La Couronne de Cuivre

" Illustrée, illustrée, c'est un bien grand mot. Nous sommes mille à nous être illustrés de la sorte, pendant la révolution. Et moi-même, j'ai filé pour t'emporter hors de la ville alors que les derniers combats n'avaient même pas encore eu lieu... Non, je ne crois pas que je puisse compter sur mes états de service, à ce niveau... Mais c'est aussi bien. Je n'ai pas l'âme d'une héroïne debout sur une barricade. La violence n'a jamais été mon mode d'expression favori."
Elle soupira, posa les mains sur son ventre.
" As-tu réfléchi à un prénom, pendant toute cette aventure ?"

Taliesin secoua la tête.
-Non. Pour parler franchement, j'ai évité d'y songer. Sinon, j'aurais été tétanisé, paralysé par l'angoisse qui me rongeait déjà sans trève ni repos...
Soupir.
-Ça me fait penser... Quand nous étions à Loth Imarhil, Victor a acheté une peluche pour le bébé. Un renard. Il l'a longtemps gardé tout contre lui, pour l'imprégner de son odeur, pour que le nouveau-né puisse s'habituer à lui malgré son absence... J'ai réussi à l'amener jusqu'à notre base, malgré toutes les péripéties du voyage. C'est triste qu'elle se soit perdue si près du but...

Galathée acquiesça, les yeux soudain humides. Pendant une seconde, elle demeura silencieuse, puis elle s'appuya contre le barde avec un soupir.
" Parle-moi de Victor... Il doit avoir tellement changé, mon petit garçon... Grandi, sûrement... Une si jeune vie et déjà tant de drames... J'aurais voulu... j'aurais voulu que nous soyons la nouveau havre dans sa vie, après la mort de ses parents... As-tu remarqué comme il n'en a jamais parlé ? Peut-être avec toi... mais avec moi, jamais, ou presque jamais... Comme s'il ne s'était rien passé. Comme s'il ne voulait rien prononcer pour que rien n'existe plus. Ou alors était-ce pour ne pas m'inquiéter ? Mais j'ai toujours trouvé ça curieux... peut-être malsain... Un gosse de huit ans n'oublie pas subitement les personnes qui l'ont élevé depuis sa naissance... Il y avait les cauchemars, bien sûr... Les pipis au lit... Mais je sais si peu de choses sur ce qu'il était... et à nouveau, tout a été bouleversé. Tu le connais mieux que moi, aujourd'hui. Tu l'auras accompagné alors que je ne pouvais rien... Des images. Il doit lui rester une image de moi comme il me reste une image de lui. Des étrangers... Quelle mère formidable."

-Non, pas des étrangers, souffla-t-il en l'entourant de son bras. Il t'aime toujours autant. Plus que jamais, même. Et si tu en veux une preuve... Sache qu'il a embarqué comme passager clandestin sur le navire qui devait me conduire ici. Avec Jehan et Benoît. Nous les avons découverts quelques jours après le départ, cachés dans la cale... Ce sont les Luméniens qui ont volé à notre secours qui les ont rapatriés.
Il ferma les yeux.
-Sur Mersant, quand je lui ai dit que le capitaine Longuehune envisageait de me ramener à Luménis... Il s'est mis en colère, a affirmé que si on m'empêchait de poursuivre le voyage, il le poursuivrait, lui, pour te retrouver, pour te ramener.
Il eut un sourire un peu triste, constatant à quel point l'enfant lui manquait.
-Tu peux être fière de ton fils. Vraiment fière. Et bientôt, tu pourras le serrer contre toi.
Il avait délibérément tu les transes du petit garçon. Il lui en parlerait en temps voulu. Sur le trajet du retour, probablement.

" Oui. Oui, tu as raison. Excuse-moi. Je suis juste un peu... bouleversée, peut-être."
Elle soupira.
" Je voudrais juste rester pelotonnée contre toi et ne plus jamais bouger. Même si j'ai foi... C'est difficile, tant d'impuissance. Victor et Luménis sont loin, je suis calée ici, je sais que tu vas repartir... Et moi je couve."
D'un geste, elle désigna la pièce.
" Je n'ai jamais autant lu de toute ma vie. Et Morvan voulait que j'apprenne à jouer d'un instrument ! Moi ! Heureusement, mon ventre s'est mis dans le chemin."

Les livres le firent songer au malheureux Baptiste, qui les aimait tant, et il s'empressa de plaisanter pour changer le cours de ses pensées.
-Ah... Peut-être va-t-on rester ici quelques mois, finalement. Parce que ce serait bien si tu apprenais à jouer de quelque chose. Former un orchestre familial, ça aurait de l'allure, non ?
Il pencha la tête contre la sienne.
-Et ne t'excuse pas. Je comprends que tu sois bouleversée, et frustrée... Même si ça ne se voit pas forcément, je suis moi-même complètement chamboulé. Mais... Je ne me force pas à jouer les optimistes. C'est curieux, d'ailleurs, vu ma tendance à broyer du noir. Ta présence fait des miracles.

" Tu formeras un orchestre familial avec ta marmaille, Taliesin. Je ferai spectatrice. Et je serai impitoyable, je te le promets. Absolument impitoyable."
Elle sourit.
" Victor se sentirait-il des velléités de barde ? Ah... Je voudrais que tu me racontes vos aventures sur les routes... Tout. L'horrible et le merveilleux. Ta soeur à Lloth Imharil... La traversée et ses passagers clandestins... Les gens qui t'ont aidé... Le pénitencier... Je n'aime pas l'idée que tous ces mois m'échappent..."
Une petite grimace traversa son visage.
" Enfin... Si tu es prêt à raconter, bien sûr. Mais ce sera comme une longue épopée... chaque soir avant de m'endormir... Je suis sûre que ça m'aiderait à te retrouver..."

-Lorsque nous nous sommes séparés, Victor s'interrogeait sur son avenir... Il a brièvement parlé de devenir clerc, m'a posé des questions sur les dieux... Mais, finalement, il en est revenu à sa prime idée : devenir un barbare lanceur de boules de feu qui volerait sur le don de la petite dragonne que nous avons croisée dans les montagnes...
Son sourire se fit plus lumineux.
-Je te raconterai tout ce qui s'est passé. Je te le promets. Mais si tu es d'accord, je te narrerai cette odyssée à partir de demain. Ce soir... j'aimerais juste profiter de nos retrouvailles.
Bien sûr, le lendemain apporterait peut-être de noires nouvelles qui ne lui donneraient guère envie de se tourner vers le passé. Cependant, s'il avait pu suffisamment s'apaiser, d'ici là... Il tiendrait le choc.

Elle lui décocha un sourire coquin.
" Je crains que nos retrouvailles ne puissent pas être aussi formidables que tu l'espères, murmura-t-elle, mutine. Mais je ferai un effort, je te le promets."
Taliesin vit quelque chose bouger à la surface de son ventre et Galathée y posa la main.
" Ça devient étriqué, là-dedans. Il y en a un calme et un beaucoup plus nerveux... Mais on m'a dit qu'on ne pouvait pas présumer..."
Son expression devint subitement sérieuse.
" J'espère que l'accouchement se déroulera bien. Gregor est un jeune clerc, mais il n'y connait vraiment rien et les seules fois que je lui en ai parlé, il a changé de couleur."

Il resta silencieux de longues secondes.
-Nous nous étions aussi interrogés à ce sujet, quand nous envisagions que l'accouchement se produirait dans notre base. Nous avions un clerc de Tyr avec nous, mais... Ce n'était évidemment pas sa spécialité.
Il baissa les yeux sur le ventre de sa compagne.
-Tout se passera bien. Il ne me paraît pas impossible de trouver quelqu'un d'expérimenté qui ne te trahira pas. Peut-être Morvan achètera-t-il une sage-femme ? Sinon, on dénichera un clerc...
Il songeait aux Moandrins. Bien sûr, ils ne seraient pas chauds, mais si Kerun le leur demandait...

" Bien sûr... Sans doute Morvan pourra-t-il faire quelque chose pour moi..." murmura-t-elle.
Elle se redressa péniblement puis l'attira vers elle et l'embrassa avec abandon et peut-être plus de fièvre qu'auparavant.
" Je ne t'ai pas assez dit combien j'étais heureuse que tu sois là... Tu as tant risqué pour moi... Tu aurais pu estimer que j'étais perdue et je crois... je ne t'en aurais même pas voulu..."
Ses yeux s'étaient emplis de larmes.
" Nous n'avons même pas eu un an... Même pas un an."

-Même pas un an, non. Mais ces quelques mois ont été les plus lumineux de toute mon existence.
Il se positionna de manière à rester tout contre elle sans appuyer sur son ventre rebondi.
[color=#FFF66]-Je n'aurais renoncé pour rien au monde. Tout pessimiste que je sois, je n'ai cessé d'espérer... Et ça a fini par se produire. Ce matin, j'ai connu le réveil le plus merveilleux qui se puisse imaginer.[/color]
Il l'embrassa à son tour, longuement, passionnément.
-Je t'aime, Galathée. Et bientôt, nous aurons toute la vie devant nous. Toute une vie de lumière.

" Je ferme les yeux et ta voix... Elle m'emmène dans cette vie lumineuse. Elle m'emmènerait n'importe où."
Elle demeura ensuite silencieuse quelques secondes, et le barde sentit le rythme rapide de sa respiration, pourtant tranquille.
" Je devrais te montrer l'atelier... Je suis tellement fatiguée, je resterais des journées entières à ne rien faire... absolument rien du tout..."
Un sourire las incurva ses lèvres.
" Je me sens égoïste, à te retenir alors qu'il y a tant à faire..."

Il secoua la tête.
-Non, il n'y a pas tant à faire que cela. Pas pour moi, du moins. Je suis trop reconnaissable pour mener des enquêtes sans porter un déguisement crédible ou sans que mon apparence soit magiquement modifiée. Et même si j'avais cela... Où irais-je, en l'absence de toute piste ? D'autres bien plus doués que moi sont sur le terrain. ils me feront signe si je peux leur être utile.
Il se blottit encore un peu plus contre elle.
-Bref, ni toi ni moi ne devons culpabiliser de ces moments de répit et, au contraire, en profiter au maximum. D'ailleurs... N'y-a-t-il pas moyen de mettre un fauteuil confortable dans l'atelier ? Ainsi pourrions-nous continuer à discuter tandis que j'essaierai de transformer un morceau de bois en œuvre point trop repoussante...

" Oh, il y a toutes sortes de sièges dans l'atelier... mais il y a beaucoup de bruit... et toujours entre trois et cinq personnes à l'ouvrage. Ce n'est pas le plus intime des environnements !"
Elle rit.
" Mais je suis sûre que nos artistes du jour seront ravis de faire ta connaissance. J'ai moi-même une oeuvre en cours... Mais j'étais trop épuisée, ces derniers temps, pour avancer... Ton retour m'a donné un petit coup de fouet. Morvan sera content si je parviens à la terminer avant la naissance des petits. Bon, viens donc m'aider à me lever, veux-tu... A présent que tu es là, il faut partager !"
Une fois appuyée au bras du barde, la jeune femme retrouva son équilibre.
" Je me sens vieille, en réalité. Si j'avais été en bonne santé, comme... avant... Je suis certaine que je serais moins amorphe... Mais je n'ai pas encore récupéré des premiers mois..."

L'elfe hésita.
-Si tu veux m'en parler... Maintenant ou plus tard... Tu ne dois pas hésiter. finit-il par dire, d'un ton doux.
Il n'était pas sûr de vouloir savoir. D'entendre décrire ce qu'il s'était efforcé de ne pas imaginer.
Mais si la rôdeuse ressentait le besoin d'évoquer ces mois d'épreuve, il se devait de l'écouter.
C'était à cause de lui qu'elle les avait endurés.
On l'avait punie pour l'amour qu'elle lui portait.

Mais elle secoua la tête, les lèvres pincées.
" Ce n'est pas le moment et il n'y a pas grand chose à raconter. Rien qui soit nécessaire, en tout cas. Tout ce qui compte, c'est que tu sois là maintenant et que nous allons rentrer à Luménis, bientôt, avec nos enfants, retrouver Victor et la ferme... et affronter notre destin. Mais dans un meilleur endroit."
Elle le prit par la main.
" Mais je te promets que si un jour, j'éprouve le besoin d'en parler, je le ferai. Comme ça tu ne dois pas craindre que je vive avec un silence douloureux au fond de mon ventre."
Elle posa une main légère sur ses yeux.
" Mais oublie tout ce que tu as pu imaginer. Il ne s'est rien passé."

Or, il s'en était imaginé, des choses, lorsqu'il avait baissé sa garde ou simplement dans son sommeil. Des choses toutes plus horribles les unes que les autres. Mais il avait déjà constaté que le pire ne s'était pas produit...
-D'accord. Du moment que je sais que tu n'hésiteras pas à m'en parler si tu en ressens le besoin, tout va bien.
Doucement, il l'entraîna vers la porte.
-Allez, il est temps que nous réveillions les artistes qui sommeillent en nous. Et puis, je suis curieux de voir ton œuvre...

" Hum, je ne suis pas sûre que je te laisserai la voir avant qu'elle soit terminée, fit la jeune femme, mutine. Ou plutôt que la tienne soit terminée !"
Avant de franchir la porte, Galathée tira à nouveau sur le cordon qui menait à la cuisine, sans doute pour prévenir qui de droit qu'ils avaient fini de manger. Ils cheminèrent ensuite dans le couloir aux mille statues, dans la direction opposée à leur chambre. Taliesin vit encore mille formes et personnages figés par la sculpture, puis ils descendirent — précautionneusement — une nouvelle volée de marche, franchirent une large double-porte et débouchèrent dans l'atelier.
Galathée n'avait pas menti : c'était un espace gigantesque, haut de plafond, éclairé par de grandes fenêtres qui libéraient leur lueur grise. Le barde entendit des coups de marteau sur leur gauche, derrière un imposant bloc de marbre, et des frottements plus loin devant. Mais la vue était encombrée par plusieurs oeuvres en cours, dont un ours monumental, sculpté dans le tronc énorme d'un arbre. Il n'avait encore qu'une tête et des épaules.
" C'est l'ours d'Anselme. Il commence à l'avoir bien en main..."
Elle l'entraîna vers la droite où il trouva, comme il l'avait demandé, un superbe bois lustré, posé horizontalement sur deux tréteaux. Une petite note de Morvan y était posée, lui souhaitant bon travail et belle inspiration.

Il sourit en lisant le message puis resta un moment à contempler le morceau de bois, sourcils froncés.
Enfin, il se tourna vers Galathée.
-Qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui faire ? souffla-t-il. Si je me laisse aller, c'est un luth que je vais lui bricoler, ce qui ne conviendrait évidemment pas... Mais pour l'heure, j'avoue ne pas avoir la moindre idée...
C'était vrai. A présent qu'il était au pied du mur, l'incongruité de la situation lui apparaissait dans toute son ampleur. Il avait envie de faire plaisir à Morvan, le problème n'était pas là. Mais jouer les sculpteurs tandis que les Moandrins étaient à pied d’œuvre, tandis que ses compagnons survivants étaient perdus ou captifs...

Galathée posa la main sur le morceau de tronc puis la laissa courir sur la surface.
" Les sculpteurs de Morvan sont, presque tous, des esclaves qui trouvent ici leur premier répit. A la place d'être battus, contraints, traités comme des bêtes, ils sont subitement nourris et vêtus. La première chose qu'il leur demande, c'est de sculpter. La plupart d'entre eux n'ont jamais tenu un burin ou un ciseau à bois, même si parfois, Morvan traque le bon sculpteur dans la maison de ses voisins. Je crois que... son idée est justement de laisser parler l'angoisse et la souffrance. C'est cynique, quelque part. Et peut-être cruel. Mais il joue franc jeu avec eux : c'est un échange. S'ils relèvent le défi, ils seront affranchis. Et, d'après lui, personne n'a jamais échoué. Certains sont restés des veilles entières à observer le morceau de matière qui leur était dévolu, sans savoir qu'en faire. Mais Morvan est patient et le déclic a toujours eu lieu."
Elle lui sourit.
" Tu es pressé d'être libre de tes mouvements, et je le comprends. Tu as habitué à laisser parler ta voix plutôt que tes mains. C'est peut-être encore plus difficile. Mais alors... Invente une chanson, et choisis une image... puis transforme-la en quelque chose."

Il hocha la tête.
-Je vais essayer de faire ça. Mais, tu sais... Je suis déjà libre de mes mouvements, je déborde de gratitude envers le seigneur DouceChute, je désire m'acquitter au mieux de ma dette et n'ai aucune intention de bâcler ce travail. Simplement... La situation est étrange.
Il soupira.
-Enfin, comme je te le disais tout à l'heure, ce n'est pas comme si, en l'instant, je pouvais être utile ailleurs. De surcroit, sur un plan strictement pragmatique, accomplir cette tâche servira nos intérêts. Cependant, je doute que le froid utilitarisme m'aide à la mener à bien. Alors je vais plutôt laisser parler ma reconnaissance.
Il jeta un regard autour de lui.
-Sais-tu où sont les outils ? Je ne m'en servirai peut-être pas aujourd'hui mais, au cas où...

Elle acquiesça, posant une seconde la main sur son épaule, puis lui désigna un établi sur sa gauche, voisiné d'une armoire aux nombreux tiroirs.
" Tout le matériel pour le bois est là. Tu as de la chance, personne ne s'en sert pour le moment. Essaie de veiller à ranger tes outils quand tu en as terminé. Il y a deux personnes qui ont l'atelier en charge, et c'est leur métier d'en prendre soin, mais ils apprécieront que tu fasses l'effort... Je dis ça pour que tu te fasses des amis..."
Avec un soupir, puis un sourire, elle alla s'asseoir sur une chaise, qu'on avait abandonnée dans le passage.
" C'est étrange pour moi aussi, dit-elle finalement. J'aspire à Hélonna, à la ferme, à notre maison de Luménis... et pourtant, j'ai appris à considérer cet endroit comme un refuge, presque un foyer. Je voudrais... malgré les turpitudes... je voudrais que tu t'y sentes bien."

-Je te comprends très bien. J'avais des sentiments identiques pour notre base : l'ambiance y était chaleureuse, nous nous y soutenions les uns les autres face aux difficultés, nous fêtions ensemble nos réussites... J'y ai même joué de la musique pour la première fois depuis... oh, longtemps. Si on ajoute à ça les jeux des gosses.. Je commençais à me sentir chez moi, cela ressemblait un peu à la ferme... Que tout ait ainsi pu être détruit, que nous ayons tous été dispersés de manière si brutale, ça m'a porté un rude coup.
Il ferma les yeux, les rouvrit.
-Mais je ne me sens pas mal, ici. Bien au contraire : j'envisage déjà cet demeure comme un refuge, j'avais hâte d'y revenir pour profiter de sa quiétude... et te retrouver. Simplement, je dois encore m'habituer, prendre mes marques...
Un sourire espiègle illumina ses traits.
-Gare, cependant, si je m'habitue trop : une fois de retour sur Helonna, je pourrais vouloir un manoir, des serviteurs...

" J'ai droit à certains égards à cause de mon gros ventre, mais je ne suis pas certaine que tu vas pouvoir t'en tirer à si bon compte, dit-elle. Et je sers quand même de professeur à Anselme. Je m'occupe aussi des animaux. Enfin, pour l'instant, je forme surtout ceux qui s'en occupent au quotidien."
Elle fronça les sourcils.
" Mais une fois que tu te seras acquitté de ta tâche, je suppose que tu pourras simplement partir... et venir me rendre visite de temps en temps."

Il écarquilla les yeux.
-Hors de question que les choses se passent ainsi. J'ai envie de rester le plus possible avec toi, et de ne sortir que lorsque ce sera nécessaire. Alors si le seigneur DouceChute est d'accord pour continuer à m'héberger, je m'acquitterai de toutes les tâches qu'il me demandera d'accomplir en contrepartie. Je ne vois pas bien à quoi je pourrais lui être utile, mais... Même s'il s'agit de tondre la pelouse, de planter des légumes dans le potager, d'en éplucher d'autres en cuisine ou que sais-je encore, je le ferai.
Évidemment, pouvoir s'installer chez les Moandrins serait pratique. Néanmoins, il n'imaginait pas un seul instant s'éloigner réellement - et longtemps - de la rôdeuse.

" Le plus simple aurait évidemment été de leur dire la vérité sur ton métier... mais je sais que nous ne le pouvons pas. Même si la carrière de barde convient bien aux elfes et qu'il doit y en avoir mille autres... Le lien serait fait trop rapidement."
Elle sourit.
" Mais ce n'est pas grave. Nous trouverons autre chose. Cela dit, la cuisine et le jardin sont déjà bien cadenassés... Si ça se trouve, tu n'auras rien à faire du tout, sinon me tenir compagnie..."
Elle le dévisagea.
" Mais j'y pense... Tu pourrais servir de maître d'armes à Anselme. Je lui ai enseigné les bases du tir à l'arc, mais je ne suis plus en état pour l'instant, et il aurait bien besoin de quelques conseils. Je sais que tu n'es pas à proprement parler un guerrier mais... mais tu te défends bien, à la lame comme à la flèche. Je pense que ce serait une possibilité."

Taliesin rit.
-Moi, jouer les maîtres d'armes, alors que j'oserais à peine montrer à Victor comment on tient une épée, par peur qu'il prenne de mauvaises habitudes ?
Il fronça le sourcil.
-Anselme n'a-t-il pas d'instructeur professionnel, en ce domaine ?
Il haussa les épaules.
-Mais c'est une solution, tu as raison.
Il s'excusa, alla récupérer quelques outils puis revint. Il pouvait continuer à discuter tout en essayant de se mettre au travail...

" Les DouceChute ne sont pas portés sur les armes... De plus, chaque fois que Morvan a racheté et affranchi quelqu'un qui s'y connaissait un peu, il a trouvé à s'occuper ailleurs. Enfin, sauf Zénobe, mais Zénobe est un peu rouillé, maintenant, et je pense qu'il est dangereux qu'il tienne une lame. Tout le monde est d'accord, Morvan le laisse s'occuper de ses abeilles, et son miel est délicieux."
Elle sourit.
" Anselme songeait à la prêtrise, le temple l'aurait formé... et sans doute finira-t-il par aller vivre chez une tante à la campagne, près de la forêt. Ce serait le mieux pour qu'il puisse développer ses habiletés. Il partira sans doute à l'été, si nous parvenons à convaincre son père. Mais c'est une lutte de chaque instant : Morvan est une vraie mère poule, dans son genre. Chaque départ est un déchirement. Edouard est à l'Ecole... Gregor est heureusement revenu du Temple... Et je pense que c'est lui qui restera, in fine."

Il se demandait bien comment un clerc de Kelemvor pourrait vivre pleinement son sacerdoce en pareil endroit. Certes, les DouceChute disposaient peut-être d'un cimetière privé en leur domaine ; certes, leurs fidèles serviteurs reposaient peut-être à leurs côtés. Mais cela faisait quand même peu d'inhumations...
-Écoute, si Anselme a besoin d'un maitre d'armes, si Morvan souhaite que je m'en occupe... Je le ferai. Je compte tout mettre en œuvre pour le satisfaire, pour avoir le droit de rester ici, avec toi.
Un ciseau à bois à la main, il s'était mis à tourner autour de la bûche, pour la scruter sous tous les angles possibles. Peut-être sa forme originelle lui inspirerait-elle quelque chose ? Sinon, et bien, il la modèlerait de-ci, de là, en espérant que l'illumination vienne.

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] Domaine des DouceChute