La Couronne de Cuivre

Le barde grimaça.
-Oh, je n'étais pas Morféen ! Les dieux m'en préservent, non...
Il s'interrompit, songeant aux propos d'Emeraude quant à l'amnistie qu'elle pensait nécessaire, la fuite de beaucoup de gens lorsqu'il avait été possible de quitter Luménis. Certaines de ses connaissances, peut-être même certains de ses collègues, avaient pu servir la dictature...
-Je ne juge pas ceux qui ont suivi Nwalk... murmura-t-il. Je serai mal placé pour le faire, d'autant qu'il m'a trompé, moi aussi, en quelque sorte... Nous étions tous deux dans le groupe de réfugiés qui a gagné Luménis avant que tout n'éclate. J'aurais dû me méfier de lui, mais j'espérais que sous ses dehors sinistres...
Il soupira.
-Enfin bref, là n'est pas la question. J'étais du côté de la Résistance. Ou, pour être tout à fait honnête... De mon côté à moi. Nous avions juste un ennemi commun.

" Je ne vous accusais pas d'être morféen..." fit-elle. " Mais je craignais davantage que Maelwedd ne vous recrute. Même si je ne vois pas bien à quoi il pourrait vous employer... Ce n'est pas exactement quelqu'un qui fait dans la dentelle..."
Elle sourit.
" Je sers sous ses ordres, comme nous tous, à la garnison. Je ne le connais pas bien, mais je le connais un peu, fatalement."
Elle se pencha en avant.
" Ne répétez pas ceci à n'importe qui. La loyauté est chose cruciale parmi les militaires. D'aucun vous dénonceront aux autorités en son nom."

-Peut-être est-ce ce que je recherche, inconsciemment... Ne plus avoir le choix, ne plus avoir à tergiverser, juste affronter ce qui m'attend...
Il grimaça. Oui, en cet instant, il aurait préféré être embarqué sur une vois sans bifurcation possible. Mais il lui suffisait de songer à l'impuissance à laquelle il avait souvent été réduit par le passé pour frémir. Comprendre que ça, c'était le pire. de loin.
-Pardonnez-moi... murmura-t-il. Je suis fatigué, et, je crois, encore sous le choc de ce qui s'est produit. Avoir le petit avec moi est une force, dans la mesure où ça m'oblige à tenir bond, à faire face, à ne pas baisser les bras;.. A ne pas penser qu'à moi-même. Mais c'est une faiblesse, aussi. Surtout parce que j'ai une conscience trop aiguë de mon incapacité à le protéger efficacement. Si j'avais réfléchi davantage, prèès du camp des mercenaires, si j'avais mieux pesé les conséquences de mes actes, Victor ne serait pas défiguré et son esprit ne battrait pas la campagne... Or, vous pouvez m'en croire, je ne veux certainement pas le voir souffrir... Je voudrais juste qu'il soit en sécurité, heureux, et... Cela, je doute de jamais pouvoir lui l'offrir.

" Vous savez, protéger quelqu'un, ce n'est pas seulement lui faire rempart de son corps. C'est aussi être là dans les moments difficiles et le soutenir... Vous n'êtes pas de taille contre une demi-douzaine de mercenaires, soit, vous ne devriez pas vous en vouloir. Le monde dans lequel nous évoluons est dangereux. Et nous ne savons pas ce qu'il serait advenu de Victor sans votre intervention. Il est désormais vivant, et vous l'avez protégé, nous l'avons protégé ensemble. Agir de concert est devenu la seule manière de résister, je suppose. Si vous partez sauver votre compagne, vous aurez également besoin d'aide, immanquablement. C'est ainsi que vont les choses. Vous ne devriez pas vous en vouloir d'avoir essayé... D'autres auraient tourné les talons et sauvé leur propre peau. Je suis certaine que vous avez en vous de quoi rendre Victor heureux et de lui offrir une sécurité affective, à défaut qu'une sécurité physique à tout moment. C'est déjà inestimable."

-Vous avez sans doute raison... répondit-il sans parvenir à cacher complètement ses doutes.
Que vaudrait cette potentielle sécurité affective lorsque, pour aller sauver Galathée, il laisserait Victor en arrière ? Le gamin vivrait sans doute cela comme une trahison, un abandon... Et il le comprendrait. L'attente... Qui avait-il de pire que l'attente, quand on ne peut savoir ce qu'il advient de ses proches, qu'on peut seulement prier pour leur retour ?
Quant à l'aide nécessaire à la suite de son périple... Il en avait besoin, c'était indéniable. Tout comme était indéniable un pénible constat : cette aide était inaccessible. Les autorités luméniennes ? Elles représentaient plus un danger qu'autre chose, surtout avec le départ de Megrall. D'anciens compagnons d'aventure, comme Kasumi, Astrée ? Ils accepteraient peut-être de lui prêter main forte, à condition qu'il les trompe. Qu'il taise ce qui avait motivé l'acte de Kanter... Et il était hors de question qu'il agisse ainsi.
Il y avait toujours la possibilité de recruter des mercenaires. Mais avec quel argent ? Il n'allait tout de même pas devenir un bandit de grand chemin...
Il se massa le front. Se contraint à sourire.
-Quoi qu'il en soit, j'ai encore du temps pour réfléchir. Une demi-veille au moins, peut-être une entière, selon l'état de Victor. Qui sait ? Je trouverais peut-être l'illumination... Merci de m'avoir écouté, en tout cas. Je suis un peu désolé pour ce déballage impromptu, mais...

" Ne le soyez pas." fit Emeraude. " Vous avez l'air de quelqu'un qui n'a pas pu profiter d'une telle écoute depuis longtemps."
La vieille femme se leva pour aller leur chercher de quoi manger. Elle ramena à nouveau un ragoût d'aspect peu appétissant, mais qui se révéla nourrissant à défaut d'être de la haute cuisine. La salle s'était remplie de soldats à la mine rude, odeur de cheval en prime.
" Mais n'hésitez pas, si vous pensez avoir besoin de mon aide pour une quelconque couverture vers Luménis. Mon métier me renverra de toute façon dans un coche, anonyme, d'ici quelques jours. Je peux jouer la grand-mère de Victor, si cela vous arrange. Je suis assez libre de choisir mes déguisements."

Taliesin hocha la tête.
-Merci pour votre offre. Il n'est pas impossible que je vous demande de l'aide, oui, ne serait-ce que pour nous conseiller quant à des déguisements... Ou pour plus encore. Mais il faut que j'y réfléchisse, que mes idées se clarifient un peu. Je gage que quelques nuits de repos et le rétablissement progressif de Victor m'aideront à être plus serein et... plus lucide.

" J'en suis certaine. Prenez votre temps."
Elle sourit, et son regard passa derrière l'elfe, comme quelqu'un s'approchait.
" Bon, ce vin ? Je dois reprendre la route demain, et je ne pars pas sans y avoir goûté." grommela Hugo en se glissant à table.
Son faucon dormait sur son épaule, mais ouvrit un oeil jaune et inquisiteur, une seconde, au moment où son propriétaire posait les coudes sur la table.

Cette fois, le sourire dont se fendit l'elfe était sincère et plutôt amusé.
-Et bien... J'ai retrouvé la bouteille, et je suis tout prêt à la partager avec vous. Je m'interroge cependant sur le lieu le plus adapté à ces libations improvisées. Je veux bien amener le vin ici, mais... Ne craignez-vous pas qu'il suscite la convoitise de vos pairs et, qu'à force de partage, il ne nous reste plus à boire, que quelques goutelettes au fond de nos verres ?

" Ces rustres ? Vous les surestimez ! Ils ne sauraient pas faire la différence entre ce vin et de la pisse de jument. Ils ne jurent que par le houblon." railla Hugo.
" Moins fort..." murmura Emeraude en regardant autour d'eux.
Mais les soldats mangeaient en conversant, dans un brouhaha protecteur : aucun n'avait saisi les paroles du rôdeur.
" Emballez votre bouteille dans une vieille chemise et personne n'y verra que du feu. Ne cherchez pas d'excuses. Je ne pars pas sans l'avoir goûté, même si je dois aller vous cambrioler dans la nuit."

L'elfe se leva.
-Oh, vous n'aurez pas besoin d'en venir à de telles extrémités. Comme je le disais, c'est bien volontiers que je la partagerai avec vous. Tout ce que je demande, c'est que nous en laissions un peu pour le gosse. Vous allez peut-être me trouver bizarre - ou irresponsable, mais vu la manière dont j'ai obtenu cette bouteille, je tiens à ce qu'il y goûte.
Puis il s'en fut d'un bon pas, regagnant la petite chambre qu'on lui avait prêtée. Il y prendrait le cru elfique... ainsi que sa pipe et sa tabatière. Il avait trouvé du bon tabac, à Loth Imarhil, et n'avait encore pu y toucher. C'était une bonne occasion de remédier à ce manquement, non ?

Le vin s'avéra aussi bon que prévu, le tabac délectable et la compagnie des plus agréables. Ils ne revinrent pas sur les sujets difficiles qui les avaient amenés à se rencontrer, cuisinèrent Taliesin sur Loth Imharil (Hugo n'y avait jamais été et connaissait un nombre impressionnant de rumeurs concernant la cité elfique, toutes plus farfelues les unes que les autres), racontèrent quelques mauvaises blagues sur les elfes (et sur les nains, les halfelins, les humains et les demi-orques) puis discutèrent de l'hiver, des routes, des loups, des sangliers et de la grippe.
Le vin était bon. Et il était corsé. Il était tard lorsqu'Emeraude se releva et tenta, difficilement, de gagner la sortie. Le rôdeur se porta à son secours, avec son gabarit, il tenait mieux l'alcool, et s'excusa auprès du barde : l'espionne avait besoin d'un chaperon pour la ramener à sa chambre. Il lui promit cependant de redescendre vérifier qu'il avait lui-même réussi à quitter le réfectoire sans s'effondrer.

Il réussit. Parvint même à regagner sa chambre sans trébucher dans l'escalier. Peut-être avait-il moins bu qu'Emeraude - il en doutait, pourtant -, peut-être les elfes étaient-ils plus résistants que les humains face à leurs propres productions... Quoi qu'il en soit, Taliesin n'était pas ivre mort, et veilla à ranger soigneusement pipe, tabatière et bouteille - ainsi que le peu qu'elle contenait encore - avant de se glisser dans son lit.
Il n'était pas ivre mort, mais bien euphorique, tout de même. Il se fit la réflexion que, contrairement au soir précédent, le sommeil ne devraient pas trop se laisser désirer avant de l'emporter...

Rien de notable ne se produisit les jours suivants. Hugo était reparti dans les steppes avec pour seuls compagnons son cheval et son faucon, Emeraude avait été rattrapée par ses prérogatives et Victor reprenait du poil de la bête. Dès le lendemain, il avait demandé à se lever, avait fait quelques pas, puis quelques bonds, et s'était ensuite effondré dans son lit où il avait dormi comme un bienheureux. Son état n'étant plus préoccupant, il avait été transféré dans la chambre de l'officier où logeait Taliesin, sur un matelas militaire dur comme une galette, mais l'elfe lui avait bien évidemment cédé le sien. La mémoire des derniers mois lui était revenue petit à petit, leur enlèvement par Kanter, le temple d'Ithilion, le pénitencier, la disparition de Galathée, Loth Imharil, les routes de la Trouée. Il avait par contre perdu tout souvenir des dernières heures avant l'accident et semblait sincèrement persuadé, démontrant d'ailleurs un certain flegme quand il l'évoquait, que ses brûlures étaient le résultat de l'incendie qui avait autrefois ravagé le quartier ouest de Luménis, et dans lequel il avait failli trouver la mort. Il n'en avait en tout cas ni honte, ni peine.
Au sein du fort, le barde et l'enfant jouissaient d'une semi-liberté et le temps commença doucement à leur paraître long.

Le rétablissement progressif de Victor avait mis un peu de baume au cœur du barde, même si la vision des brûlures du gamin le mettait toujours mal à laise et si, surtout, la suite du périple et les questions qu'elle suscitait le tourmentaient toujours. L'illumination à laquelle il n'avait jamais cru n'était évidemment pas venue, et il avait fini par se résoudre à envisager les choses étape par étape, la première étant leur voyage jusqu'à Luménis. Se faire passer pour morts, lui ou le petit garçon, lui paraissait aléatoire, à cause des nombreux témoins qui les avaient vus bel et bien vivants. La meilleur solution lui semblait donc être de se déguiser tout en recourant aux moyens de transports relativement sûrs évoqués par Emeraude. Il espérait d'ailleurs avoir l'opportunité de mettre tout cela au point avec la vieille femme, dès que celle-ci aurait un moment à leur consacrer.

Lorsqu'il apparut que plus rien ne devait vraiment les retenir, Taliesin n'eut pas de problèmes à coincer Emeraude entre deux portes. Elle les invita à la rejoindre dans le réfectoire entre deux services, pour discuter de leurs projets.
Au dehors, le printemps approchait doucement, sous forme de pluies diluviennes entrecoupées de gel nocturne. Le ciel avait du mal à se décider et les chevaux rentraient éternellement crottés, leurs cavaliers juste un peu moins.

Songeant qu'ils partageraient bientôt le sort des montures et de leurs cavaliers - même s'ils prenaient un coche, leur état après une journée de course sur les routes détrempées ne serait guère reluisant - Taliesin entraîna Victor vers le lieu du rendez-vous. Il ne voyait aucune raison d'écarter l'enfant des préparatifs du voyage, d'autant qu'il devait avoir son mot à dire sur le déguisement dont il écoperait : il était le mieux à même d'évoquer les rôles qu'il se sentait capable de jouer et ceux, au contraire, qu'il refuserait d'endosser...

Comme annoncé, Emeraude les attendait dans un coin du réfectoire, non loin de l'âtre. Ils n'étaient pas parfaitement seuls, des gardes y traînaient jour et nuit, pendant leurs heures de relâche, mais ils seraient tranquilles et à l'abri des oreilles mal intentionnées. La vieille femme leur avait fait porter une collation : quelques brioches nappées de sucre, un thé odorant, et elle leur sourit en les voyant approcher. Victor s'installa à côté d'elle, souriant. Il avait accepté sans sourciller le fait qu'elle soit différente de ce qu'elle avait été avant l'accident. Comme il l'avait répété à Taliesin, il avait toujours été persuadé qu'elle n'était pas exactement ce qu'elle prétendait être.

-Je crois qu'est venu pour nous le moment de reprendre la route... fit l'elfe après avoir englouti une brioche et vidé sa première tasse de thé. Et comme nous faire passer pour défunts me semble ardu, je me dis qu'il vaut mieux aller au plus simple, à savoir nous déguiser... Je ne suis pas sûr que nous arriverons à être aussi convainquants que vous, même sous des orpieaux exotiques, mais avec vos conseils, nous devrions parvenir à être crédible durant les quelques jours de voyage...

" Honnêtement, vous devriez me laisser voyager avec vous. Je m'occuperai de Victor, il peut aisément passer pour mon petit fils, et vous ferez mine d'être seul. En changeant votre style vestimentaire, en adoptant l'attitude hautaine de vos semblables, vous serez méconnaissable. Vous enlaidir un poil ne serait pas du luxe. Pardonnez-moi de vous le dire crûment, mais vous attirez les regards, immanquablement. Vous devriez apprendre à être snob et taciturne. Ce pauvre Hans était doué en la matière."

La mention du défunt marchand - s'il était bien ce qu'il avait prétendu être - lui arracha une grimace. Il fit cependant en sorte de chasser cette pensée et de se concentrer.
-Je rechigne à vous laisser nous accompagner : vous avez sans doute mieux à faire, d'autres gens à protéger. Mais... Je ne suis pas vraiment en positioo de refuser votre aide.
Il se carra sur son siège.
-Bon, et pour jouer les arrogants, ça ira, je crois. J'ai côtoyé assez de mes pairs pour savoir comment la plupart d'entre eux se comportent... Pour l'enlaidissement, et bien;.. Je m'en remets à vous.

Emeraude sourit.
" Vous devriez déjà chasser le souci de vos yeux et l'amabilité de votre moue. Soyez plus dur, imaginez que vous êtes de mauvaise humeur. Froncez les sourcils plus volontiers. Pincez les lèvres, croisez les bras. Cela jouera déjà beaucoup en votre défaveur. Les gens n'auront pas envie de vous regarder. Ils vous trouveront trop désagréable, et c'est ce que vous voulez."
Elle secoua la tête.
" Avec un peu de maquillage subtil, je changerai les lignes de votre visage. Vous vieillir un peu, acérer la ligne de votre mâchoire pour la rendre plus sèche... Je ne vais pas vous mettre une couche de boue sur le visage, cela ne cadrera pas avec votre personnage. Cependant, nous allons vous foncer les cheveux. A peine. Vous pourriez même aimer !"
Victor avait peine à réprimer son hilarité.
" Et toi, mon grand, tu vas devenir roux."
" Roux ?"
" Roux."
" Comme un renard ?"
" Oui."
" Ça me va !"

Le barde leva les yeux au ciel à la mention de la teinture qu'il lui faudrait subir. Puis il secoua la tête et, imperceptiblement, adopta les manières décrites par Emeraude. Il était barde, après tout, même si sa spécialité n'était certainement pas le théâtre. Et il était tellement habitué à jouer la comédie depuis des mois, sinon des années, que cela ne devrait pas être trop dur. Bien que, d'ordinaire, il le fasse en sens inverse, pour se montrer plus jovial et joyeux qu'il ne l'était au fond de lui.
-Soit, lâcha-t-il, le ton hautain et vaguement précieux. L'on m'avait prévenu que le séjour parmi les humains n'était pas une sinécure, et je l'expérimente chaque jour un peu plus. Mais enfin, sans doute faut-il passer par là pour goûter davantage la supériorité - et la compagnie - de ma race.

Victor lui tira la langue et Emeraude sourit.
" Votre grâce, il va quand même vous falloir faire quelques emplettes. Avec vos oripeaux grisâtres, votre mise trahit votre discours."
" Il doit rester des choses dans nos sacs. Borgporkniel nous avait donné des tenues..."
" Alors allez les chercher et nous les ferons préparer. Mais pas toi, Dylan."
" Dylan ?!"
" C'est un prénom typique de la Trouée. Il t'ira très bien."
" Mouais."
Elle lui ébouriffa les cheveux.
" Ensuite, nous passerons chez le coiffeur."

Le barde se leva.
-Je crains que ce que nous avait prêté cet aubergiste minable ne soit pas assez ostentatoire à mon goût, mais il doit me rester quelque piécettes pour acquérir autre chose, le cas échéant. Nul doute qu'elles satisferont amplement les rustres qui vous servent de tailleurs. Lesquels devraient d'ailleurs être heureux de travailler gracieusement pour moi. Pourtant, il est notoire que l'avidité humaine vaut presque celle des nains...
Puis, menton haut et pas dansant, il se mit en devoir de regagner leur chambre pour y prendre les effets susmentionnés.

Quand Taliesin revint, Emeraude et Victor n'avaient pas bougé et conversaient tranquillement devant leur thé. A l'approche de l'elfe, ils se turent et le regardèrent approcher, le sourire aux lèvres. Victor était même proche de l'éclat de rire.
" Deux choses." fit Emeraude en les regardant. " D'abord, Dylan, tu vas devoir faire un effort pour ne pas te moquer de Sire Courtetige. Sinon, il pourrait se vexer."
" Oui, mamy !" fit l'enfant, apparemment très fier du nom qu'ils avaient trouvé à leur seigneur de pacotille.
" Quant à vous, Seigneur Courtetige, faites attention aux hommes de Rohan. Ils sont rustres et sauvages, aux antipodes de ce à quoi vous êtes accoutumé. Mais ils savent se battre et ont un sens de l'honneur des plus aigus. S'ils se sentent insultés, vous finirez dans la boue."

L'elfe posa le sac contenant leurs affaires et croisa les bras.
-Il est hors de question - vous m'entendez ? - HORS DE QUESTION que je tolère vos moqueries quant à cet auguste patronyme dont les origines remontent au-delà des siècles et se réfère à la jeunesse du monde, alors que tout n'était que bourgeons, arbrisseaux et boutons de rose ! Il renvoie au printemps, aux cycles de la nature... Mais sans doute ne pouvez-vous pas comprendre.
Il se tourna vers Victor, jouant le courroux.
-Tu me paieras ça, morveux. Tu me le paieras très cher. Je ne sais pas encore quelle forme prendra ma vengeance, mais... je trouverai.

Victor se fendit d'un sourire désarmant.
" Mamy ? Mamy, y'a le monsieur bizarre avec ses oreilles pointues qui m'ennuie. Tu peux pas lui dire d'arrêter, dis, Mamy ? Il essaie de me faire peur, mais maigrichon comme il est, j'pense que je pourrais souffler d'ssus et ça suffirait pour qu'il se calme... Je peux ? Dis, Mamy ?"
" Lathandre m'en soit témoin, vous allez me faire regretter de vous avoir offert mes services." soupira la vieille femme, les yeux au plafond.

-Allons, voyez le bon côté des choses : personne, jamais, ne pourra se douter que nous nous aimons bien. Enfin, que nous nous aimions bien avant...
Il reprit son sac.
-Que diriez-vous d'aller sans tarder chez le coiffeur ? J'ai hâte de voir Dylan arborer sa crinière rousse. Ce sera ravissant !

Emeraude les entraîna donc vers une des salles d'eau de l'édifice, située à l'étage des officiers. Elle les fit asseoir sur des tabourets, leur entoura le cou de grandes serviettes rugueuses, puis s'éclipsa pour aller chercher son matériel, les laissant en tête à tête.
" Roux, ça va m'aller super bien." déclara Victor. " C'est très à la mode. J'aurai l'air adorable. Toi, tu auras juste l'air pédant."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Rohan

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