avant c’était un homme de paix. Mais la souffrance… est parfois mauvaise conseillère. »
Elle pinça les lèvres.
« Le Tyran a profité du mécontentement des esclaves et des pauvres de Luménis, pour faire sa révolution macabre. Je pense que les gens ne savaient pas ce qu’il avait réellement en tête. Taliesin ne l’a certainement pas aidé. »
Elle soupira.
« Je comprends que tu puisses craindre de le voir. Mais il ne te fera aucun mal. S’il fait du mal à quelqu’un, ce sera à lui-même. Le Monstre n’est plus. »

[Quête : l’invasion des ombres]

-Si tu le dis, je te crois… murmura le gamin, le ton démentant la confiance de ses paroles.
Il hésita un bref instant puis se leva et grimaça lorsqu’il prit appui sur sa jambe tout juste guérie.
-Je viens avec toi. J’ai un peu peur, mais… mais je préfère venir. Je veux plus rester ici à attendre sans savoir ce qui va se passer.

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée se leva à son tour.
" Il y a une série de choses que nous devrions faire avant de partir. Mais tu pourrais me donner un coup de main..."
Elle lui sourit.
" Je voudrais... prendre le temps de me débarbouiller avant de reprendre la route. Pendant ce temps, si tu es d'accord, il faudrait rassembler un certain nombre de fournitures... en espérant que Madame Ogg collabore."
Victor la dévisageait en silence, elle continua donc.
" Il faudrait que nous prenions un peu de nourriture, des couvertures, et... peux-tu lui demander une aiguille et du fil ? Il ne faut bien sûr pas mentionner l'existence d'une troisième personne. Toi et moi quittons Luménis. C'est tout. Penses-tu pouvoir te charger de cela pendant que je me lave rapidement ?"

[Quête : l’invasion des ombres]

Victor tiqua, comme s’il craignait que Galathée disparaisse sitôt qu’il aurait le dos tourné. Il hésita un moment, mais finit par opiner du chef, presqu’à contrecœur.
-Je peux, fit-il. Et je dirai rien. pour le Monstre.
Il lui jeta un dernier regard puis se dirigea vers la porte. La rôdeuse nota qu'il boitait encore un peu.
-Je t’attends en bas de l’escalier, lança-t-il par-dessus son épaule avant de s’esquiver.

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée sourit en le voyant clopiner vers le rez-de-chaussée. Apparemment, Kasumi lui avait bel et bien trouvé un clerc, et s’il boitait encore, il ne tarderait pas à se remettre : il était jeune, énergique, s’il voulait bien se nourrir convenablement, il n’y paraîtrait bientôt plus. La rôdeuse s’arracha à ses pensées pour prendre le chemin du lavoir, puis de la salle d’eau. Elle rechignait à quémander une tenue supplémentaire, mais elle s’en vit remettre une de force par la vieille dame qui avait remplacé l’insupportable Ambroise à la lessive. Elle se lava rapidement, sans réellement en profiter, et jeta ses vêtements souillés dans l’âtre. Elle s’interdit de trop réfléchir à la manière dont Victor et Taliesin se toléreraient. L’enfant aurait sans doute peur. L’elfe serait indifférent, livide. Cela ne servait à rien de projeter : ils seraient incessamment réunis.
Vêtue de propre, la rôdeuse regagna le rez-de-chaussée et trouva finalement Victor dans la salle à manger, en grande discussion avec Madame Ogg. Un instant, Galathée s’inquiéta de ce que le petit garçon avait pu raconter, mais une seconde plus tard, elle perçut les mots « déjeuner », « remplumer » et « raisonnable », ce qui suffit à la détendre alors qu’elle approchait.

[Quête : l'invasion des ombres]

-Ah, mademoiselle ! fit madame Ogg comme Galathée les rejoignait. Victor m'a donné votre liste, et j'ai envoyé Bertrand rassembler tout ça. Mais cela va prendre un peu de temps. En attendant, rien ne s'oppose donc à ce que vous partagiez notre table : on va servir d'un instant à l'autre. Et puis, comme ce jeune homme a une fois de plus sauté le petit déjeuner, et que vous vous apprêtez à battre le campagne, un dernier repas chaud ne serait sans doute pas de trop.
Madame Ogg fixa la rôdeuse avec attention, semblant la jauger du regard, comme si sa décision avec une portée plus grande qu'un simple repas. Quant à Victor, il la dévisageait avec des yeux si suppliants qu'on aurait pu croire qu'il souhaitait échapper non pas à un festin, mais à une abominable séance de torture.

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée les regarda l’un et l’autre. Si ce dont elle avait besoin n’était pas prêt, elle ne pouvait pas retourner au Parc. Mais elle craignait de laisser Taliesin seul trop longtemps. A contrecoeur, elle s’assit.
« Je veux bien prendre un rapide déjeuner. Mais nous ne pouvons pas nous attarder… Dès que Bertrand sera là, nous irons… »
Elle baissa les yeux sur Victor.
« Tu ferais mieux de manger quelque chose quand même. Même un truc léger… Crois-moi… Nous ne retrouverons pas une telle table avant longtemps. »

[Quête : l'invasion des ombres]

Madame Ogg se fendit d’un hochement de tête approbateur et s’en fut en direction des cuisines tandis que Victor, la mine sinistre, prenait place à côté de la rôdeuse.
On était en train de servir les premiers plats lorsque madame Ogg revint déposer près de l’assiette du gamin la fiole que Galathée avait déjà, quelques jours plus tôt, eu l’occasion d’apercevoir.
-J’ai demandé à Bertrand d’en mettre dans votre paquetage, fit la grosse femme. Une cuiller par jour, et vous verrez, Victor reprendra vite du poil de la bête !
Elle s’esquiva à nouveau pour se consacrer au service. Victor lorgna la fiole avec une grimace explicite et tenta de ne plus y penser en grignotant un morceau de pain.
Les minutes passaient, les plats se succédaient, mais toujours pas de Bertrand.

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée avait du mal à comprendre ce qui pouvait retenir le jeune homme. Il n’y avait pourtant pas grand chose d’étrange dans ce qu’elle avait demandé. Elle soupçonnait madame Ogg de sciemment les garder un peu plus longtemps sous son œil vigilant. Affamée, elle ne se fit pas prier et fit honneur au repas qu’on lui proposait. Manger lui fit un bien fou, bien qu’elle devienne de plus en plus nerveuse. Elle finit par se tourner vers Victor.
« Victor… n’est-il personne que nous devrions prévenir… de ton départ ? »

[Quête : l'invasion des ombres]

L’enfant leva les yeux un bref instant pour les replonger aussitôt dans son assiette, ce qui n’empêcha pas la rôdeuse de voir sa mine défaite.
-Personne, murmura-t-il en faisant mine de s’intéresser à son repas.
On apporta bientôt les desserts – de la tarte aux pommes à laquelle Victor consentit quelques coups de dents – et madame Ogg finit par revenir près d’eux.
-Bertrand a déposé vos affaires dans le hall. Tout y est, normalement. Et si vous avez besoin d’autre chose, n’hésitez surtout pas à demander.

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée était désolée d'avoir rappelé à Victor qu'il était désormais seul au monde.
Presque seul au monde.
Mais elle ne voulait pas ravir l'enfant à quelqu'un qui l'aurait attendu.
Elle se tourna vers Madame Ogg.
« Je pense que ça ira. Merci encore pour votre aide et votre hospitalité… Cette maison est réellement… un havre… »
Galathée jeta un regard circulaire sur la salle et sourit.
« Si jamais… si jamais Sire Kasumi venait à repasser… Pourriez-vous juste lui dire que nous allons bien ? »
La rôdeuse secoua la tête.
« Non. Je vais lui écrire un message. Ce ne serait pas correct, sinon. »
Elle se tourna vers Victor.
« Nous allons y aller. Je vais juste écrire quelques mots pour qu’il ne s’inquiète pas. Est-ce que tu essaierais de mettre la main sur ton chat, en attendant ? »

[Quête : l'invasion des ombres]

Victor acquiesça et s’empressa de quitter la salle à manger. Madame Ogg lui jeta un regard attendri, s’en fut quérir feuilles, encre et plume qu’elle revint donner à Galathée.
-J’aurais voulu vous poser une question… fit-elle une fois que la rôdeuse eut terminé sa lettre. Je ne veux bien sûr pas me montrer indiscrète, alors envoyez-moi balader si c’était le cas, mais… Qui étaient les parents du gamin ? Comment se fait-il que vous vous soyez retrouvés ensemble, alors que vous étiez engagée dans les combats, si je ne m’abuse ? Il ne ressemble guère aux esclaves que vous et sire Kasumi avez libérés…

Quête: L'invasion des ombres.

« C’est le fils d’un soldat, le sergent Desmoulins… qui s’est battu à nos côtés. Ils habitaient le quartier ouest et sa mère a été tuée par les Gardes Rouges. Le père… est tombé sur les quais. Au départ, nous n’avions pas pensé… qu’il deviendrait orphelin. Je voulais juste le mettre en lieu sûr en attendant la fin des hostilités. »
Galathée sourit douloureusement.
« Enfin. Voilà. Comme ça vous savez tout. Il ne lui reste apparemment personne à Luménis... »

[Quête : l'invasion des ombres]

La grosse femme hocha tristement la tête.
-Tout ce qui s’est passé est vraiment abominable, je n’arrive toujours pas à comprendre comment Luménis a pu en arriver là… Tous ses morts, tous ces orphelins… Mais enfin, tant qu’il y aura encore des gens pour s’entraider, tout ne sera pas perdu.
Elle sourit à la rôdeuse et, vivement, lui pressa le bras.
-Bonne chance pour votre voyage. J’espère que vous trouverez un coin tranquille ou vous installer. Et je ne me fais pas de souci pour Victor : il est entre de bonnes mains.
Madame Ogg se détourna et regagna la cuisine à pas pressés. Quant à Victor, il ne tarda guère à faire son apparition, le chaton gris niché dans ses bras.
-Je suis prêt, fit l’enfant.

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée rejoignit Victor et ils sortirent dans la cour, désormais équipés. La rôdeuse repéra une silhouette familière, celle du dénommé Banjo, qui participait au déchargement d’un chariot non loin de la porte de service des cuisines, et elle lui confia le pli pour Kasumi, le faisant répéter deux fois ce qu’il devait en faire, avant de reprendre sa route, Victor à ses côtés. Ils cheminèrent dans les routes tranquilles du Quartier Sud, qui semblaient paisibles en cette douce journée estivale, en dépit de la menace qui planait toujours dans l’air. Mais en réalité, Galathée ne pensait déjà plus à Morféa, et les cahots des derniers jours étaient peu à peu relégués au passé. L’avenir semblait tellement incertain que gaspiller son énergie à ressasser ce qui était fait devenait un luxe qu’elle ne pouvait plus s’offrir. Et c’était une chance. Elle avait l’impression qu’elle pouvait parfois deviner l’haleine répugnante de l’homme qui avait essayé de la violer. Or, comme elle n’avait plus d’odorat depuis des années, c’était particulièrement déstabilisant. Cette simple pensée lui donna un haut le cœur, et sans s’en rendre compte, elle serra la main de Victor, qui lui jeta un petit regard inquiet. Ils s’éloignèrent de la demeure du seigneur Artwin, et Galathée se demanda si elle y reviendrait jamais. Comment savoir.

Si, après la chute de Morféa Nwalk, la cité de Luménis avait progressivement retrouvé son calme, il n'en était pas allé de même pour la demeure du seigneur Artwin. A la grande joie de celui-ci.
Certes, une partie des rescapés du massacre perpétré par les Gardes Rouges dans le quartier ouest et des esclaves libérés par Galathée et Kasumi s'en étaient allés, Certes, certains des orphelins qui s'étaient réfugiés à l'abri de ses murs avaient été emmenés par des parents ou des amis. Mais beaucoup avaient perdu jusqu'au dernier membre de leur famille et n'avaient nulle part d'autre ou aller.
Il n'était pas question pour le seigneur Artwin de les abandonner à leur triste sort. Il n'avait pu prendre part autant qu'il l'aurait voulu à la lutte contre Nwalk - même si d'aucuns prétendaient, avec raison, que son rôle dans la victoire de la résistance avait été décisif - et, se sentant une responsabilité envers les victimes de la tyrannie, il demanda l'autorisation au gouvernement provisoire de s'en occuper. Laquelle autorisation lui fut accordée bien volontiers : de l'avis de tous, ces enfants n'auraient pu trouver meilleur tuteur.
C'est ainsi que le manoir et le vaste jardin qui l'entourait se transformèrent en orphelinat. Et pour tous ceux qui passaient à proximité et qui voyaient madame Ogg, Bertrand ou Artwin lui-même s'occuper avec dévouement des gamins arrachés aux horreurs commises par les sbires du Seigneur Noir, ce havre de paix devint l'un des symboles de la reconstruction luménienne.

Une tranquille activité animait les rues que le rôdeur traversa de bon matin pour rallier les Beaux Quartiers. Il profita du trajet pour passer par le Parc et de nombreux lieux qui lui ramenèrent en mémoire des souvenirs lointains. L’endroit avait bien changé depuis les combats sous l’Occupation. Le soleil semblait apporter sa contribution en illuminant les bâtiments rénovés ou en travaux.

A mesure de sa progression, les arbres aux couleurs irisées remplacèrent progressivement les demeures modestes et les immeubles d’habitation tandis que les bâtisses bordant les larges rues affichaient toute leur splendeur. Les plus beaux quartiers avaient moins souffert des combats et un calme paisible y remplaçait l’agitation des ouvriers. Kasumi reconnut bien vite le manoir du seigneur Artwin et s’y dirigea avec quelque appréhension. Qu’allait-il y trouver après tout ce temps ?

La demeure n'avait gère changé depuis sa dernière visite. Si ce n'est que les gardes, à la grille d'entrée, avaient disparu.. Une petite cloche, cependant, permettait aux arrivants de manifester leur présence, et à peine Kasumi l'eut-il actionnée qu'un jeune homme à la mine avenante apparut, traversant à grandes enjambées le parc pour l'heur désert, et le salua poliment.
-Que puis-je faire pour vous, messire ? s'enquit-il, souriant.

Le sourire du « gardien » était communicatif et Kasumi le lui rendit bien gracieusement. Il avait décidé de laisser ses armes au Bosquet, à moitié pour appliquer les enseignes règles de ce havre et aussi parce qu’elles ne semblaient en rien nécessaires dans la ville regagnée par la paix.
Le rôdeur se présenta après avoir demandé son nom au jeune homme :

- Si Messire Artwin accepte de me recevoir, j’aimerais beaucoup m’entretenir avec lui. Peut-être se rappelle-t-il de moi, je suis Kasumi.

Le jeune homme acquiesça.
-Le seigneur Artwin doit déjeuner avec les enfants, mais il se fera un plaisir de vous recevoir, je gage. Si vous voulez bien me suivre, je vous conduirai à son bureau, où vous pourrez l'attendre confortablement.
Il invita le rôdeur à entrer puis le conduisit à travers le parc et jusque dans la grande demeure. En passant devant les portes ouvertes de la salle à manger, Kasumi vit madame Ogg, Bertram, madame Paluche et même Artwin s'afférer autour de la table où siégeaient une bonne vingtaine d'enfants de tous âges.
Le bureau du maître de maison était pareil à ce qu'il était autrefois... Peut-être un peu plus encombré de paperasse... et un peu plus désordonné. Mais en dehors de cela, il n'avait pas bougé depuis la dernière fois où Kasumi et Artwin s'y étaient entretenus.
Le jeune homme fit assoir le demi-elfe dans un fauteuil, lui servit à boire et s'en fut chercher le seigneur luménien. Celui-ci parut moins de dix minutes plus tard et adressa un large sourire à son invité.
-Messire Kasumi ! fit-il en lui tendant la main. C'est un plaisir de vous revoir sur pied ! Les dernières nouvelles que nous avons eu de vous n'étaient pas encourageantes et nous laissaient peu d'espoir... Un peu, cependant, et il s'est vérifié ! Depuis quand êtes-vous à nouveau éveillé ?

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] L'orphelinat du seigneur Artwin

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