La Couronne de Cuivre

Le compagnon d'Aleka se dirigea vers la bibliothèque du capitaine et consulta la tranche des livres pour en appréhender les titres, visiblement à la recherche d'une activité pour tuer le temps. Il se tourna tout de même vers Alchem pour déclarer d'un ton sincère :

- En tous cas, c'est vraiment une bénédiction de pouvoir compter sur quelqu'un comme vous. Je préfère ne pas imaginer ce qui se serait passé dans le mausolée si vous n'aviez pas été là. Aleka a eu raison de vous faire confiance. Et ce dès le début. Je dois reconnaître, pour être honnête, que moi j'avais des doutes. Enfin, jusqu'à l'ours.

« C’est normal d’avoir des doutes. J’espère qu’Aleka n’accorde pas si vite sa confiance à tout le monde. »

Alchem tourna la tête vers Théodore.

« Vous et votre femme m’avez évité une triste fin face à la liche. Je ne crois pas vous avoir remercier pour ça. Mais bon, sans doute est-il préférable d’attendre. Cette histoire n’est pas terminée. J’espère qu’elle le sera une fois à Lumenis. Le Despote n’est pas le premier adversaire redoutable que je croise. Mais l’Eclat est de loin l’objet le plus malfaisant que j’ai eu en main. »

L'homme se contenta de hocher la tête. Il tenait un ouvrage entre ses doigts. Pas très épais et apparemment plutôt récent.

- Oh, s'il y a une chose que vous devez savoir sur les Lathandrites, c'est qu'ils sont très confiants. Aleka pas plus qu'une autre, j'imagine. Mais elle se trompe rarement sur le caractère des gens et une fois encore elle avait raison. Mais ne lui répétez surtout pas que j'ai dit ça !

Il ouvrit distraitement le livre à la première page avant d'ajouter d'un ton plus grave :

- Vous n'avez pas à nous remercier : c'est l'usage dans notre groupe de faire au mieux pour aider nos compagnons. Nous aussi, nous avons parfois eu affaire à des objets maudits et même un ou deux adversaires coriaces mais aucun de ce niveau de malfaisance, non. Espérons que les luméniens trouveront à éliminer la menace.

Alchem acquiesça et se replongea dans la contemplation de la mer. L’une de ses mains alla s’enfouir dans sa poche enchantée. Il la trouva sans surprise plus spacieuse qu’elle ne l’aurait dû. Dalius y était blotti. Il le caressa et le rat, taquin, lui attrapa les doigts. Voilà un peu de tendresse cachée.

Le silence s'installa alors que Théodore prenait place sur un siège pour commencer à feuilleter la livre qu'il s'était dégotté. Il fut cependant rapidement troublé par le retour d'Aleka. La prêtresse emblait passablement éprouvée par sa confrontation avec le capitaine et déclara d'un ton las :

- Le moins qu'on puisse dire est que le capitaine n'était pas ravi de transporter un objet dangereux à son bord sans avoir été mis au courant. J'aurais dû m'en douter...

« Si vous ne l’avez pas déjà fait, il faudra préciser au capitaine que nous allons essayer de nous téléporter chaque jour. Cela devrait un peu le rassurer. »

Alchem se décrocha du spectacle offert par les fenêtres afin de faire face à la prêtresse.

« Qu’à-t-il dit, mis à part qu’il n’était pas contant ? »

Aleka dut baisser les yeux pour regarder en face son interlocuteur mais elle déclara avec davantage d’enthousiasme :

- Je vais vous passer les détails sur le fait qu’il y réfléchira désormais à deux fois avant d’accueillir l’un des nôtres à son bord. Je crois que ce qui vous intéresse est qu’il va mettre à notre disposition un compartiment sécurisé situé dans les cales. Il ferme avec une clé dont lui seul et son second possèdent un exemplaire. Il nous en confiera donc une et gardera l’autre. Nous pouvons nous y rendre dès que nous le souhaitons.

Ha... C’était mieux que ce à quoi s’attendait Alchem. Il s’imaginait déjà le capitaine ne voulant même pas entendre parler de cette affaire. Un compartiment sécurisé ? Deux clés ? C’était une de trop mais le gnome n’allait pas se plaindre.

« Allons-y tout de suite. »

Le capitaine les attendait en fait dans la coursive et semblait passablement maussade. Loin de se sentir gêné de pouvoir être accusé d'écouter aux portes, il les invita plutôt sèchement à le suivre.

Le groupe traversa le pont et gagna une échelle menant à la cale au milieu du pont du galion. Certains des marins leur adressèrent un regard mais retournèrent bien vite à leur travail sans davantage leur accorder d'attention. Le gnome eut droit à une visite accélérée du quartier des marins de rang, des réserves de vivres puis de l'armurerie. C'est au fond de cette dernière que le capitaine les mena. Une alcôve protégée par un panneau de bois renforcé et un verrou de très bonne facture abritait un coffre lui aussi verrouillé. A l'intérieur se trouvait une quantité de joyaux et de numéraires qui auraient fait pâlir d'envie un nain.

« Joli », commenta Alchem, à la vue des joyaux.

Mais il avait revêtu, une fois de plus, son manteau d’impassibilité, rendant le mot presque transparent. Il examina le coffre, les serrures, le panneau, et jugea le tout satisfaisant.

« Bon, ça devrait aller. »

Hélas, il ne pouvait lancer un sort d’alarme ici. La zone d’effet du sortilège était trop vaste, la surveillance ne serait pas pertinente. C’était le seul regret, cela et la clé de trop. Le gnome se tourna vers le capitaine.

« Personne n’est sensé traîner longtemps dans l’armurerie, n’est-ce pas ? »

Le capitaine se contenta de hocher la tête au compliment avant de s'empresser de rassurer le gnome des profondeurs :

- Personne n'est censé venir ici, pas même moi ou mon second, sauf en cas de risque d'abordage. Et prions pour que cette éventualité nous soit épargnée d'ici à notre arrivée à Luménis.

« Dans ce cas, je vais lancer un sort qui m’avertira en cas d’intrusion. On ne sera jamais assez prudent. »

Alchem entreprit de mettre l’Eclat dans le coffre. Il avait l’intention de procéder rapidement. La gemme était normalement toujours enveloppée dans une étoffe. Une fois fait, une fois coffre et panneau refermés, verrouillés et si le capitaine n’y voyait pas d’objection, le gnome lancerait un sort d’alarme mentale à cet endroit.

HRP : l’alarme peut être soit audible, soit mentale. Dans ce dernier cas, Alchem est seul à l’entendre.

Le capitaine hocha la tête, considérant cette précaution supplémentaire comme un moyen de préserver ses hommes des effets de cet artefact inconnu mais dangereux.

- Fort bien : si je devais venir récupérer quelque chose ici, ce dont je doute, je vous en préviendrai à l'avance. Mais nous ne devrions pas trop nous attarder ici où nous allons, malgré nous, attiser la curiosité de mon équipage.

Alchem procéda. Il associa au sort d’alarme un mot de passe qu’il ne donna à personne. Sans doute ne servirait-il jamais, mais cela ne coûtait rien. Une fois fait, il refit face au capitaine et au couple.

« On peut y aller. Ne reste plus qu’à nous confier la seconde clé. »

Ainsi fut-il fait et le trio put regagner l'abri de la cabine après que le capitaine ait pris congé d'eux pour superviser la navigation du galion depuis la passerelle. Si Alchem ne se sentait plus aussi exténué qu'avant de s'être éloigné du cristal noir, il ne se sentait pas pour autant en grande forme. Mais peut-être n'était-ce là qu'un effet naturel des privations de sommeil récentes. Théodire étouffa un bâillement peu après avoir repris sa lecture, confirmant que lui non plus n'était pas au mieux. Aleka s'était quant à elle assise sur un des deux fauteuils de la cabine et consignait des notes dans un petit carnet que le gnome ne lui avait jamais vu.

Arriverait-il jamais à se sentir tranquille ? Non, pas tant que la gemme pouvait nuire. Toutefois, rien n’indiquait l’imminence d’un problème. Alchem était fatigué. Autant se reposer pendant qu’il le pouvait. Et après, il avait un journal à mettre à jour, des livres à lire, des parchemins à rédiger...

« Je m’allonge un moment. Si je fais quoi que ce soit de bizarre pendant que je dors, réveillez-moi. »

Il ne retira que sa cape et ses chaussures. Il avait donc encore ses armes sur lui.

Qu'il l'ait prévu ou non, le moment dura un bon bout de temps. La course du soleil avait complètement changé la luminosité dans la cabine ou alors le navire avait changé de cap. Toujours est-il qu'Alchem se sentit enfin reposé mais aussi affamé.

Les deux humains étaient tous les deux assis, devisant à voix basse, chacun en train de commenter leurs lectures de l'instant.

Alchem se redressa, s’étira et considéra la cabine. Il se demanda une seconde pourquoi le soleil avait bougé, puis il se rappela que les astres se comportaient ainsi dans le ciel. Phénomène étrange et magnifique que cette lumière sans cesse changeante. Les yeux d’obsidienne tombèrent finalement sur le couple.

« J’ai l’impression d’être parvenu à me reposer correctement. Il ne fait plus aucun doute que la proximité de l’Eclat est délétère. »

Il sauta à terre et attrapa ses chaussures.

« La journée en est où ? J’ai dormi longtemps ? »

Aleka répondit d'un ton doux et apaisant :

- A peine trois heures en fait. Nous vous aurions réveillé pour le repas si vous n'aviez pas émergé de vous même. En tous cas c'est une bonne nouvelle que la distance nous préserve des effets de l'Eclat.

Avant que le gnome ait pu répondre ou que la prêtresse ait pu ajouter quoique ce soit, des coups vifs et répétés furent frappés à la porte. La prêtresse s'empressa d'ouvrir pour trouver un capitaine visiblement inquiet.

- Dame Aleka, si vous voulez bien m'accompagner : un de mes hommes s'est senti mal...

Alchem jeta un coup d’œil au capitaine, puis à Aleka, puis il acheva de se chausser. Un homme qui se sentait mal ? Cela ne voulait rien dire. Le capitaine pouvait fort bien devenir paranoïaque maintenant qu’il savait un artéfact maudit à bord. Quoi qu’il en soit, il fallait vérifier. Ce voyage promettait d’être pénible. Tant pis.

« Je vais venir avec vous, Aleka », dit simplement le gnome en remettant sa cape et en rabattant son capuchon.

Durant le trajet, la prêtresse demanda au capitaine des précisions sur l'état du marin et l'interrogea sur les circonstances de son malaise. Apparemment, il s'agissait d'un jeune cuisinier qui s'était évanoui sans explication alors qu'il était en train d'aider à la préparation du repas. On l'avait mené jusqu'à son hamac dans le compartiment qu'il partageait d'ordinaire avec cinq autres membres de l'équipage.

Le jeune homme, visiblement âgé d'environ seize ans, était toujours alité et remué dans un état de torpeur fiévreuse quand ils le rejoignirent. Un autre homme était aux côté de son collègue et s'écarta devant Aleka. La prêtresse lui toucha le front puis murmura une incantation avant de recommencer. Elle déclara alors d'une voix soucieuse :

- A-t-il montré des signes de maladie avant son malaise ? A-t-il goûté à un ingrédient en particulier ?

Deux dénégations formelles de la part du second homme d'équipage avant que le capitaine ne s'inquiète :

- Est-ce grave ? Y a-t-il un risque de contagion ?

La prêtresse désigna le marin du menton et le capitaine, comprenant le message, le remercia et l'incita à retourner en cuisine. Une fois qu'ils furent seuls, Aleka déclara à voix basse :

- Je ne sais pas encore mais il semble qu'il ne s'agisse pas d'une maladie. Un poison ou une malédiction, je ne sais pas encore... Mais je vais déjà tenter de le soigner puis j'irai inspecter les réserves de nourritures. D'ici là, que personne ne mange.

- Je vais m'en occuper, déclara finalement et sombrement le capitaine avant de s'éloigner à son tour.

Dès que le capitaine se fut éloigné, Alchem déclara :

« Si l’Eclat est impliqué, on ne tiendra pas quatre jours. La situation va très vite devenir impossible. Dès que j’aurais régénéré mes sortilèges, je me téléporterai seul à Lumenis et sans la gemme. Débarrassée de sa néfaste influence, plus rien ne devrait perturber ma magie. J’irai au temple de votre dieu et demanderai le secours d’un grand prêtre. Je serai en mesure de retourner sur le navire avec des renforts. Mais vous devez rédiger une lettre ou me donner quelque chose qui prouve ma bonne foi. Sans quoi je risque d’être incapable de convaincre qui que ce soit. Pendant ce temps, vous ferez de votre mieux pour protéger l’équipage. Je ne devrais pas être long, enfin je l’espère. »

Tout en s'occupant de son patient, Aleka réfléchit longuement avant de répondre d'un ton décidé :

- Je vais essayer de soigner le marmiton mais si je n'y parviens pas, il sera peut-être nécessaire que vous l'emmeniez avec vous. Sans compter que les prêtres du temple pourraient ainsi étudier son mal et mieux se préparer à affronter le Despote.

Elle hésita encore un instant avant d'ajouter :

- Je ne suis pas très connue à Luménis. Auprès du temple en tous cas. Mais je vous écrirai une lettre oui. En espérant que cela suffira à les convaincre. Et si cela ne suffit pas, je vous donnerai l'adresse d'un ami qui saura vous y aider.

« Bien. J’imagine que Théodore voudra rester à vos côtés. Sinon, je peux l’emmener, lui-aussi. Je vous laisse en discuter avec lui lorsque vous en aurez l’occasion. »

Alchem jeta un dernier coup d’œil au malade puis, n’ayant rien à rajouter, entreprit de retourner dans sa cabine, enfin celle du capitaine. Chemin faisant, la tête de Dalius émergea de la poche de son maître :

« C’est une histoire de fou tout ça. Tu vas en avoir des choses à raconter lorsqu’on sera de retour à Ornegemme. »
« C’était le but. »

Quand Alchem regagna la cabine, il y trouva un Théodore visiblement inquiet qui posa le livre dont il avait vainement tenté de poursuivre la lecture.

- Alors, c'est grave ? Aleka est-elle toujours auprès du marin ?

« C’est suspect. Assez pour changer nos plans. Dès que j’en aurais les moyens, je me téléporterai à Lumenis, sans l’éclat pour éviter l’échec de la manœuvre. Je demanderai de l’aide au temple de Lathandre, aide que je pourrai ramener ici. Aleka rédigera une lettre pour moi et restera sur le navire. A vous de voir si vous venez avec moi, ou restez avec elle. »

Alchem ressortit son journal. Etant mieux reposé, il allait pouvoir le mettre à jour, ce qui allait l’occuper jusqu’au repas.

Théodore n'avait pas hésité une seconde à répondre que son devoir était de rester auprès d'Aleka pour l'aider à surmonter les prochaines attaques de l'Eclat. La prêtresse refit son apparition une demi-heure plus tard, visiblement très éprouvée :

- Il n'a pas repris conscience mais je pense qu'il est hors de danger. Je vais écrire votre lettre, Alchem : si le Despote remet ça à plus grande échelle, je risque d'avoir besoin d'aide. Quand pensez-vous pouvoir faire un nouvel essai de téléportation ?

« Demain matin, dès que j’aurais étudié mon grimoire », déclara Alchem en relevant le nez de son journal. « Le plus tôt possible », ajouta-t-il, après une brève pause.

Il avait encore à consigner nombre de détails d’importances. Les effets avérés et supposés de l’Eclat en faisait partie.

Nul doute que ces détails seraient utiles voire nécessaires à Alchem pour convaincre les prêtres de lui venir en aide. Il restait donc du temps - y compris au Despote pour sévir à nouveau et ruiner leur plan - mais Aleka décida de se mettre aussitôt à l'œuvre en s'installant derrière le bureau du capitaine. Elle avait fini de rédiger une courte missive quand on toqua à la porte de la cabine.

Cher confrères,

Le porteur de cette missive est un compagnon de confiance qui n'a pas hésité à m'apporter son aide dans une enquête officielle visant à détruire un puissant mort-vivant. Bien que l'ayant contraint à se réfugier dans ce qui lui sert de phylactère, la liche que nous avons défait dépasse mes pouvoirs et nous menace. Nous en appelons donc à votre aide bienveillante pour m'aider à amener l'objet en sécurité jusqu'à Luménis.

Aleka, prêtresse consacrée du temple de Lathandre d'Antelucas.

Alchem, qui un instant plus tôt griffonnait toujours dans son journal, remercia la prêtresse, récupéra la lettre et la mis dans ses affaires. Puis il laissa le soin à Aleka ou Théodore d’aller ouvrir. La porte, comme tout le reste, était grande pour lui. Ensuite, et surtout, ce n’était pas son rôle.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Antelucas