La Couronne de Cuivre

Ce matin-là, rien ne vint s'opposer à leur départ. Ils purent charger leurs bagages dans le coche et partirent dès que le petit déjeuner fut terminé. Moïra demeura invisible et un serveur informa Victor, qui posait la question, que la fille de l'aubergiste était indisposée et avait préféré rester couchée.
Ils se mirent donc en route sous un crachin glacé, les chevaux s'ébrouèrent et arrachèrent péniblement le coche à la fange des rues, jusqu'à ce qu'ils quittent Mildiou et regagnent une route un peu moins défoncée...

Quête : Mission pour la Dame

Face à eux, tranchant avec les paysages verts et bucoliques de la côte est, s'étendaient les hauts plateaux bordant les Montagnes de Fer. D'immenses steppes herbeuses à perte de vue, sans barrière ni clôture, sans arbre ni la moindre bâtisse à l'horizon. Le chemin se poursuivait droit vers l'ouest, s'enfonçant plus loin dans un vallon, reparaissant sur le coteau suivant, sinueux, boueux et rougeâtre. A l'exception d'un troupeau -peut-être de chevaux sauvages- dont ils devinaient la présence plus au sud, il semblait n'y avoir nulle âme qui vive.

Autant pour faire souffler leurs montures après la longue ascension qui leur avait demandé beaucoup d'efforts que pour profiter un moment de cette vue époustouflante, les rôdeurs démontèrent et laissèrent Eclair et Rousse brouter tranquillement. Le demi-elfe passa un bras sur les épaules de sa fiancée et poussa un long soupir de bien-être, savourant le vent léger charriant des odeurs naturelles. Il embrassa Sylvia dans le cou, sans un mot, son regard tourné vers l'horizon : il ne serait peut être pas facile de trouver des lieux de bivouac et du gibier dans ce paysage mais il n'en avait cure pour le moment.

Sylvia l'enlaça tendrement, posant la tête sur son épaule, et ils restèrent ainsi un moment, blottis l'un contre l'autre, à observer l'horizon. Leurs montures s'ébattaient librement, sans oser s'éloigner, peut-être impressionnées par cette vaste étendue dont elles n'avaient pas -ou plus- l'habitude.

A défaut d'humains, la nature fourmillait de vie animale : les chevaux dérangèrent un couple de perdrix qui s'envolèrent en piaillant de frustration, et ils aperçurent, peu après, la queue blanche d'un lapin qui fuyait au loin. L'endroit était sauvage, aussi sauvage, à sa manière, que la haute-Forêt : on n'y sentait aucune trace de présence humaine. A l'exception de la route de terre, sinueuse et accidentée, qui menait certainement quelque part... et qui, pour l'heure, allait dans la direction qu'ils comptaient suivre.

Ils finirent par reprendre leur route, remontant en selle. Leurs montures, surtout l'étalon de Kasumi, brûlaient visiblement d'envie de piquer un bon galop, et ils ne s'en privèrent pas.
Le soir les trouva à mille lieues, apparemment, de toute présence humaine, au coeur de prairies infinies, sans arbre, ni arbuste, à peine quelques buissons. Le soleil déclinant faisait paraître la terre encore plus rouge qu'elle ne l'était, et ses rayons faisaient briller de mille feux les sommets des Montagnes de Fer, au sudf, encore enneigés. Il y avait quelques ruisseaux, quelques trous d'eau même, et des oiseaux et du petit gibier à volonté. Ils avaient aperçu un groupe de chevaux sauvages un peu plus tôt, mais les bêtes avaient pris la fuite à leur approche.
Sylvia trouva quelques oeufs dont elle ferait des galettes, pour remplacer le pain dont ils manqueraient bientôt, et la soirée s'annonçait sous les meilleurs auspices : ils avaient la sensation grisante d'être seuls au monde.

Kasumi avait réuni un peu de bois prélevé dans les buissons secs alentours et il proposa de s'installer près d'un trou d'eau claire pour la nuit : ce soir, ils n'auraient pas besoin de chasser alors il se mit à réchauffer les restes de lièvre sur le petit feu qu'il avait allumé dans un creux du terrain : un réflexe pour ne pas être aperçu de loin, signe qu'il tenait à leur tranquillité et que se retrouver seul au monde avec Sylvia ne le dérangeait absolument pas, bien au contraire. Alors que Sylvia s'approchait après s'être occupé des chevaux, il lui adressa un clin d'œil et déclara d'un ton faussement sérieux :

- Il parait que les longues chevauchées font un peu mal aux fesses quand on n'y est pas habitué : j'espère que tu n'en souffres pas !

" Et bien, en fait... si !, avoua la rôdeuse avec une grimace. Je ne plaisante pas : j'ai les fesses talées et des courbatures aux cuisses. Et ce n'est pas juste un prétexte pour te demander un de ces massages dont tu as le secret..."
Elle l'embrassa légèrement sur la bouche avant de s'installer près de lui, et Kasumi nota qu'elle s'asseyait sur les talons et non sur le sol : ses douleurs n'étaient peut-être pas pure invention.
" Mais ça attendra la fin du repas : je meurs de faim ! Même le grain des chevaux me faisait envie, c'est dire ! Je ne pensais pas que chevaucher creusait autant l'appétit que marcher des heures en Haute-Forêt. Ou alors c'est le fumet du lièvre qui me met en appétit. Tu cuisines divinement bien... D'ailleurs, tiens, j'ai trouvé un peu de thym et de serpolet pour agrémenter un peu ton plat...", fit-elle en lui tendant un petit bouquet d'herbes. Les plateaux étaient en effet riches en plantes de toute sorte.

Kasumi confirma son impression en faisant la remarque que le grand air avait le don d'ouvrir l'appétit, un mal qu'il s'empresserait de traiter comme il se doit. D'ailleurs, il récupéra les herbes avec enthousiasme et reconnaissance pour assaisonner son plat tout simple mais à l'odeur alléchante.

L'état de Sylvia lui faisait pourtant de la peine et il se promit d'essayer de la soulager sitôt le repas terminé. Encore quelques jours de chevauchée et elle se serait habituée mais cette transition était douloureuse. Lui aussi était passé par là quelques années auparavant.

Sylvia se laissa masser et dorloter avec bonheur. Ils avaient un peu de baume pour les contusions et les douleurs musculaires, mais le simple fait de masser était en soi un soulagement. Bien sûr, le massage déboucha sur de tendres moments, et ils s'assoupirent tardivement, dans les bras l'un de l'autre, sous le ciel piqueté d'étoiles d'autant plus brillantes que la lune entrait tout juste dans son premier quartier.

La journée du lendemain fut d'une monotonie totale : ils suivirent la route rougeâtre vers l'ouest, à travers collines et vallons, au milieu de vastes prairies infinies. Le printemps avait fait éclore des milliers de fleurs, et le paysage était enchanteur sous le soleil.
Puis, en milieu d'après-midi, des nuages s'amoncelèrent au-dessus de leurs têtes et crevèrent peu après, alors qu'ils se trouvaient toujours au milieu de nulle part, sans le moindre abri en vue. Ils n'eurent d'autre choix que de poursuivre leur route. Tymora finit heureusement par les prendre en pitié : un peu avant le crépuscule, alors qu'ils étaient trempés comme des soupes, ils aperçurent, depuis le sommet de la colline qu'ils venaient d'atteindre, un petit bourg où s'achevait la route qu'ils suivaient depuis la veille. Quelques dizaines de maisons de brique et de torchis autour d'une place centrale et de sa fontaine, déserte sous la pluie battante.

La vision du petit hameau était une bénédiction étant donné l'averse qui les avait cueilli à froid et harcelé depuis des heures. Dans ces conditions, les rôdeurs ne se posèrent guère de question avant de se diriger vers le bourg et sa petite place centrale. Il y avait peu de chance qu'une telle bourgade dispose d'une auberge mais peut-être serait-il possible d'obtenir un hébergement pour eux et leurs montures dans une grange ou l'autre. Kasumi chercha donc à en repérer une parmi les quelques bâtisses les plus importantes.

Les granges ne manquaient pas, et, en cette saison, elles devaient être plus ou moins vides. Les écuries étaient tout aussi nombreuses, témoignant que l'élevage de chevaux était l'une des activités principale des lieux. Ils aperçurent également, en s'approchant, deux grands troupeaux de moutons et quelques vaches trapues à poils plus longs que de coutume, paissant tranquillement dans un grand pré au nord du village.
Personne ne sembla s'émouvoir de leur présence tandis qu'ils dépassaient les premières maisons du village. Les fumets s'échappant des maisons indiquaient qu'il était l'heure de dîner. Ils devinaient la lueur de bougies, entendaient des conversations, des cris, des rires. Un chien aboya, un juron le fit taire sans que personne ne se risque à l'extérieur pour voir ce qui motivait l'alerte du chien. S'ils voulaient un abri, il leur faudrait aller frapper quelque part, et ils avaient l'embarras du choix : les premières maisons du village étaient en effet des fermes, avec potager, poules en semi-liberté, grange attenante à l'habitation, et bien sûr écuries, indispensables pour tout habitant de la Trouée.

Kasumi choisit l'une des premières fermes comportant une écurie et - tandis que Sylvia l'attendait un peu en retrait - prit sur lui d'aller jusqu'à la porte d'entrée pour y frapper calmement. Si personne ne semblait vouloir répondre, il tenterait à nouveau sa chance auprès de l'habitation suivante.

" J'arrive !" grommela une voix sourde.
La porte s'ouvrit peu après, sur un homme à la carrure impressionnante -il devait faire près de deux mètres de haut.
" C'est pour quoi ?" fit-il d'un ton bourru en baissant les yeux sur le rôdeur.
Il réalisa alors qu'il avait affaire à un inconnu, et fronça les sourcils.
" Vous n'êtes pas d'ici... Vous cherchez quelqu'un en particulier, peut-être ? Un renseignement ?"
Derrière lui, Kasumi apercevait un couloir, et une forte odeur de soupe parvenait jusqu'au seuil.

Le rôdeur inclina poliment la tête tout en ne se dérobant pas face au colosse et répondit d'un ton poli :

- Je suis désolé de vous déranger à pareille heure mais nous sommes des voyageurs et nous cherchons un gîte pour nos montures pour la nuit. Je me demandais si vous pouviez nous indiquer une maison où l'on serait susceptible de le trouver.

Tout en parlant, il avait désigné sa compagne et leurs deux chevaux attendant sur le petit chemin de terre faisant office de rue au hameau.

" Oh... je vois... "
L'inconnu se gratta la tête.
" Belles bêtes que vous avez là, fit-il remarquer en lorgnant les chevaux. Un peu âgés, mais de bonnes races... Je devrais pouvoir leur trouver une place dans mon écurie. Votre étalon doit être un bon reproducteur, non ? J'avoue que je serais assez intéressé pour couvrir l'une de mes juments..."
Puis, s'avisant -enfin- que son interlocuteur était trempé, il s'exclama.
" Ah, mais entrez donc vous mettre à l'abri. Nous discuterons mieux ! Bon, je dois aussi pouvoir vous trouver une place dans la grange..."

Kasumi lui adressa un sourire reconnaissant mais, plutôt que de le suivre immédiatement, il fit signe à Sylvia de s'approcher à son tour pour se mettre à l'abri. Lui-même pourrait s'occuper d'amener les deux chevaux dans la grange avant de poursuivre plus avant la conversation.

- C'est vraiment très aimable à vous ! Est-ce que vous pouvez m'ouvrir la grange histoire que je mette les chevaux à l'abri et que je puisse retirer mes bottes sans salir votre intérieur ?

" Pour les chevaux, mettez-les donc dans l'écurie, tout de suite à gauche, là-bas, fit-il en montrant une porte du doigt. Ils trouveront des congénères, des abreuvoirs, ils y seront bien. Par contre, je préférerais que vous les enfermiez dans un box, si ce n'est pas trop demander. Il pourrait y avoir des histoires entre votre étalon et le mien : ces bêtes-là n'aiment pas trop la concurrence. Vous trouverez des boxes vides au fond, normalement. Et pour ce qui est de vos affaires... je vous proposerais bien un lit dans la maison mais je n'ai vraiment pas de place disponible, donc je préfère que vous vous appropriez la grange. C'est la porte juste après l'écurie. Méfiez-vous, il y a encore de la paille, aussi je vous serais reconnaissant de ne pas faire de feu.
- Ne vous en faites pas, nous n'en ferons pas, dit Sylvia qui s'était approchée.
- Vous pourrez faire sécher vos vêtements trempés dans la maison, intervint une voix féminine plus âgée. Mais entrez donc..."
Obéissant à l'injonction de l'imposante vieille femme aux cheveux gris qui venait d'apparaître -probablement la mère de l'homme à en juger par la ressemblance physique-, Sylvia lança un regard un peu désolé à Kasumi et passa le seuil de la porte, laissant au rôdeur le soin de s'occuper des montures.

Ces dispositions lui convenaient parfaitement mais, plutôt que d'épiloguer sous la pluie, il entreprit immédiatement de mettre les deux animaux à l'abri. Il choisirait de les séparer dans deux boxes différents s'il y en avait plusieurs de disponible, histoire d'éviter d'autres complications entre les deux reproducteurs. Et si Eclair se sentait d'attaque, mieux valait le ménager pour l'une des juments du fermier qui les accueillait. Après les avoir installé pour la nuit, il retira son manteau et sa tuniques trempés et entreprit de les bouchonner soigneusement avant de vérifier leurs pieds et leurs membres à la recherche de quelque chaleur révélatrice d'une inflammation.

Il trouva sans peine deux boxes séparés, dont le fond était constitué d'un abreuvoir commun à toutes les stalles de la rangée, donc déjà pleins d'eau.
L'examen des pieds ne livra rien d'inquiétant : leurs fers étaient de bonne qualité, solides et résistants, et protégeaient parfaitement leurs sabots. Mais il sentit sous ses doigts, lorsqu'il examina le mollet postérieur gauche de Rousse, la chaleur et le léger renflement indiquant un début d'inflammation. C'était un problème purement musculaire, une contracture sans doute, dû aux longs efforts dont la jument n'avait pas l'habitude. Il avait heureusement un baume efficace pour ce genre de petits désagrément, et la jument serait certainement en état de marcher sans problème le lendemain. Il leur faudrait simplement veiller à faire des pauses un peu plus souvent, le temps que son corps s'adapte à ce nouveau rythme, s'ils ne voulaient pas aggraver la contracture.
Il laissa bien sûr un peu de grain aux chevaux avant d'emmener leurs fontes dans la grange voisine. Celle-ci était déserte à l'exception de deux ballots de paille et d'un tas de bois soigneusement empilé contre un mur, mais il y avait une multitude de petits brins de paille et de débris de bois divers, inflammables, au sol. L'avertissement du fermier n'était pas dénué de fondement.

Il retrouva sa compagne dans la pièce principale de la maison, attablée devant un bol de soupe, au milieu d'une demi-douzaine d'enfants d'environ quatre à douze ans, tous des garçons. Elle faisait face à la vieille femme et à son fils, et un autre bol, à côté, attendait visiblement Kasumi.

Kasumi s'amusa de la vision de Sylvia littéralement entourée de marmots de tous les âges mais il ne manqua pas de remercier les deux adultes pour leur accueil et leur gentille attention. Après avoir été glacé sous la pluie, le réconfort d'un bol de soupe bien chaud était loin d'être anodin. Et, après y avoir trempé les lèvres et prélevé une gorgée, il ne manqua pas d'en vanter la qualité et les mérites.

Il se tourna ensuite vers le colosse pour répondre à sa requête :

- Eclair se fait un peu vieux et nous venons de l'acquérir auprès d'un éleveur de Lunaros. S'il est intéressé par une de vos juments en chaleur, je ne vois pas vraiment d'objection à laisser en sa compagnie. Mais Sylvia et moi voudrions reprendre la route dès demain. Cela dit, quelques heures de pause ne feraient pas de mal à Rousse.

" Il faudra de toute façon attendre demain matin pour les présenter l'un à l'autre, et leur laisser un peu de temps ensemble, si toutefois vous êtes d'accord. En espérant qu'il fasse beau, sinon ma Blanche ne voudra pas mettre le nez dehors. Enfin, nous verrons bien.
- Bah, nous ne sommes pas à une heure ou deux près, intervint Sylvia.
- Mais laisse-les donc manger tranquillement ! Ils doivent être frigorifiés ! Vous avez tout intérêt à laisser ici vos vêtements trempés, près de la cheminée, même les chausses, si vous voulez les récupérer secs demain matin. Ils ne sécheront pas dans la grange..."
Sylvia, du reste, avait déjà posé son manteau sur le dossier d'une chaise, près du foyer.
" Et dites-nous donc, si ce n'est pas indiscret, qu'est-ce qui vous amène par ici ? Et qui donc vous a vendu des montures aussi... âgées, à Lunaros ? Enfin, sans vouloir vous vexer ou vous décevoir... c'est une bonne race, mais ils ne sont plus touts jeunes J'espère qu'il ne vous a pas roulés en les faisant passer pour jeunes et fringantes ?"

Kasumi s'empressa de rassurer le fermier sur ce dernier point et entreprit de répondre à sa question somme toute bien naturelle :

- L'éleveur n'a pas cherché à nous tromper mais je dois bien reconnaître que nous n'avions pas les moyens pour nous payer de fringants jeunes chevaux : ma fiancée et moi revenons d'un long voyage de l'autre côté de l'océan et nous avions simplement besoin d'un bon moyen de transport pour gagner les environs de Luménis. Nous avons choisi de traverser votre belle région pour nous y rendre.

Il hésitait à donner le nom de celui qui leur avait vendu les chevaux, de crainte qu'il n'ait été sérieux concernant la perte de réputation que ça pourrait lui occasionner.

Le fermier, du reste, ne l'interrogea pas davantage à ce sujet. Peut-être tout simplement parce qu'il n'en eût pas le temps : l'aîné des enfants embraya aussitôt, l'air stupéfait :
" Vous venez de l'autre côté de l'océan ? De Féérune ?
- Oui, acquiesça Sylvia avec un sourire.
- Où, sur Féérune?
- De Haute Forêt... Et mon ami vient d'Everaska.
- Ca, c'est une ville d'elfe, s'exclama le cadet, fier d'étaler son savoir. Mais la Haute-Forêt... c'est une forêt j'imagine ? C'est où ?
- Et bien... pas très loin d'Everaska.
- Et pourquoi vous êtes venus là ?
- Les enfants, voyons, ne soyez pas si indiscrets, intervint leur grand-mère.

Le demi-elfe leva une main apaisante pour faire signe à la grand-mère que la question ne le gênait pas du tout. Il répondit aussitôt après :

- En fait, c’est ma famille qui vient d’Everaska : moi je vis depuis près de deux ans dans les environs de Luménis. Sylvia et moi somme revenu pour y accomplir une mission confiée par un sylvanien. Cela vous intéresserait que je vous raconte cette histoire ? Enfin, si votre grand-mère est d’accord !

" Oh oui !
- C'est quoi un sylvanien ?
- Un arbre qui parle.
- Ca existe pas !
- Siiii, ça exiiiste !
- Bon, si vous voulez entendre l'histoire, il faudrait peut-être vous calmer un peu ? suggéra la grand-mère.
Et le silence se fit aussitôt.

Kasumi n'était peut-être pas un orateur né mais il savait tout de même trouver les mots pour captiver les jeunes auditoires. Et puisque que son public était somme tout disparate, il chercha à adapter son discours pour qu'il y ait suffisamment d'action pour intéresser les plus âgés d'entre eux mais sans pour autant rebuter les plus jeune enfants qui aspiraient sans doute à davantage de féérie. C'est pourquoi il avait choisi l'histoire de Celd et comment il commença à planter le décor :

- Il existe une forêt magique et magnifique défendue par un vénérable sylvanien millénaire mais qui est cernée de toute part par un marais sombre où s'ébattent des serpents géants et une forêt hantée par les fantômes et les ombres...

Pour ne pas faire peur aux plus jeunes, il enchaîna très vite sur la description du bosquet et des créatures bénéfiques qui y prospéraient, sur la lutte qu'ils menaient vaillamment contre les créatures de l'ombre, sur la force sacrée de tous les arbres et en particulier des grands chênes. Il raconta comment un petit groupe de rôdeurs et de magiciens avaient réussi à gagner cette contrée fantastique en échappant à toute sorte de créatures hostiles. Comment ces rôdeurs s'étaient vu confié une mission de confiance pour faire pousser un grand arbre qui atteindrait les cieux au sein même de la terrible Forêt Maudite. Il savait manier la vérité en y mêlant un côté épique et parfois mystique et s'adaptait aux réactions de son public, se ménageant des courtes pauses pour finir sa soupe mais aussi pour leur faire reprendre leur souffle. Il conclut finalement son récit en signalant que le grand chêne n'était aujourd'hui qu'un gland plein de potentiel qui pourraient un jour éclore, grandir et devenir magnifique, comme des enfants.

L'histoire avait produit son petit effet -surtout sur les plus jeunes, les plus grands affichant un air plus blasé-, et les enfants exigèrent de voir le gland en question.
" Bah, c'est juste un gland normal, fit remarquer l'un d'eux, déçu.
- Oui, un gland de chêne, quoi ! Ça fera pas un arbre géant ! Juste un chêne !
- Mais il a dit que c'était un chêne magique !
- Un chêne sacré, corrigea la grand-mère. Devant lequel pourraient se recueillir des clercs ou des druides, par exemple, là où ils viendraient recevoir leurs pouvoirs...
- Ah...
- Et sans doute avec une dryade...
- Ooooh !
Mais il était tard, et les plus jeunes semblaient peiner à garder les yeux ouverts, aussi leur père se leva-t-il.
" Il est temps d'aller dormir... Enfin, pas les adultes bien sûr ! J'ai une bonne eau-de-vie de poire, si cela vous tente... mais une fois les gosses couchés."
Sylvia semblait presque aussi fatiguée que les enfants, mais elle s'efforçait de le cacher de son mieux.

Kasumi ne pouvait décemment refuser l'invitation mais il ressentait lui aussi la fatigue consécutive à une journée passée au grand air dont une partie significative sous une pluie glacée. Il décida donc diplomatiquement de couper la poire en deux :

- J'accepterai volontiers un petit verre. Mais juste un seul : nous avons fait une longue route et il nous en reste encore plus pour les prochains jours.

" Je vais me charger de coucher les enfants, intervint la grand-mère. Vous pouvez déguster la poire pendant ce temps..."
Le fermier ne protesta pas et se dirigea vers l'armoire la plus proche, dont il sortit le breuvage et deux petits verres, tandis que les enfants s'égaillaient vers les chambres. La maison étant construite de plein-pied, celles-ci se trouvaient juste un peu plus loin dans le couloir.
" J'oubliais... N'hésitez pas à prendre de l'eau, ce soir ou demain matin. Le puits est dans la cour et il y a des seaux. Mais pour le moment, ce n'est pas d'eau qu'il s'agit ! Trinquons... à la suite de votre voyage ?"

Kasumi adressa un sourire au fermier et leva son verre pour trinquer à son tour de bon cœur :

- A nos bonnes rencontres ! Puissent-elles être toujours aussi agréables et mutuellement fructueuses !

Il attendit que son hôte boive le premier pour goûter le breuvage fort mais fruité puis le complimenta avec sincérité. Il ne lui en faudrait pas plus d'un verre sous peine de sombrer, la fatigue aidant.

La veillée ne se prolongea pas : le fermier était lui aussi fatigué par sa journée, et devait se lever aux aurores le lendemain.
Ils convinrent qu'ils sortiraient Eclair avant d'aller déjeuner et le laisseraient s'ébattre librement dans l'un des prés avec la jument en question, pendant une heure ou deux. Si les deux bêtes se plaisaient, l'affaire devait être rondement menée et le fermier jugeait que cela compenserait amplement le repas et la nuit... et dans le cas contraire, au moins auraient-ils essayé.
La grand-mère ne se joignit pas à eux, sans doute fatiguée elle aussi. Et le fermier ne chercha pas à les retenir plus longtemps que de raison.
Dehors, la pluie tombait toujours à verse, et c'est en courant qu'ils rejoignirent l'abri de la grange, ayant laissé leurs manteaux sécher à l'intérieur de la salle à manger.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les hauts plateaux

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 6.